« L’Afrique noire est mal partie », par Alain Faujas
Créé par sr07 le 28 juil 2008 à 17:24 | Dans : Agriculture, Articles de fond, Une autre mondialisation
Oh, la belle polémique que déclencha René Dumont (1904-2001) en affirmant et en déplorant, dans L’Afrique noire est mal partie (Le Seuil, 1962), que cette zone des tropiques n’était pas près de se développer ! En pleine euphorie des indépendances, ce professeur d’agriculture comparée à l’Institut national agronomique (INA) osa dire que l’Afrique faisait fausse route en singeant ses anciens colonisateurs.
Le livre fut interdit illico par une bonne partie des jeunes Etats d’Afrique francophone. Son auteur fut même cité à « comparaître » devant les étudiants de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). Ils lui dirent, raconte-t-il dans ses Mémoires, « que je n’avais rien compris, qu’ils allaient faire la révolution. Ce qui résoudrait tous les problèmes ».
Avec passion, René Dumont prend la défense des paysans tropicaux, « vrais prolétaires des temps modernes », notamment en Afrique, où « l’homme noir se trouve enfermé dans le cercle infernal d’une agriculture sous-productive, réalisée par des hommes sous-alimentés, sur une terre non-fertilisée« . La faute à qui ? Aux crimes de nos ancêtres blancs qui ont déporté des dizaines de millions d’esclaves en Amérique, organisé l’abomination du travail forcé et inoculé l’alcoolisme. A l’économie de traite qui a permis aux colons de s’enrichir à trop bon compte et assuré durablement la prééminence du capital commercial sur le capital industriel. A l’outrecuidance technocratique de ceux qui ont privilégié sur des terres fragiles la mécanisation et les cultures d’exportation, alors que la houe traditionnelle, la daba, et le mil auraient dû être préservés dans un premier temps.
Les Noirs – ou plutôt leurs élites – en prennent aussi pour leur grade : « La principale industrie des pays d’outre-mer est l’administration », persifle-t-il. Et de recenser un député pour 6 000 habitants au Gabon contre un pour 100 000 en France. Dénonçant de façon prémonitoire les comptes en banque en Suisse et les villas sur la Côte d’Azur qu’amasseront les dirigeants africains, il n’hésite pas à railler : « Ces pays n’ont pas bien compris qu’ils étaient pauvres, car ils peuvent encore trop facilement nous « taper ». »
Socialiste humaniste, René Dumont prône, avec un certain idéalisme, un plan qui comporterait « l’engagement total d’un gouvernement et d’un peuple, fait d’un choix conscient d’actions exécutables et de sacrifices délibérés ». Il veut que l’Afrique importe des bus plutôt que des Mercedes, des engrais et de semences plutôt que de l’alcool. Il réclame un enseignement décolonisé où l’on apprenne au jeune Malgache le système reproducteur du vanillier qu’il féconde chaque année et non celui du marronnier, qui ne pousse pas dans la Grande Ile.
Il dénonce le système foncier, la dot, la gérontocratie, les marabouts qui, chacun à leur manière, entravent la productivité du paysan africain et son « accession progressive à l’économie d’échanges ». Il veut que les élites de la fonction publique acceptent une baisse de leurs salaires. Il pourfend les termes de l’échange qui détournent vers les pays riches la plus-value des matières premières africaines. A l’évidence, il est séduit par les socialismes naissants et (apparemment) austères au Ghana, au Mali, en Guinée ou en Zambie.
Les idées de René Dumont ont marqué des générations d’agronomes et de spécialistes du développement. « Son diagnostic est toujours valable, affirme Olivier Lafourcade, ancien directeur pour l’Afrique occidentale et centrale à la Banque mondiale. Relever la productivité agricole de l’Afrique demeure d’actualité, car en quarante-cinq ans, on n’a pas fait grand-chose en la matière ! » Le futur candidat à l’élection présidentielle de 1974 sous les couleurs écologistes pointait déjà sous l’agronome. « Avant tout le monde, il a mis l’accent sur l’importance de l’eau et la nécessité de se soucier de l’environnement, poursuit M. Lafourcade. Certes, sa vision très socialiste du développement le poussait à faire trop confiance à l’Etat, mais il a été le premier à promouvoir l’organisation des producteurs et à souligner le rôle essentiel des femmes dans l’agriculture vivrière. »
Les plus jeunes aussi s’inspirent des analyses de René Dumont. Ainsi, Roger Blein, consultant auprès d’Etats et d’organisation d’agriculteurs d’Afrique de l’Ouest, qui a découvert le livre dans les années 1980. « A son époque, on fermait les yeux sur la corruption et la gabegie en échange des matières premières et des débouchés de l’Afrique subsaharienne, explique-t-il. Or, la Chine est en train de renouveler ce pacte détestable qui explique une partie du décrochage de l’Afrique par rapport au reste du monde. »
Mais la victoire posthume de René Dumont, c’est la Banque mondiale qui la lui a apportée sous la forme d’un mea culpa en bonne et due forme. En octobre 2007, un rapport de la Banque a reconnu que l’agriculture avait été « négligée », depuis vingt-cinq ans, comme facteur de développement, alors que 75 % des populations les plus pauvres habitent les zones rurales. Son président Robert Zoellick a donc décidé que l’argent de la Banque privilégierait désormais l’accès à la terre, l’accès à l’eau et l’éducation des paysans. Exactement ce que préconisait l’agronome le plus célèbre de France.
L’Afrique noire est mal partie, René Dumont, Le Seuil, 1962.
Article paru dans l’édition du Monde du 27.07.08. dans la rubrique « rétrolecture »-1962
3 réponses to “« L’Afrique noire est mal partie », par Alain Faujas”
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on doit pardonner pour pouvoir vivre en paix et évoluer.c’est difficile mais on peut le faire.
quelle est la réalité de l’Afrique noire dans les contextes politique, économique et social?
je partage l avis de robert zoellik , l acces a la terre et , a l eau me semble primordiale , avec une ptite preference pour l eau en premier , l education doit passer apres