Avec La Lettre A, la chronique de Jean-Michel Quatrepoint. Le président, entre l’expansion européenne et les craintes des Français, choisit… les deux, dans un numéro d’équilibriste dont il commence à gôuter l’échec.

L’histoire retiendra que c’est par un vote à la sauvette, sans aucun débat dans le pays, ni véritable discussion au Parlement, que la France a ratifié le traité européen, dit de Lisbonne. Une copie conforme du projet de Constitution rejeté par le peuple français. Tout le talent de Nicolas Sarkozy aura été de faire croire qu’il avait obtenu de profonds amendements au texte. Que cette Constitution, dont il était loin d’être un thuriféraire, n’était plus qu’un mini-traité. Sous-entendu, peu contraignant.
Las ! Au-delà de la trouvaille sémantique, il s’agit bel et bien de repasser le même plat, non plus aux peuples dont on ne peut prévoir les réactions, mais aux Parlements, dont on est sûr du vote. Les élites du Vieux Continent estiment depuis longtemps que la construction européenne, du moins telle qu’ils la conçoivent, est une chose trop importante pour la faire dépendre des humeurs changeantes du bon peuple.

Un double discours pour plaire à la fois à Bruxelles et aux Français

Nicolas Sarkozy a vite compris qu’une élection présidentielle ne se gagnait pas seulement à Paris, mais qu’il fallait être adoubé par l’establishment européen. C’est une donnée incontournable. Pour accéder à l’Élysée, il ne faut pas apparaître comme un opposant à la construction européenne. Jacques Chirac, mais aussi Edouard Balladur s’étaient résignés à voter « oui » au Traité de Maastricht, car ils savaient qu’un « non » sonnerait le glas de leurs ambitions présidentielles. Tous ceux – de Philippe Seguin à Laurent Fabius, en passant par Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevènement et tant d’autres – qui ont contesté la manière dont l’Europe se construit depuis près de vingt ans, l’ont appris à leurs dépens.
Fort de ce constat, Nicolas Sarkozy, qui est loin d’être un européiste convaincu, a donc accepté les conditions des partenaires de la France, et surtout d’Angela Merkel : des retouches cosmétiques au texte, et l’abandon du référendum. Nicolas Sarkozy tient ses engagements. Mais en même temps, il ne se passe pas de jour sans qu’il fulmine contre Bruxelles, Francfort, Berlin, telle ou telle directive de l’eurocratie, les quotas de pêche, les délocalisations… Ses discours sont très au point. Ils sont même saisissants de vérité. Lorsqu’il s’adresse aux marins pêcheurs, aux ouvriers de Gandrange, lorsqu’il fustige les patrons voyous, le capitalisme financier, le comportement de la BCE, il apparaît profondément sincère.
L’hérésie de l’Europe à vingt-sept
Or, plus la France est insérée dans un faisceau de contraintes européennes, moins son personnel politique, à commencer par le président, dispose de marges de manœuvre. On ne peut pas dénoncer le matin les dérives de la construction européenne, et le soir signer un traité qui les avalise et les accentue. L’erreur historique, à laquelle les Anglo-Saxons nous ont habilement conduits, aura été de privilégier, il y a quinze ans, l’élargissement à l’approfondissement. Et d’imposer une vision idéologique, pour ne pas dire naïve, de la libre-concurrence. Dans un monde lourd de menaces, où personne ne fait de cadeau à personne, l’Europe à Vingt-sept est une hérésie. C’est une Europe qui ne sait pas et ne veut pas défendre ses intérêts. C’est une Europe sans vision géopolitique, sans réelle volonté d’exister.
Nicolas Sarkozy nage en pleine contradiction. Et cela, l’opinion publique le sent. Il ne faut pas chercher plus loin, au-delà de l’aspect bling-bling de sa présidence, les raisons de sa chute dans les sondages.

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 Dans Marianne, Dimanche 10 Février 2008

Jean-Michel Quatrepoint