La politique méditerranéenne patauge
Créé par sr07 le 27 juil 2009 à 6:21 | Dans : Articles de fond, Pour une autre Europe, Projet politique, Une autre mondialisation
Par SAMI NAÏR professeur de sciences politiques à Paris-VIII.
Le président Nicolas Sarkozy a eu raison, dès son entrée en fonction, de poser la question de l’avenir des relations euroméditerranéennes. Il a lancé, pour des raisons avouables (accroissement des inégalités commerciales et économiques entre les deux rives) ou inavouables (aménagement d’un espace géo-économique pour y loger la Turquie dont il ne veut pas en Europe), l’idée d’une Union pour la Méditerranée alliée et associée à l’Europe de façon originale, c’est-à-dire sans aller jusqu’à l’intégration.
On sait les avatars que la France a eu à surmonter pour faire entendre cette idée : méfiance légitime de l’Espagne, surprise de n’avoir pas été consultée sur un sujet qu’elle portait depuis les accords de Barcelone (1995) ; défiance de l’Italie qui n’a jamais apprécié que d’autres fassent en Méditerranée ce qu’elle est incapable de faire elle-même ; opposition franche de l’Allemagne, qui préfère financer, et cela coûte cher, l’intégration des pays de l’Est. Bref, géopolitiquement et financièrement, l’affaire se présentait assez mal. Plus grave encore : le projet français était mal conçu, sans véritable structure stratégique, et apparaissait plus comme une idée généreuse que comme un programme élaboré. Finalement, l’idée a été retenue, mais totalement réinvestie dans la dynamique européenne sous surveillance allemande : création d’une coprésidence euroméditerranéenne, fixation du siège du secrétariat à Barcelone (excellente décision) et une déclaration de bonnes intentions lors de la réunion de lancement pratique de cette nouvelle politique, au mois de novembre 2008 à Marseille.
Or, les projets de coopération régionale autour du développement durable nécessitent, selon la Banque européenne d’investissement, environ 200 milliards d’euros. Mais la réunion ministérielle du 26 juin n’a envisagé qu’une enveloppe de 23 milliards et n’a lancé que cinq projets pour lesquels seulement un milliard a été affecté. Inutile de préciser que tout ceci est loin de répondre aux besoins en Méditerranée. Et le tableau serait plus sombre encore si l’on s’amusait à y ajouter les effets que la crise économique mondiale va avoir sur la rive sud de la Méditerranée. En somme, deux ans après l’émission de la proposition française, tout semble se passer comme si la machinerie européenne était en train de l’étouffer.
Dans la réalité, cette situation rappelle curieusement le passé avec la mise en place d’une structure bureaucratique supplémentaire, qui fournira certes des dividendes à certains Etats impliqués dans le processus de Barcelone, mais l’ensemble risque fort de ronronner autour de projets très techniques et de rencontres institutionnelles. En tout cas, on ne voit poindre aucune action d’envergure. La politique méditerranéenne patauge.
Or, les défis sont toujours aussi pressants : politiques (question israélo-palestinienne et démocratisation de la rive sud), économiques (développement des pays du Sud contrarié entre autres par la domination sans partage de la zone euro et les difficultés d’accès au marché agricole), sociaux (problème de la circulation des personnes entre les deux rives), culturels et religieux (représentions adverses qui restaurent, des deux côtés, les oppositions explosives entre islam, christianisme, judaïsme).
Comment sortir de cette situation ? Le principal blocage vient en fait des conflits croissants au sein de l’axe franco-allemand. Pour Berlin, la Méditerranée n’est pas une priorité ; pour Paris, la Méditerranée est un baril de poudre. Les autres pays (essentiellement l’Espagne et l’Italie) savent qu’ils ne peuvent impulser une grande stratégie méditerranéenne sans accord des Français et des Allemands.
Bien sur, il n’y a pas de solution magique. Mais l’Europe ne s’en sortira qu’en se donnant un cadre stratégique pour une politique méditerranéenne élaborée de façon concertée avec les pays du Sud. Ce projet ambitieux dépend de deux conditions indispensables : d’abord d’une alliance, selon le principe prévu par le traité de Nice sur les coopérations renforcées – entre la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal – pour faire de l’Europe méditerranéenne un interlocuteur cohérent vis-à-vis des pays du Sud ; ensuite, last but not least, de la nomination, au sein de la commission de Bruxelles, d’un commissaire chargé de la politique méditerranéenne. On se souvient que la présence de Manuel Marin à ce poste, en 1995, avait grandement contribué à lancer le processus de Barcelone. Aujourd’hui, il est évident que la création d’une telle structure aurait un impact symbolique considérable : l’Europe enverrait ainsi un message clair de sa volonté d’agir. Ce serait également une manière utile d’aider la stratégie de paix que le président Obama cherche à faire prévaloir au Moyen-Orient.
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