Par PIERRE MARCELLE dans Libé du 10/07/09

Rue de la social-démocratie

Fin de saison, retour d’embrouilles. Dans Le Nouvel Observateur titrant la semaine dernière «Nicolas Sarkozy face (sic) à l’Obs», recommencement de repentance et résolution de zenitude, bruyante annonce de nouveaux débauchages «à gauche». L’ouverture, comme il dit, pour faire à marche forcée une union nationale. Lundi, Juppé et Rocard en couple pour incarner une molle et consensuelle audace social-démocrate, en réponse à la perspective d’une rentrée de crise. Cette sacrée crise qui ne passe pas si aisément que divers experts tentent de s’en convaincre, mais que l’exécutif invoque pour imposer son «travailler plus», le dimanche aussi et jusqu’à 67 ans si nécessaire ; pour le «gagner plus» qui devait aller avec, la déflation l’assurera mécaniquement, mais il n’est pas interdit de sourire à cet autre bobard.

Cette sacrée union nationale est la clef d’un sarkozysme dont la pérennité s’affiche comme une fin en soi. Outre d’anecdotiques et plus ou moins pathétiques ambitions de fins de carrière, la lente agonie d’un Parti socialiste dont chacun aspire à recueillir les dépouilles en constitue la clef de voûte. Des arithmétiques électorales détermineront quelles alliances, ici ou là, avec des centristes ou des écologistes, seront les moins sales, sinon les plus propres, à lui conserver son statut de «parti de notables» ralliés. A Hénin-Beaumont, l’autre dimanche, un scrutin municipal mesura exactement la capacité de sursaut d’une opinion épuisée. Lorsqu’un front républicain revenu du diable vauvert peine à rassembler assez pour laisser, au terme du second tour, le Front national à 47,62 % sur les terres historiques du socialisme ouvrier, la République a du souci à se faire.

Boulevard du Temple

Beaucoup de souci, a fortiori lorsque le sale boulot qu’on croyait dévolu aux ministères de l’Intérieur et de l’Identité nationale est relayé par des militants de la CGT expulsant les occupants africains et sans-papiers d’une annexe de la Bourse du travail (voir la tribune d’Olivier Le Cour Grandmaison, in Libération du 6 juillet). Le bâtiment porte le beau nom -que ses héritiers putatifs insultent- d’Eugène Varlin, militant de la 1ère Internationale et élu de la Commune de Paris, assassiné par les Versaillais. Comment dit-on Enfants de Don Quichotte en bambara, Droit au logement en wolof ?

Pour l’heure, ils sont là, les damnés de la terre, à quelque deux cents sur le trottoir de ce boulevard du Temple que nous aurons vainement arpenté, au printemps, dans une unité syndicale plus affable à ses interlocuteurs institutionnels qu’à ses frères de classe. Des barrières de sécurité les encagent comme les indigènes de certaine exposition coloniale, en 1931. Des bâches de plastique bleu les protègent peu et mal de la pluie, et des parapluies du soleil. Sur leur banderole manifeste, dans «Régularisez enfin tous les sans-papiers», le mot important est : enfin.

Les syndicats attendent, la Mairie de Paris attend, la Préfecture de police attend, le ministère attend; et tous se disent qu’ils les auront à l’usure. Nombre de chalands longent cette annexe de la «jungle» calaisienne dans une indifférence accablée, tant il est patent qu’on s’habitue à tout.

Quai des barbouzes

Car en Sarkozye établie, plus grand-chose ne choque plus grand monde. C’est que le mensonge officiel s’y assène avec une arrogance qui ne supporte pas de contradicteurs ainsi qu’en témoignait l’évocation «face à l’Obs», de l’attentat antifrançais de Karachi de 2002, si longtemps attribué à «la mouvance Al-Qaida». Trois semaines plus tard, les révélations, dans Le Figaro et sur Mediapart, du général Buchwalter, relatives au massacre des moines de Tibéhirine attribué en 1996 aux Groupes islamistes armés, détonnent singulièrement avec les belles histoires de Bernard-Henri Lévy, du temps qu’il faisait du journalisme dans les wagons de l’armée algérienne. Ses longs papiers pour Le Monde (des 8 et 9 janvier 1998) ne contribuèrent pas peu à asseoir le sentiment que qui n’adhérait pas aux fables des militaires se faisait le complice des égorgeurs islamistes. Las… Il faut aujourd’hui imaginer que les services français ont couvert la décapitation, par leurs homologues algériens, des cadavres des sept moines. Oui, c’est assez barbare, en effet…

«Il n’y a rien à cacher», disait mardi le chef de l’Etat, en promettant la levée du secret défense, tout en laissant entendre que ce massacre relevait d’une «erreur de l’armée algérienne». Mais s’il avait été délibéré ? Sarkozy, je te vois mentir…

NB : S’interrompant pour recharger les batteries de ses indignations, cette chronique reviendra fin août.