QUOTIDIEN LIBERATION : jeudi 8 mai 2008

On ne pourra plus dire que le trotskisme est un archaïsme. Pour célébrer les quarante ans de Mai 1968, carrefour baroque de tous les gauchismes de France et de Navarre, Olivier Besancenot a choisi de se rendre chez Michel Drucker.

Le plus télévisuel des professionnels de la révolution sera dimanche prochain l’invité du plus professionnel des éternels de la télévision. C’est plus qu’un symbole, une reddition : pour soulever les foules, Vivement dimanche remplace Rouge. Bien entendu, tout l’argumentaire de la justification est déjà en place. Tante Arlette Laguiller, pas jalouse, approuve l’initiative. Aucun champ de bataille n’est à dédaigner. Alain Krivine, le caïman historique de la nouvelle génération trotskiste donne sa bénédiction.

A l’époque mérovingienne, lorsque lui-même avait été l’invité de l’émission politique phare d’alors – elle s’appelait A armes égales et c’était un duel de deux heures – le très paranoïaque ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, avait apostrophé les jeunes présentateurs et les avait mis face à leurs responsabilités : s’ils confirmaient leur invitation, ils porteraient l’entière responsabilité des violences qui pourraient survenir. Nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit à l’avance de voir Besancenot, le damoiseau du trotskisme, en invité vedette de France 2 tout un dimanche après-midi, entouré d’amis, de chanteurs, d’acteurs, d’imitateurs. Le plus empathique des animateurs recevra le plus avenant des révolutionnaires. Effet de curiosité garanti. Voilà un joli coup.

Mais pour qui ? Pour Drucker, cela va de soi. Le très populaire animateur sera un hôte parfait, souriant, détendu, complice, arasant. Il a reçu et a dompté des fauves plus redoutables que le militant le plus célèbre de l’Hexagone. Il sera assez malin pour ne pas chercher à escamoter la vraie fausse transgression idéologique du dimanche 11 mai, Pentecôte du trotskisme revisité. Bien au contraire, il saura faire flotter comme un air d’idéalisme dans l’espace télévisuel le plus méthodiquement intégrateur. Il apparaîtra lui-même plus dégagé et joueur que jamais, affable et discrètement distancié. Professionnel, connaissant mieux la politique qu’il ne le montre et donc très déterminé à demeurer sans étiquette, sinon celle du succès qui ressemble rarement aux fervents de la révolution permanente ou la révolution trahie, deux des opus de Trotski.

Pour Besancenot, c’est une tout autre affaire. En théorie, Vivement dimanche offre sans doute l’espace le plus vaste pour une prédication réussie. Le Jour du Seigneur compte beaucoup moins de fidèles. Comme Georges Marchais l’avait si bien compris, une belle et bonne émission télévisée rassemble plus de monde qu’une année de meetings. D’ailleurs, Marie-George Buffet sera dans trois jours la téléspectatrice la plus frustrée de France. A la gauche du PS, il n’y en a décidément que pour Besancenot, ce diplômé facteur qui caracole dans les sondages, se fait interviewer dans Paris Match par un académicien amusé et installe désormais à la télévision une hégémonie juvénile sur la gauche de non-gouvernement.

La secrétaire nationale du Parti communiste a-t-elle si raison que cela d’envier l’ordalie de Besancenot chez Drucker ? Qui va dévorer l’autre, la télévision ou le trotskiste ? S’il s’agit de critères de popularité, aucun doute : le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire ne peut que se réjouir à l’avance de son invitation à Vivement dimanche. Il est déjà bien classé dans les baromètres les plus bourgeois. Il le sera encore mieux au lendemain de son intronisation.

A Hollywood, dans les années 1950, on présentait les débuts des aspirants au statut de star sous le bandeau «introducing». C’est la posture actuelle de Besancenot, révolutionnaire malheureux et people politique émergeant. En 2012, il pourrait réaliser un score roboratif, peut-être 7 % à 8 %, pourquoi pas un peu plus si les circonstances s’y prêtent et si la télévision est bonne fille. Le candidat socialiste devra trouver une solution. La gauche l’emportait quand la droite ne parvenait pas à gérer le Front national. La droite espère bien que le chef de file du futur parti «anticapitaliste» parviendra à détacher 2 millions à 3 millions de voix de la gauche de gouvernement. En Allemagne, Die Linke fait ainsi le bonheur d’Angela Merkel.

Dimanche prochain, Besancenot s’évertuera naturellement à faire passer un message politique chez Drucker, lequel ne l’en dissuadera pas. Il est douteux qu’il y trouve l’occasion d’approfondir le programme et la méthode de la révolution du XXe siècle.

Les triomphes ludiques de la télévision préparent rarement les changements de société. Le Minotaure Drucker dévorera paisiblement Besancenot, ce Thésée téméraire.