«On est passés à une bataille d’images »
Créé par sr07 le 30 juil 2007 à 5:58 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle
Christian Delporte, professeur d’histoire, analyse les rapports entre politiques et médias :
Par NATHALIE RAULIN
QUOTIDIEN : lundi 30 juillet 2007
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Christian Delporte (1) est directeur de la revue le Temps des médias. Il explique les raisons pour lesquelles la pipolisation de la vie politique s’est accentuée en France.
Cette campagne, plus qu’aucune autre précédemment, a été rythmée par l’intimité des deux principaux candidats, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Est-on entré dans l’ère du tout people ?
Il n’y a pas de rupture. Ce qu’on appelle aujourd’hui «pipolisation des hommes politiques», s’appelait «politique-spectacle» dans les années 70 et «américanisation de la politique» dans les années 60 ! Quand Lecanuet posait pour les photographes avec femme et enfants ou en ciré jaune sur son voilier, c’était un signe avant coureur de cette pipolisation. Les Américains avaient montré le chemin. La campagne de Kennedy au début des années 60 est à cet égard instructive : il n’hésite ni à s’entourer de stars du show-business ni à jouer de l’image de sa femme pour donner à voir un couple idéal. Il est sans doute un des premiers à utiliser la médiatisation de son intimité à des fins de communication politique. En revanche, le phénomène a pris ces dernières années une autre dimension.
Comment expliquer cette nouvelle starisation ?
La personnalisation de la vie publique, inscrite dans les institutions de la République, en est le socle : la présidentielle place les individus au centre du débat. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour renforcer cette caractéristique institutionnelle. Avec l’affaissement des clivages idéologiques, on est peu à peu passés d’une bataille d’idées à une bataille d’images. Pour que ce mouvement s’opère, deux conditions techniques devaient être remplies : il fallait disposer de puissants médias d’image et d’instruments de mesure. A partir des années 60, les sondages commencent à évaluer l’image personnelle des hommes politiques et la télévision se répand dans les foyers français. Le phénomène n’a été qu’en s’amplifiant, au point qu’aujourd’hui toute la politique se fait à la télévision. La défiance croissante de l’opinion publique vis-à-vis des politiques et la crise durable de la démocratie de représentation ont consolidé la tendance. Peu à peu, les téléspectateurs ont déserté les émissions et débats politiques, obligeant les hommes politiques à chercher d’autres espaces pour toucher leurs électeurs.
La faute au voyeurisme des médias ?
On peut accuser les médias, mais rien ne se fait sans le consentement des hommes politiques. Le début de «l’Etat spectacle», la formule est de Roger-Gérard Schwartzenberg, remonte aux années 60. Avec le départ de De Gaulle et l’arrivée de Pompidou à l’Elysée, on change d’âge politique en changeant de principe de gouvernement : le leitmotiv n’est plus «je vous guide parce que je suis l’Histoire» mais «je vous guide parce que je suis comme vous». On n’imagine pas de Gaulle en people ! Pompidou, lui, déclare vouloir être un président «humain», «proche des Français», et marque le début de son septennat en faisant plusieurs fois la une de Paris Match aux côtés de son épouse. En avril 1970, les Pompidou invitent les caméras de télévision jusque dans leur maison de campagne, à Cajarc : les Français découvrent un président à leur image, en famille, qui pouponne et appelle sa femme «Bibiche». Cette proximité factice a contribué à banaliser la politique. La pipolisation actuelle n’est que le résultat de la désacralisation de la politique.
Tout de même, on a le sentiment d’avoir récemment franchi de nouvelles bornes.
L’ambition présidentielle de Sarkozy a beaucoup joué. Longtemps, seul le chef de l’Etat a exposé son intimité dans les médias. Parfois à outrance, comme VGE. Sarkozy est le premier à avoir nettement transgressé cette règle : en 2002 dans une émission d’ Envoyé spécial, il dévoile son intimité, Cécilia, le petit Louis. Il s’agit pour lui de remonter sa cote de sympathie, alors assez basse, dans l’opinion. Les médias se sont précipités dans la brèche. C’est d’ailleurs une grande tradition de la presse populaire depuis la fin du XIXe siècle que de publier des échos sur les coulisses du monde politique. Cela fait vendre. Un seul exemple : quand, en couverture, VSD exhibe Ségolène Royal en maillot de bain en août 2006, le magazine multiplie ses ventes par trois !
(1) La France dans les yeux, une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours. Flammarion.
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