Comment rechercher des alliances ?
Créé par sr07 le 03 juil 2012 à 21:57 | Dans : Débats autour de la refondation de la gauche
Le Monde.fr | 03.07.2012
Que traduit votre clivage en matière de recherche d’alliance ?
Jacques Généreux : On a une différence de diagnostic sur le rapport entre démocratie et marché. Il ne peut pas y avoir un équilibre entre une finalité et un instrument. Une partie de la gauche en Europe a été victime d’une opération habile et réussie de propagande et de manipulation des esprits pour faire entrer l’idée de marché comme une vertu en soi. Le marché n’est qu’un outil qui fonctionne à la seule condition de ne pas être libre. C’est le résultat de l’analyse économique comme des faits économiques. Nous vivons l’un des effets de la perversion des marchés libres. Plus on a libéré les marchés depuis 30 ans, plus on a plongé le capitalisme dans une évolution funeste pour le capitalisme lui-même. On a besoin d’un marché dans un cadre extrêmement réglementé. Pour que des entrepreneurs puissent avoir des stratégies longues d’investissement, de réflexions stratégiques, il faut absolument qu’ils soient mis à l’abri d’un excès de compétition immédiate à court terme.
Autrement dit, quand on parle de démocratie et de marché, on voit bien la hiérarchie. Nos sociétés pour être bien ordonnées ont besoin d’être encadrées (règles, lois), qui si possibles sont conçues pour fonctionner dans l’intérêt général. C’est pour cela que la démocratie est un bien en soi : avoir des sociétés dans lesquelles in fine la souveraineté du peuple permet de définir des lois qui se font dans l’intérêt général, y compris les lois qui encadrent l’économie et qui ne donnent que les degrés de liberté utiles à l’initiative humaine et à l’initiative économique efficace en maintenant l’ensemble des normes, des conventions, des règles qui vont permettre de tirer profit du marché. C’est un point essentiel. Le marché en soi n’a aucun intérêt.
Confondre des investissements de portefeuille, de placements financiers et des investissements productifs est une erreur fatale. Si nous prenons l’initiative de taxer des placements financiers sur des instruments financiers, cela n’entraîne aucune espèce d’entrave à des investissements directs d’entreprise qui souhaiteraient s’installer en France. Si par des politiques nationales, nous prenons des mesures ciblées de taxations qui ne pénalisent en réalité que les jeux de placements financiers, on peut se débarrasser de la finance prédatrice avec des personnes qui viennent vous dire sauver des emplois mais qui en fait viennent juste pour extraire le peu de jus qui reste à prendre sur des territoires pour des subventions publiques pour pouvoir après abandonner le pays. Du coup, on rendrait notre territoire encore plus attractif pour de vrais entrepreneurs. Ils sauront que sur ce territoire, ils sont en concurrence avec de vrais entrepreneurs, pas des voyous. C’est une différence analytique.
Ce que je vois comme différence de diagnostic, à travers l’exemple grec, c’est qu’on n’a peut être pas la même perception de l’ampleur et de la gravité du combat dans lequel on est engagé en Europe entre les forces de droite et celles de gauche. L’exemple grec est évidemment un laboratoire fondamental. Quand on dit, si Siriza arrivait au pouvoir, il se passerait quoi ? Siriza, comme les Grecs, veulent rester dans l’euro. Mais ils ne veulent pas du mémorandum. Ils ne l’appliquent plus. Si la réponse des Européens est : si vous refusez d’appliquer ce mémorandum, il n’y a plus d’aide européenne. Or, les Grecs ne peuvent plus emprunter sur les marchés. Les Grecs peuvent financer leurs besoins publics uniquement, comme l’a dit Alain Bergounioux, par la réarmement fiscal de l’Etat qui est une nécessité, mais qui ne se fait pas en un jour. C’est là que la sortie de l’euro se pointe, mais comme imposée par les partenaires.
Financer les dettes publiques grecques par la banque centrale grecque, c’est possible techniquement sans sortir de l’euro. Il suffit de faire une réforme légale et constitutionnelle grecque pour faire un statut spécial pour la banque centrale grecque qui aurait l’autorisation de financer directement des bons du trésor grec, sauf qu’à ce moment là, la Banque centrale européenne peut considérer que la banque centrale grecque ne pratiquant plus les règles et la politique monétaire de la zone euro s’est-elle même mise en dehors du système. On aurait un euro-grec dont il faudrait négocier l’échange avec les autres euros. C’est une sortie de l’euro qui serait imposée par la Banque centrale alors que rien dans les traités ne permet d’organiser la sortie de l’euro d’un Etat.
La gauche en Europe va être confrontée à ce choix. Si on a un pays qui, parce qu’il a été acculé dans une situation insoutenable, on ne pourra pas faire croire que l’on peut sortir un peuple de la misère en coupant le salaire des fonctionnaires par deux. Et que cela va être accepté. Si la gauche accepte cela, c’est qu’elle capitule devant le combat engagé. Pourquoi les gouvernements en Europe n’ont pas voulu entendre que l’on pouvait faire autre chose que l’austérité ? Si l’ensemble des pays européens ne s’était pas engagés dans des politiques de rigueur et d’austérité et si au lieu d’avoir 0% de croissance, nous ayons une croissance modérée de 2% en Europe, on aurait en France 80 milliards d’euros de déficit en moins. Tout le problème lié aux déficits vient des stratégies de rigueur.
Les gouvernements s’obstinent car il y a une droite conservatrice, libérale soutenue malheureusement par une partie de la social-démocratie lobotomisée qui a perdu toute référence idéologique (le blairisme ou la IIIe voie) et qui n’est plus dans une logique d’affrontement avec cette droite. Leur projet, c’est d’instrumentaliser la crise et la menace des catastrophes financières pour faire croire au peuple qu’on vit au-dessus de nos moyens, qu’il y a trop de dépenses publiques et que l’on ne peut pas faire autrement que de pratiquer la grande purge. Ce qu’ils veulent c’est passer d’une Europe qui aujourd’hui a un état qui pèse entre 40% et 55% du PIB selon les Etats, à une situation à l’américaine où l’on n’est pas plus de 35% du PIB. Soit un Etat minimum qui se contente de faire la police et le filet de sécurité sociale minimal. Voilà leur modèle. Ils ne veulent plus que l’Etat investisse dans l’éducation et la santé. D’où la logique : le TSCG, le pacte budgétaire doit avoir un équilibre structurel des déficits, des budgets en Europe. Ils veulent que tous les domaines qui relevaient de la compétence de l’Etat (protection sociale) passe au privé. Voilà la bataille en jeu…
Si nous prenons la mesure que nous sommes confrontés à une guerre, front contre front, entre des gens qui veulent détruire ce qui est notre idée d’Europe et une gauche qui n’a pas suffisamment résisté jusqu’ici et qui maintenant doit résister, alors je vous garantis que l’on peut relativiser ces questions : s’il n’y a pas d’autres moyens que ces ruptures unilatérales même de quelques pays, a-t-on le droit de ne pas le faire ? Combien de temps allons-nous attendre ? Il est vrai qu’au lieu d’être un, deux ou trois, il faudrait au moins 15 Etats européens prêts à s’engager pour la taxations des transactions financières. Seulement, si on ne les a pas, on fait quoi ?! La Grèce n’a pas 15 ans devant elle pour décider de son avenir. Nous n’avons plus le temps de créer tous les compromis. Si on n’a qu’un allié, il faut le faire. Si on n’en a pas, il faudra avancer tout seul. C’est le seul moyen de créer le rapport de force qui obligera les autres à entrer en négociation.
Alain Bergounioux : J’ai là une divergence avec Jacques Généreux sur le rapport marché-démocratie. Il y a deux légitimités. Je ne pense pas que l’économie de marché soit simplement une pure technique administrée. La légitimité de la démocratie où les citoyens agissent ensemble pour influer sur les économies et sur les sociétés et leurs évolutions négatives. L’économie de marché porte sur une autre légitimité : c’est un facteur d’innovations, d’expérimentations. Je ne suis pas du tout complexé, je partage en partie une part de la pensée libérale. La social-démocratie a fait historiquement et bien avant la IIIe voie la synthèse sur ce point. A partir du moment où l’on ne tient pas compte de la double légitimité, on rentre dans une logique qui a ses limites dans la réalité.
Et la réalité a montré que hors quelques périodes d’industrialisation ou de libération d’un pays, comme en 1945, les choses s’enrayent et les Etats ne peuvent pas administrer durablement une économie moderne et compétitive car il y a des intérêts sociaux. Les besoins de la population risquent au bout d’un certain temps d’être négligés. Regardons ce qui se passe en Chine, les communistes chinois, « les camarades chinois » que certains apprécient beaucoup ont compris qu’il fallait à leur manière dictatoriale et dure pour la population une économie de marché sinon la Chine ne pouvait pas se développer. Cela leur crée des problèmes car le marché crée des inégalités et des crises. C’est un point important car après on en tire des conséquences dans le rapport privé-public, le type d’encadrement et la manière de faire fonctionner un marché, éviter les monopoles. Voilà, on est là sur un aspect doctrinal qui a beaucoup de conséquences. Si on pense différemment, on n’a pas le même diagnostic. On est à la racine des divergences.
Si l’on reprend l’exemple grec, il y a effectivement urgence. Mais toujours dans l’hypothèse où Siriza aurait gagné, il y a une nécessité à faire comprendre aux autres Européens que ce n’est pas une affaire de trois mois mais il y a des choix immédiats à faire ! Siriza ne peut pas annoncer l’arrêt de la politique d’austérité sociale sans se poser la question des ressources. Où sont-elles ? Pas seulement la fiscalité, car Siriza ne peut pas se reposer sur uniquement l’Etat employeur. On ne peut pas continuer à avoir un Etat impotent qui vit à crédit. Les leaders de Siriza devraient dire aux Européens : voilà sur les 5-10 ans les ressources que nous allons dégager et voilà ce que je vais faire pour les entreprises productives, pour l’investissement productif et l’économie de marché et arrêter l’économie largement gangrénée par les corporatismes et les clientélismes. C’est un choix politique.
Il y a une vraie bataille en Europe. La bataille politique que nous avons l’habitude de mener en Europe est idéologique entre la droite et la gauche, avec une forme d’idéologie touchée mais qui reste néo-libérale, appuyée sur des intérêts et c’est pour cela que, avec ses limites, comme le disait Jacques Généreux, le Parti socialiste avait refusé la IIIe voie, car la proposition qui a eu de l’influence en Europe (Scandinavie, Italie, Allemagne et une frange du PS), repose sur l’idée qu’il n’y a plus d’équilibre entre la démocratie et le marché. Il faut partir du marché, de la mondialisation libérale et ce que doit faire le socialisme c’est au fond, d’équiper les individus pour être compétitifs sur le marché. On ne peut pas dire que la IIIe voie n’a pas eu de bilan social. Mais elle a oublié un point fondamental : si on perd de vue le collectif, ce n’est plus le socialisme, c’est autre chose ! C’est un parti démocrate fort estimable. On voit bien où sont nos divergences.
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