A cheval sur les principes… d’un art de vivre et de penser en toutes libertés! Lettres dédiées à Hippone qui s’est endormie ce dimanche 26 mars pour un monde où les hommes et les chevaux sont toujours des amis…
Créé par sr07 le 28 déc 2010 à 9:02 | Dans : a-le quartier libre de XD
Accaparé par mille tâches rustiques harassantes mais gratifiantes, je retrouve, ce jour, l’esprit avisé de l’ homme de cheval qui va en avant, calme et droit, débutant sa journée de vacances dans la gelée matinale de ce froid décembre pour distribuer le foin odorant et l’avoine susurrante. Le bruit de mes pas éveille les joyeux hennissements de la cavalerie. Les » Merens », – Hippone et sa pouliche Walkiry -, et les « Connemara », – Bracken, Fany et son poulain Alba dont j’ai la fierté d’être reconnu le « naisseur » sur les papiers délivrés par les Haras nationaux.
Alba, ce nom qui sonne aussi beau que celui de l’alliance bolivarienne, et que j’ai choisi, en cette année de la lettre A, en révérence aux libertadores. Ceux-là qui de San Martin à Bolivar – mille fois représentés dans des statues équestres en Amérique du Sud – ont délivré les peuples en combinant l’action militaire insurectionnelle et l’importation de notre république, de ses idéaux issus des Lumières et de la révolution française. Références toujours vivantes et plus que jamais respectées en pays latins du nouveau monde.
Après le bon picotin et le pansage, Hippone, poulinière Merens, se laisse brider et seller dans une posture impassible. L’ancienne vice championne de sa race au concours national de Bouan, récemment acquise par Michèle, séduite par le charme et la puissance de cette princesse d’Ariège au sang froid, m’accorde pour la troisième fois une ballade en sa compagnie. Et nous voilà partis à travers champs et bois dans un pas soutenu, conversant, au gré de nos rencontres, avec des bûcherons toujours curieux à la vue d’un cheval, et atteignant enfin l’ancien chemin de halage qui longe la Midouze, cet affluent de l’Adour. Des vols de palombes, sous ce beau ciel bleu ensoleillé, agrémentent la ballade rytmée par le craquement des flaques glacées sous les sabots de ma monture. Dans ce trot allongé qui me laisse en suspension un temps sur deux, pour mon plus grand confort, la nature pénètre mes sens attisés par l’air vivifiant et la magie de cette clarté hivernale. Un panneau annonce une palombière et exige un sifflement continu pour prévenir de notre arrivée. Ici nous stoppons notre élan pour observer le pigeon blessé, sans doute par quelques plombs de cartouche, et qui traverse péniblement le sentier avant de plonger dans la rivière où il se laisse dériver dans le courant qui l’emporte pour sa dernière course.
Je songe à Crin-Blanc, chevauché par le jeune Falco poursuivi par les manadiers implorant trop tardivement son pardon et se jetant dans le fleuve pour atteindre un monde où les hommes et les chevaux sont toujours des amis… Et à ce parrain disparu l’an passé, qui m’offrit ce beau livre illustré dans ma prime jeunesse. Et de là, à mon père défunt qui eut, un jour d’août, cette idée délicieuse de nous conduire à la foire de Saubusse pour y rencontrer les éleveurs de chevaux venus concourir et vendre leur poulains. Avec la médiation du Docteur Soulé, ce vétérinaire qui assura la sauvegarde du patrimoine équin landais au cours des années soixante dix, nous acquérions auprès d’un éleveur de Rivière, un « Landais » bai brun de dix huit mois, poney arabisé en provenance du berceau de la race, ces barthes de l’Adour. Je sus le dresser avec intelligence, tact et sang froid dans mes années d’adolescence. Ce « Barthais », élégant dans ses proportions et allures, mais robuste et rustique, constituait jadis avant-guerre l’une des deux branches du petit cheval landais. L’autre évoluait dans les dunes du littoral de la côte d’argent. Chaque métairie avait alors sa jument pour l’attelage et les petits travaux agricoles. Chétif mais plein de tempérament, « le Lédon » vivait comme le « Barthais » en liberté. Son extinction fut exigée en raison de la promotion de la civilisation de l’automobile – l’état sauvage devenant incompatible avec la sécurité des routes – et du règne des maïsculteurs, ces déforestateurs insatiables qui ne voyaient en cet animal qu’un prédateur au même titre que le chevreuil, le cerf ou le sanglier. A Saint-Julien-en-Born, où chaque métayer possédait plusieurs poneys, le troupeau du « Braou » était évalué à près d’un millier de chevaux selon un reportage du journal »Le sport universel » de 1908. En réaction aux arrêtés municipaux qui interdirent aux éleveurs de laisser vaquer leur cavalerie – d’abord pendant la période hivernale, pour que le cheptel bénéficia d’une alimentation fourragère, puis toute l’année pour préserver la sécurité routière -, les propriétaires exigèrent des pouvoirs publics le dédommagement des frais de fil de clôture, ce qui leur fut refusé.
On ne mesurera jamais les conséquences de cette erreur politique, cause de l’extinction de la race. Imaginons l’attractivité qui serait celle du « cheval landais » en liberté comme ses voisins « Pottokak » du pays basque sur les montagnes de la Rhune ou des « Camarguais » de l’estuaire du Rhône. Mon beau département maritime, forestier, diversifié à l’intérieur de ses terres gasconnes de la Chalosse, du Tursan, du Marsan, du Gabardan, du Bas Armagnac ou de la Haute-Lande et de surcroit célèbre pour ses corridas et courses de vaches landaises, élevées localement, n’aurait-il pas joui d’une réputation égalant celle de la Camargue? Ce pays notoirement réputé pour ses manadiers et leurs gardians de chevaux et taureaux dont il entretient le folklore et en qui il trouve un de ses attraits touristiques majeurs en dépit de son espace borné et écologiquement fragilisé.
J’offris à mon tour un « Pottok » de robe pie alezan à mon fils aîné, alors âgé de huit ans. Il conserve, – peut être pour cela, - avec son cadet, cet esprit généreux et ouvert, cette éthique du »caballero » – pour ne pas dire chevaleresque en raison de l’ambivalence du qualificatif – tous deux devenus plus tard des jeunes militants syndicalistes et associatifs bien trempés. Comme « leurs frères » de Cuba ou d’Argentine, nations équestres par excellence ; dans l’île des caraïbes, ils attellent leur cheval trop maigre mais toujours allant, sur la chaussée partagée avec les cyclistes, les camionneurs et les rares automobilistes; dans l’immensité de la Pampa, ils chevauchent leur créole infatigable, agile et trapu en habits de péon, sur une selle revêtue d’une peau de mouton…
Ma jument dresse ses oreilles et ralentit soudainement : j’aperçois en bout de ligne du chemin de halage, cinq faons bondissant dans une traversée gracieusement cadencée. Ils quittent les fourrés des bords de la rivière et remontent vers la forêt de pins qui la surplombe. Une borne, vestige du temps du commerce par voie d’eau entre Mont de Marsan et Bayonne, annonce celle-ci à 118 Km. Je dépasse la borne à main droite et tourne le regard vers le côté adjacent qui signale Mont de Marsan à 18 Km. Sauf erreur de mémoire le chemin de halage s’étendait donc sur près de 140 Km. Les syndicats de communes landaises préservent aujourd’hui ce bien commun, loin des petits calculs de rentabilité quand le conseil général finance les ponts qui enjambent les centaines de petits ruisseaux venant se déverser dans la rivière.
Dans les Landes, – soit dit en passant -, l’eau est aussi un bien commun qui échappe, autant que possible à la gestion privée pour le plus grand bénéfice des populations locales; « Ca coule de source » pour reprendre le slogan du canton voisin de Morcenx – où vont aussi les chemins de Saint Jacques – et qui abrite la commune d’Arjuzanx et ses vingt mille grues. Elles viennent hiverner chaque année en très grand nombre depuis la reconversion, dans les années quatre vingt dix, du site minier ouvert d’EDF en étendue de lacs. Je les observe religieusement chaque fin de semaine hivernale. Je confesse ce culte envers ce peuple migrateur qui m’offre de novembre à mars des vols majestueux que je scrute à l’oeil nu ou avec des jumelles depuis le lac ou sur un observatoire. Celui de Villenave me permet même d’observer les grues se posant et se regroupant par centaines pour la nuit en zone marécageuse, inaccesible aux prédateurs, avant de repartir au petit matin vers les champs de Solférino, s’alimenter de grains et vermines.
Ma chevauchée, fréquemment interrompue par des descentes de cheval qui dégourdissent mon corps, s’agrémente de longues marches à pied aux côtés d’Hipone. Je vais ainsi, au pas cadencé mais léger, méditant, le corps et l’esprit libre en harmonie avec la forêt giboyeuse, traversée par cette rivière au lit de sable et aux eaux vives et boueuses, couleurs de l’ocre de ces fougères fanées qui la bordent de toutes parts. Les grasses herbes des berges régalent aussi ma jument vagabonde.
A droite, un sentier fend les broussailles. Je prends le parti de le suivre à la recherche intuitive d’une hypothétique découverte. Nous voici au bout de cinq cents mètres récompensés de cet effort d’enjambement de troncs et de branches laissés sur place après quelques coupes rases. Un paysage féerique s’offre à nos yeux éblouis par la blanche lumière réflétée dans les eaux glacées de petits étangs alignés. Des cygnes et des canards glissent sur ces eaux froides survolées par des vols de ramiers tourbillonnant à la recherche d’un site accueillant. Des clôtures interdisent une exploration de ces lieux merveilleux, frustrant un peu ma curiosité de pénétrer dans ce jardin anglais et d’y visiter ses trois cabannes d’observation, construites sur des promontoirs dominants les étangs.
Nous reprenons le sentier dans l’autre sens pour retrouver les berges plus hospitalières. Là nous coupons par un chemin de traverse qui nous conduit sur un bout de route tranquille, réservé à la desserte de quelques habitats dispersés au coeur d’une nature accueillante bien qu’éprouvée par la tempête de janvier 2009.
Nous abordons quelque vieille connaissance et son épouse, évoquant à l’occasion des temps révolus ; quand les mules étaient encore utilisées pour les travaux agricoles, l’attelage des charrettes sur les chemins ou le débardage dans la pinède. Cette époque postérieure à celle des moutonniers landais et à l’utilisation massive des boeufs. Ceux-ci tractaient, depuis le chemin de halage, les gabarres en partance des cales de Mont de Marsan, où l’on stockait, dans des entrepôts, des produits de Gascogne, eaux-de-vie d’Armagnac, vins, blés, miel, laines, essence de térébenthine et potaux. Ces derniers destinés aux mines du pays de Galles, par ailleurs, grosses utilisatrices de poneys, recherchés, parait-il, jusque dans nos Landes. Ces pinasses, revenaient à contre-courant, pleines de sels mais aussi de morues et de sardines, d’étoffes étrangères, de fromages de Hollande, d’huile, de houille, de minerais de métaux… La descente de la Midouze depuis l’ancien port de Mont de Marsan via Tartas et Dax ne prenait que trois jours quand la remontée depuis celui de Bayonne, d’une lenteur désespérante aux dires des plus érudits, exigeait une tirée à cordelle depuis le chemin de halage, la galupe, dénomination gasconne de la gabarre, étant aussi équipée d’énormes avirons. Un dur labeur phénoménal et quotidien pour ces mariniers fluviaux!
Ce marché devait ressembler un tantinet à celui des temps néolithiques, à base de troc, durant la toute première civilisation agro-pastorale, hormis la technique de navigation et la médiation monétaire accompagnant la diversification des échanges et leur promotion à un niveau bien supérieur. Jusqu’à l’accumulation originelle de puissants capitaux, après les premières grandes coupes du début du siècle dernier de la vaste forêt de pins, plantée quarante ans plus tôt. A l’instar du capitalisme industriel, l’exploitation du pignada vécut une sévère crise dans les années trente, le département des Landes se trouvant fragilisé de sa monoculture pourtant à l’origine des fortunes insolentes des générations montantes. A l’opposé, la pauvre vie des résiniers n’avait sans doute rien à envier à celle des métayers. Lesquels virent leur sort s’améliorer sous la poussée syndicale du monde agricole soutenue par l’action législative des socialistes, des communistes et des chrétiens-démocrates à la Libération.
Depuis, la civilisation technicienne a certainement contribué à l’évolution positive des modes de vie quand les luttes sociales firent reculer l’intensité de l’exploitation des travailleurs des villes et des champs. Car il faut surtout considérer la part des conquêtes sociales du mouvement ouvrier dans l’amélioration des conditions de travail ; l’affranchissement de l’homme des tâches les plus ingrates dans un cycle de travail plus limité ne saurait en effet se réduire à la substitution du moteur et de la mécanique à la force musculaire animale ou humaine. Sans éprouver de nostalgie pour ces temps de misère, je reste cependant saisi de vertige en songeant à cette fuite en avant récente, depuis la révolution informatique, d’un monde capitaliste marchandisé et globalisé où l’argent fêtiche règne en maître absolu dans cette civilisation du bruit, de l’éphémère et du clinquant. Ce monde qui est aussi celui de la précarité, chargé de frustrations en tous genres avec ses replis sécuritaires et identitaires à connotations racistes. N’est-ce point le retour à la barbarie annoncée, des années cinquante jusqu’au milieu des années soixante, dans la revue « Socialisme ou barbarie » portée par un groupe d’intellectuels d’inspiration spartakiste?
C’est justement un spartakiste qui va occuper notre amicale conversation téléphonique du même jour avec mon ancien professeur de littérature. Nous évoquons Carl Einstein, cet homme de lettres, passionné d’art nègre et de peinture cubiste et par ailleurs militant intrépide de la révolution spartakiste belge et des brigades internationales. Combattant contre le fascisme franquiste dans la colonne Durruti, il eut le triste privilège de prononcer l’éloge funèbre du dirigeant anarchiste tombé au combat. Nous parlions ensemble de ce personnage pourchassé par les nazis parce que juif, intellectuel, exilé allemand et de surcroît révolutionnaire, fuyant les troupes hitlériennes et trouvant asile en juin 40 à l’hôpital civil mixte de Lesbazeilles au coeur de la cité montoise pour un court séjour de soins de trois jours avant de reprendre, à l’arrivée des Allemands le 28 juin, la route vers Pau, d’où il devait mettre fin à sa vie en se jetant d’un pont. L’homme d’art m’a confié introduire, dans le récit de son livre à paraître prochainement, ce personnage rayonnant d’esprit, de courage et de convictions.
Au fil d’une journée champêtre remplie d’heureux moments de partage avec mes proches, ma progéniture et même ma plus noble conquête, je goûte enfin ce temps de vivre. Temps trop rare avant de se retrouver « cendre et givre » pour reprendre l’expression crue de Francesca Solleville. Cette même chanteuse qui me fait toujours rêver en annonçant dans ce refrain :
« Il y aura des promenades,
En amis, en camarades,
Le jour où nous aurons le temps,
Le temps de prendre enfin le temps
De nous retrouver dans les yeux
De femmes et d’hommes d’un monde heureux… »
dans sa chanson pour l’ami d’un soir
https://www.musicme.com/#/Francesca-Solleville/albums/Avanti-Popolo-0602547850393.html
http://www.musicme.com/#/Francesca-Solleville/albums/Venge-La-Vie-:-1959-1983-3259130181128-05.html
« J’en ai connu beaucoup, moi qui voyage,
Ami d’un soir qui m’ont parlé ainsi
Avec des mots qui venaient de la vie.
ils m’ont laissé malgré tout confiante
Et c’est pour eux, avec eux que je chante! »
Xavier Dumoulin, « naisseur » de chevaux et poneys de races françaises.
Le Merens, prince noir d’Ariège mais cheval populaire
Connaissez-vous le Mérens? Ce petit cheval des pyrénées ariégeoises, originaire de la commune éponyme de ce département montagnard, très prisé en raison de sa grande polyvalence possède un excellent mental et un aspect fascinant : avec du cadre, de l’os, du lustre et du crin, cette morphologie athlétique marie robustesse et finesse dans une robe « noir zain ou pangaré » à l’instar de ses cousins Frison ou Minorquin, ces deux autres perles du monde équin.
Par delà cette éblouissante présentation, le Mérens rassemble surtout des qualités équestres essentielles. Elite en cheval de loisir, le Mérens a le pied sûr, un équilibre, un allant et une puissance qui vous transportent aux trois allures sur des terrains variés en toute sécurité, de la carrière de dressage aux chemins de crête et autres sentiers escarpés de basses montagnes.
Il faut assister, pour mieux vérifier cette adresse, à la spectaculaire descente dite « des éboulis » de la montagne de Bouan. En fin d’après-midi, depuis le pré où se tient annuellement (depuis 1979 à Bouan et cette année les 20 et 21 d’août dernier) le concours suprême de la race (les concours de la race existent depuis 1872), le spectacle de cette chevauchée cavalière sur des pentes caillouteuses à trente cinq degrés d’inclinaison, s’accompagne d’un silence religieux d’un public médusé. Public nombreux d’éleveurs, de cavaliers utilisateurs et d’amateurs régionaux, nationaux, voire internationaux avec cet engouement tout particulier des Hollandais, des Belges ou des Italiens. Dans ce canton de « Les Cabannes », à proximité d’Ax- les-Thermes et de Tarascon, le concours national des modèles et allures du Mérens honore les poulains et pouliches des « un et deux ans » manipulés, les poulains et pouliches de trois ans montés, les poulinières suitées ou les étalons approuvés. La désignation des champions suprêmes de la race, mâle et femelle des catégories des juniors ou séniors vient couronner le travail des éleveurs.
Avec près de cinq cent naissances annuelles déclarées, la race n’est plus menacée d’extinction. Une race fixée depuis près d’un siècle par une politique d’indigénat pertinente arrêtée par ses défenseurs et promoteurs et dont on mesure à présent toute la réussite. Pour comprendre toute l’intelligence de cette politique, il faudrait revenir sur la longue résistance des populations locales, en terres ariégeoises comme dans tous les autres pays d’élève – c’est à dire principalement dans les zones de grands marécages ou de montagnes, impropres à la culture des sols mais riches en vaines pâtures,- aux injonctions multiséculaires des haras royaux puis nationaux obligeant la saillie des juments autochtones par les étalons agréés.
Cette recherche, apparemment bien intentionnée, d’un apport des étalons de « pur sang » pour relever les produits et régénerer les races autochtones, – avec aussi des visées militaires comme celle de la préparation de la guerre franco-prussienne à la fin du second Empire qui visait à croiser les poulinières ariégeoises avec des étalons arabes pour obtenir une cavalerie légère – n’en produisait pas moins des effets délétères en dénaturant et débilisant les produits des jumenteries locales par la perte des qualités de robustesse et de rusticité attendues principalement de populations paysannes utilisatrices de petits chevaux de bât et de trait. Mais les poulinières qui montaient à l’estive avec leurs poulains de l’année dès la saison printanière des amours pour s’y régaler jusqu’à l’automne des herbages de montagne, retournaient à la ferme après avoir été honorées par l’étalon de la race en capacité de saillir et de remplir une trentaine de juments échappant ainsi aux soupirs des prétendants de race supérieure mis à la disposition des éleveurs dans les dépôts des haras nationaux! Avec, soyons honnête, des exceptions notoires qui ont laissé quelques traces indélébiles du sang arabe de ces étalons orientaux ( la station de Mérens verra se succéder neuf étalons dont sept arabes et deux anglo-arabes de 1870 à 1879 ) qui font aussi tout le chic et la distinction du Mérens à la tête expressive et au chanfrein droit ou camus.
Un grand malentendu historique donc, source d’affrontement ici comme dans les autres pays d’élève des juments, entre deux visions du cheval. L’une, aristocratique privilégiant les qualités du cheval de manège et de cour, l’autre, populaire recherchant un cheval économique d’entretien, donc rustique mais aussi fort et robuste pour assurer les travaux des champs et des forêts – labours, moissons, débardage – de traits, de bâts et d’attelage ainsi que le transport des hommes ou des produits de la ferme jusqu’aux marchés locaux…
D’où la contestation d’une réglementation nationale imposant les saillies des juments autochtones par les étalons des écuries royales devenues plus tard haras nationaux. Des prescriptions mises en échec, comme nous l’évoquions, par la résistance passive des éleveurs de l’Ariège qui n’avaient, du reste, pas le loisir de conduire depuis leurs vallées encaissées leur jumenterie aux lieux de dépôts et de mise à disposition onéreuse des étalons nationaux quand la relève naturelle des générations s’accomplissait dans les luxuriantes – et non moins luxurieuses - montagnes d’estive !
Une tradition qui se perpétue encore grâce à l’intelligence de deux éminentes personnalités du monde équestre convaincues de la nécessité de préserver les qualités de la race Mérens : celles de Gabriel Lamarque, personnalité du monde hippique qui présidait la société d’Agriculture de l’Ariège et créa en 1908 des concours de sélection des meilleurs produits issus de l’indigénat; celle de Lucien Lafont de Sentenac, directeur du dépôt des Haras nationaux de Tarbes, lui-même originaire du pays, qui accorda une place importante au Mérens dans une circonscription s’étendant au Languedoc et à la Corse. On lui doit tout l’appareil réglementaire de promotion de la race, l’arrêté préfectoral du 27 mars 1947 ouvrant un livre généalogique dont la tenue était confiée au syndicat hippique d’élevage de la race chevaline pyrénéenne ariégeoise dite de Mérens.
Depuis cette époque le dynamisme des éleveurs soutenus et accompagnés par le SHERPA Mérens, présidé par Mme Foisnel, porte ses fruits. Mais la crise aggrave les difficultés d’un élevage en soi peu rentable avec des coûts de production alourdis, des débouchés plus restreints et un désengagement de l’Institut Français du Cheval- Haras Nationaux (établissement touché lui-même par la vague de libéralisation avec son souci d’optimisation, de commercialisation et de fermeture des dépôts de proximité…). Dans ce contexte on doit se réjouir de l’attention toute particulière des politiques d’encouragement et d’aide à l’élevage du Mérens promues par le conseil régional de Midi-Pyrénées et le conseil général de l’Ariège dont la présence personnelle de son président à la manifestation de Bouan n’est pas fortuite. Il faut donc saluer cette entreprise de promotion d’un cheval de sang qui possède son propre Stud-Book en France et à l’étranger et améliore ses performances sportives pour en faire un cheval complet dans toutes les disciplines équestres du TREC au loisir et à l’endurance jusqu’à la compétition de dressage et bien sûr de l’attelage dans laquelle il excelle également. Ce cheval élégant et polyvalent constitue par ailleurs la meilleure ressource en équithérapie du fait de ses qualités mentales inégalables.
Pour toute ces raisons, la promotion du Mérens reste un challenge majeur dans le monde du cheval. Etant moi-même, en amateur, cavalier et éleveur, vous comprendrez tout le sens de cette évocation des qualités du Mérens qui n’a rien d’incongrue dans ce blog citoyen qui encourage aussi le maintien de la biodiversité et d’un mode de vie et de développement soutenable.
Et, en ces temps d’universités d’été, cette référence trop ignorée de nos ténors à la devise du cavalier : « En avant, calme et droit »!
X.D, le 27 août 2011
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Quand la Midouze était une artère commerciale Sud-Ouest du 28/12/12
Avant d’être ville administrative et militaire, Mont-de-Marsan fut un important carrefour commercial. Regard sur le travail de Vincent Lagardère.
Landais de Morcenx, Vincent Lagardère est devenu, au fil d’une belle carrière universitaire, un historien de l’Andalousie arabe. Pour ce chercheur méticuleux et exigeant, la retraite ne pouvait être synonyme d’inactivité. Attaché à ses Landes, il s’est donc mis à fréquenter assidûment les archives départementales et dépouiller le fonds considérable des minutes notariales de Mont-de-Marsan des XVIIe et XVIIIe siècles. Que de choses dans les actes, parfois un peu difficiles à déchiffrer, des tabellions ! Après cinq ans de studieuses séances, l’historien nous livre une étude de 335 pages sur le commerce fluvial de la « ville aux trois rivières » d’Henri IV au Directoire.
Vins brûlés
Les passants montois qui longent la cale de la Midouze au-dessous du ressaut de la Minoterie, ne contempleront peut-être plus les lieux de la même façon après avoir plongé dans l’ouvrage de Vincent Lagardère. En 17 chapitres fournis, il nous livre un minutieux état des lieux que pourrait faire une chambre consulaire. Voyez la liste : le commerce du sel, celui des céréales, celui du vin et des eaux-de-vie, ces fameux « vins brulés » dont raffolent notamment les équipages, hollandais, pour couper l’eau des tonnelets de la cambuse. Mais c’est aussi une étude poussée de la navigation sur la Douze qui désigna longtemps la rivière jusqu’à sa confluence avec l’Adour. On descend le chemin de halage, plus ou moins bien entretenu. On s’acquitte des péages à Campet, Sainte-Croix ou Pontonx, ou bien l’on peste contre le « pague-sau » (taxe sur le sel) et la scize, redevance profitant à Mont-de-Marsan ou à Bayonne.
Avec les bateliers et les bouviers, on accompagne les couralins, les galupes ou les gabares chargées de ballots ou de « pipes » de vin. Le chapitre 7 sur « Bayonne, port des Landes » permet de voir les diverses denrées qui y transitaient, notamment d’étonnantes quantités de miel et de cire, des laines d’Espagne ou des étoffes du Rouergue. Sans compter sardines et morues des bancs des Terres Neuves.
Stratégies familiales
Les dix chapitres suivants snt autant d’occasions pour Vincent Lagardère de brosser le portrait de négociants, d’hommes d’affaires avisés : les Marrast, les Laurans, les Lagoanère de Laboge, les Saint-Loubert-Bié, les Jumel… Partis parfois de rien, ils parviennent à bâtir de belles fortunes. En espèces ou mobiliers mais aussi en biens fonciers : métairies ou « fasendas », voire « habitations » bien plus lointaines dans les « Isles à sucre », tout particulièrement Saint-Domingue largement investie par les Gascons.
Au fil des contrats ou des inventaires, notre auteur morcenais décrypte également les stratégies familiales permettant d’arrondir le pécule et les possessions tout en développant la clientèle et les contacts. Une faillite parfois sanctionne une gestion hasardeuse. Enfin, « lo Mont » ayant été un foyer de la Réforme au temps de Jeanne d’Albret, vicomtesse de Marsan, on ne s’étonnera pas de trouver une ou deux dynasties protestantes dans les affaires.
Vincent Lagardère, touché une fois de plus par la grâce de la recherche, promet une suite à cette somme qui ne manquera pas d’en passionner plus d’un.
335 pages, 35 euros.