juillet 2013

Archive mensuelle

LES FEMEN À L’ASSAUT DU SYSTÈME DOMINANT ? par Francis Daspe* Tribune parue le 17 juillet 2013 sur le site de Marianne.

Créé par le 19 juil 2013 | Dans : AGAUREPS-Prométhée

(*)  Francis Daspe est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).

 

En multipliant les opérations chocs et spectaculaires, les Femen, ces activistes ukrainiennes aux seins nus, ont réalisé une irruption brutale sur la scène médiatico-politique. A telle enseigne qu’il est courant de parler d’une nouvelle génération du féminisme. Elles ont cristallisé des réactions diverses et souvent antagonistes, parfois encensées, parfois critiquées. Souvent réduites à des clichés, elles sont en définitive mal comprises.

Voilà que par dessus le marché une des dirigeantes du mouvement Femen, Inna Shevchenko, a inspiré la Marianne du nouveau timbre, dévoilé à l’occasion de la fête nationale française ! Au-delà des postures, des apparences et des récupérations, il convient de poser la seule question qui vaille. De quoi les Femen sont-elles le nom ?
Commençons d’abord par tordre le cou aux controverses relatives aux méthodes utilisées. Le terme de « sextrémisme » est repris pour les caractériser. Il signifie un actionnisme féminisme radical s’incarnant, pour reprendre leur manifeste, « dans des actes politiques extrêmes d’action directe » perpétrés le plus souvent « à corps nu ». Quatre catégories de critiques leur sont adressées.

Les Femen sont accusées de favoriser une instrumentalisation du corps de la femme ; leurs actions seraient finalement contre-productives pour la cause censée être défendue ; les risques pris seraient minimes au motif que la majorité des actions se déroulent dans des pays plutôt démocratiques ; elles instaureraient un climat de violence en banalisant des expressions publiques fondées sur l’agressivité.
Ces critiques nous semblent en réalité compassées, prudes et hypocrites. Il s’agit de préventions petite-bourgeoises teintées de relents de moralisme inavoués. N’y-a-t-il pas au contraire réappropriation de son corps par la femme ? Comment ne pas vouloir comprendre que les seins nus visent à une interpellation de consciences sclérosées ?

Qui peut mesurer, et sur quels critères, l’efficacité réelle de telles actions ? N’est-ce pas de la mauvaise foi d’occulter les risques encourus à l’occasion d’actions menées en Tunisie, Russie, Turquie, Biélorussie, ou même en France lors de la manifestation contre le mariage pour tous ? A moins que le reproche subliminal ne soit de ne pas s’être offertes en martyres au milieu des talibans en Afghanistan ?
Les raisons principales de ces critiques ne résident pas en cela. Les Femen dérangent certaines belles âmes pour s’échiner à saper les bases du système dominant. Les querelles de méthode ne sont que prétextes ; ce qui est en cause, c’est l’idéologie ainsi construite et véhiculée. Les questions de forme sont en réalité des débats de fond remontant à la surface.
Les Femen se fixent pour objectif la victoire totale sur le patriarcat. Elles s’en donnent les moyens en allant de manière systémique à la racine du problème. Elles en ciblent clairement les trois manifestations les plus tangibles et les plus destructrices : l’industrie du sexe, la dictature, le cléricalisme. En d’autres termes, l’alliance de la bourse, du glaive et du goupillon qui n’ont eu de cesse de favoriser forfaits et humiliations.
Les Femen ont bâti leurs références de citoyennes militantes dans le rejet du capitalisme sauvage post-soviétique et par un ressourcement à la grille d’analyse marxiste. Ces bases leur ont permis de s’inscrire dans la lignée des combats universalistes portés par l’intérêt général. C’est le cas de la critique résolue des oligarchies conquérantes : le combat féministe a été irrigué par les enjeux sociaux et républicains.
Considérant la religion comme opium et instrument d’asservissement, revendiquant leur athéisme, elles stipulent la séparation des Eglises et de l’Etat comme un absolu non négociable. Elles ont également élargi leur champ d’action à l’anticapitalisme, comme en témoignent leur action à Davos, dans une dialectique marxiste entre infrastructure et superstructure. Ces boussoles idéologiques constituent les garanties les plus sûres de la promotion d’une philosophie de l’émancipation à laquelle elles se  rattachent.
Il existe cependant des écueils dont les Femen devront se défier. Les tentatives de récupération sont et seront nombreuses. Elles peuvent conduire à l’affadissement de leur discours et les pousser imperceptiblement à devenir malgré elles davantage « raisonnables ». Leur projet est bien d’essence révolutionnaire dans la mesure où la cible à abattre est le système dominant dans la diversité de ses facettes. Il leur faudra donc se garder des formes insidieuses de connivence.

Et symétriquement veiller à ne pas se transformer, par l’enfermement dans des postures « rétrécissantes », en caricatures d’elles-mêmes. Un type de mode de revendication et d’action correspond à une période déterminée de l’histoire. Il ne représente ni un dogme indépassable ni la finalité ultime.

Le plus beau compliment que l’on puisse faire aux Femen serait de dire simplement qu’elles font œuvre utile. Elles articulent en effet l’idéalisme et l’esthétisme d’une révolution faite au nom du progrès humain. Elles méritent bien de Marianne.

Tribune : De quoi la gauche devrait-elle être le nom ? A lire dans l’Huma du 5 juillet 2013

Créé par le 05 juil 2013 | Dans : Front de gauche

Par Patrick Coulon, Olivier Gebuhrer, Claude Gindin, Michel Laurent, Sylvie Mayer, Guillaume Quashie-Vauclin et Alain Vermeersch. Alors que les principes de gauche sont prédominants, sauver la gauche en la mettant sur ses pieds est une tâche urgente

Les mesures toujours plus austéritaires du gouvernement Ayrault installent un malaise croissant dans la population. « Est-ce cela la gauche ? » se demandent, désorientés, nombre de nos concitoyens[1]. La question fait débat dans toute la gauche – dans le PCF lui-même[2].

Face au paquebot gouvernemental qui fonce droit sur l’iceberg, faut-il quitter le navire Gauche ou tout faire pour en redresser la barre ? Faut-il continuer à se revendiquer de « la gauche » si celle-ci est associée à une politique de régression sociale ? Comment faire vivre l’alternative dans ce contexte de gauche qui déçoit au pouvoir ? Convient-il pour cela de faire un trait sur le PS, EELV, le PRG et toutes les forces gouvernementales ou travailler à construire de larges majorités ?

Interrogations qu’on pourrait résumer ainsi : De quoi la gauche est-elle le nom ? Peut-on la penser autrement qu’on le fait du seul Parti Socialiste ?

Faut-il laisser le gouvernement de gauche aller dans le mur ou miser sur son échec ?

  • 1- La gauche dans la société : une réalité bifrons

            1-1 Le marqueur « gauche » : un recul sensible tous azimuts et particulièrement dans les classes populaires

Force est de constater en effet, et non sans paradoxe, que le rayonnement de la gauche et l’adhésion populaire à cette dernière a reculé.

L’abstention est devenue un phénomène massif, particulièrement dans les classes populaires longtemps davantage enclines à voter, et à voter à gauche. Ainsi, lors de la dernière élection présidentielle, pour 20% d’abstention nationale, c’est 11% à Neuilly-sur-Seine mais 27% à Drancy, Clichy-sous-Bois et 28% à Bobigny. Les résultats sont encore plus frappants pour les élections législatives : près de 45% d’abstention nationalement, c’est 39% à Neuilly mais 49% à Drancy et 60% à Bobigny et Clichy-sous-Bois. La gauche n’arrive plus à mobiliser massivement les classes populaires.

On peut solliciter dans le même sens les enquêtes d’opinion. Il ne reste ainsi plus que 17% des sondés pour penser que les responsables politiques se préoccupent des gens comme eux : la gauche ne fait pas exception. Au-delà, depuis 1988, plus de 75% des Français considèrent comme juste la phrase « Aujourd’hui, les notions de droite et de gauche ne veulent plus dire grand-chose. » C’est surtout le positionnement des ouvriers qui a changé. Entre 1978 et 2002, « le recul de gauche est sévère (–16 points). Il s’accompagne d’une translation relativement limitée, vers droite (+ 4 points). Il se traduit principalement par un basculement vers centre + sans-réponse (+ 12 points). […]Tout se passe comme si, chez les ouvriers, une proportion élevée d’individus avait cessé de pouvoir ou vouloir s’identifier à un « bord de gauche » avec lequel le lien idéologique et affectif s’est rompu. […] En revanche, plus on est ouvrier, moins on se dit au centre et surtout à droite, et plus on se dit ni à gauche ni à droite. […] Les catégories populaires et ouvrières ne sont donc pas devenues majoritairement à droite. La désaffiliation dont témoigne leur niveau élevé de ni gauche ni droite exprime essentiellement chez elles une désaffiliation à gauche. »

            1-2 Les idées de droite sont-elles vraiment dominantes ?

Si le discours sur la droitisation de la société est complaisamment relayé[3] – discours fort utile pour ne pas engager de politique de gauche et pour encourager la résignation –, l’étude patiente et méthodique des mentalités dévoile une réalité tout autre. Ainsi, les sociologues Guy Michelat et Michel Simon, à partir d’une analyse sérielle sur quarante ans ont bien montré le renversement idéologique qui s’est opéré en vingt ans. D’une domination sans rivage des valeurs de droite (hostilité à l’action collective, faveur marquée pour le libéralisme économique) voire d’extrême droite (puissance de la xénophobie en particulier) dans les années 1990, on est passé à une prédominance des principes de

Ainsi, « Bourse », connoté négativement à hauteur de 29% en 1988, l’est à 74% aujourd’hui ! Pour « privatisation », on est passé de 36% d’opinions négatives en 1988 à 62% ! Pour « capitalisme » même, l’évolution reste notable : de 50% de rejet en 1988 à 64% !

À l’inverse, les marqueurs de gauche progressent : volonté d’un contrôle public de l’activité économique (29% en 1988 ; 55% aujourd’hui), influence des syndicats de salariés dans la politique du gouvernement (20% la jugeaient insuffisante dans les années 1980 ; 52% maintenant)… Mêmes évolutions du côté des questions de mœurs ou de migrations – homophobie et xénophobie demeurent mais ont perdu grosso modo la moitié de leurs bataillons en vingt ans.

Nuançons toutefois : si les idées qu’on peut à bon droit considérer, avec Michel Simon et Guy Michelat, comme des principes de gauche sont aujourd’hui très largement partagées, l’association consciente de ces idées avec la gauche n’est pas chose assurée. Notre peuple est sans doute plein de M. Jourdain qui ont des idées de gauche… sans savoir qu’elles sont de gauche.

N’est-ce pas le problème majeur de la politique aujourd’hui ? Quand la droite gagne les élections, elle fonce et profite de l’exercice du pouvoir pour marquer la société de ses réformes. Quand le parti socialiste dirige, au mieux, il atténue ce qu’ont fait ses prédécesseurs, tout en conservant leur héritage et en persévérant dans le fatalisme libéral. Comment, alors, ne pas comprendre le désenchantement du peuple de gauche face à la politique menée en leur nom, au nom de la gauche ?

      1-3 La gauche reste une réalité de masse

Face à cet inquiétant constat, faudrait-il abandonner la notion de gauche ? Nous ne le pensons pas. Il serait suicidaire de minorer les signaux décrits plus haut, mais il le serait tout autant d’ignorer le potentiel considérable que recèle la notion de gauche comme mode d’identification politique collectif.

Au-delà des réponses des sondés, on peut observer le comportement des Français au cours des dernières élections. Pourquoi le « vote utile[4] » est-il une réalité aussi massive aujourd’hui si ce n’est parce qu’il manifeste l’ancrage populaire d’un clivage significatif et politique entre la droite et la gauche ? Pourquoi se contraindre à voter Hollande quand on aimerait voter Mélenchon si ce n’est parce qu’on a peur que la gauche soit éliminée du second tour ? Cette adhésion à la gauche par rejet viscéral de la droite est une donnée énorme qu’on ne saurait biffer : il s’agit de millions de personnes. Y compris au sein des classes populaires. Ainsi, être ouvrier dans la France d’aujourd’hui, c’est se positionner à 36% à gauche (ce qui est à peine au-dessus de la moyenne) mais à 5% au centre (ce qui est 10 points au-dessous) et à 14% à droite (bis). S’il n’y a pas adhésion enthousiaste à la gauche, il y a bien puissant rejet de la droite. Combien des 45% d’ouvriers se déclarant ni à gauche à ni à droite vont finalement voter à gauche par rejet de la droite ?

Résumons : l’adhésion franche à la gauche et la ferme confiance dans sa détermination à changer positivement et vigoureusement la vie du peuple ont reculé dans des proportions considérables en quelques décennies, particulièrement dans les classes populaires, nourrissant une forte défiance à l’égard de la politique. Ceci posé, d’aucuns avancent que le peuple de gauche est un cadavre froid. C’est ici que l’appréciation paraît borgne. Plutôt qu’un recul unilatéral de l’adhésion à la gauche, ne s’agit-il pas davantage d’une déception par rapport à l’attitude même d’une partie de la gauche qui, au pouvoir, ne tient pas les engagements qu’elle avait pris devant les électeurs ?

Qui partage ce constat n’abandonnera pas la référence à la gauche. Celle-ci est confrontée à une crise majeure. Et elle n’en sortira qu’en mobilisant le peuple au nom même de ce que devrait être la gauche.

  • 2- Des raisons d’une contradiction

      2-1 Une crise qui bouche l’horizon de la social-démocratie

La brutalité du capitalisme et l’acuité de sa crise tendent à rendre impossible tout compromis social-démocrate. Inscrivant désormais[5] le capitalisme – souvent même jusque dans son expression libérale – comme horizon indépassable, la majorité socialiste ne parvient pas à mettre en œuvre les politiques de compromis social auxquels elle aspire.

Cette crise historique du socialisme n’est pas pointée par les seuls chercheurs marxistes[6] ou hétérodoxes[7]. Cette abdication du projet social-démocrate est reconnue au sein même des rangs socialistes modérés. Ainsi de l’essayiste Jacques Julliard, qui reconnaît sans détours l’aporie : « Le néocapitalisme a laissé sans interlocuteurs les partisans du compromis social-démocrate[8]. » Quelles conclusions en tire-t-il pour autant ? « Ce sera le grand défi de Hollande : inventer une social-démocratie de troisième type qui renoue le pacte avec le peuple tout en convertissant ce dernier au réalisme. »Retour au point de départ… L’aporie est ainsi perçue mais le cadre théorique dominant au sein de la social-démocratie interdit son dépassement.

      2-2 Panne idéologique

Plus largement, d’aucuns évoquent une véritable panne idéologique à gauche. L’essayiste Philippe Corcuff qui parle de crise intellectuelle engourdissant toute la gauche – il parle même de « mort cérébrale »[9]. On peut le rejoindre encore lorsqu’il pointe – après d’autres qui l’ont montré précisément[10] – que l’expertise technocratique ponctuelle – incapable, par principe, de penser l’altérité radicale dans ce monde où règne le « toutes choses égales par ailleurs » – sur fond de démagogie sondagière tend à devenir la règle. L’affichage électoraliste avec les intellectuels médiatiques tient alors lieu de réflexion théorique.

Philippe Corcuff ajoute que l’émergence des think tanks n’invalide pas la tendance, ceux-ci se contentant, le plus souvent, d’expertise parcellaire. Ce point pourrait sans doute être nuancé tant un think tank comme Terra Nova ne cesse de déployer une idéologie aux cohérences fortes, à l’image – inversée – de la Gauche populaire.

Ce tableau recouvre-t-il pour autant la réalité dans sa complexité ? Il peut paraître de bon ton de traiter le parti communiste comme un astre mort. Le risque qu’il le devienne effectivement a sans doute existé. Pourtant, comment ignorer aujourd’hui, au regard de son évolution, de ses réflexions et de ses initiatives politiques, une capacité retrouvée de modifier la donne ? Peut-on tenir pour négligeable l’existence de forces diverses, et ce jusqu’au sein du parti socialiste, qui s’engagent contre la soumission aux dogmes libéraux ? Et ce à un moment où la majorité du PS assume le capitalisme comme seul horizon possible et va jusqu’à désavouer l’objectif de son dépassement.

Résumons : les analystes, qu’ils soient très critiques ou qu’ils le soient moins, s’accordent à parler de brouillard dans lequel se situe idéologiquement le PS : le marxisme, résolument abandonné n’ayant pas été remplacé officiellement par une analyse globale concurrente. Mieux, disons que si des éléments théoriques plutôt construits coexistent en son sein, aucune pensée globale n’est formalisée. On nage, nolens volens, en pleine Weltanschauung[11] conservatrice. Autrement dit, toute théorie économique et sociale étant résolument impensée, on est dans l’idéologie spontanée – donc l’idéologie de la classe dominante selon le mot célèbre de Marx et Engels –, le fameux et indépassable « réalisme » dont parle Julliard – comme tant d’autres.

Ce qui frappe cependant à la lecture des essais et articles qui paraissent sur le sujet, c’est qu’ils sont concentrés sur le seul PS, comme si la gauche s’y résumait… L’existence du Front de Gauche a dynamisé la gauche toute entière. Et s’il reste un espoir c’est aussi parce que le parti communiste n’oppose pas une gauche à une autre et appelle à reconstruire autour d’objectifs communs le rassemblement des forces et des citoyens qui veulent le changement.

Bloquée, la gauche peut redouter le meurtre – la droite n’étant pas inactive. Plus encore, c’est le suicide qui la guette. Ce n’est pas simple formule : tous les pays ne disposent pas d’une gauche[12]. Et si elle n’est pas là pour affronter la finance et les puissants, pour offrir une perspective à proprement parler populaire, à quoi sert-elle ?

  • 3- Repenser les principes de gauche aujourd’hui

            3-1 Lutter contre les résignations : politiser

La politisation, la mise en tension et en dynamique politique du plus grand nombre est sans doute la tâche première des forces de gauche. Bien sûr, cela ne se décrète pas et des événements économiques, sociaux ou politiques, indépendants de la seule volonté des partis de gauche peuvent jouer un rôle important de politisation, malgré qu’ils en aient – les luttes syndicales par exemple.

Politiser, c’est stimuler la démocratie en donnant clairement à voir que la chose publique est l’affaire de tous, et non l’apanage de quelques experts auxquels il faudrait s’en remettre pour une bonne gouvernance. C’est appeler activement à l’investissement citoyen le plus large. La campagne du Front de gauche pour l’élection présidentielle, structurée autour de la thématique « Prenez le pouvoir », a montré combien ce message pouvait être largement entendu.

Politiser, c’est stimuler la culture de l’antagonisme – l’antagonisme de classe singulièrement –, et non celle du consensus aujourd’hui omniprésente tant les choses sérieuses sont censées être « au-dessus des partis », « au-delà de la gauche et de la droite », etc. – quand la droite ne manque pas de mêler à l’irénisme de classe un antagonisme raciste.

Pour le dire avec les mots percutants et pertinents du collectif de la revue Vacarme[13] :

« La stratégie d’une gauche de gouvernement qui croit pouvoir apaiser la société par une « présidence normale » et une gestion rigoureuse en faisant l’économie d’une refondation idéologique, […] conception purement électorale et gouvernementale de la société, conçue pour gouverner mais qui paradoxalement, si elle l’emportait intellectuellement, mènerait tout droit la gauche à l’échec en la coupant de son moteur historique : la vitalité d’un social clivé. En 1981, en 1997 et en 2012 — ses seules victoires nationales sous la Ve République — la gauche l’emporte grâce aux mouvements sociaux qui ont précédé les scrutins. Des mouvements sociaux, c’est-à-dire une société en mouvement. »

            3-2 Promouvoir l’humain d’abord, le travail et la VIe République

« L’humain d’abord ». Ce mot d’ordre pris comme bannière par le Front de gauche n’est pas un principe lié à une gauche de la gauche voire à l’extrême gauche. C’est un objectif, mais aussi la solution à la crise qui pourrait inspirer toute la gauche. Placer le développement humain comme fin et l’argent comme moyen – et non l’inverse – peut être la logique qui rassemblerait notre peuple.

« Laissez-nous bien travailler » : voilà un mot d’ordre qui sourd de la société, qui résonne et renouvelle le social. Promouvoir le bel ouvrage et non le travail insensé, l’utilité du produit ou du service plutôt que l’obsolescence programmée et l’injonction comptable, voilà ce qui peut unir les créateurs, les chercheurs, les producteurs autour d’un nouveau devenir.

La gauche, c’est la promotion de la Révolution française et du triptyque révolutionnaire de 1848 : « Liberté-Egalité-Fraternité ». Combien de libertés à conquérir ! Quelle égalité à bâtir!Quelle fraternité à ressourcer ! Penser l’engagement citoyen comme la condition de la réussite de la gauche, n’est-ce pas là le seul moyen de faire utilement écho à l’appel de la gauche unanime et des historiens en 1989 : « il reste des Bastilles à prendre ! » ?

            3-3 Des bras et des cerveaux prêts à construire ce monde de demain

Cet héritage politique n’est pas un jardin de chimères mortes. C’est un horizon pour lequel des millions de personnes sont prêtes à mouiller la chemise.

Les partis de gauche sont pleins d’adhérents qui ont décidé de s’engager en politique pour faire advenir ce monde juste. Ce sont des dizaines de milliers de personnes mobilisées sur le terrain. Parmi les dirigeants de ces organisations, qui peut dire qu’une majorité stable et sûre est promise à un avenir certain sur des politiques d’austérité ? Les contradictions s’aiguisent activement, ouvrant le possible des convergences potentielles.

Bien au-delà, c’est une gigantesque force sociale qui est disponible, déjà active mais en attente d’initiatives politiques les mobilisant et leur permettant de prendre conscience de leur force commune. Combien d’associations, combien d’ouvriers, d’employés, de cadres sont prêts à s’engager sur ces voies d’émancipation !          

Chacun voit chaque jour davantage que notre monde marche sens dessus dessous et n’est plus en mesure de répondre aux exigences et aux potentialités de développement de notre temps mais les broie bien plutôt. L’argent pour l’argent détruit nos vies et cela commence à se savoir, cette conscience faisant croître ce peuple potentiel, prêt à bâtir le monde que le développement de l’humanité appelle.

            3-4 Des objectifs immédiats à portée de main : un peu de courage !

Nous sommes d’ores et déjà majoritaires dans la population sur plusieurs revendications de gauche fortes.

L’avènement d’une citoyenneté de résidence, ouvrant le droit de vote à tous ceux qui font et sont la France, est attendue par notre peuple, dans le droit fil de la Révolution française. La liberté appelle la gauche !

La réduction significative de la hiérarchie des revenus est appelée par notre peuple, tout comme l’instauration d’une politique de lutte authentique contre la fraude fiscale. L’égalité appelle la gauche !

L’amnistie sociale, le respect du droit syndical et le renforcement du pouvoir confié aux salariés et à leurs syndicats dans le gouvernement de l’économie sont eux aussi soutenus par la France contemporaine. La fraternité appelle la gauche !

Notre peuple appelle désespérément des mesures de gauche. La gauche doit répondre : il en va de la démocratie, il en va de la raison d’être de la gauche, il en va du développement de notre pays.

  • Conclusion

On ne baise pas éternellement la main qui vous frappe : l’austérité met la gauche en danger de mort.

Alors, faut-il sauver la gauche ? Le débat se poursuit mais il est clair qu’il y a un héritage fort et qu’il est biface : les conquêtes d’hier ont attaché – et attachent encore – des millions de personnes à cette catégorie ; les déceptions d’hier repoussent des millions de personnes loin de cette catégorie. La politique actuellement menée par le gouvernement de gauche s’enfonce chaque jour davantage dans un marécage éloigné des aspirations populaires : la disparition par noyade est moins impossible que jamais.

Pour nous, assurément, il faut sauver la gauche. Elle est une force bien vivante pour des millions de personnes : on ne peut pas tourner le dos à tout ce peuple politisé quand il s’agit d’élargir cette politisation ! Il s’agit donc de sauver la gauche contre son suicide austéritaire en l’inscrivant dans des combats de gauche mobilisateurs et en phase avec les attentes populaires – permettant ainsi d’aller bien au-delà du consistant mais minoritaire « peuple de gauche » (entendu comme peuple se réclamant explicitement de la gauche).

Alors que l’austérité cache de plus en plus mal son inefficacité et sa cruauté, alors que les principes de gauche sont à un niveau historiquement haut, sauver la gauche en la mettant sur ses pieds est sans doute la tâche urgente de notre temps. Elle ne se fera pas sans un travail politique d’ampleur de notre part.


[1] Dans la floraison éditoriale – qui constitue déjà un signe de malaise –, on fera référence, dernièrement, à l’ouvrage critique de Jean-Claude Michéa, Les Mystères de la gauche, Climats, 2013. Pour un aperçu, voir l’entretien avec Laurent Être (L’Humanité, 15 mars 2013) et le compte rendu d’Yvon Quiniou (L’Humanité, 21 mars 2013) ainsi que celui de Florian Gulli, à l’origine du livre, dans La Revue du projet (n°23, janvier 2013).

[2] La position hostile au maintien de la référence à la gauche trouve sans doute son expression la plus construite dans la contribution d’André Tosel au 36e congrès sur « la gauche qui écœure ». http://congres.pcf.fr/31244

[3] Parmi mille exemples, voir Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, Le mystère français, Seuil, 2013, ou encore Raffaele Simone, Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, Gallimard, 2010. Pour un aperçu, voir ses entretiens au Monde (12/09/2010) ou à Philosophie magazine (n°36, 01/2010). Plus récemment, voir les gloses du baromètre Ipsos France 2013 susmentionné.

[4] Voir notamment La Revue du projet, n°16, avril 2012.

[5] Ce « désormais » est difficile à dater tant l’histoire du socialisme est, de fondation, plurielle. Si les historiens accordent quelque réalité au « tournant » de 1983 (voir les travaux du colloque sur cette question en Sorbonne les 25 et 26 mars 2013, sous la direction de Michel Margairaz et Olivier Feiertag), ils remettent en cause l’idée d’une rupture brutale sans prodrome ni filiation.

[6] Voir par exemple Jean Lojkine, La Crise des deux socialismes, Le Temps des cerises, 2008.

[7] Dans une perspective européenne, voir notamment les travaux de Philippe Marlière. Pour un aperçu, voir la Revue du projet n°8, mai 2011.

[8] Le Figaro, 25 septembre 2012, à l’occasion de la sortie de son essai de synthèse historique (voir le compte rendu proposé par Jean-Numa Ducange dans L’Humanité).

[9] La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?, Textuel, 2012.

[10] Voir particulièrement les travaux de Frédéric Sawicki et de Rémi Lefebvre.

[11] Conception du monde.

[12] La gauche et le clivage gauche/droite ont été rayés de la carte dans maints pays. On peut noter, à rebours, qu’ils tendent à se développer dans des pays comme les États-Unis par exemple. Voir notamment La Revue du projet, n°26, avril 2013.

[13] Vacarme, n°60, « Les fronts de la gauche », 21 mai 2012. http://www.vacarme.org/article2158.html

Par Patrick Coulon, Olivier Gebuhrer, Claude Gindin, Michel Laurent, Sylvie Mayer, Guillaume Quashie-Vauclin et Alain Vermeersch

D’abord l’emploi…

Créé par le 02 juil 2013 | Dans : a1-Abc d'une critique de gauche. Le billet de XD, Parti socialiste

Nos amis socialistes landais organisaient hier soir à Tartas les ateliers du changement. L’orateur, Jean-Marc Germain, secrétaire national du PS à l’emploi et député, a présenté la politique de l’emploi, notamment les nouveaux contrats (emploi-avenir et de génération) et les enjeux autour de la loi dite de sécurisation de l’emploi.

Plutôt convainquant sur le volontarisme gouvernemental dans la promotion des mesures pour l’emploi, le secrétaire national s’est efforcé de dissiper les critiques du contenu de cette loi qui a donné lieu, ces derniers mois, à ces débat très vifs, autour de l’ANI initialement, puis de « l’enrichissement » législatif de l’accord. L’accueil réservé à  cette loi reste encore largement mitigé à gauche en dépit des éléments d’argumentaires positifs présentés par nos parlementaires PS et MRC du groupe socialiste, républicain et citoyen à l’assemblée et des sénateurs de la majorité présidentielle. Ceux-ci mettent en perspective des avancées sur le plan de la lutte contre la précarité de l’emploi, l’accès à la formation professionnelle, l’encouragement à la négociation préalable aux licenciements économiques et à la mise en oeuvre des mesures permettant d’éviter les suppressions d’emploi…

On peut bien accepter, dans le rapport des forces actuel et en raison de la situation concrète d’un grand nombre de salariés, cette vision positive d’un texte entaché cependant d’un vice de conception originel (refus de l’ANI par deux importants syndicats de salariés). A condition néanmoins de prendre toute la mesure de la situation. Le déplacement du rapport de forces au profit de « l’entreprise » n’est pas nouveau depuis l’émergence des accords dits de flexibilité des années 80, rendus possibles – disons le pour être honnête - par les lois Auroux , puis le développement considérable d’accords d’entreprises dérogatoires au code du travail, ces dernières temps, qui ont entamé la protection des travailleurs par «  l’ordre public social », inversant de facto la hiérarchie des normes, sous l’effet de la prédominance patronale dans un  rapport social tout à l’ avantage des employeurs.(1)

Dans ce contexte il convient de ne pas en rester là et  de lier plus que jamais les questions d’emploi et de croissance avec celles de l’Europe. L’euro fort condamne notre industrie et pénalise nos exportations au moment où  nos entreprises ont besoin de regagner des parts de marché. Les nouveaux instruments mis en place par le gouvernement Ayrault : pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, contrats d’avenir et de génération et la loi de sécurisation de l’emploi ne pourront produire d’effets de levier qu’à la double condition de s’accompagner d’un contrôle exigeant sur leur mise en oeuvre et d’une inflexion forte de notre politique à l’échelle de l’Europe.

Sortir de l’euro cher et refuser la logique d’austérité imposée par la finance restent bien les deux tâches les plus urgentes du moment!

Xavier Dumoulin

(1) sur le mouvement de flexibilisation lire les très riches développements d’Alain Supiot, membre de l’Institut, dans son ouvrage « Critique du droit du travail »-PUF-éditions Quadrige-juin 2011 ( les pages 170-177 sur l’entreprise source de droit).

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