Hommage à Fidel Castro – De la commémoration de Playa Giron au sixième congrès du Parti communiste cubain
Créé par sr07 le 17 avr 2011 à 8:06 | Dans : a1-Abc d'une critique de gauche. Le billet de XD, Amérique Latine
Pendant les cérémonies, la jeunesse cubaine exprime sa joie de vivre et manifeste son soutien à la Révolution.
Dans un message sur Cuba Debate, le comandante évoque le défilé en l’honneur du cinquantième anniversaire des évènements de la baie des Cochons (1). Dans son papier intitulé « El desfile del 50 Aniversario », Fidel, en retrait des affaires publiques, salue la qualité spectaculaire de cette commémoration.
Hier encore, dirigeant officiel du PCC, le combattant se déclare à présent « un soldado de las ideas ». Cette posture digne est l’aboutissement logique de la trajectoire du héros d’une Révolution qui doit aujourd’hui s’adapter à la donne économique et sociale du pays tout en assurant la relève générationnelle.(2)
Le sixième congrès du Parti communiste cubain s’est ouvert hier dans une ambiance chaleureuse. Le document de base de 32 pages nous a été commenté par une déléguée au congrès en provenance de ce lieu historique. Nous reviendrons sur ce blog sur ce congrès qui se tient à l’occasion du cinquantenaire de la proclamation du caractère socialiste de la Révolution.
XD
(1) Le 17 avril 1961, des mercenaires cubains entraînés par la CIA et appuyés par des navires et des avions américains, débarquaient dans la baie des Cochons, à 160 km au sud-est de La Havane, pour tenter de renverser par la force le nouveau régime. Mais Fidel Castro mobilisait des milliers de soldats et de citoyens pour repousser, 48 heures plus tard, les assaillants en fuite.
(2) Sur la portée du projet économique et social, à signaler sur France 24.com24/24 un reportage sur CUBA : Le régime veut « rectifier » le modèle socialiste.
Cuba debate 16 Abril 2011 12 Comentarios
Tuve hoy el privilegio de apreciar el impresionante desfile con que nuestro pueblo conmemoró el 50 Aniversario de la proclamación del carácter Socialista de la Revolución y la victoria de Playa Girón.
También se inició este día el Sexto Congreso del Partido Comunista de Cuba.
Disfruté mucho la narración pormenorizada y la música, gestos, rostros, inteligencia, marcialidad y combatividad de nuestro pueblo; a Mabelita en la silla de ruedas con el rostro feliz, y a los niños y los adolescentes de La Colmenita multiplicados varias veces.
Vale la pena haber vivido para el espectáculo de hoy, y vale la pena recordar siempre a los que murieron para hacerlo posible.
Al iniciarse esta tarde el Sexto Congreso pude apreciar, en las palabras de Raúl y en el rostro de los delegados al máximo evento de nuestro Partido, el mismo sentimiento de orgullo.
Podía estar en la Plaza, tal vez una hora bajo el sol y el calor reinante, pero no tres horas. Atraído por el calor humano allí presente, me habría creado un dilema.
Créanme que sentí dolor cuando vi que algunos de ustedes me buscaban en la tribuna. Pensaba que todos comprenderían que no puedo ya hacer lo que tantas veces hice.
Les prometí ser un soldado de las ideas, y ese deber puedo cumplirlo todavía.
Fidel Castro Ruz
Abril 16 de 2011
Delegados al VI Congreso del Partido Comunista de Cuba (PCC) asisten como invitados a la Revista Militar y desfile popular con motivo del aniversario 50 de la proclamación del carácter socialista de la Revolución y de la victoria militar de Playa Girón, en la Plaza de la Revolución José Martí, en La Habana, Cuba, el 16 de abril de 2011. AIN FOTO/Marcelino VAZQUEZ HERNANDEZ/sdl
11 réponses to “Hommage à Fidel Castro – De la commémoration de Playa Giron au sixième congrès du Parti communiste cubain”
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Mort de Fidel Castro : Les Cubains rendent un hommage ému à leur « Comandante »
HOMMAGE Il est décédé vendredi à l’âge de 90 ans…
Les Cubains rendent hommage au Lider Maximo
Les Cubains rendent hommage au Lider Maximo – RONALDO SCHEMIDT / AFP
20 Minutes avec AFP
Publié le 28.11.2016 à 20:40
Mis à jour le 28.11.2016 à 21:09
Des centaines de milliers de Cubains ont défilé ce lundi place de la Révolution à La Havane, théâtre d’innombrables discours fleuve de Fidel Castro, devant des portraits de cette figure du XXe siècle décédée vendredi à 90 ans.
Des centaines de milliers de Cubains ont défilé dans le calme et avec émotion lundi place de la Révolution à La Havane après le décès de Fidel Castro
Des centaines de milliers de Cubains ont défilé dans le calme et avec émotion lundi place de la Révolution à La Havane après le décès de Fidel Castro – RONALDO SCHEMIDT / AFP
Après être restés plutôt chez eux pendant deux jours, les Cubains laissent parler leur émotion pour ce premier temps fort d’une semaine d’hommage au père de la Révolution cubaine.
Celle-ci culminera avec des funérailles dimanche à Santiago de Cuba (est) de l’ex-président dont le style et les coups d’éclat ont marqué la guerre froide et forgé le destin de son pays.
« Nous savons que notre commandant est passé à l’immortalité », assure, très ému, Pedro Alvarez, professeur d’université de 36 ans. Il est venu défiler devant un des trois portraits en noir et blanc de Fidel installés sur cette vaste esplanade où a souvent résonné sa voix lors de ses tonitruants et interminables discours. Contrairement à ce qui était attendu, l’urne contenant les cendres de l’ex-président n’était pas présentée au public qui défilait dans le calme et à un rythme soutenu sans marquer de pose devant les photos.
Certains immortalisent l’événement avec leurs téléphones portables, beaucoup ont les larmes aux yeux. Secoué, Alberto Gonzalez, médecin de 63 ans en blouse blanche, pensait que les cendres du Lider Maximo seraient exposées. « Mais ce n’est pas l’essentiel, le plus important, c’est être ici et lui rendre un hommage. »
Les photos représentent Fidel en pied et de profil, sac au dos et casquette vissée sur la tête, scrutant l’horizon à l’époque où il menait dans les montagnes de la Sierra Maestra (est) la guérilla qui l’a porté au pouvoir en 1959. « Je suis arrivée à 18 h 00 hier (dimanche), je n’ai pas de mots », confie Josefina Vayan Bravo, femme de ménage de 44 ans, avant d’éclater en sanglots. « Il n’y en aura pas d’autre comme lui », abonde aussi en larmes Teresa Oquendo, 84 ans.
« Père » des Cubains
« C’est le père de tous les Cubains, mon papa était mon papa, mais il n’a pas pu me donner ce que (Fidel) m’a donné. Il m’a tout donné, la liberté, la dignité », renchérit Lourdes Rivera, fonctionnaire retraitée de 66 ans, assise sur le trottoir avec son bouquet de glaïeuls.
Ecoliers, militaires, vétérans, médecins et infirmiers, douaniers, beaucoup portent l’uniforme. Alentour, une discrète présence policière est visible.
Le coup d’envoi des cérémonies a été donné par une salve de 21 coups de canon du fort de La Cabaña, qui surplombe la baie de La Havane.
Luis Modesto Garcia, 77 ans, fait partie des derniers survivants de la guérilla qui porta les castristes au pouvoir en 1959. Il avait rejoint les « barbudos » de Fidel dans les montagnes à 19 ans.
« Fidel fut un père pour tous les combattants, et nous l’avons toujours considéré ainsi. Ce que j’ai appris, je le lui dois », dit-il.
Des dissidents discrets
En vertu du deuil national décrété pour neuf jours, de vendredi à dimanche, les rassemblements et spectacles ont été annulés, les matchs de baseball suspendus, les discothèques fermées et la vente d’alcool interdite. Après deux jours d’hommage dans la capitale, les cendres de Fidel Castro seront transférées de La Havane à Santiago, lors d’une procession sur un millier de kilomètres de mercredi à samedi. Ces festivités laissent froids la plupart des dissidents. Ils ont décidé de rester discrets pendant ces neuf jours de deuil, par respect mais aussi par crainte de cinglantes représailles.
« On va rester tranquille, même si (Fidel Castro) est le principal responsable de la misère et de l’absence de droits politiques à Cuba », explique Jose Daniel Ferrer, dissident « historique » et ex-prisonnier politique. Passé le deuil, les dissidents assurent qu’ils reprendront leur lutte contre le régime de Raul Castro. « Nous allons continuer à combattre le système que (Fidel) a créé. C’est cela, notre véritable ennemi », assure Jose Daniel Ferrer.
A chacun d’apprécier le fond des analyses présentées dans cette revue d’articles du quotidien Libé et de faire la part des choses. Nous contribuerons à cette clarification prochainement sur le blog.
XD
Raúl Castro prend le parti de son frère
La longue transition entre Fidel et son cadet s’est conclue hier, quand l’ancien «líder máximo» a quitté la tête du PC cubain.
Par GÉRARD THOMAS
«J’ai ressenti de la douleur quand j’ai vu que certains me cherchaient à la tribune. Mais je ne peux plus faire ce que j’ai fait tant de fois.» Dès l’ouverture du VIe congrès du Parti communiste cubain, lundi, Fidel Castro avait annoncé la couleur dans une lettre publiée par la presse locale : sa santé et son âge, 84 ans, ne lui permettent plus d’occuper une fonction officielle à plein temps. Hier, il a pourtant fait une nouvelle fois le déplacement à la tribune pour céder sa dernière charge et renoncer au poste de premier secrétaire du comité central du parti, qu’il occupait depuis la création du parti, en 1965.
Ligne dure. Son frère, Raúl, 80 ans le 3 juin, a immédiatement été désigné à sa place. Un autre octogénaire de poids, José Ramón Machado Ventura a été nommé deuxième secrétaire pour remplacer le nouveau promu. Depuis 1990, ce médecin sans grand charisme issu de la vieille garde révolutionnaire occupe le poste stratégique de chef de l’organisation du Parti communiste cubain (PCC). A partir de février 1998, il a été plus particulièrement chargé de seconder Raúl Castro dans son plan de réformes économiques censé «actualiser» le modèle socialiste à la cubaine. Il incarne la ligne dure au sein du parti et est un aficionado des dirigeants cubains depuis les années de guérilla contre le dictateur Fulgencio Batista dans les montagnes de la Sierra Maestra (1956-58), aux côtés des Castro et d’Ernesto «Che» Guevara. Sa nomination semble confirmer le contrôle de la direction du parti par les révolutionnaires historiques et les anciens militaires proches de Raúl et Fidel Castro, au détriment d’une nouvelle génération mise sur la touche.
Bureaucratie. Depuis plus d’un an, le président cubain a régulièrement remplacé des ministres par ses proches. En mai 2010, par exemple, il avait congédié le ministre des Transports, Jorge Luis Sierra, l’un des plus jeunes membres du bureau politique du parti et vice-président du Conseil des ministres, pour un ancien militaire, César Ignacio Arocha. Au poste de vice-président du Conseil des ministres, il avait placé le général Antonio Enrique Lusson, un ex-guérillero de 80 ans.
La dernière étape de la succession entre les frères Castro n’est que l’aboutissement d’une très longue transition qui a débuté en 2006 lorsque Fidel, rongé par la maladie, avait déjà passé le relais de la présidence cubaine à son «jeune» frère, auparavant ministre de la Défense.
Intervenant hier soir juste avant la clôture des travaux du congrès, Raúl Castro s’est donné comme «ultime tâche» de «défendre le socialisme et empêcher le retour du capitalisme» dans l’île. Outre le renouvellement de la direction du parti, le congrès, le premier à se tenir depuis 1997, a procédé durant trois jours à l’adoption d’un plan de 300 mesures économiques destinées à éviter une faillite totale de l’économie cubaine. Miné par la bureaucratie, l’absence de libertés publiques, la corruption et l’embargo américain qui, depuis quarante-neuf ans, asphyxie la population, Cuba affronte ses plus graves difficultés économiques depuis la chute de l’URSS, en 1991.
Rompant avec un modèle centralisé où l’Etat contrôle 90% de l’économie, Raúl Castro entend notamment mettre son pays sur la voie d’une économie mixte (lire page 4), introduisant des règles de marché comme l’ouverture à l’entreprise privée et les «dégraissages» dans la fonction publique. «Dans l’actualisation du modèle économique, la planification primera mais prendra en compte les tendances du marché», a souligné Raúl Castro, qui veut conduire ce processus à «petits pas et sans précipitation». Sans titre ni pouvoir officiel, son grand frère, qui souhaite rester un «soldat des idées», ne manquera pas de lui montrer le chemin jusqu’à son dernier souffle.
Combines
Par FRANÇOIS SERGENT
Dans son extraordinaire Trilogie sale de La Havane, Pedro Juan Gutiérrez faisait découvrir le naufrage poétique d’un système éculé. Un monde de combines et de privations, de désespérances et de répressions. Un système que Raúl, successeur hier de son frère, a formellement entériné et légalisé. Au moment où le monde arabe s’invente un printemps de libertés, alors que depuis vingt ans tout le reste de l’Amérique est devenu démocratique, Raúl Castro autorise les pizzerias et les réparateurs de bicyclettes. On en rirait s’il n’y avait pas 12 millions de Cubains survivant sous la coupe d’un dictateur et de son double depuis quarante ans. Il ne fait pas bon être opposant ou homosexuel à Cuba, écrivain ou avocat. Raúl a contraint à l’exil une dizaine de prisonniers politiques libérés après de longues peines et des centaines de défenseurs cubains de la démocratie continuent d’être harcelés, menacés et emprisonnés par la police castriste. Les derniers apologistes de ce dinosaure du postcommunisme accusent les Etats-Unis et l’embargo imposé à l’île pour justifier cette répression systématique et pérenne. Evidemment, la politique américaine envers Cuba est absurde et inutile. Elle remonte à la préhistoire de la guerre froide et les sanctions commerciales devraient être levées. Mais elles ne peuvent justifier que deux générations aient été privées de leurs droits fondamentaux sans jamais pouvoir choisir librement ses dirigeants. Les Cubains méritent autre chose qu’un communisme épuisé, dynastique et combinard.
Menace de limogeage géant
Le régime entend mettre à la rue un quart des salariés du pays.
Par JEAN-ARNAUD MISTRAL (à la Havane)
Sur la très étatique Radio Rebelde, l’autre soir, un cadre communiste s’inquiétait à l’antenne : «On ne va quand même pas virer capitaliste, non ?» Un autre redoutait même que ce «scénario-épouvante» soit officialisé en avril, lors du VIe congrès du Parti. Cette peur diffuse tient au discours du 18 décembre 2010 de Raúl Castro, le président, face à l’Assemblée populaire : «Cette fois-ci, il n’y a pas de retour en arrière. Ou nous rectifions ou nous coulons.»
On ne peut être plus clair : avec son économie moribonde (sous blocus depuis 1963, et soutenue par Hugo Chávez, le président du Venezuela, lui-même en difficulté), l’Etat cubain court vers la banqueroute si des réformes drastiques ne sont pas entreprises à temps. «C’est la seule solution si on ne veut pas dilapider l’effort de générations entières», a ajouté Raúl. Comprenez : si on ne veut pas enterrer la «révolution castriste», qui en janvier a soufflé ses 52 bougies.
Ces jours-ci, en marge des inévitables discours enflammés sur le championnat de base-ball, c’est «le» sujet de conversation : les «travailleurs» doivent désormais être efficaces et rentables. Des adjectifs inédits qui concernent presque tout le monde, car 90% des Cubains sont employés par l’Etat. Or, le régime a parlé de mettre à la rue 500 000 personnes d’ici cet été, 1,3 million à l’horizon 2013 – soit près d’un quart des salariés du pays. Une vision dantesque, dans cette île où le chômage n’existe pas officiellement et où, sous le règne de Fidel, le citoyen est protégé par un Etat paternaliste – «le seul pays au monde où tu peux vivre sans travailler», dit-on là-bas.
Ailleurs, en terre capitaliste, cette «saignée» annoncée provoquerait des émeutes. Ici, on encaisse le choc, chacun s’efforçant de ne pas trop y croire.
Sur le canal Cubavision, dans les pages du quotidien Granma ou via des slogans affichés sur les murs, le régime prépare pourtant les esprits à ce vaste lessivage. Lisons Granma : «Fini l’absentéisme, l’indiscipline, l’inefficacité au travail […]. Pour chaque poste, au lieu de quatre travailleurs, on n’en gardera qu’un seul.» Et les autres ? Ils sont déclarés «disponibles». Jetés comme des malpropres ? «l’Etat n’abandonnera personne à son sort», assure Granma.
L’idée du régime est de transférer ces «travailleurs disponibles» vers l’auto-emploi, chaudement encouragé par la propagande. D’où cette frénésie collective vers les négoces privés qui, pour l’Etat, ont le double avantage d’abaisser les dépenses et de légaliser le marché noir. «C’est une imposture, ricane un gérant d’hôtel. Qui peut croire que le secteur privé pourra absorber un demi-million de gens en quelques mois ? Qui plus est sans infrastructure, sans capital, sans véritable marché !» Un diplomate, bon connaisseur du pays : «Les Cubains n’ont qu’une faible idée de ce qui se trame. Les actifs de l’économie les plus rentables sont peu à peu ramenés au sein de la Gaesa, la holding de l’armée, dirigée par un gendre de Raúl. Le reste sera soit démantelé, soit restructuré dans la douleur. C’est la seule issue, et les perspectives de réussite sont incertaines.»
«J’ai une patente, en vrai capitaliste»
Reportage
Depuis quelques mois, les Cubains peuvent être à leur compte, et se frottent à une économie plus libérale.
Par JEAN-ARNAUD MISTRAL Envoyé spécial à La Havane
«Je suis enchanté de ma récente licence privée.» Jean râpé, béret du Che, barbe blanche et gros cigare Montecristo à la bouche, «Wilky» fait partie de ces personnages folkloriques qui, place de la Cathédrale à La Havane, se font prendre en photo par des touristes hilares. Son job rapporte gros : un bon jour, il gagne 60 pesos convertibles (appelé aussi le CUC qui, calé sur le dollar, équivaut à 0,7 euro), soit trois fois le salaire mensuel d’un médecin. Sur sa nouvelle licence, il est indiqué «danseur en duo». «Wilky», Hermenegildo Arencibia Griñan de son vrai nom, 56 ans, se réjouit des réformes économiques en cours. «Ma profession peut te faire rire. Mais aujourd’hui, je suis vraiment à mon compte. Je paie une patente chaque mois, et ma sécu chaque trimestre. Et je cotise pour ma retraite.» Il s’esclaffe : «Un vrai capitaliste, quoi !» Depuis janvier, avec ces nouveaux papiers, Wilky est soulagé. Il parle de «garanties juridiques» pour lui et la dizaine de parents qu’il fait vivre. Même satisfaction chez ses collègues de la place. Chacun a une licence.
Mayonnaise. Le phénomène dépasse largement le cadre folklorique. Cuba connaît la fièvre des mininégoces privés, dont l’éclosion a été favorisée par le président Raúl Castro. Objectif : augmenter les recettes de l’Etat via les patentes et les contributions à la sécurité sociale, sur fond de «révolution économique» dans un sens libéral.
Entre octobre et décembre, 100 000 licences ont été concédées. Un quart concerne la petite restauration. De La Havane à Holguín, de Cienfuegos à Matanzas, dans chaque pâté de maisons, des particuliers ont transformé leur logement en cafétéria donnant sur la rue. Avec succès : des files d’attente se forment partout pour acquérir une pizza à 10 pesos cubains (PC), un sandwich à la mayonnaise pour 4 PC ou un café pour 1 PC. Ces prix défient toute concurrence. Le peso cubain, c’est 26 fois moins que le CUC, le peso convertible. Un salaire de 500 PC (18 CUC ou dollars) est plus que décent. Griselda, infirmière, en gagnait tout juste la moitié avant de quitter l’hôpital et de se lancer dans ce petit business fait de bouts de ficelle. «C’est risqué, ce sont 150 PC d’impôts par mois, et un pactole qui part pour la sécu. Mais, au moins, je suis libre. La rentabilité ? Trop tôt pour le dire.»
Pris à la gorge. Ce matin-là, calle Colon, devant le Conseil populaire de Habana Centro, ils sont une bonne cinquantaine à faire le pied de grue pour décrocher cette licence privée. Raúl Castro a identifié 178 petits boulots privés. Dans la file, la brochette est variée : un retraité veut ouvrir un bar dans son jardin ; une manucure a été embauchée comme assistante par une amie ; un électricien de l’Etat se lance dans le privé ; un tenancier de paladar (restaurant privé), fermé depuis quinze ans, retente sa chance. «Ya veremos» («on verra bien»), disent-ils tous quant aux chances de succès.
Au bout de la queue, Luciano, 41 ans, affiche un large sourire. Il en avait assez de travailler pour 150 PC mensuels dans un garage à vélos de l’Etat. Il sera désormais mécanicien à son compte, dans le patio de son édifice décati. La fièvre de l’auto-emploi n’empêche pas un fort scepticisme. Après la chute du mur, lors de la «période spéciale», c’est-à-dire des privations, Fidel Castro avait lâché du lest. Au milieu des années 90, des commerces avaient fleuri, surtout les paladares. Après le succès, vint le coup de massue de l’Etat, tatillon et pratiquant l’asphyxie fiscale. De 200 000, les commerces avaient chuté à 140 000. L’histoire balbutie, ces jours-ci, pour les paladares pris à la gorge, comme pour les centaines de casas particulares (logements chez l’habitant), où la patente est passée en janvier de 120 à 200 CUC.
«Je ne me fais pas d’illusions. Vous n’imaginez quand même pas que le régime va nous laisser nous enrichir, non ? Pas si fou. C’est de l’auto-emploi de subsistance. Et regardez-moi : vous croyez que je vais devenir millionnaire en recollant des chaussures Nike pour deux pesos ?» José Luis a monté son atelier de cordonnier sous un porche de la Vieille Havane. «J’ai bossé dix ans pour l’Etat. Mais le compteur de ma sécu est à zéro, ma retraite sera misérable. Et puis l’Etat ne te donne aucun outil, aucun capital, pour commencer ton business. Rien de rien.» Sur son établi, il y a des ciseaux de chirurgien, du fil et des bouts de pneu «récupérés».
«Trop tard». Après s’être assuré de son anonymat, il lance ce diagnostic, que corroborent d’innombrables Cubains : «De toute façon, tout cela arrive trop tard, bien trop tard. On est un peuple assisté depuis un demi-siècle, sans culture du travail. Comment, du jour au lendemain, voulez-vous qu’on s’improvise entrepreneur ?»
Itinéraire d’un cadet sans charisme
Portrait
Le «líder mínimo» a passé sa vie dans l’ombre de son frère.
Par GÉRARD THOMAS
Raúl Castro, bientôt 80 ans, longtemps surnommé le «líder mínimo», avait passé la plus grande partie de sa vie dans l’ombre de son frère Fidel, jusqu’à ce que la maladie oblige ce dernier à lui confier les rênes de la présidence, en juillet 2006.
Communiste convaincu bien avant Fidel – plutôt dilettante à ses débuts en politique – il a été le chef incontesté des Forces armées révolutionnaires, l’armée cubaine, pendant quarante-sept ans, avant d’assurer l’intérim de la présidence, puis la présidence à part entière. Personnage dur et austère qui, à l’époque, n’a jamais hésité à conduire la répression, il tente d’incarner aujourd’hui l’image d’un réformateur prudent susceptible d’ouvrir le pays sur l’extérieur et sur l’économie de marché.
Le nouvel homme fort de Cuba est né près de Biran (province d’Oriente), au sein d’une famille aisée de la bourgeoisie locale. Après de laborieuses études dans différents établissements jésuites de Cuba, il découvre le communisme lors d’un voyage derrière le rideau de fer, dans les années 50. Après le coup d’Etat du général Fulgencio Batista, le 10 mars 1952, les Castro se lancent dans l’action directe. D’autant plus que la répression du régime est féroce : les opposants sont traqués, arrêtés, assassinés ou déportés. Le Parti communiste est interdit. Mafia, jeux, corruption, prostitution, drogues font florès.
Prison. En compagnie de son frère et de 150 jeunes révolutionnaires, Raúl Castro participe à l’offensive armée contre la tyrannie de Batista. Le 26 juillet 1953 : c’est le célèbre assaut contre la caserne de la Moncada, à Santiago de Cuba. La tentative d’insurrection est réprimée dans le sang et il est arrêté avec Fidel. Le Parti communiste cubain, qui n’a à ce moment aucune sympathie pour les actions menées par ces jeunes activistes, dénonce de «petits bourgeois aventuristes». Raúl Castro sera condamné à quinze ans de prison et emprisonné jusqu’à son amnistie, en 1955. Il s’exile alors à Mexico puis aux Etats-Unis en compagnie de son jeune frère, se lie d’amitié avec l’Argentin Ernesto «Che» Guevara et organise avec eux la résistance des barbudos contre Batista. Ils gagnent ensuite la Sierra Maestra pour fomenter la lutte armée et finissent par marcher triomphalement sur La Havane, le 1er janvier 1959. Le 16 février, Fidel Castro devient Premier ministre et Raúl est promu commandant en chef des forces armées. Il en profite pour organiser des milices populaires de soutien au nouveau régime.
Huître. Un demi-siècle plus tard, il prononcera son premier discours de chef d’Etat en butant sur les mots et en lisant laborieusement ses notes. Car si Fidel s’est instinctivement révélé comme un extraordinaire leader populiste, tenant les foules en extase durant ses discours interminables, Raúl a le charisme d’une huître. Il compense ses difficultés à s’exprimer et à séduire par une patience et une minutie qui font de lui un infatigable organisateur des structures de décision de la bureaucratie cubaine.
En 2008, il a signé deux accords des Nations unies relatifs aux droits de l’homme dans son pays, distribué les terres d’Etat inexploitées aux agriculteurs, libéré des prisonniers politiques (ce que le régime fait régulièrement depuis) et desserré les restrictions de voyage et de détention de devises pour les Cubains. Mais, malgré ses nombreux appels au rajeunissement des cadres, il reste le maître incontesté d’un bureau politique dominé par les vieux caciques. Hier, la moyenne d’âge des 15 dirigeants du PC est tombée à 67 ans (au lieu de 70 ans auparavant), mais les ex-guérilleros et les généraux septuagénaires restent majoritaires.
«Coco», le dissident qui défie Castro
Reportage
Guillermo Fariñas, le journaliste d’opposition cubain, multiplie les grèves de la faim et les actions d’éclat contre le régime de La Havane. Fort d’un petit réseau d’activistes, il croit son heure venue.
Par JEAN-ARNAUD MISTRAL Envoyé spécial à Santa Clara (Cuba)
Guillermo Farinas, à Santa Clara en 2010.
Ce jour-là, à l’entrée du domicile de l’«Ennemi numéro 1» des frères Castro, pas de gardes mais une caméra de surveillance. C’est une maisonnette ordinaire, jaune délavée, sise au 615 A, de la rue Alemán, dans une voie défoncée du quartier de «La Chiruza». Une zone déshéritée de Santa Clara, à l’image du reste de cette ville de l’intérieur de l’île, associée au souvenir de Che Guevara car choisie par le régime pour héberger son gigantesque mausolée. Une «petite ville bien tranquille», disent les guides du pays, qui, ces temps-ci, bruit pourtant d’une sourde colère.
Guillermo Fariñas, 49 ans, a des faux airs du Mahatma Gandhi : crâne rasé, regard intense – quasi hypnotique – surplombant un corps décharné. Ses fines jambes flottent dans un pyjama bleu à rayures. Il parle avec difficulté, tousse fréquemment : une thrombose à la jugulaire et au bras gauche, un cœur fragile, des poumons qui crachent depuis l’époque où il servait dans les troupes spéciales de Fidel Castro, l’obligeant à renoncer à la carrière militaire pour des études de psychologie, avant de choisir le journalisme irrévérencieux.
A ces séquelles s’ajoutent celles de ses grèves de la faim à répétition : vingt-cinq depuis 1995 ! Sa vieille mère, une ancienne infirmière, lui impose un strict régime d’antibiotiques, d’aspirine et d’expectorant. Elle semble bien plus inquiète que son fils à chacune de ses fréquentes poussées de fièvre.
Lui semble ignorer son propre affaiblissement pour ne voir que celui du pouvoir. «Les réformes économiques sont présentées comme un signe d’ouverture, alors qu’en réalité le régime est au bord de la faillite, articule-t-il avec lenteur, en référence à la tenue du VIe Congrès du Parti communiste cubain, qui se tient jusqu’à demain à La Havane sous le signe du changement. En coulisse, lors de mes arrestations, des militaires et des responsables du parti me manifestent leur désaccord, ce qui était inimaginable auparavant. Et puis j’ai de plus en plus d’amis que j’appelle des « chauves-souris », qui m’embrassent dans l’obscurité. Aujourd’hui, tout tient grâce à la peur des uns et des autres.»
Guillermo Fariñas marque une pause, une douleur soudaine étreint ses poumons. «La peur de ceux qui vivent du système, celle des entrepreneurs privés (les macetas) engraissés pas les prébendes du régime, celle des officiels prospérant grâce au pillage des magasins d’Etat, celle des médecins récompensés par des voyages au Venezuela et mille avantages en nature. Et ainsi indéfiniment. La corruption, le clientélisme, un fidélisme quasi incrusté dans la peau, tout cela fait tenir un édifice bien moins solide qu’il n’y paraît.» Pourquoi ? «Parce que les piliers de la Révolution, comme ceux de la santé ou l’éducation, sont déficients. Parce qu’avec des salaires dérisoires [le revenu mensuel est en moyenne de 450 pesos, soit 12 euros], les gens doivent survivre en achetant des produits de première nécessité en devises ; parce que le ras-le-bol d’un dirigisme omniprésent est de moins en moins contenu. La peur est la dernière digue.»
La peur dont parle «Coco» Fariñas, son surnom, est palpable dans le voisinage. Dans le Condado, aux abords de la place du «Che», les langues ne se délient pas. Le petit peuple cubain vaque à ses occupations. «Fariñas, connais pas !» soutiennent avec mauvaise foi les joueurs de domino sous leur parasol, les gardiens d’école somnolents, les ménagères ramenant une livre de riz et de haricots de la bodega (le magasin d’Etat livrant les produits rationnés), les conducteurs de calèche, et tant d’autres parmi ces désœuvrés qui ont l’art consommé de paraître terriblement affairés. Sous ces tropiques, les signes de révolte ne sont guère visibles. Sur les murs des masures ou des HLM de type est-allemand ou tchèque (d’avant la chute du Mur), les graffitis révolutionnaires ont été fraîchement repeints en rouge et noir, sur fond d’effigies du Che ou de Camilo Cienfuegos, autre héros mort aux premières heures : «53e année de la Révolution. Vers la victoire, toujours», «Notre dignité n’est pas à vendre», «Jamais le peuple ne s’agenouillera devant le capitalisme».
«Au diable Fidel ! Révoltez-vous !»
Pour trouver la trace de slogans impertinents, il faut être guidé par des acolytes de Guillermo Fariñas, des têtes brûlées avec plusieurs années de prison au compteur. Idanea Yanes, par exemple, 38 ans, a collé devant sa porte à neuf reprises : «A bas Fidel ! Je ne collabore pas.» A chaque fois, les Milices de troupes territoriales [les MTT, des unités populaires organisées sur un mode militaire, ndlr], viennent l’effacer. Coordinatrice des opposants des provinces de l’intérieur de l’île, elle a foi en la lutte dirigée par Coco. «Mon fils, ma mère, mes amis ont été frappés par la Sécurité de l’Etat. Je n’ai plus grand-chose à perdre. On se battra jusqu’au bout derrière lui.»
Autour de Guillermo Fariñas, un réseau d’activistes soutient les prisonniers politiques, dépose des plaintes au palais de justice, organise des veillées de protestation. «Nous ne sommes que des dizaines à jouer l’affrontement, poursuit Idanea Yanes. Dans les quartiers, les gens se solidarisent avec nous, mais en catimini. Ils n’osent pas franchir le pas, de peur qu’on leur confisque le travail et la maison. Mais la colère gronde : la nourriture de base est hors de prix, et les logements manquent cruellement.» Un mécontentement sur lequel surfe Guillermo Fariñas, lui qui rêve de convertir Santa Clara en l’épicentre d’une fronde déstabilisant le régime et la Revolución, «une variante du totalitarisme», dit-il.
Début avril, il a une nouvelle fois exposé son corps d’échalas aux coups de matraques des nervis du régime de La Havane. Son crime : avoir apporté son soutien à un opposant en liberté surveillée. Guillermo Fariñas a été rossé dans les unités 3 et 4 de la police nationale révolutionnaire (la PNR) de Santa Clara. Il n’a pas peur. En rébellion depuis une quinzaine d’années, volontiers provocateur, le dissident défie Fidel et Raúl Castro. Lesquels craignent que cet homme récompensé par le prix Sakharov en 2010 – décerné par le Parlement européen – mette le feu aux poudres ou devienne un martyr. Plus que pour tout autre opposant cubain, c’est bien l’objectif poursuivi par Guillermo Fariñas : embraser l’île. Il dit : «Cuba, aujourd’hui, c’est une prairie sèche, où il n’a pas plu depuis huit bons mois. Il ne manque plus qu’une allumette pour que tout flambe.»
Récemment, à une encablure du mausolée du Che, lui et ses amis n’ont pas hésité à jouer aux pyromanes. Un matin, ils accourent dans un centre de soins qui refuse de porter assistance à une mère célibataire malade. Arrive en trombe la voiture de la responsable municipale de la santé, une «huile» locale du Parti communiste. La voici qui se met à les insulter : «Décampez de là, gusanos !» Les gusanos – les «vers de terre» – sont les opposants au régime, qualifiés au choix de «mercenaires» ou de «contre-révolutionnaires», au nombre de 4 000 à 5 000. Guillermo Fariñas est à la tête des plus coriaces.
Ses partisans bloquent alors le véhicule de la responsable locale. L’opposant se hisse sur la carrosserie et improvise un discours : «Au diable Fidel ! Il supprime les rations de lait pour vos enfants, envoie ses médecins à l’étranger, et, alors qu’on manque cruellement de logements, envoie 35 000 tonnes de ciment à son allié Hugo Chávez. Révoltez-vous !» Malgré la voix fluette de Guillermo Fariñas, sa harangue fait mouche. Spontanément, des centaines de personnes se massent sur l’avenue. Dans un pays où les seuls regroupements autorisés sont à la gloire des frères Castro, le fait est exceptionnel. «La Sécurité de l’Etat a mis trente-cinq minutes pour nous disperser, confie-t-il. Il y a encore peu, l’intervention des forces de l’ordre aurait été immédiate. Cela prouve que le régime commence à flancher.»
Trois jours d’affilée, Guillermo Fariñas sera interpellé, et libéré chaque soir. Sans surprise, aucun média national ne s’en fait l’écho. Grâce à une équipe d’informaticiens, équipés de cartes flash, et à la complicité de certaines ambassades, l’information circule toutefois sur le Net. Mais la majorité des onze millions de Cubains dépourvus d’ordinateurs (il y a 3,3 ordinateurs pour 100 habitants) ou de connexion, n’en sauront rien. Malgré sa valse avec la mort, Coco Fariñas semble insubmersible. La dernière de ses grèves de la faim, en 2010, a pourtant failli lui être fatale. Pendant cinq mois, ce gusano opiniâtre a refusé de manger et de boire. Il a fallu l’alimenter de force par intraveineuse.
«En cas d’émeutes comme en Egypte…»
Guillermo Fariñas avait entamé cette grève le lendemain du décès, le 23 février 2010, d’Orlando Zapata. Cet humble maçon, disent les autorités, aurait été victime de sa propre grève de la faim. Il a été assassiné par privation d’eau, affirment les dissidents qui ont fait de lui un symbole de la résistance au régime castriste. Le jeûne de Guillermo Fariñas finit par porter ses fruits puisque, cent trente-cinq jours plus tard, en juillet 2010, les autorités libèrent 52 opositores («opposants») et les expulsent vers l’Espagne. Ces derniers mois, douze de plus ont atterri à Madrid. Ces prisonniers avaient été victimes de la rafle du «printemps noir» en 2003, une des pires vagues répressives sous Fidel Castro.
Guillermo Fariñas a donc remporté une bataille, avec le soutien d’autres dissidents et des Damas en blanco, les femmes et les sœurs des opositores qui manifestent en silence à la sortie des églises. Mais, à ses yeux, ces libérations sont insuffisantes pour abandonner la lutte. Quoique malade et ayant cédé la présidence à son frère Raúl en 2008, Fidel Castro continue à bâillonner toute liberté d’expression sur l’île. D’après la Ligue internationale des droits de l’homme, il resterait encore 105 prisonniers politiques dans les geôles cubaines. L’opposant Elizardo Sanchez estime, lui, que «l’appareil répressif n’utilise qu’une faible partie de son pouvoir d’intimidation».
Il en faudrait davantage pour décourager Coco Fariñas. Malgré ses jambes flageolantes et sa double thrombose, le résistant de Santa Clara ne se fait guère d’illusions. «Le régime se fiche pas mal de mes grèves de la faim, tant que je reste en vie. Ce qu’il craint, ce sont les colères de rue parce que là, il peut être débordé. En cas d’émeutes, comme en Egypte ou en Tunisie, les gradés du ministère des Forces armées révolutionnaires, le Minfar, qui ont sous leurs ordres des hommes bien armés et entraînés, devront alors choisir de tirer ou pas sur le peuple.»
Au même moment, sur la chaîne d’Etat Cubavisión, l’antique téléviseur de Guillermo Fariñas retransmet des images des troubles en cours au Maghreb. Guillermo Fariñas sourit légèrement : «Vous vous souvenez de ce petit vendeur ambulant tunisien qui a allumé la mèche ? Je me verrai bien dans ce rôle.»
vendredi 15 avril 2011, par Hernando Calvo Ospina
Le 16 avril 1961 débutait une opération militaire contre la Cuba révolutionnaire, dont l’histoire se souviendra sous le nom d’invasion de la Baie des Cochons (ou de Playa Giron). Des forces mercenaires anticastristes, organisées par la CIA et soutenues par les forces navales étasuniennes essayèrent d’établir une tête de pont afin de constituer, sur un « territoire libéré », un gouvernement provisoire que Washington reconnaîtrait afin de demander immédiatement l’aide de l’OEA et de défaire le gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro. Ils n’y parvinrent pas, ce fut « l’échec parfait ».
Grayston Lynch fut le premier homme qui toucha la terre cubaine, à Playa Giron. Il était 23h45 ce 16 avril 1961. Non loin de là, à Playa Larga, un autre Etasunien débarquait aussi le premier : William « Rip » Robertson. Tous les deux faisaient partie de la Brigade d’Assaut 2506 qui, entraînée et armée par les Etats-Unis, prétendait envahir l’île pour en finir avec le gouvernement révolutionnaire. Elle fut défaite en moins de soixante-dix heures.
Il faut revenir deux ans en arrière pour situer l’origine de cet « échec parfait », comme le nomment certains spécialistes.(1) Le 19 avril 1959, Richard Nixon, vice-président des Etats-Unis et Fidel Castro, premier ministre de Cuba, se réunirent pendant trois heures à Washington. Dans son rapport, Nixon affirma qu’une action militaire contre Cuba était nécessaire, car il avait la conviction que les révolutionnaires allaient installer un système politique contraire aux intérêts étasuniens.
Les frères Dulles, John Foster et Allen, respectivement secrétaire d’Etat et chef de la CIA, furent d’accord. Ce sont eux qui conçurent le « Projet Cuba », dont ils nommèrent responsable le directeur adjoint de la CIA, Richard Bissell. Le 17 mars 1960, le président Dwight Eisenhower approuva le plan élaboré par ce dernier, qui comprenait la guerre psychologique, des actions politiques, économiques et paramilitaires, avec comme axe central, l’organisation, l’entraînement et l’équipement d’exilés cubains qui constitueraient une force d’invasion.
Nixon assuma personnellement la préparation de l’agression : « L’instruction en secret des exilés cubains fut le résultat de mon soutien direct ».(2) En 1960, eurent lieu les élections présidentielles. Nixon, candidat du Parti républicain, affrontait John F. Kennedy, du Parti démocrate. Tous les deux commençaient leurs discours en parlant du « dossier cubain ». Herbert Klein, attaché de presse du vice-président, a écrit : « Pendant que nous faisions campagne, nous nourrissions l’espoir d’un débarquement rapide. La défaite de Castro aurait constitué un facteur puissant pour le triomphe de Nixon ». (3)
Parallèlement au projet militaire et propagandiste, à la fin août, la CIA mit un autre plan sur pied. Bissell contacta la mafia de la Cosa Nostra pour assassiner trois des principaux dirigeants cubains. Selon l’enquête de la Commission Church du Sénat étasunien, (4) on considérait, à la Maison Blanche, que si « Fidel, Che Guevara et Raul Castro n’étaient pas éliminés en même temps », toute action contre le régime cubain serait « longue et difficile ». Si les assassinats étaient réussis et que Cuba revenait au bercail, la CIA s’engageait à ce que la mafia récupère « le monopole des jeux, de la prostitution et de la drogue. »
Le 3 janvier 1961, Washington rompit ses relations avec La Havane. Le 20, Kennedy prit ses fonctions de président, et 24 heures plus tard, ordonna de poursuivre les plans d’invasion, ainsi que le marché conclu avec la mafia. Tout en continuant l’instruction en Floride, la CIA transforma le Guatemala en camp d’entraînement principal, « avec son propre aéroport, son propre bordel et ses propres règles de conduite. » (5)
Washington avait réussi à faire censurer la révolution cubaine par presque tous les pays du continent. Cependant le Mexique, le Brésil et l’Equateur s’opposèrent à tout type d’action militaire, ce qui empêcha les Etats-Unis de se servir de l’organisation des Etats Américains, OEA, pour une opération conjointe. Seuls le Guatemala et le Nicaragua prêtèrent leurs territoires pour préparer l’agression.
Les préparatifs de l’invasion furent un secret de polichinelle. Le président Kennedy répétait constamment qu’il n’agresserait pas Cuba, mais peu de gens le croyaient. Moscou et Pékin demandaient instamment à Washington de ne pas passer à l’acte, tandis qu’« aussi bien à Londres qu’à Paris, à Bonn qu’à Rome, une tension extraordinaire s’établit et ne cessa de monter. Le monde tout entier s’interrogea, les yeux tournés vers Cuba.(6) »
Malgré cela, aux Etats-Unis, les médias relataient à peine les événements. Ils ne menaient aucune enquête « par autodiscipline patriotique », comme le dira l’ancien patron de la CIA, William « Bill » Colby. (7) Par exemple, au New York Times, la rédaction savait en détail ce qui se préparait, « mais au nom de la sécurité nationale –dit Colby– elle se laissa convaincre, par le président Kennedy lui-même, de ne rien publier à ce propos. »
Le 15 avril, sur ordre présidentiel, Bissell envoya huit bombardiers B-26 détruire la maigre et vieillissante flotte d’avions de combat cubaine. Fournis par le Pentagone et portant les insignes de la Force Aérienne Révolutionnaire, FAR, ils avaient décollé du Nicaragua. Un B-26 atterrit à Miami après avoir déversé sa charge, et en quelques minutes, une rumeur courait : les responsables de cette action étaient des déserteurs cubains.
Alors que les bombes pleuvaient sur Cuba, le ministre des Relations Extérieures, Raul Roa, demanda à l’ONU qu’elle exige des Etats-Unis la fin de l’agression. Le chef de la délégation étasunienne, Adlai Stevenson, réfuta les accusations en montrant des photos de l’avion à Miami. Son collègue britannique le soutint en disant que « le gouvernement du Royaume-Uni sait par expérience qu’il peut faire confiance à la parole des Etats-Unis » (8) Le 16, on découvrit l’entière vérité. La CIA et le président Kennedy avaient tout caché à Stevenson et au Secrétaire d’Etat lui-même, Dean Rusk.
Lors de l’enterrement des victimes des bombardements, presque toutes civiles, Fidel Castro appela à la mobilisation générale : « Chaque Cubain doit occuper le poste qui lui revient dans les unités militaires et les centres de travail, sans interrompre ni la production, ni la campagne d’alphabétisation. » (9) Ce même 16 avril, il prononça une phrase qui fit tout de suite le tour du monde, car elle annonçait la voie idéologique qu’allait prendre le processus cubain : « Voilà ce qu’on ne peut nous pardonner (…) : que nous ayons fait une révolution socialiste sous le nez des Etats-Unis ! »
Pendant ce temps, cinq navires « marchands », remplis d’hommes et d’armes, escortés par des bâtiments de la Marine étasunienne, dont un porte-avions, s’approchaient de Cuba. Ils étaient partis du Nicaragua et de la Nouvelle-Orléans.
Selon les plans de Washington, les mercenaires de la Brigade devaient rapidement réussir à « libérer » un territoire. C’est là que, depuis les Etats-Unis, serait transféré le « gouvernement provisoire », composé d’exilés sélectionnés par la CIA. A ce moment, Kennedy « reconnaîtrait » le « nouveau gouvernement » qui demanderait une aide internationale, et les Marines débarqueraient.
Dans les premières heures du débarquement, Grayston Lynch se rendit compte des énormes erreurs commises par la CIA. Les récifs empêchèrent non seulement l’approche des bateaux mais rendirent difficile aussi l’avancée des canots. Cette zone, au centre-sud de Cuba, était marécageuse et inhospitalière. Le pire était d’avoir décidé d’un assaut nocturne. Les troupes étasuniennes avaient montré leur capacité à organiser de grands débarquements pendant la seconde Guerre Mondiale, mais jamais de nuit. Ce fut une expérience, en quelque sorte. C’est pour cela qu’une poignée d’hommes seulement, sur les 1511 qui constituaient la Brigade 2506, put toucher terre ce matin-là. Ils y furent reçus par les tirs d’une patrouille de miliciens.
Grâce à toutes ces erreurs, les troupes cubaines eurent le temps de se déplacer vers la zone et de commencer la contre-offensive. Dès le lever du soleil, le peu d’avions cubains rescapés du bombardement commencèrent à attaquer les navires envahisseurs. Dans la matinée, ils en mirent six hors de combat et firent couler les bâtiments « Houston » et « Rio Escondido », qui perdirent ainsi l’armement et le combustible qu’ils transportaient. Presque tous les pilotes qui décimèrent la Brigade avaient été entraînés par les Etats-Unis, pendant la dictature de Fulgencio Batista.
Le gouvernement révolutionnaire, sachant ce qui se préparait, avait acheté des tanks, des canons, des mortiers et des mitrailleuses à l’Union Soviétique et à la Tchécoslovaquie. Les instructeurs venus de ces pays, avaient calculé qu’il faudrait deux ans pour entraîner une armée capable de repousser une invasion. « Alors, nous avons imaginé quelque chose – raconte Fidel Castro en 1996-nous avons demandé aux miliciens d’enseigner l’après-midi ce qu’ils avaient appris le matin. » (10)
Jose « Pepe » San Roman, d’origine cubaine, commandant de la Brigade, constata le matin du 19 que tout était perdu. Alors il envoya un message à son responsable à la CIA : « S’il vous plaît, ne nous abandonnez pas ! » (11) En fin d’après-midi, à Playa Giron, la tentative d’invasion avait échoué. La Brigade presque entière fut capturée : 1197 hommes. Alors même que les soldats pensaient être sur le chemin du poteau d’exécution, Fidel ordonna qu’on les laisse en vie. Cent quatorze brigadistes, dont quatre pilotes étasuniens moururent au combat. Des années plus tard, Lynch se souvenait : « Pour la première fois, à trente-sept ans, j’ai eu honte de mon pays. » (12)
Il n’y eut aucune tentative de soulèvement intérieur pour soutenir le débarquement. La CIA avait calculé qu’il se déclencherait de façon spontanée. « La CIA ne tint pas compte d’un sondage d’opinion réalisé à sa demande, et qui révélait que l’immense majorité des gens soutenait Castro. » (13)
Bissell et Dulles avaient toujours su que sans une insurrection populaire, il aurait fallu quelque cinq mille hommes pour pouvoir occuper une partie du pays.
Triomphant, le 23 avril 1961, Fidel Castro déclara : « L’impérialisme yankee vient de subir en Amérique latine sa première grande défaite ! » (14) Le lendemain, c’est avec une émotion d’un autre genre que le président Kennedy reconnut la responsabilité des Etats-Unis. Colby rapporte que suite à « l’humiliation » infligée, Kennedy « se déclarait tenté dans sa colère « d’éparpiller les cendres de la CIA aux quatre vents » ».
Après la livraison par Washington à Cuba de 53 millions de dollars en aliments et médicaments, le 22 décembre 1962, les prisonniers recouvrèrent la liberté. Le 29, au cours d’une cérémonie à Miami, ils remirent à Kennedy le drapeau de la Brigade. « Je vous assure, déclara solennellement le président, que ce drapeau vous sera rendu dans une Havane Libre ». Quinze ans plus tard, l’association des anciens brigadistes demandait au Musée Kennedy qu’il leur soit rendu, pour promesse non tenue. C’est par la poste qu’on le leur a renvoyé !
Article paru dans Le Monde Diplomatique, Espagne, avril 2011.
Note :
1) Arthur Schlesinger Jr. « La Baie des Cochons, retour sur un échec parfait », Le Monde, Paris, 11 avril 2001.
2) Richard Nixon, Six Crises, Simon & Schuster, New York, 1990.
3) The San Diego Union, San Diego, 25 mars 1962.
4) Commission présidée par le sénateur Frank Church. “Alleged Assassination Plots Involving foreign Leaders.” An Interim report of the Select Committee to Study Governmental Operations With Respect to Intelligence Activities United States Senate Together, Washington, Novembre, 1975.
5) Tim Weiner, Legado de Cenizas. Historia de la CIA, Debate, Barcelone, 2008.
6) Haynes Johnson, La Baie des Cochons. L’invasion manquée de Cuba, Robert Laffont, Paris, 1965.
7) William Colby, Trente ans de CIA, Presses de la Renaissance, Paris, 1978.
8) Daniel Ganser, « Retour sur la crise des missiles à Cuba », Le Monde Diplomatique, Paris, novembre 2002.
9) Fidel Castro et José Ramón Fernández, Playa Girón, Pathfinder, New York, 4ème édition, 2007.
10) F. Castro et J. Ramón Fernández, Op.Cit. 11) Haynes Johnson, Op.Cit. 12) Grayston Lynch, Decision for Disaster : Betrayal at the Bay of Pigs, Potomac Book, Washington, 2000.
13) Tim Weiner, Op.Cit.
14) F. Castro et J. Ramón Fernández, Op.Cit.
Raul Castro entend limiter la durée des mandats à tous les échelons du pouvoir.
C’est un moment-clé de l’histoire de Cuba qui se dessine actuellement à La Havane. Le 6e Congrès du Parti communiste (PCC) y est réuni jusqu’à demain pour se prononcer sur le «projet de directives» de la politique économique et sociale.
Dans son discours d’ouverture, samedi, Raul Castro a fait état, pendant plus de deux heures, de 311 projets de réformes, visant « à mettre à jour » le modèle cubain. Après trois mois de discussions dans tout le pays, le document largement amendé propose un éventail de mesures qui doivent « actualiser » le système socialiste et assurer « le développement du pays et l’élévation du niveau de vie ». Les suppressions d’emplois dans les secteurs relevant de l’État, l’initiative privée, l’autonomie des entreprises d’État, la décentralisation et l’ouverture aux capitaux étrangers constituent les principaux axes. La mesure la plus débattue, comme l’a confirmé le président cubain, concerne la « libreta ». Le carnet de rationnement assurant aux Cubains des produits de base à prix subventionnés est appelé à disparaître. Sensation sur le plan politique : la durée des mandats à la tête du pays devrait être limitée à dix ans (deux fois cinq ans) et aura pour but d’« assurer un rajeunissement systématique de toute la chaîne de responsabilités » quel que soit l’échelon du pouvoir.
Bernard Duraud dans l’Huma du 18/04/11
Dans l’Huma, Entretien réalisé par Bernard Duraud
Mayda Alvarez Suarez est directrice du centre de recherche des femmes et membre du secrétariat de la Fédération des femmes cubaines. Au moment où le VIe congrès du Parti communiste cubain vient d’adopter des réformes importantes pour le pays, elle retrace pour l’Humanité le processus qui a amené à ces changements. (à lire: Fidel castro passe la main)
Il y a trois mois, de vastes débats ont été ouverts à Cuba sur la réforme économique et sociale proposée par le gouvernement. Sur quoi ont-ils porté ?
Mayda Alvarez Suarez. Ce long processus de consultations populaires est terminé depuis la fin du mois de février, mais il se poursuit encore. Les débats ont été organisés partout sur les lieux de travail, dans les quartiers, les cellules du parti communiste, les écoles, les communes et les universités. Les Cubains sont d’autant plus intéressés qu’ils ont beaucoup participé et se sont exprimés sur les volets de la réforme dont la mise en œuvre va avoir d’importantes répercussions sur la productivité du travail, le développement du pays et la vie des Cubains. Ils ont apporté des idées nouvelles et quand ils ne sont pas d’accord avec quelque chose, ils le disent.
Le sont-ils par exemple avec la suppression de 500.000 emplois publics ?
Mayda Alvarez Suarez. Malgré leurs inquiétudes bien réelles, ils savent que c’est une nécessité, l’économie centralisée avec un Etat surdimensionné est un frein au développement. Il y a plus de travailleurs dans ce secteur que l’Etat en a besoin. Cela va à l’encontre de la productivité du travail. Le but est d’être plus productif, c’est pour cette raison que cette réforme est proposée. Il y a, et j’insiste, une expression forte pour dire que c’est un moment nécessaire et qu’il faut développer le pays, parce qu’il ya encore une foule de problèmes à résoudre.
« Personne ne sera laissé sur le bord du chemin »
Que deviennent alors ces travailleurs licenciés qui de fait doivent aller voir ailleurs ?
Mayda Alvarez Suarez. Pour absorber cette masse de travailleurs dans le secteur non-étatique plusieurs alternatives s’offrent à eux. Lors de leur départ ils toucheront une indemnité d’un mois de salaire, de façon à leur permettre de chercher un autre emploi. Raul Castro l’a répété plusieurs fois, personne ne sera laissé sur le bord du chemin. Ainsi désormais les aides et subventions iront à la personne. Parmi les formules proposées il y a le travail à son compte propre, qui sera simplifié et amplifié, et les coopératives, un système existant dans l’agriculture. L’activité et les gains seront libres moyennant taxes et impôts.
Mais tout le monde ne va pas trouver un nouveau travail en si peu de temps. Le chômage risque d’augmenter…
Mayda Alvarez Suarez .Oui c’est possible surtout les premières années. Mais il y aura des incitations, comme par exemple dans le domaine de l’agriculture. C’est un secteur où il y a de l’emploi. De plus en plus de Cubains prennent des terres en usufruit, et çà marche. Nous avons des difficultés avec la spécialisation dans le sucre alors qu’il existe d’autres cultures. On est entrain de développer avec créativité, le « bio », avec un réel succès pour de nombreuses coopératives qui divulguent leurs résultats, échangent leurs expériences, et communiquent par le biais de la télévision. L’association des petits agriculteurs joue un rôle primordial pour stimuler la productivité de ces coopératives et aussi pour incorporer les femmes.
Les Cubains sont-ils inquiets ? Quelles ont leurs préoccupations ?
Mayda Alvarez Suarez. Ce qui inquiète le plus les Cubains, c’est la faiblesse de leurs salaires et la disparition prévue de la « libreta », le carnet qui leur assure à prix subventionné les produits de base comme le riz, le sucre, les haricots, l’huile etc. Or des produits sortent de la « libreta » et deviennent plus chers. Les Cubains veulent que leurs salaires puissent satisfaire leurs besoins. La possibilité maintenant d’avoir un autre travail, de faire autre chose, c’est aussi un stimulant, pour que leur activité soit la forme de vie et le moyen de satisfaire les besoins, ce qui n’était pas le cas auparavant. Parmi les autres sujets jugés prioritaires, il y a les transports, notamment urbains, à La Havane surtout, mais aussi le logement. La mise en place du système locatif est un moyen d’atténuer la crise du logement. J’ajouterai que les jeunes, qui ont participé massivement à ces discussions, souhaitent que leur formation « vocationnelle » soit en adéquation avec les besoins réels du pays et l’offre proposée.
Les femmes ont-elles un rôle spécifique à jouer dans cette mutation ?
Mayda Alvarez Suarez. Oh oui ! Il est essentiel. Actuellement elles sont 46% dans les emplois relevant de l’Etat et 39% dans toutes les autres formes de l’économie, 66% dans le secteur des employés et techniciens. Elles sont très qualifiées. On les retrouve dans l’éducation, la santé, la justice, les sciences où 49% sont des femmes…Les Cubaines savent que la Révolution leur a donné la dignité, en tant que personne. La non-discrimination et l’égalité entre les hommes et les femmes pour toutes les formes d’autonomie, physique, économique, politique, est un principe intangible de la Révolution. L’épanouissement des femmes n’est pas possible hors de ce processus qui est humaniste. Il suffit de regarder dans d’autres pays ou de voir ce qui s’est passé dans d’autres pays socialistes…
« Changer les mentalités pour conquérir un droit »
Mais il y peu de femmes au gouvernement…
Mayda Alvarez Suarez. Nous sommes au quatrième rang mondial pour le nombre d’élues au Parlement, la Fance n’est que 63ème ! Il y a une vice-présidente. Mais c’est vrai, nous-mêmes, avec la Fédération des femmes cubaines, nous luttons pour avoir plus de représentantes à la direction du pays. Peu à peu, il y a un progrès, car nous n’avons pas adopté un système de quota. Nous avons pris le chemin plus large et plus long mais plus sûr de l’éducation. Car il s’agit de changer les mentalités et de conquérir un droit en lien avec notre propre travail de respect et de considération. D’où l’importance du langage et des messages, particulièrement à la radio ou à la télévision, qui sont autant de miroirs posés sur la représentation des femmes.
Il y a une égalité sur le papier, mais existe-t-il toujours des freins et des blocages ?
Mayda Alvarez Suarez. Oui surtout dans la sphère familiale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des formes de discrimination mais c’est dans la conscience et non dans la volonté politique. C’est dans la famille où l‘on trouve les relations les moins égalitaires. La femme continue avec la surcharge de travail, des tâches domestiques et la garde des enfants. Les hommes participent plus, mais les femmes connaissent toujours cette surcharge de l’espace privé. La conscience que l’espace de la famille est celui de tout le monde n’est pas encore établie, alors qu’il est aussi important que l’espace public car il reproduit la culture, la force pour aller au travail, et le lien social. Les soutiens à la famille sont déprimés à Cuba aujourd’hui. Les crèches et les hôpitaux de jour sont insuffisants en nombre. Ce sont les conséquences du blocus, de beaucoup de problèmes dans la vie quotidienne et du manque de produits, comme par exemple les machines à laver le linge. Le travail à son compte propre, ou les coopératives peuvent aider, et faire en sorte que les familles soient déchargées de certains travaux. Les changements au bout du compte doivent impliqués hommes et femmes. Nous nous battons pour çà, sinon ce sera toujours la même chose. Les hommes ne peuvent pas restés sur le bord du chemin ! Il faut les associer à la lutte.
•A lire: Cuba à l’heure du renouvellement
Entretien réalisé par Bernard Duraud
Créé le 17.04.11 à 11h03 — Mis à jour le 17.04.11 à 11h05
POLITIQUE – Pas plus de deux mandats de cinq ans, a-t-il précisé…
Une idée révolutionnaire. Le président cubain Raul Castro a proposé samedi de limiter le nombre de mandats à la tête du régime afin de rajeunir les élites vieillissantes de l’île. Le frère de Fidel Castro, qui est resté presque cinquante ans au pouvoir à Cuba, s’exprimait à l’ouverture du congrès du Parti communiste cubain. Le dirigeant a noté que le gouvernement ne disposait pas d’ «une réserve de remplaçants bien formés, dotés d’une expérience et d’une maturité suffisantes».
La plupart des dirigeants cubains sont issus de la génération historique de la révolution de 1959. Ce sont aujourd’hui des septuagénaires voire des octogénaires – Fidel Castro est âgé de 84 ans, Raul en aura 80 en juin. «Nous sommes parvenus à la conclusion qu’il serait préférable de recommander de limiter à deux périodes consécutives de cinq ans le temps passé au service de charges politiques et étatiques fondamentales», a dit Raul Castro au millier de délégués du congrès.
Vieillissement des élites
Il a précisé qu’il ne se soustrairait pas à cette recommandation, qui sera discutée non pas lors du congrès, mais au cours d’une conférence du parti programmée en janvier prochain. Le vieillissement de l’élite cubaine est un sujet majeur de la réflexion amorcée à La Havane, qui tente d’infléchir sa pratique du communisme pour sortir de la crise économique dans laquelle le pays se débat depuis l’effondrement de son allié soviétique, il y a vingt ans.
«Il est vraiment gênant que nous n’ayons pu régler ce problème en plus d’un demi-siècle. Même si nous avons constamment tenté de promouvoir des jeunes gens à des postes élevés, la vie a prouvé que nous n’avions pas toujours fait le bon choix», a convenu Raul Castro.
Mais le VIe congrès du parti, le premier depuis 1997, tourne aussi autour des questions économiques. Etalé sur quatre jours, il pourrait ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de l’île avec l’adoption de réformes économique radicales et apparaît à ce titre comme le congrès le plus important depuis le congrès fondateur, en 1975, qui avait officialisé la mise en oeuvre d’un système d’inspiration soviétique à Cuba.
311 projets de réforme
Dans son discours d’ouverture, Raul Castro a présenté 311 projets de réformes. Toutes visent à sortir l’île de la crise économique en corrigeant les erreurs du passé. Parmi celles-ci figurent la suppression, déjà engagée, de 1,3 million d’emplois publics et la fin de certaines aides comme les «libretas», les rations alimentaires distribuées depuis plusieurs décennies aux Cubains.
—M.P. avec Reuters
Cuba: Raul Castro succède à son frère Fidel à la tête du Parti communiste
Créé le 19.04.11
SUCCESSION – Une étape symbolique…
La page Fidel Castro se tourne à Cuba. Après avoir officiellement renoncé à la présidence cubaine en 2008, le Lider Maximo n’est plus premier secrétaire du Parti communiste cubain. Ce mardi, c’est son frère, Raul, qui lui a déjà succédé à la présidence, qui a été élu à sa place en clôture du congrès du PCC. Fidel Castro, 84 ans, qui n’était pas apparu en public depuis plus d’un mois, a assisté au vote, selon les images diffusées en direct par la télévision cubaine.
Ce vote était attendu puisque Fidel Castro a annoncé mardi dans la presse cubaine qu’il allait quitter le comité central du Parti communiste, poste qu’il occupait depuis la création du parti en 1965. Raul Castro, successeur officiel de son frère, a marqué de son empreinte ce VIe congrès du PCC en faisant notamment adopter un programme de réformes et d’ouverture.
Le choix du n°2 peut décevoir
Raul Castro avait notamment prôné une limitation à deux mandats dans la vie politique cubaine, relevant que le manque de renouvellement de la classe dirigeante était un problème. Un discours apprécié par le peuple cubain. Sauf que celui qui a été n°2 est précisement un représentant de la vieille garde: Machado Ventura, âgé de 80 ans. Ce choix risque fort de décevoir nombre de Cubains qui espéraient voir de nouvelles têtes au sommet du pouvoir.
Les réformes adoptérs visent à relancer une économie étatique croulant sous l’endettement et marquée par une faible productivité, et dont Raul Castro souligne qu’elle a conduit le communisme cubain au bord de l’abîme. Ces changements incluent des coupes claires dans les effectifs de la fonction publique, les subventions et les dépenses et une ouverture accrue au secteur privé, dont la possibilité pour les petites entreprises d’embaucher leurs propres salariés. La modernisation du système économique cubain était le seul thème formellement inscrit à l’ordre du jour du VIe Congrès du Parti communiste.
Fin des rations alimentaires
La fin des rations alimentaires distribuées chaque mois aux Cubains depuis plusieurs décennies est un symbole de l’abandon progressif du système paternaliste. Raul Castro a décrit samedi cette ration comme un «fardeau insupportable» pour le gouvernement cubain. Autre réforme radicale, les Cubains vont pouvoir acheter et vendre maisons et voitures, ce qu’ils réclamaient très largement, même si des restrictions accompagneront probablement ce changement.
—M.P. avec Reuters
Paul Haven
Associated Press le 18/04/2011
Les délégués du VIe congrès du Parti communiste cubain débattaient dimanche à huis clos de plus de 300 propositions de réforme économique et politique formulées la veille par leur dirigeant Raúl Castro. Ce dernier, plaidant à nouveau pour le rajeunissement des cadres et la libéralisation d’une économie insulaire au plus mal, a notamment proposé de limiter la durée des mandats de la classe politique à deux quinquennats consécutifs.
Agé de 79 ans, celui qui a remplacé son frère Fidel en 2008, un demi-siècle après l’arrivée des « barbudos » au pouvoir, a plaidé pour un « rajeunissement systématique » du pouvoir, y compris « l’actuel président du Conseil d’Etat », c’est à dire lui-même, et ses ministres. « Aujourd’hui, nous faisons face aux conséquences de ne pas compter une réserve de remplaçants dûment préparés », a-t-il noté.
Parmi les noms qui reviennent le plus, on peut citer Lázaro Expósito, patron du PCC à Santiago de Cuba, ou encore Marino Murillo, 50 ans, l’ancien ministre de l’Economie aujourd’hui chargé de mettre en musique les réformes économiques. Egalement évoqués: Lazara Lopez Acea, 47 ans, patron du PCC à La Havane, ou encore le chef de la diplomatie Bruno Rodriguez, 53 ans.
Le frère de l’ancien Líder máximo a consacré une bonne partie de son discours de deux heures et demie à défendre avec vigueur une liste de changements économiques, dont la suppression progressive de la libreta, ce carnet de rationnement à la fois honni et indispensable à la population, la poursuite de la décentralisation de l’économie et l’introduction d’un système d’offre et de demande dans certains secteurs.
Le pays a ignoré ses problèmes pendant trop longtemps, a lancé Raúl Castro, qui a de nouveau clairement indiqué que Cuba devait prendre des décisions difficiles pour assurer sa survie. « Aucun pays ni individu ne peut dépenser plus qu’il ne possède », a-t-il lancé. « Deux plus deux font quatre, jamais cinq et encore moins six ou sept – comme nous l’avions parfois prétendu ».
Vêtu d’une guayabera, la chemise blanche traditionnelle, le leader cubain s’est voulu rassurant en faisant valoir que ces changements économiques nécessaires -menés « sans hâte mais sans pause »- étaient compatibles avec le socialisme. Assurant qu’il « n’y aura jamais d’espace pour les ‘thérapies de choc’ à l’encontre des plus nécessiteux », M. Castro a indiqué que le carnet mensuel de rationnement pour les aliments de base, représentait « un fardeau insoutenable pour l’économie et un découragement pour le travail ».
Raúl Castro a également précisé que plusieurs dossiers de libéralisation économique étaient en bonne voie comme la fin du le quasi-gel depuis 1959 des ventes de maisons et de voitures privées, l’usufruit de terrains agricoles publiques confié aux paysans ou encore l’octroi de crédit privés.
Le régime entend également poursuivre sa délivrance de patentes pour ouvrir un commerce ou une petite entreprise privée. Depuis octobre dernier, 200.000 Cubains en ont profité et José Barreiro, vice-ministre du Travail, a précisé à l’Associated Press que le régime ambitionnait d’en délivrer environ 250.000 d’ici la fin 2011.
En revanche, sur le sujet sensible du licenciement à terme d’un demi-million de fonctionnaires, le dirigeant cubain n’a toujours pas annoncé de décision finale. La « réorganisation de la force de travail (…) pour réduire les listes gonflées du personnel du secteur d’Etat » continuera de l’avant, a indiqué Raúl Castro, sans donner de date.
Sans doute le dernier congrès du PCC tenu sous la férule des révolutionnaires de 1959, ce VIe congrès qui s’est ouvert samedi à l’occasion du 50e anniversaire du fiasco de la Baie des cochons s’achèvera mardi. Dans ses « Réflections », un billet qu’il dispense de temps à autre dans la presse, Fidel Castro, 84 ans, a fait part de sa « fierté » après avoir entendu le discours de son frère cadet. Il s’est par ailleurs excusé de n’avoir pu participer aux festivités de la Place de la Révolution en raison de la forte chaleur. AP
18 Abril 2011
Escuché hoy domingo, a las 10 de la mañana, los debates de los delegados al Sexto Congreso del Partido.
Eran tantas las Comisiones que, como es lógico, no pude escuchar a todos los que hablaron.
Se habían reunido en cinco Comisiones para discutir numerosos temas. Desde luego que yo también aprovechaba los recesos para respirar con calma y consumir algún portador energético de procedencia agrícola. Ellos seguramente con más apetito por su trabajo y su edad.
Me asombraba la preparación de esta nueva generación, con tan elevado nivel cultural, tan diferente a la que se alfabetizaba precisamente en 1961, cuando los aviones yankis de bombardeo, en manos mercenarias, atacaban la Patria. La mayor parte de los delegados al Congreso del Partido eran niños, o no habían nacido.
No me importaba tanto lo que decían, como la forma en que lo decían. Estaban tan preparados y era tan rico su vocabulario, que yo casi no los entendía. Discutían cada palabra, y hasta la presencia o la ausencia de una coma en el párrafo discutido.
Su tarea es todavía más difícil que la asumida por nuestra generación cuando se proclamó el socialismo en Cuba, a 90 millas de Estados Unidos.
Por ello, persistir en los principios revolucionarios es, a mi juicio, el principal legado que podemos dejarle. No hay margen para el error en este instante de la historia humana. Nadie debe desconocer esa realidad.
La dirección del Partido debe ser la suma de los mejores talentos políticos de nuestro pueblo, capaz de enfrentarse a la política del imperio que pone en peligro a la especie humana y genera gansters como los de la OTAN, capaces de lanzar en solo 29 días, desde el inglorioso “Amanecer de la Odisea”, más de 4 mil misiones de bombardeo sobre una nación de África.
Es deber de la nueva generación de hombres y mujeres revolucionarios ser modelo de dirigentes modestos, estudiosos e incansables luchadores por el socialismo. Sin duda constituye un difícil desafío en la época bárbara de las sociedades de consumo, superar el sistema de producción capitalista, que fomenta y promueve los instintos egoístas del ser humano.
La nueva generación está llamada a rectificar y cambiar sin vacilación todo lo que debe ser rectificado y cambiado, y seguir demostrando que el socialismo es también el arte de realizar lo imposible: construir y llevar a cabo la Revolución de los humildes, por los humildes y para los humildes, y defenderla durante medio siglo de la más poderosa potencia que jamás existió.
Fidel Castro Ruz
Abril 17 de 2011
Lu dans Métro le 18/04/2011
Le parti communiste cubain ouvre son 6ème congrès national et dispose de 311 réformes pour révolutionner le pays. Raul Castro annonce la fin d’une politique dictatorial et ouvre les bras aux capitaux étrangers et aux initiatives privées.
Raul Castro annonce des réformes économiques et sociales. Lors de l’ouverture du 6ème congrès de parti communiste cubain à La Havane, samedi dernier, le président a prononcé un discours de deux heures et vingt minutes. Pas moins de 311 propositions pour réformer le pays.
Le président cubain souhaite corriger « les erreurs commises au cours des cinq décennies de la construction du socialisme ». Celui qui a passé plus de 50 ans au pouvoir, près de Fidel Castro, comme ministre de la défense, entend aujourd’hui réformer la constitution.
Les mandats des dirigeants seront limités à deux fois cinq ans maximum et les équipes seront par la même occasion rajeunies. D’ici mardi, journée de clôture du congrès, de nouveaux responsables seront choisis pour remplacer la « nomenklatura » vieillissante.
Face à une économie catastrophique, Raul Castro cible ses réformes sur le secteur agro-alimentaire, l’ouverture de l’économie aux initiatives privées et aux capitaux étrangers, et rendre autonome les entreprises d’état. Mais ce qui retient le plus l’attention des cubains ce sont les suppressions d’emploi prévues dans le secteur public ainsi que la suppression de la « libreta ».
Ce carnet de rationnement, institué en 1963, permet aux cubains de bénéficier d’un panier de produits de base à prix subventionné. Raul Castro se veut toutefois rassurant et souligne que « personne ne sera abandonné à son sort », qu’il y aura une augmentation de salaire générale et qu’un « système d’attention sociale » sera mis en place pour un soutien minimum à ceux qui en ont vraiment besoin.
Le Monde Diplomatique – jeudi 14 avril 2011
« Cuba, c’est comme une telenovela de cinquante mille épisodes dont chacun pense que le prochain sera le dernier », résume Fernando Ravsberg, journaliste à la British Broadcasting Corporation (BBC). Avant d’ajouter, dans un sourire : « Mais elle continue toujours. » Cinquante-deux ans après le « triomphe de la révolution », le volet qui s’ouvre en 2011 débute par un événement et un double anniversaire.
L’événement ? La tenue du sixième congrès du Parti communiste cubain (PCC). Non seulement le précédent rassemblement du parti date de 1997, mais le président de l’Assemblée nationale, M. Ricardo Alarcón, estime que l’enjeu des travaux de cette année n’est autre que de « sauver le socialisme cubain ». Ce qui, peut-être, explique le choix des dates : du 16 au 19 avril.
1961 : les tensions avec le voisin du nord sont telles que plus personne, à Cuba, ne doute de l’imminence d’un débarquement piloté par Washington. Le 16 avril, mobilisant ses troupes pour la bataille qui s’annonce, Fidel Castro proclame le caractère socialiste de la révolution : « Voilà ce qu’ils ne peuvent pas pardonner : que nous, ici, sous leur nez, ayons donné naissance à une révolution socialiste. » Le lendemain, des exilés cubains tentent d’envahir l’île, en passant par la baie des Cochons. Après trois jours de combats, leur entreprise échoue.
A priori, le calendrier du congrès ne suggère pas la réforme. Pourtant, le 24 décembre 2010, un éditorial de Granma – l’organe du PCC – proclamait : « Il ne s’agit plus pour nous de réfléchir à “l’année qui vient” mais au “pays qui vient”. »
Cuba pourrait donc « vraiment » changer ? Sur le plan économique, tout conduit à penser qu’il le faudra. Les Cubains manquent de tout : le pays importe 80 % de l’alimentation dont il a besoin. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la débrouille et les combines constituent un quotidien dont les discours officiels ont récemment pris acte : une petite révolution (lire notre reportage dans l’édition d’avril du Monde diplomatique, en kiosques.)
Pour une grande part, le document préparatoire du congrès – les lineamientos (« lignes directrices ») – vise ainsi à légaliser des pratiques courantes, mais discrètes : embauches d’autres Cubains, fixation des prix selon une logique de marché, rémunérations en fonction de la productivité, etc. Mais ce n’est pas tout : il faut « ouvrir l’économie », assène l’économiste Omar Everleny Pérez, l’un des directeurs du Centre d’étude de l’économie cubaine (CEEC) – où sont nées une grande partie des réformes en cours. De retour du Vietnam – « un pays qui ressemble beaucoup à Cuba et qui a beaucoup à nous enseigner » –, il martèle les priorités : « Changer l’état d’esprit des Cubains et accroître l’autonomie des entreprises. » Avant d’ajouter : « Il faut aller vite : pour mettre en œuvre un changement aussi brutal, on n’a que deux ou trois ans. »
S’agit-il pour Cuba de tourner le dos au socialisme ? Bien qu’elle aspire au changement, la population n’est pas disposée à tirer un trait sur les conquêtes sociales de la révolution. Et pour cause : la mortalité infantile de l’île est quatre fois plus faible que la moyenne de la région. Depuis 1950, l’espérance de vie est passée de 58 ans à 77 ans. Un numéro récent de la revue Foreign affairs soulignait que « Cuba est le seul pays pauvre au monde qui puisse affirmer que la santé ne constitue plus un problème fondamental pour sa population. Sa réussite dans ce domaine est inégalée ».
La logique des réformes ne risque-t-elle pas de conduire à la remise en question progressive de ce que l’on prétend aujourd’hui protéger ? Ce ne serait pas la première fois. La question est sur toutes les lèvres ; les démentis convaincants sont rares. Pérez, de son côté, n’hésite à se montrer brutal : « Oui, les inégalités vont augmenter. Mais elles existent déjà dans la société cubaine. »
En 1959, le monde est dirigé par des hommes nés au XIXe siècle : Dwight Eisenhower aux Etats-Unis, Charles de Gaulle en France, Harold Macmillan au Royaume-Uni, Konrad Adenauer en République fédérale d’Allemagne (RFA), Nikita Khrouchtchev en Union soviétique, Mao Zedong en Chine… « C’est dans ce monde de vieillards que débarquent les guérilleros – à la fois jeunes et photogéniques – des collines cubaines, observe l’historien Richard Gott. Des combattants pleins d’énergie, la vingtaine ou la trentaine, qui promettent de balayer l’ordre ancien et de faire advenir une nouvelle époque. »
Cinquante-deux ans plus tard, les guérilleros ont vieilli. Dans le système politique qu’ils ont conçu, la relève « jeune et pleine d’énergie » n’a pas sa place. Il revient donc aux mêmes de faire advenir, une fois encore, « une nouvelle époque ».
Renaud Lambert