décembre 2012

Archive mensuelle

Qui a tué l’Esprit à gauche ? Par Philippe Corcuff, Maître de conférences de Sciences politiques à l’IEP de Lyon

Créé par le 30 déc 2012 | Dans : Articles de fond

Libération du 26 décembre 2012 à 19:06

Où est passé l’Esprit à gauche ? Aurait-il été assassiné ? Mais par qui ? Les agapes familiales et amicales de cette fin d’année 2012 pourraient donner lieu à des Cluedo politiques. A travers ses reculades («la compétitivité» à la place de la réforme fiscale, le droit de vote des étrangers aux élections locales, Florange…), ses atermoiements (mariage homosexuel…) et ses troubles de la morale («affaire Cahuzac»), les repères intellectuels de la gauche hollandaise apparaissent pour le moins flous. Et ceux de ses critiques de gauche ne se présentent guère comme une alternative stimulante. Or, la définition même de la gauche en France a été historiquement liée au travail intellectuel et à la création culturelle.

Certes, on trouve encore des idées à gauche, mais souvent dans un fatras peu réfléchi, empilées sous la forme d’habitudes, d’automatismes, d’évidences… Du côté de la gauche de gouvernement, les idées ont subi le massacre à la tronçonneuse technocratique : le découpage de la réalité en rondelles «techniques» sur lesquelles se penchent des «experts». Les rapports remis par des énarques ont ainsi largement remplacé les connaissances, les œuvres et les concepts ciselés par les chercheurs, les écrivains et les artistes. La mise à distance des préjugés rendue possible par les pensées critiques et les sciences sociales a été marginalisée. L’émiettement des problèmes, le nez dans le guidon, s’est substitué à l’effort de globalisation. L’accentuation du processus de professionnalisation politique, la place nouvelle prise par l’immédiateté et la non-reconstitution de repères globaux après la chute du marxisme ont contribué à approfondir ces tendances.

Les gauches de la gauche, qui portent plus haut le Verbe, ne réussissent pas pour autant à éviter l’éclipse de l’Esprit. Tout d’abord, si la vogue de la contre-expertise a permis d’étayer pragmatiquement la critique, elle porte un risque quand elle occupe trop exclusivement l’espace intellectuel de la contestation : devenir l’envers de la lecture technocratique du monde, avec ses petites cases séparées, peu propices à des mises en perspective globales. Par ailleurs, «la pensée Monde diplo» met trop fréquemment en scène des combats simplistes entre des incarnations du Mal (comme «le marché» et «l’individualisme») et du Bien (comme «l’Etat» et «le collectif», voire «la nation») ; le tout étant orchestré par les «méchants» médias, qui mettraient dans la tête des «gentils» gens de «mauvaises» idées.

L’essentialisme constitue une des pathologies intellectuelles transversales aux gauches. Il s’agit de la tentation courante de voir le monde à travers des essences, c’est-à-dire des entités compactes et durables. Cet essentialisme est parfois philosophiquement revendiqué, comme dans le cas du nostalgique d’un platonisme maoïste, Alain Badiou. Mais, le plus souvent, l’essentialisme est seulement implicite. Les objets de la polémique politique en sont fréquemment nourris : «le voile (islamique)», «le peuple», «la nation», «la mondialisation», «la laïcité», «la République», «l’Etat», «le communautarisme», «le multiculturalisme», «la délinquance», «la sécurité», «Chávez», «l’Amérique», «l’islam», «Israël», «la Chine», «l’Allemagne», «la France» autant d’essences, tantôt positives, tantôt négatives, à partir desquelles le manichéisme contemporain fait ses gammes quotidiennes.

Prenons un exemple dans la galaxie socialiste. La fondation Terra Nova a décelé dans «les classes populaires» une essence négative, arrimée inéluctablement au Front national, dont la gauche devrait faire son deuil. A l’opposé, mais sur un mode essentialiste analogue, la Gauche populaire s’est récemment mise en tête de bâtir une image positive du «Peuple» autour de la figure étriquée du «petit Blanc hétérosexuel», que les musulmans et les homos mettraient en état d’«insécurité culturelle». Point d’attention ici aux contradictions et à la pluralité des logiques à l’œuvre dans la réalité observable, y compris dans les ordres dominants. Le capitalisme n’a-t-il pas justement été analysé par Marx à partir de ses contradictions, et non pas comme une forme homogène ?

Qui a alors tué l’Esprit à gauche ? Point de complot de forces obscures ici, mais des paresses, des abdications et une carence imaginative enveloppées par des logiques impersonnelles tendant à s’imposer à chacun sans que l’on en ait clairement conscience. Qu’est-ce qui pourrait le voir renaître ? Peut-être une intellectualité démocratique faisant son miel de nouveaux espaces de dialogue et de confrontations entre praticiens des mouvements sociaux, chercheurs, militants politiques, artistes et citoyens ordinaires.

Dernier ouvrage paru : «La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?» éd. Textuel. collection Petite Encyclopédie critique.

Les enjeux liés de la compétitivité, du redressement productif et du financement de la protection sociale

Créé par le 30 déc 2012 | Dans : a1-Abc d'une critique de gauche. Le billet de XD, Fédérations MRC d'Aquitaine

 

Les enjeux liés de la compétitivité, du redressement productif et du financement de la protection sociale constituent le cadre de la prochaine assemblée du Mouvement républicain et citoyen à Mont de Marsan, le samedi 12 janvier prochain en matinée.

L’adoption de la motion « Le MRC, une boussole républicaine pour la gauche et pour la France » affirme l’appartenance du MRC à la majorité présidentielle « les yeux ouverts » en tant qu’ « allié mais non rallié ». (1)

Comme nous y invite notre président d’honneur, Jean-Pierre Chevènement, les citoyens du mouvement doivent débattre des questions à l’ordre du jour de l’agenda gouvernemental et échanger largement avec les citoyens de ce pays pour donner sens à ces projets :  »Il est temps de réagir, de rétablir des règles du jeu équilibrées en matière commerciale et monétaire, de remobiliser les atouts de la France. C’est possible. Il n’y a pas de raison que l’Allemagne excelle et que la France périclite.

Le rapport Gallois nous dit que la cote d’alerte est atteinte. Sur la base de ce constat et des propositions du rapport Gallois, le gouvernement et François Hollande ont fait un choix stratégique clair : la reconquête de la compétitivité conditionne la réindustrialisation de la France et le retour à l’emploi.  Le chemin a été ouvert. Il faut s’y engager pleinement, mobiliser le pays. C’est le rôle de la gauche d’abord et, en son sein, de notre parti, le MRC, qui se veut la « boussole républicaine » de la majorité mais aussi du pays tout entier. Car c’est aussi le rôle de toutes les forces vives, de tous ceux pour lesquels le mot « patriotisme » a gardé un sens.  

C’est ainsi que la France ira « du déclin au renouveau », selon l’expression employée jadis par le Général De Gaulle. Certes il y a beaucoup à faire pour  l’euro d’abord mais aussi pour fonder un nouveau pacte social », afin de réaliser cette « Alliance des productifs » qui est la clé du redressement. « 

Enoncer des enjeux conduit à préciser leur nature et les intérêts en cause. Notre grille d’analyse est celle d’une gauche vraiment républicaine d’abord au service du peuple français et de l’intérêt général mais aussi habitée par la volonté de réorienter l’Europe dans l’intérêt de ses nations et de ses peuples.

La désindustrialisation de la France est le résultat d’une globalisation marchande (marché mondial dont l’Europe n’est qu’une passoire) et financière (les marchés financiers). Le processus s’inscrit dans un nouveau rapport social émergent, à la fin des trente glorieuses, avec la montée du modèle néolibéral anglo-saxon (EU et Angleterre) qui entame la logique du système productiviste fordiste.

Ce nouveau paradigme des années 70 se conjugue avec l’idéologie néo-conservatrice (Thatcher, Reagan et Bush père et fils) qui nie la société (le lien social, la solidarité, etc.) et désactive la démocratie (le colloque du CERES sur la rupture démocratique en 1979, les analyse de Michel Foucault sur le néolibéralisme dans ses cours au collège de France en 1977).

Le basculement du modèle productiviste fordiste (contesté dans l’ambivalence du mouvement étudiant et écologique de la fin des années 60 et de la décennie 70) avec l’émergence au sein des classes dirigeantes d’une interrogation sur les fondements du système (rapport Mansholt sur l’épuisement des ressources naturelles en hydrocarbures et la perspective de la croissance zéro) et la remise en question simultanée du rôle de l’Etat dans la régulation de l’économie et du social (Etat moderne=Etat modeste) impacte aussi la gauche (le débat sur les deux cultures au sein du PS, les débats au sein de l’Union de la gauche ou entre les forces syndicales – avec le recentrage de la CFDT d’Edmond Maire…).

Cette vague néolibérale ( envahissement des marchés – école des anticipations rationnelles-théorie de l’individualisme méthodologique de Raymond Boudon – l’invention de l’homo-économicus et le mythe anthropologique d’un homme mû par ses seuls intérêts individuels aux antipodes des perspectives sociologiques d’un Durkeim ou ethnologique d’un Marcel Mauss, son disciple avec les théories du
don et de la réciprocité) envahit l’Europe (politique du TINA de Mme Thatcher) et le vieux continent (en France la parenthèse libérale qui marque aussi la fin d’une politique des filières industrielles autour de grands groupes publics industriels et financiers tels que décidée dans le projet socialiste pour la France rédigé par Jean-Pierre Chevènement –en Europe de l’Est et centrale, la fin du socialisme réel et le retour au marché..).

Une confusion gagne l’esprit des dirigeants socialistes :

 en France, la nécessaire politique de mutations industrielles du gouvernement Fabius marque aussi la liquidation

- d’une vision économique volontariste issue de la planification (le CERES d’avant l’exercice du pouvoir prônait le triptyque nationalisations-planification démocratique-contrôle ouvrier et insistait sur la dialectique entre le mouvement d’en haut et le mouvement d’en bas refusé dans les thèses pour l’autogestion du PS),

- d’un partage de la VA entre le Capital et le Travail sur les bases du compromis fordiste, de l’Etat social façonné par un siècle de conquêtes ouvrières…

En Europe, la période d’hégémonie politique social-démocrate est gâchée

- par une construction européenne construite autour du grand marché et de la monnaie unique qui ne tiendra jamais ses promesses d’une Europe sociale,

-   par la montée du blairisme

-   par les mutations à l’Est avec la réunification allemande et son jeu à part

-   par les espoirs déçus de la gauche française.

Dans ce contexte, les contradictions ne cessent de s’exacerber (perte de compétitivité prix avec l’euro cher et surévalué par rapport au dollar – délocalisations – tendance à l’inversion du partage de la VA entre le Capital et le Travail – émiettement du tissu productif – l’emploi, variable d’ajustement et chômage de masse – les services publics de proximité menacés, liquidés ou dénaturés).

Le délitement du lien social et son cortège d’incivilités, l’abstention massive aux élections intermédiaires, la grave crise intellectuelle et morale générée par le capitalisme financier et ses élites mondialisées parfois drapées dans une parure de gauche font des ravages auprès d’une opinion populaire trop souvent abusée pour ne pas être désabusée…

D’où la belle campagne de Jean-Pierre Chevènement en 2002 pour un retour en tous points à la République, d’où notre mobilisation significative contre le projet dudit TCE au référendum de 2005, d’où notre soutien à Ségolène Royal en 2007 sur la base de l’accord PS-MRC-PRG prévoyant une réorientation de l’Europe conforme en tous points à notre perspective d’alors, d’où notre posture actuelle qui fait suite à nos accords et désaccords avec le PS actés dans un document qu’il faut lire et relire car il fonde notre perspective d’un soutien à la majorité présidentielle les yeux ouverts…

Aujourd’hui, une majorité présidentielle entend présider aux destinées de notre peuple. Nous devons montrer la direction sans confusion entre les intérêts populaires et ceux de la finance, les intérêts nationaux et ceux des prédateurs prêts à sacrifier ce qu’il reste du modèle de l’Etat social européen et français (le programme du conseil national de la résistance) et d’une certaine idée républicaine de l’intérêt général.

C’est tout le sens de la réflexion autour du thème du jour que d’illustrer cette nécessaire   »alliance des productifs » pour le redressement du site de production France qui suppose la reconquête industrielle sans laquelle il n’est pas de création de richesses possible ( le mythe du libre échange facteur en soi de croissance a fait long feu). D’où l’impuissance d’une politique purement social-démocrate de redistribution en l’absence de croissance !

Je vous propose de présenter tour à tour

      
1°- les constats au travers notamment du fameux rapport Gallois – pour lequel je n’éprouve ni fascination, ni répulsion – en s’attachant au décrochage de notre industrie,        

2°- les perspectives du  pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi proposé par le gouvernement,

3° – l’autre enjeu – lié à ceux de la compétitivité et du redressement productif – d’un choix cohérent de financement de notre protection sociale.

Avant d’ouvrir ce débat dans cette assemblée citoyenne sur ces questions, nous avons le souci de clarifier ces enjeux sur lesquels une certaine gauche bobo aurait tendance à faire l’impasse au faux prétexte que la compétitivité serait intrinsèquement une idée de droite, l’industrie ringarde et polluante quand nous serions à l’âge du post-industriel et de l’adieu au prolétariat, la conception républicaine de l’intérêt général une illusion dénoncée de longue date.

 Pour notre part, nous ne joignons pas notre voix à ceux qui ignorent encore et toujours – dans le plus grand paradoxe et de concert avec les sociaux-libéraux et les libéraux pure souche – que de la défense de l’intérêt général au patriotisme économique,  il n’y a qu’un fil conducteur ; celui de la souveraineté populaire !

Pour assister au débat citoyen prévu en matinée, le samedi 12 janvier 2013 à Mont de Marsan, vous pouvez vous signaler en laissant un message sur ce blog. En cliquant sur notre bandeau : contacter pour une proposition ou une adhésion…On vous répondra tout de suite

Xavier DUMOULIN

Secrétaire de l’union régionale Aquitaine du Mouvement républicain et citoyen,

Président de la fédération des Landes et des Pyrénées Atlantiques du MRC

(1) La motion affirme la place du MRC comme boussole républicaine pour la gauche et pour la France.

 Elle précise l’origine du projet politique du mouvement à partir des grands repères qui jalonnent les dernières décennies (notamment parenthèse libérale, guerre du Golfe, Maastricht, campagne de 2002, référendum sur le TC, élections présidentielles de 2007 et 2012).

 Le MRC affiche ainsi toute la pertinence de son logiciel républicain autour de six axes majeurs :

 -L’Europe ne peut se construire qu’en s’appuyant sur des peuples souverains;

- Le peuple français peut se rassembler autour de l’intérêt général;

 - L’Etat républicain est le garant de l’égalité des citoyens;

 - L’industrie est la base de notre richesse collective;

 - Notre pays a besoin de recherche, c’est à dire de science et de rationalité;

 - L’école de la République est le socle de la France de demain.

 Pour accomplir son projet, la gauche a besoin d’une refondation républicaine à laquelle le MRC peut apporter une contribution décisive au travers de sa capacité d’analyse et d’action. Le MRC veut participer au mouvement des idées, être présent dans la vie économique et sociale, avoir une audience internationale, être actif au Parlement au travers de ses quatre parlementaires, élargir le champ de ses interventions (santé, protection sociale), promouvoir et former de nouvelles générations de militants, faire connaître ses idées dans les partis de gauche et préparer les échéances à venir.

 La motion conclut ainsi : « Notre boussole est la République. Notre rôle ne consiste pas à réciter un bréviaire républicain mais de faire avancer par la pertinence de nos analyses la conscience de la gauche et du pays tout entier. Tâche exigeante. mais c’est seulement si nous nous en montrons capables que nous pourrons être nous-mêmes la boussole républicaine de la gauche et de la France. »

Alliés (et non ralliés), les citoyens du mouvement républicain soutiennent ainsi la majorité présidentielle « les yeux ouverts ».

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Leçon de choses

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Mon rêve est celui du Tao Te King, selon Lao Tseu

Créé par le 24 déc 2012 | Dans : Le Che

« Mon rêve est celui du Tao Te King, selon Lao Tseu :

« Il agit sans rien faire

Et enseigne sans rien dire

Les choses apparaissent et il les laisse venir

Les choses disparaissent et il les laisse partir

Il a, mais ne possède pas

Agit mais n’attend rien

Son œuvre accomplie, il l’oublie

C’est pourquoi elle dure toujours. »

Je vous lègue ce dernier distique. Il vous demande une rude tâche.

Soyez fidèles au peuple, c’est-à-dire aux simples gens,

À la France, terre de liberté, d’où un «cavalier français – Descartes – partit un jour d’un si bon pas»,

Liberté qui donne le caractère et non le laisser aller,

Pays de citoyens où la République est exigence ou bien n’est pas.

Bon courage, chers camarades.

Je ne m’effacerai pas tout à fait, me réservant de parler si possible à bon escient. »

Jean-Pierre Chevènement le 16 décembre 2012 devant les congressistes du MRC au Tapis rouge – 10° arrondissement de Paris

 

Retrouvons des banques de crédit séparées de la spéculation

Créé par le 24 déc 2012 | Dans : Economie

Libé 17 décembre 2012 à 19:16

Par Olivier Berruyer Président de l’association DiaCrisis
Libération

L’élection de François Hollande a redonné l’espoir à des millions de Français. Nombreux sont ceux qui ont vibré quand il a lancé au Bourget : «Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies.» Néanmoins, le 7 décembre, Pierre Moscovici a déclaré, pour décrédibiliser l’idée, que couper les banques en deux, en séparant vraiment les activités de dépôt et de crédit des activités spéculatives, ce serait «revenir vingt ans en arrière».

Et c’est vrai. Mais justement, c’est exactement ce dont nous avons besoin : sortir de cette fausse «modernité» néolibérale et revenir au temps où la finance n’avait pas «pris le contrôle de nos vies», où la croissance frôlait les 4%, où les banques préféraient financer l’économie plutôt que la spéculation, où des traders surpayés ne menaçaient pas l’épargne des clients et où l’Etat n’avait pas à se mettre en danger en renflouant des entreprises privées trop cupides pour gérer leurs propres risques internes.

Le «modèle de banque universelle» a en effet démontré par deux fois son lamentable échec durant la crise, de Dexia à RBS, de la Société générale à Citigroup, de Fortis à UBS. Ces banques n’ont dû leur salut qu’à l’intervention massive des Etats en 2008 (annonce en France de 360 milliards d’euros de garanties et soutiens) et de la BCE en 2011 (1 000 milliards d’euros de liquidités prêtées). Cependant, éléphantesques, elles ont à chaque fois entraîné leur sauveteur dans les difficultés, comme un obèse qui se noie…

Le projet de loi qui sera présenté demain, et qui a déjà circulé pour avis, est d’une incroyable mollesse et n’aura guère d’efficacité. De façon stupéfiante, il est même largement moins ambitieux que les réformes récemment votées dans les temples de la finance mondiale que sont les Etats-Unis et l’Angleterre – réformes qui y ont déjà montré leur inefficacité. Il tourne même le dos aux récentes propositions avancées en Europe.

Une seule question compte : qu’advient-il de l’épargne des clients si la partie banque d’investissement fait faillite ? On comprend rapidement que seule une scission complète, dans deux groupes bancaires différents, est de nature à sécuriser notre argent. C’était d’ailleurs obligatoire entre 1945 et 1984. Une telle scission est pratiquement sans conséquences sur l’économie (les activités actuelles continueront, mais séparément) ; c’est donc bon pour les clients (qui verront leur épargne protégée), c’est bon pour l’emploi (puisqu’il s’agit du contraire d’une opération de fusion) et c’est même bon pour les actionnaires. Mais surtout, c’est bon pour les contribuables, qui n’ont pas à apporter leur garantie à des entreprises privées n’exerçant pas une mission de service public, et encore moins à garantir ainsi les bonus de leurs dirigeants. Et c’est donc bon pour l’Etat – l’agence Moody’s ayant cité nos banques comme une des trois raisons ayant conduit à la dégradation de notre notation le mois dernier.

Ayant rapidement capitulé devant le puissant lobbying de nos mégas banques – qui affichent désormais leur satisfaction devant le projet de loi -, l’administration nous donne ainsi comme seule arme, pour combattre cet «adversaire», un pistolet à bouchon.

Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées de tous bords pour indiquer la bonne voie à suivre : la scission des banques – de Jean Peyrelevade à Nicolas Baverez, de Maurice Allais à Joseph Stiglitz, de Michel Rocard à Bill Clinton, de Jacques Attali à Christine Lagarde ou Daniel Cohen…

En 2013, le Parlement va débattre de ce projet avorté. Il est encore possible de saisir cette opportunité historique de reprendre le chemin suivi par nos ancêtres après la crise de 1929 et qui a pavé la route des Trente Glorieuses. Un tel changement, à rebours de la mentalité laissez-fairiste qui prévaut depuis trente ans, est évidemment difficile à décider. Pourtant, il serait très dangereux de ne rien faire : il y a urgence à arbitrer entre la finance spéculative et l’économie réelle, désormais antagonistes. Bien loin d’être derrière nous, la crise n’est pas finie. Financièrement, nous vivons depuis quelques mois un paisible pique-nique bucolique ; malheureusement, il a lieu dans une pinède sèche et ventée, où chacune de nos banques est un barbecue incontrôlé qui crépite ardemment…

Désormais, le politique n’a plus droit à l’erreur en ce domaine – ni les Etats ni la BCE ne pourront aider à sauver l’épargne nationale en cas de troisième crise bancaire. Les Français ont droit à un système bancaire sûr, à leur service.

Il revient au chef de l’Etat de trancher. La décision de tourner fermement le dos à trente années de folie dérégulatrice néolibérale serait historique, montrant au monde la voie d’un «modèle français de régulation financière». C’est le genre de décision qui fait qu’un président laisse dans l’histoire ou bien la trace d’un François Mitterrand ou bien, à défaut, celle d’un René Coty…

Compétitivité : priorité aux services publics

Créé par le 24 déc 2012 | Dans : Economie, Santé-social-logement

Libé 20 décembre 2012
Par Jean-Philippe Thiellay Vice-président de Terra Nova et Benoît Thirion Avocat
Libération

Largement éclipsés par les débats sur le coût du travail, les services publics constituent un volet essentiel de notre compétitivité et une des clés du redressement économique de notre pays dans la justice sociale.

La qualité des infrastructures et des services publics en général favorise la croissance et la compétitivité. Les analyses de la compétitivité-coût intégrant le coût du travail et la fiscalité mais aussi le prix et la qualité des services publics montrent que les coûts de démarrage et d’exploitation sont relativement avantageux en France. Pour l’eau potable, le niveau des prix est inférieur à la moyenne européenne, et de près de 40 % par rapport à l’Allemagne.

Pourtant, après des années d’une politique purement comptable, la situation de nos services publics est dégradée. La qualité baisse, les financements manquent, les investissements ne sont pas assurés et l’égalité d’accès à ces services est négligée. Ainsi, dans le secteur de l’électricité, le temps de coupure moyen a significativement augmenté depuis 2002, avec une forte disparité entre Paris et les territoires ruraux, entraînant une fracture énergétique.

Dans ce contexte, les services publics sont un facteur de compétitivité sur lequel il faut s’appuyer et qu’il faut améliorer. Ils sont présents dans le rapport Gallois, au moins en filigrane, et dans le pacte de compétitivité du gouvernement : infrastructures, éducation, orientation, enseignement supérieur, recherche, formation professionnelle, service public de l’emploi, justice commerciale sont ainsi identifiés comme des leviers de compétitivité.

Ce volet doit devenir une priorité absolue, en mettant l’accent sur la responsabilité des politiques, au niveau national comme au niveau local, et sur un nouveau lien avec les usagers. Il appartient d’abord aux politiques de fixer les priorités et d’assurer un pilotage effectif des services publics. Cela peut paraître évident ; ce n’est pourtant pas le cas en pratique. Au niveau national, aucun ministère ne s’occupe d’une stratégie pour les services publics ; le Parlement ne débat pas, au-delà de textes sectoriels, des besoins transversaux. A l’égard de l’Europe, le gouvernement a le mérite de ne plus jeter l’opprobre sur les «diktats» européens, comme dans les années 2000 ; mais il lui reste à utiliser les marges de manœuvre existantes pour consolider les services publics et favoriser la construction de services publics européens intégrés. La création récente du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique et un prochain comité interministériel sur ce sujet devraient permettre de porter une vision ambitieuse des services publics et d’identifier précisément les investissements d’avenir.

Au-delà du niveau national, le pilotage est aussi indispensable à l’échelon local, pour définir les missions de service public adaptées aux besoins sur chaque territoire, et garantir leur bonne exécution, en particulier lorsque les services sont délégués au privé, ce qui suppose des outils de contrôle et d’évaluation efficaces. Une analyse précise des besoins d’investissement doit appuyer cette démarche. Ensuite, ce pilotage doit s’appuyer sur les usagers, particuliers et entreprises, dont les besoins essentiels doivent être satisfaits : là est la finalité des services publics. Il faut ainsi inventer de nouveaux liens avec les services publics. Des liens de proximité d’abord, en transformant une partie des points de contacts de la Poste en maisons de services publics, notamment dans les zones rurales. Il faut évaluer de manière systématique la satisfaction du «client» ; il faut encore ouvrir davantage la gestion des services publics à la société. Il s’agit de donner un nouveau visage aux structures de représentation des usagers, en s’appuyant sur le tissu associatif et sur Internet, et en leur donnant dans certains cas des pouvoirs de blocage. C’est avec cette méthode que l’on identifiera les services de demain (petite enfance, aide au consommateur…) et, le cas échéant, les domaines où l’intervention publique ne répond plus aux besoins. La modernisation de l’action publique passe par là. Les services publics sont facteurs de développement économique et de justice sociale, ces deux aspects n’étant pas opposés mais se renforçant mutuellement. En cela, ils doivent être un axe majeur du projet politique porté par la gauche. Dès maintenant.

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