décembre 2009
Archive mensuelle
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Créé par sr07 le 31 déc 2009 | Dans : a-le quartier libre de XD
Il y a des hommes qui luttent un jour et qui sont bons.
Il y en a d’autres qui luttent un an et qui sont meilleurs.
Il y en a qui luttent pendant des années et qui sont excellents.
Et il y a ceux qui luttent tout une vie: ceux-là sont indispensables.
(B. Brecht)
Crédits photographiques du blog citoyen, socialiste et républicain avec l’accord des mères de la place de Mai
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Relire Jaurès en ce début d’année sur le blog citoyen, socialiste et républicain :
Le courage selon Jaurès dans son “discours à la jeunesse” (extraits)
Créé par sr07 le 30 déc 2009 | Dans : Monde arabe, Proche et Moyen-Orient
Un an après, comment vivent les Palestiniens ?
Fin décembre 2008, fin décembre 2009, un an déjà…
Je ne vais pas revenir dans cet article sur les trois semaines terribles vécues par la population civile de la bande de Gaza lors de l’agression israélienne contre une région innocente, contre une prison à ciel ouvert, contre un territoire isolé, emmuré, une population enfermée, sans possibilité de fuir…
Chacun est libre de qualifier et de décrire avec ses mots ces horribles événements de Gaza : guerre, agression, pilonnages, massacres, crimes de guerre, attaques sanglantes, voire des attaques barbares… Les seuls mots pour moi sont massacres et crimes commis par la cinquième puissance militaire dans le monde contre un million et demi de civils, contre des femmes et des enfants et des vieillards sans défense, contre la totalité des infrastructures de la bande de Gaza, et ce dans le plus profond mépris des condamnations internationales.
C’est très difficile pour moi, Gazaoui, de décrire la situation actuelle dans la bande de Gaza un an après la fin de l’agression israélienne, car je pourrais écrire des pages et des pages, voire des livres, pour évoquer seulement une partie de la souffrance, de la douleur et des sacrifices de ses habitants toujours isolés, enfermés par le blocus, et abandonnés à leur sort au vu et au su du monde dit libre.
Les mots et les expressions m’échappent pour parler de toute une population : femmes, jeunes, enfants, personnes âgées, patients, chômeurs, malades, blessés, invalides, tous ceux qui ont perdu pendant ce déferlement de massacres et de destructions leurs maisons, leurs biens et surtout leurs proches, et qui, néanmoins, continuent de résister sur leur terre dans des conditions inhumaines, difficilement imaginables pour quelqu’un de l’extérieur.
Je ne sais pas de quel Gaza je vais parler : Gaza le blocus ? Gaza l’isolement ? Gaza la résistance ? Gaza la vie ? Gaza la souffrance ? Gaza la détermination ? Gaza la prison ? Gaza la mort lente ? Gaza la tristesse ? Gaza l’obscurité ? Gaza l’opprimée ? Gaza l’étouffement ? Gaza l’impuissance ? Gaza le malheur ? ou Gaza l’espoir ?
Un an déjà… Gaza fin décembre 2009 : un an après ces événements, les Gazaouis se rappellent – Comment pourraient-ils oublier ? Ils se souviennent de ces vingt jours de carnages jamais égalés depuis l’occupation israélienne en 1948. Ils se souviennent d’abord de leurs martyrs, plus de 1 400 tombés sous les bombes de l’aviation israélienne ou les balles des soldats : ils se souviennent des maisons, plus de 6 000, des hôpitaux, des écoles ; des refuges pour la population, détruits par les bombardements indiscriminés des Israéliens ; ils se souviennent de la passivité complice de la communauté internationale pendant ces massacres.
Dans le monde des humains au XXIe siècle, comment cela est-il possible ? Un an déjà, et rien n’a changé à Gaza… Le blocus inhumain imposé depuis plus de trois ans resserre toujours son étau, de façon encore plus inhumaine dans la situation actuelle des Gazaouis ; les passages qui relient la bande de Gaza au monde extérieur sont ouverts au compte-gouttes sur ordre militaire israélien ; 80 % de la population civile dans la bande de Gaza vit avec des aides alimentaires internationales, quand elles peuvent passer ; les blessés et les malades meurent ou attendent la mort parce qu’il est interdit de sortir pour aller se faire soigner à l’extérieur et que leurs hôpitaux manquent d’équipements adéquats.
Fin décembre 2009, un an déjà et Gaza survit toujours dans la douleur, Gaza patiente… Gaza attend toujours le réveil de la conscience mondiale, Gaza continue d’attendre l’application de la loi internationale, Gaza continue de souffrir avec seulement sa détermination de continuer à vivre… de ne pas mourir…
Un an, et plus de 10 000 habitants de Gaza vivent toujours dans des tentes à côté de ruines de leurs maisons car tous les matériaux de construction sont interdits d’accès dans la bande de Gaza sur ordre militaire israélien.
Gaza, fin décembre 2009, espère malgré tout. Ses raisons d’espérer, comme l’ont été les puissantes manifestations de soutien partout dans le monde, restent la mobilisation des sociétés civiles et des représentants politiques partout dans le monde pour que les gouvernements et les instances décisionnelles de la communauté internationale imposent la levée du blocus et la réouverture des passages, pour qu’enfin les habitants de la bande de Gaza puissent commencer à restaurer leur environnement… à panser leurs plaies ; pour qu’enfin ils puissent espérer commencer à pouvoir vivre une vie normale dans leur région, dans leurs villes, dans leurs villages…
Gaza, fin décembre 2009, à la veille de la marche commémorative internationale : Gaza n’en peut plus, Gaza survit au jour le jour, Gaza étouffe, Gaza crie dans le silence des médias internationaux, Gaza attend… Gaza espère… espère et demande… Les Palestiniens de Gaza espèrent et demandent la restauration de leurs droits fondamentaux, de leur droit à la vie dans le monde, à la paix par l’application de la justice.
Le chemin de la paix passe par la justice, rien que la justice. Gaza et les Palestiniens aspirent à la paix dans la liberté et la justice.
Dans l’Huma décembre 2009
A lire sur ce blog citoyen : Pourquoi tant d’idées reçues sur le conflit israélo-palestinien ?
Créé par sr07 le 29 déc 2009 | Dans : a-le quartier libre de XD
Créé par sr07 le 29 déc 2009 | Dans : Articles de fond
À l’origine, un manifeste : L’Appel des appels a été lancé pour déclencher une insurrection des consciences. Psychanalystes, enseignants, médecins, psychologues, chercheurs réagissent contre les réformes du gouvernement de Sarkozy. Un an après, un ouvrage retrace ce combat.
Le malaise en France est bien là, profond, palpable. Misère sociale, crise financière et économique, détresse morale, impasse politique. Le gouvernement navigue entre cynisme et opportunisme. La caporalisation des esprits accompagne la petite musique néolibérale, invitant tout un chacun à la servitude sociale librement consentie de tous. Lorsque le peuple résiste à consentir, on le réquisitionne, on l’opprime, on le licencie, on le « casse », bref le Pouvoir renoue avec les principes premiers de la tyrannie : populisme pour tous et décision d’un seul.
Au nom de « l’efficacité » mesurable érigée en loi suprême, les réformes visent à enserrer les populations dans des dispositifs de contrôle qui les accompagnent du berceau à la tombe.
Psychologisation, médicalisation et pédagogisation de l’existence se conjuguent pour fabriquer une « ressource humaine » performante. La sévère discipline d’une concurrence de tous contre tous impose à chacun de faire la preuve à tout instant de sa conformité aux standards de l’employabilité, de la productivité et de la flexibilité. L’idéologie d’une civilisation du profit s’insinue jusque dans les subjectivités convoquées à se vivre comme un « homo economicus », un « capital humain » en constante accumulation. Cette normalisation, à la fois polymorphe et monotone, suppose que tous les métiers qui ont souci de l’humain soient subordonnés d’une manière ou d’une autre aux valeurs de rentabilité et fassent la preuve comptable de leur compatibilité avec le langage des marchés financiers et commerciaux. Convertis en entreprises de coaching psychiatrique, de recyclage psychique, de gestion de l’intime, une trame fine de services d’accompagnement individualisé, forcément bien intentionnés, proposent de nouvelles tutelles sociales et culturelles pour mieux mettre les hommes en consonance immédiate avec les exigences impitoyables des marchés qui nous disciplinent. Cette conversion du service public en contrôle social à la fois souple, constant et généralisé suppose que tous ceux qui concevaient encore leur métier comme une relation, un espace et un temps réservés à des valeurs et à des principes étrangers au pouvoir politique et à l’impératif de profit doivent être eux-mêmes convertis par toute la série de réformes qui s’abat sur la justice, l’hôpital, l’école, la culture, la recherche, le travail social. Contrôler les contrôleurs des populations, normaliser les normalisateurs des subjectivités, c’est la condition indispensable du bouclage des sociétés. Lorsque cela ne suffit pas, c’est à la santé que l’on recourt pour alarmer les populations sans leur donner véritablement les moyens de la préserver : à propos de la pandémie récente des professeurs de médecine parlaient du « management par la panique ».
Comme la quête illimitée de la performance ne cesse de produire ses anormaux, ses exclus, ses inutiles et ses inefficaces, elle engendre un appareil répressif proliférant, à la mesure de la peur sociale et des paniques subjectives qu’elle provoque. L’auto-alimentation de la peur et de la répression paraît sans limites. Elle produit l’espoir suprêmement dangereux pour les libertés d’une société parfaitement sécurisée, dans laquelle serait repérée et éliminée de la naissance jusqu’à la mort la dangerosité de tout individu. L’homme indéfiniment traçable par la surveillance génétique, neuronale et numérique n’est plus une figure de science-fiction, c’est un programme scientifique et politique en plein développement. La société de demain sera animale ou ne sera pas ! N’est-ce pas d’ailleurs ce que dit la « science » sur les résultats de laquelle tous les « tyrans » font cuire leur petite soupe pour justifier leur Pouvoir sans avoir à le soumettre au débat politique : c’est la Nature ou le Marché qui veut ça et on ne peut pas faire autrement que de s’y prendre comme l’on peut. Avec la Neuro-économie d’ailleurs on sait bien que la Nature et le Marché c’est du pareil au même et que le Cerveau fonctionne comme un actionnaire et réciproquement ! Il reste à apporter cette « Bonne Nouvelle » aux populations qui l’ignorent encore et les « corps intermédiaires » sont « réquisitionnés » entre deux pandémies et deux « spectacles » au cours desquels on a pu vendre à Coca-Cola un peu de temps disponible ! Entre les deux scènes le « risque » encore le « risque », vous dis-je, menace l’apathie sereine des populations managées par la peur et distraites par la télécratie. Magistrats, enseignants, universitaires, médecins, journalistes, écrivains, travailleurs sociaux, acteurs culturels, tous doivent plier devant de nouveaux préfets qui, au nom des « risques » divers et variés, normalisent et évaluent leurs pratiques professionnelles selon des critères idéologiques de contrôle social des populations et de conformisation des individus : nouveaux préfets de santé, les directeurs des Agences Régionales de Santé contrôlent non seulement les établissements hospitaliers, les réseaux sanitaires, mais absorbent également tout le secteur social. Nouveaux inspecteurs d’université, les experts des Agences d’Évaluation (AERES et ANR) visitent les laboratoires et les équipes de recherche pour vérifier qu’en matière de production scientifique ils obéissent bien à la politique de marque des publications anglosaxonnes. Ces nouveaux préfets du savoir, descendants des inspecteurs d’université créés par Napoléon Premier et des services de marketing publicitaire des industries de l’édition et de l’information scientifique vérifient que les acteurs de la production des connaissances courbent suffisamment l’échine sous le poids de leur nouvelle civilisation. Prônant la guerre de tous contre tous, ils chantent les louanges d’une performance d’autant plus proclamée qu’elle s’avère réellement inefficace. Pour les magistrats et les éducateurs, on supprime les relais intermédiaires et les procédures qui pouvaient potentiellement assurer leur indépendance. C’est le contenu même des programmes d’éducation et de soin, de justice, de recherche et d’information que l’on modifie en définissant de nouvelles formes par lesquelles ils s’exercent ou se transmettent. Comme le pouvoir actuel n’est pas à une contradiction près, les réformes qu’il impose peuvent dans le même mouvement désavouer les débats qu’il propose : on diminue l’importance de l’histoire et de la géographie au moment même où s’ouvre un soi-disant débat sur l’identité nationale ! Pour faire oublier les inégalités sociales redoublées et délibérées, la peur de l’étranger est attisée et exploitée sans vergogne. La traque au clandestin favorise les passions xénophobes, installe insidieusement des dispositifs de vidéosurveillance des populations et de traçabilité des individus. A partir de la traque des « anormaux » et des « illégaux », par la manipulation de l’opinion par la peur, par les effets d’annonces, avec des dispositifs de contrôle, le Pouvoir prépare insidieusement et obscurément le quadrillage en réseau des populations dites « normales » et « nationales ». Cette infiltration progressive du « cancer » sécuritaire s’exerce au nom des risques que feraient courir les terroristes étrangers, les schizophrènes dangereux, les pédophiles en cavale, et ces sans domicile fixe que nous risquons tous, plus ou moins, de devenir dans la construction d’un État néolibéral qui fait de chacun d’entre nous un intérimaire de l’existence et un intermittent de la Cité. C’est cette civilisation dont nous ne voulons pas que démonte secteur professionnel par secteur professionnel le mouvement de l’Appel des appels. Civilisation de la haine qui invite à traiter les hommes comme des choses et à faire de chacun le manageur solitaire de sa servitude sociale et le contrôleur de gestion de sa faillite citoyenne.
De l’asphyxie à l’insurrection des consciences Face à l’irresponsabilité des gouvernements, l’insurrection des consciences s’étend. Désobéissance individuelle, protestations, grèves, contestations multiformes : le refus d’obtempérer est la réponse de tous ceux qui ne se résignent pas au monde de la guerre économique et à cette civilisation d’usurier qui « financiarise » les valeurs sociales et psychologiques et « calibre » les individus comme la Commission Européenne calibre les tomates. Dans le cours de ce vaste et divers mouvement de refus, il y a un an l’Appel des appels était lancé. Au mensonge de réformes qui, partout, font pire quand elles prétendent améliorer, des dizaines de milliers de professionnels de multiples secteurs, depuis le soin jusqu’à la justice en passant par la culture, le travail social, l’éducation et la recherche, ont dit non. Non, il n’est nulle part écrit que la concurrence de tous contre tous, que le management de la performance, que la tyrannie de l’évaluation quantifiée doivent détruire les uns après les autres nos métiers et l’éthique du travail qui lui donne son sens. Non, il n’est écrit nulle part que les ravages provoqués par un capitalisme sans limites doivent se poursuivre de crise en crise et que l’idéologie de la rentabilité doive modifier jusque de l’intérieur toutes les institutions, surtout celles qui constituent les derniers remparts à la dictature absolue du profit. Non, il n’est écrit nulle part que nous devions rester isolés et désolés face aux désastres en cours dans le monde du travail et dans le lien social. L’Appel des appels, un an plus tard, est connu comme un des points de ralliement, de croisement et de coordination des résistances. Le travail continue. Il est double : transversalité et réflexion commune. D’abord, établir des liens concrets entre des activités qui subissent toutes la même normalisation professionnelle. Cela se fait dans les comités locaux, et par toutes les alliances locales et nationales tissées entre associations, syndicats et collectifs. Ce qui lie dans ce que nous vivons est plus fort que ce qui sépare nos activités spécialisées. Ensuite, approfondir la réflexion commune. L’Appel des appels, c’est désormais un premier livre collectif qui propose des analyses précises des réformes et des politiques en cours, et qui tente une compréhension globale de la situation. Pas de lutte efficace possible si l’on ne saisit la particularité du moment, tel est le sens de l’ouvrage conçu comme un outil de transversalité et un point de départ possible d’un travail collectif mené par celles et ceux qui s’inscrivent dans la démarche de l’Appel des appels. Ici, ce ne sont pas des « intellectuels » qui s’adressent à des « travailleurs ». Ce sont des professionnels qui forment un collectif de pensée et d’action, un « nous raisonnable » qui traverse les frontières des métiers et des disciplines. Intellectuels transversaux, plutôt que spécifiques, professionnels voulant exercer en toute connaissance de cause, tels se veulent les acteurs de ce mouvement à beaucoup d’égards original. Enoncée du cœur de nos métiers notre parole est citoyenne et c’est aux citoyens sans exclusive qu’elle s’adresse pour qu’en retour elle soit non seulement entendue mais encore relancée et redéfinie pour construire cet espace d’un dialogue dans l’espace public d’où émerge la démocratie.
L’Appel des appels, sa force, il la tient de notre conviction partagée que la division subjective et la division sociale ne peuvent être liquidées quels que soient les efforts déployés par les pouvoirs. Réduire aujourd’hui l’homme à l’unité de compte d’une anonyme « ressource humaine », à une force enrôlée dans la mobilisation générale au service de la performance et de la compétitivité, asservie par des dispositifs de management des plus sophistiqués et souvent des plus persécutifs, ne peut qu’engendrer souffrance, révolte sourde, éclats demain qui diront l’insupportable de la négation de l’humain et du social. Nul pouvoir technique, scientifique, économique, quelles que soient ses prétentions à l’instrumentalisation totalitaire, ne saurait supprimer le sujet et le conflit, acquis anthropologiques de la démocratie. C’est la raison de l’Appel des appels. C’est pourquoi, partout où nous sommes, nous ne céderons pas, nous refuserons l’humiliation et le mépris sans le demander pour l’autre. Pari difficile pour chacun d’entre nous, dont seul le « Nous raisonnable » constitue l’assurance que nous pouvons encore et encore le gagner, pas contre mais avec l’autre, à condition et à condition seulement d’autoriser, d’accueillir et de prendre soin du conflit. Faute de quoi la reproduction de l’espèce finira par anéantir son humanité.
Pour le Bureau de l’Appel des appels Roland Gori et Christian Laval, Le 22 Décembre 2009
« L’Appel des appels, pour une insurrection des consciences », Sous la direction de Roland Gori, Barbara Cassin et Christian Laval, Paris : Mille et une nuits, 2009, 380 p.
Créé par sr07 le 19 déc 2009 | Dans : Articles de fond
Si 2008 a été marquée par une crise bancaire et financière inédite, 2009 est venue ajouter à l’ardoise une crise managériale de grande ampleur, dont se sont emparés acteurs politiques, syndicats, journalistes et consultants en management. Au-delà des suicides et de leur comptabilité macabre, il semble désormais établi que de nombreuses organisations sont devenues sources de stress et de souffrance, non seulement pour les opérationnels peu qualifiés mais aussi pour les ingénieurs et autres profils techniques, ainsi que pour le management intermédiaire.
Les remèdes actuellement expérimentés par les entreprises consistent, pour l’essentiel, à repérer et accompagner des individus en détresse, ou à re-souder les collectifs de travail à travers des « journées des équipes ». Reconnaître les difficultés et prendre en charge les crises est un progrès indéniable, mais ne garantit pas que l’on s’attaque aux causes plus fondamentales du malaise. En particulier, il faut s’interroger sur certaines dérives liées à une utilisation dogmatique des systèmes de management par objectifs, qui se sont généralisés au cours de ces dix dernières années, en accompagnant la financiarisation des stratégies.
La logique sous-jacente au management par objectifs est simple : il est souvent plus simple de définir ce que l’on attend que la manière de l’obtenir. Ne pouvant définir « la » bonne manière de conduire l’activité, en particulier lorsque les projets ou métiers deviennent trop complexes, il est plus simple et plus responsabilisant de s’entendre sur des objectifs et de laisser aux opérationnels le soin de s’organiser pour y parvenir. Si ces objectifs sont atteints, récompensons les individus à l’aide de primes, s’ils ne le sont pas, sanctionnons-les. Différents acteurs, à commencer par Peter Drucker (dont l’ouvrage de 1954 est considéré comme fondateur en matière de management par objectifs), ont cependant souligné les conditions exigeantes dans lesquelles devait s’appliquer le management par objectifs pour être véritablement efficace. Plus grave, l’usage de ces leviers peut favoriser des comportements déviants et se retourner contre l’intérêt de l’entreprise. En particulier, une confiance excessive des dirigeants dans les systèmes de management par objectifs, combinée à une incompréhension – ou, pis, à un désintérêt –pour l’activité et les différents métiers de l’entreprise peut s’avérer dangereuse pour une organisation et ses membres. A l’extrême, les dirigeants peuvent en venir à considérer que l’organisation, ses métiers et ses individus sont totalement adaptables et redéployables.
Dans une telle situation, l’entreprise perd son épaisseur stratégique. La direction n’est plus un organe où se négocient les objectifs de la firme, en articulant les demandes externes (des actionnaires, des clients) et ses ressources internes. Le rôle du top management se résume simplement à traduire et répercuter les objectifs des actionnaires sur les échelons inférieurs de l’organisation, sans s’interroger sur la capacité de l’organisation à atteindre, supporter, voire enrichir ces objectifs. A trop s’éloigner de l’activité, de ce que les individus sont capables de faire, le top management se désolidarise progressivement de l’entreprise. En réaction, les salariés s’interrogent et se demandent si les dirigeants jouent pour ou contre l’intérêt de l’entreprise, détruisant la confiance nécessaire à tout projet collectif. L’entreprise, entendue comme projet et potentiel collectif, est mise à mal.
Mais les effets les plus néfastes sont à craindre lorsque se développe une forme d’« autisme managérial », où le top management fixe des objectifs présentés comme non négociables, et ne souhaite plus prêter d’attention aux difficultés vécues par les acteurs qui réalisent l’activité. Au-delà du stress et de la violence que ces mécanismes génèrent pour les individus, le top management peut rapidement se retrouver pris à son propre piège. En effet, à partir du moment où tout écart par rapport aux objectifs devient synonyme d’incompétence, plus aucune information sur les dysfonctionnements ne filtre jusqu’aux organes dirigeants. Les opérationnels – middle managers, techniciens, acteurs projets –- deviennent plus animés par la peur de la sanction et le culte de l’indicateur que par le travail bien fait. Ils doivent de plus en plus jongler et prendre des risques pour réaliser leurs objectifs tout en menant à bien leur activité. Dans de telles situations, la direction risque de perdre le contrôle de l’entreprise.
C’est lorsqu’une crise grave éclate qu’elle prend conscience –trop tardivement – que les objectifs n’étaient pas tenables et que des dérives graves sont devenues routinières. De nombreuses crises industrielles récentes s’inscrivent dans un tel système, où l’usage inconsidéré du management par objectifs éloigne les dirigeants de l’activité, et rend invisibles des crises couvant depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, dans l’organisation.
Le management par objectifs n’est pas, en soi, un mécanisme malsain. Mais ce n’est ni le seul, ni le meilleur levier de pilotage d’une organisation. Mobilisé de manière dogmatique, et combiné à une inattention pour l’activité et les opérationnels, il peut aboutir à une perte de contrôle sur l’entreprise qui peut avoir des répercussions catastrophiques sur la dynamique d’une organisation.
Aurélien Acquier est professeur à l’ESCP Europe et chercheur associé à l’Ecole des mines Paris Tech.
LEMONDE.FR | 18.12.09