Une vraie politique agricole et alimentaire

En mars 2005, au Salon de l’agriculture, s’adressant aux agriculteurs qui voulaient voter non au référendum européen, le président de la République avait voulu les dissuader en utilisant l’expression « Vous allez vous tirer une balle dans le pied » ! Il faut croire que Jacques Chirac a bien peu d’autorité, puisque, le 29 mai 2005, 7 agriculteurs sur 10 ont voté NON à la ratification du traité constitutionnel approuvé par tous les gouvernements des pays membres de l’Union européenne. Ce vote est à mettre en relation avec les 7 à 8 milliards d’euros d’aides directes européennes perçues annuellement par les agriculteurs français, ce qui représente près de 80% de leur revenu net agricole moyen ! Un revenu qui avait diminué chaque année depuis 1999 (- 30% en sept ans), en dépit de la forte baisse de leur nombre (moins de 600 000 actifs non salariés en 2005, plus du double en 1985).

La France a laissé faire la dérive libérale de la PAC C’est parce qu’ils connaissaient de très près l’évolution de la PAC qu’ils ont voté NON au référendum. Cette évolution libérale de la PAC n’a pu se faire sans l’assentiment du chef de l’Etat. Chirac est très populaire au Salon de l’Agriculture mais les agriculteurs savent bien qu’il ne s’est pas opposé à la mise en œuvre des politiques néo-libérales en agriculture à l’initiative de la Commission européenne, elle-même sous la pression des négociations internationales dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ses propos d’hier (deux mois avant la fin de son mandat) contre le Commissaire au commerce, ne changent rien aux réalités. Un tournant dans les prix et les revenus agricoles en 2006 Non seulement les agriculteurs ne se sont pas « tiré une balle dans le pied » le 29 mai 2005, mais la conjoncture internationale leur a été favorable en 2006. Leur revenu a repris, en une seule année, la moitié des pertes accumulées depuis 1999 (voir sur ce blog l’article d’hier). Les cours mondiaux du blé et du maïs ont été fortement revalorisés sous l’effet du développement des biocarburants aux USA et au Brésil, notamment.

En outre, les importations chinoises vont dans le même sens d’une plus forte demande de produits agricoles de base (céréales). Ces éléments nouveaux doivent nous inciter à repenser en profondeur la politique agricole de notre pays, en sachant que celle-ci ne pourra être mise en œuvre qu’au niveau européen. Une politique agricole sur des bases radicalement nouvelles J’ai fait des propositions réalistes (voir sur ce blog l’article du 22 février dernier et sur le site national du MRC www.mrc-france.org en page d’accueil et les autres articles agricoles, onglet Positions, rubrique Agriculture). La gauche doit faire cesser la dérive néo-libérale de la politique européenne en général, de la politique agricole en particulier. Une vraie politique agricole ne peut être placée sous la tutelle des décisions de l’OMC, ou alors, cela signifie qu’elle n’existe pas. La souveraineté alimentaire

La gauche doit remettre les pouvoirs publics en position d’assumer leurs responsabilités, la première étant d’assurer la sécurité alimentaire, en quantité et en qualité. Telle est la définition de la souveraineté alimentaire. C’est valable pour l’Afrique (voir sur ce blog l’exemple du Mali, article du 27 février) comme pour l’Union européenne. 1/2 Nourrir l’Europe L’Europe n’a ni la vocation ni la possibilité de nourrir le monde. Elle doit donner l’exemple d’une organisation lui permettant de nourrir les Européens dans de bonnes conditions. Son industrie agroalimentaire peut très bien remplir cette mission et, en outre, exporter des produits élaborés, dans la mesure où elle en a la capacité par elle-même. Les subventions aux exportations ne se justifient pas, car il faut éviter de laisser prise aux accusations de distorsion de concurrence. Et cela nous place en position plus confortable pour protéger l’espace européen de ces distorsions, à l’aide des moyens les plus adaptés. Au sein de l’OMC, l’Union européenne doit peser en faveur de la régulation du commerce et des marchés mondiaux, en mettant la priorité sur l’organisation régionale, voire continentale. L’intervention publique nécessaire L’agriculture, qui fournit des denrées alimentaires, n’est pas une activité comme les autres. Les prix sont instables et ne reflètent pas les coûts de production. C’est ce qui justifie l’intervention publique et la mise en œuvre de l’organisation des marchés agricoles et alimentaires.

Les pouvoirs publics européens doivent veiller à ce que les prix des produits agricoles se tiennent à des niveaux permettant d’assurer la production de denrées alimentaires en quantité et en qualité. C’est leur rôle de vérifier que la valeur ajoutée se répartit équitablement entre tous les partenaires de chaque filière agroalimentaire. Les aides publiques Les aides publiques ont pris, au fil du temps et des réformes de la PAC, une part trop importante dans les revenus agricoles. La règle générale doit être que les agriculteurs soient rémunérés par la vente de leurs produits. Les aides directes, liées à la production, ne peuvent exister que dans des conditions exceptionnelles décidées par les pouvoirs publics dans le but de soutenir une filière de production. Les aides publiques, découplées de la production et régionalisées, perdront leur caractère systématique et généralisé pour devenir des compensations à des services rendus à la collectivité par les paysans. Les syndicats agricoles dans l’attente de propositions novatrices Je connais un peu les organisations syndicales, j’ai rencontré leurs responsables au niveau national (voir sur ce blog les articles des 22 et 23 décembre 2006, ainsi que celui du 20 janvier 2007). Il me semble qu’elles attendent des candidats, et des partis qui les soutiennent, des propositions novatrices après les épisodes, peu glorieux, de réformes successives de la PAC débouchant sur le vide politique, le but étant de faire place nette aux marchés. Un sondage, dont j’ai pris connaissance des résultats aujourd’hui, montre que les agriculteurs regardent de plus en plus en direction de la droite ou du centre. La gauche, dans sa diversité, n’intéresserait que 20% du monde agricole. Je me souviens de l’espoir qu’avait suscité la campagne de François Mitterrand, en 1981, parmi les agriculteurs qui avaient subi les conséquences de la politique de Giscard les années précédentes. Relever le défi alimentaire Dans les deux mois qui nous séparent du 6 mai, faisons en sorte de poser les vraies questions et d’apporter de bonnes réponses. Le défi énergétique est bien réel mais l’agriculture n’est pas la solution dans l’immédiat, tant que la transformation industrielle de la biomasse n’est pas au point. Le défi alimentaire existe bien et l’agriculture peut le relever, à condition de le faire intelligemment, à l’initiative et sous le contrôle des pouvoirs publics. La France a joué un rôle éminent, au début des années 1960, pour mettre en place la Politique Agricole Commune. Elle peut et doit se lancer dans la définition d’une nouvelle politique, agricole et alimentaire, à l’échelle de l’Europe. Article paru le 4 mars 2007 sur http://mrc53.over-blog.com

 

Délégation à l’agriculture du Mouvement Républicain et Citoyen -
Michel SORIN