Jean-Jacques Becker, historien, décrypte les liens de la gauche à la nation.

Par Jean-Dominique MERCHET

QUOTIDIEN LIBERATION : lundi 26 mars 2007  

http://www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/243356.FR.php

L’historien Jean-Jacques Becker, qui a dirigé Histoire des gauches en France (éditions la Découverte), décrypte pour Libération les relations complexes entre la gauche et l’idée de nation.

La nation est-elle une idée de gauche ? 

A l’origine, sans aucun doute. L’idée nationale est liée à la Révolution française. Certes, la nation française est née plus tôt, comme le montrent les travaux historiques. C’est avec Jeanne d’Arc, au XVe siècle, que le sentiment national prend forme.

Justement, Ségolène Royal parle beaucoup de Jeanne d’Arc… 

Sur le fond, elle n’a pas tort. Même si c’est un peu un argument de campagne électorale !

Inattendu à gauche, non ? 

Il est vrai que Jeanne d’Arc est devenue un emblème de la droite, même si cela n’a pas toujours été le cas.

La nation, le drapeau tricolore, la Marseillaise sont nés à gauche. Comment expliquez-vous ces transferts de la gauche vers la droite ? 

C’est la conséquence du développement du socialisme au XIXe siècle. Encore qu’une partie de la gauche n’a jamais renoncé à ces thèmes. Comme le Parti radical, principale formation politique de la gauche au début du XXe siècle, qui a toujours été un parti national. Mais le socialisme, qui se fonde sur l’idée de l’internationalisme, a permis à la droite de reprendre ce concept de nation. L’internationalisme reste quelque chose de fondamental dans la construction de l’idéologie de la gauche. On y craint de brandir ce qui semble être devenu l’apanage du nationalisme. A gauche, il en reste aujourd’hui une certaine gêne, une certaine difficulté à aborder cette question. Nous sommes dans le vieux problème du conscient et de l’inconscient.

A certaines époques, la gauche n’a pourtant pas craint de brandir l’étendard national… 

Bien sûr. Souvenons du film de Jean Renoir, la Marseillaise, en 1937, réalisé grâce à une souscription de la CGT ! La Marseillaise était à l’origine un chant révolutionnaire. Puis à la Libération, le Parti communiste a beaucoup joué sur le sentiment national. Il avait même un journal qui s’appelait France d’abord ! 

Quel regard l’historien que vous êtes porte sur l’usage qu’une candidate de gauche fait de ces thèmes ? 

Je ne sais pas comment cela va être reçu à gauche… Je crains qu’elle ne s’y retrouve pas. Tout cela tient à la nature de Ségolène Royal, qui ressemble en cela à François Mitterrand. C’est une femme de gauche avec une culture de droite. Je suppose que, pour elle, tout cela est très naturel. Elle y croit. Et en plus, cela colle à l’actualité puisqu’elle reprend l’argumentaire de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale.