Entretien avec Alain Mergier, sociologue et coauteur du livre «le Descenseur social» :

Par Muriel GREMILLET

QUOTIDIEN LIBERATION : mercredi 21 février 2007 http://www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement1/236438.FR.php

Alain Mergier est sociologue. Avec Philippe Guibert, il a publié le Descenseur social (1) à la Fondation Jean-Jaurès (proche du PS), à l’automne. Cette enquête sur les milieux populaires a une grande influence auprès des candidats à la présidentielle et notamment sur Ségolène Royal. Alain Mergier expertise les choix de la candidate socialiste en matière de modèle social, à partir de ses déclarations faites lundi soir sur TF1.

Ségolène Royal souhaite «remettre debout la maison France». Que cela signifie-t-il ?

Elle possède une conception dynamique des choses. Pour elle, il ne s’agit pas simplement de rétablir l’égalité, comme on peut le concevoir dans une vision classique de gauche. Le coeur des choses, c’est de faire du citoyen, de tout citoyen, un acteur de la vie économique. Il faut que chacun, à son niveau de compétence et d’envie, puisse avoir un rôle économique, que personne ne reste au bord de la route. Chacun doit participer, travailler et consommer. C’est ça, «remettre debout la maison France.» C’est très différent de ce que propose Nicolas Sarkozy, qui lui parie sur le fait que les meilleurs finiront par tirer les autres vers le haut. Et finalement nourrit sa dynamique des inégalités.

 Ségolène Royal, elle, souhaite que chacun puisse se mettre au boulot.

Elle dit aussi la «dignité c’est de ne pas être assisté»…

C’est le volet éthique qui complète sa vision de l’économie. L’assistanat est une déchéance, une dépravation des valeurs de gauche. L’assistanat, c’est faire à la place des gens. Ségolène Royal souhaite que les Français reprennent en main leur destin, qu’ils puissent se loger, envoyer leurs enfants à l’école tranquillement, faire des projets. Voilà la dignité. L’assistanat, contrairement à ce que dit la droite, n’est pas une valeur de gauche.

Elle parle d’une «société de la responsabilité»…

Encore une fois, ce discours est nouveau à gauche. Et c’est toute la tâche de Ségolène Royal que de rénover le discours de la gauche en le décapant, en le nettoyant. Il ne s’agit plus d’asséner des dogmes. Il s’agit de faire une politique basée sur des valeurs, qui expliquent pourquoi on propose telle ou telle chose alors que les dogmes finisssent par produire le contraire de ce qu’ils sont censés appliquer. La responsabilité n’est pas une valeur spécifique à la droite, ou un emprunt au blairisme. Les individus sont au coeur de ce projet de société. Il y avait une insuffisance du discours de gauche à traiter des individus. Elle est en train de faire bouger les choses. Aujourd’hui, pour la candidate, le clivage droite-gauche ne passe plus entre l’opposition individus-collectif. Mais bien plus sur la question des solidarités et de leur organisation.

C’est la société du «donnant, donnant» ?

Oui, c’est un nouvel espace, qui n’a plus rien à voir avec l’égalitarisme classique. Cela suppose que chacun y mette du sien pour tirer le collectif. Ce modèle est directement inspiré de ce qui se pratique dans les pays nordiques, notamment au Danemark. Par exemple, la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle permet aux individus de prendre des risques. Ils peuvent envisager d’évoluer professionnellement, sans avoir la crainte de perdre leur emploi. Ce qui permet aussi aux entreprises de gagner en flexibilité, il faut oser le mot. Les individus évoluent, les entreprises évoluent. Voilà un double bénéfice.

«Ne pas opposer les entreprises et les salariés, est-ce la clé de son slogan» ?

Au fond, elle veut démontrer que la solidarité est un vecteur de compétitivité des entreprises. Pourtant, il y a un paradoxe apparent, car notre définition de la solidarité est issue d’une société qui n’existe plus. Ségolène Royal repense les termes classiques des valeurs de gauche dans une société d’individus, ouverte, mondialisée. Ce modèle est novateur et elle doit réussir à transformer le PS et les socialistes qui sont assez rétrogrades sur le sujet.

Pour aboutir à quel modèle social ?

Un modèle à la fois très français, mais inspiré de ce qui se fait ailleurs en Europe, notamment avec la fin de l’Etat jacobin. Mais il n’y a pas d’importation pure et simple d’un modèle social ou d’un autre, parce qu’il est inimaginable d’avoir le niveau très haut de prélèvements obligatoires qui sous-tend les systèmes nordiques. On ne peut pas non plus imaginer complètement liquider l’Etat, comme les Anglo-Saxons l’ont fait. A chaque fois, ses inspirations sont fortes, mais elle est assez révolutionnaire. Elle revisite les valeurs de gauche.