De notre envoyé spécial à Al-Sawahra (Cisjordanie)   Stéphane Amar

QUOTIDIEN LIBERATION : mardi 23 octobre 2007

Il y a des ânes et des chèvres. Des vieilles masures de pierres et des oliviers centenaires sur fond de désert de Judée. Mais le village arabe d’Al-Sawahra, à une dizaine de kilomètres à l’est de Jérusalem, risque de perdre très bientôt de son charme bucolique. Israël prévoit d’y faire passer une nouvelle route reliant Bethléem à Jéricho. Bien sûr, le maire d’Al-Sawahra déplore les dizaines d’hectares de terres agricoles qui seront expropriées pour la construire et surtout ne saisit pas bien l’utilité du projet. «Il y a déjà une route et elle nous convient très bien», jure Mohammed Kassem. Mais bientôt, elle ne sera plus accessible qu’aux seuls Israéliens. Le nouveau chemin, lui, sera réservé aux Palestiniens. Son tracé ne laisse guère de doute sur les intentions israéliennes : il contournera l’imposante implantation juive de Maalé Adoumim. «Ils préparent l’annexion de Maalé Adoumim au territoire israélien», pressent Mohammed Kassem.

Avec ses 35 000 habitants, Maalé Adoumim est une pimpante ville nouvelle, aux rues impeccables. On vient ici avant tout pour la qualité de vie et les prix de l’immobilier, inférieurs de 30 % à ceux pratiqués à Jérusalem, située à dix minutes en voiture. Du coup, la ville grandit à toute vitesse. Chaque année, un millier d’Israéliens viennent s’y installer. «Nous arrivons à saturation, j’ai beaucoup de demande et peu de terrain, assure Benny Kashriel, le maire de Maalé Adoumim (Likoud). Si nous voulons continuer à nous développer, il nous faudra construire dans E1.»

Continuité.E1, «East one» pour les non-initiés. Ces quelques arpents de rocaille qui relient Maalé Adoumim aux quartiers juifs de Jérusalem-Est constituent la principale pomme de discorde entre Israël et les Etats-Unis. Depuis des années, l’Etat hébreu caresse le projet d’y construire 3 500 logements, un centre commercial, des écoles. L’administration Bush s’y oppose car construire dans E1 compromettrait définitivement la continuité territoriale d’un futur Etat palestinien en isolant Ramallah de Bethléem. «Israël fera tout son possible pour construire un quartier juif dans E1, estime Frédéric Encel, professeur de géopolitique spécialiste de Jérusalem. Au minimum, la zone deviendra un no man’s land sous contrôle israélien où passera la future route palestinienne reliant Ramallah à Bethléem».

Cette route palestinienne est déjà en construction. Comme celle qui passera par Al-Sawahra, elle participe d’un vaste plan de séparation. Murs, barrières de sécurité, ponts, tunnels : un schéma soigneusement réfléchi qui vise à maintenir la plupart des implantations juives tout en garantissant la sécurité des Israéliens. L’Etat palestinien, s’il voit le jour, sera ainsi constitué de petites poches urbaines, reliées entre elles par des axes routiers sous contrôle israélien. Pour justifier son projet le gouvernement hebreu assure que ces routes réservées permettront de lever nombre de barrages militaires, le cauchemar des Palestiniens.

Scepticisme. «La vie quotidienne des Palestiniens en sera certainement facilitée», considère Béatrice Métaireau, géographe à l’Ocha, une agence de l’ONU qui observe la colonisation israélienne. «Un Palestinien pourra aller de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, à Hébron, dans le sud, sans traverser un seul barrage militaire. Mais en terme de droit humanitaire, de droit à la continuité territoriale, cela pénalise forcément les Palestiniens.»

Curieusement, les deux maires, l’Israélien de Maalé Adoumim et le Palestinien d’Al-Sawahra, partagent le même scepticisme face au plan de séparation. «Au moment où nous parlons 2 000 Palestiniens sont dans Maalé Adoumim pour y travailler. Nous nous côtoyons depuis toujours. A quoi rime une séparation ?» s’interroge Benny Kashriel. «Ils peuvent monter toutes les barrières qu’ils veulent, cela ne changera rien», déplore Mohammed Kassem. «Ils éviteront peut-être les coups de couteau mais à la place ils recevront des roquettes, comme à la frontière avec Gaza. Ce n’est pas comme cela que l’on construira la paix, c’est en apprenant à vivre ensemble.»