avril 2015

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Commentaire du discours de Bayeux, par Jean-Pierre Chevènement

Créé par le 12 avr 2015 | Dans : Articles de fond, Blog du Che

Rédigé par Chevenement.fr le Jeudi 9 Avril 2015 et publié sur son blog

 Commentaire du discours prononcé par Charles de Gaulle à Bayeux, par Jean-Pierre Chevènement, au Théâtre de Cergy, le 08 avril 2015.  

I. Première partie du discours de Bayeux : La légitimité.[1]  
Cette première partie du discours de Bayeux est d’abord une affirmation de la légitimité incarnée par de Gaulle dès le 18 juin 1940. Elle contrarie la mode qui s’est instituée depuis qu’en juillet 1995 Jacques Chirac a déclaré à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv : « La France a commis l’irréparable », la France et non pas « l’Etat français ».  
Pour de Gaulle, au contraire, le gouvernement Pétain, pourtant nommé par le Président de la République de l’époque, Albert Lebrun, le 16 juin 1940, perd sa légitimité dès le lendemain 17 juin quand Pétain demande à Hitler à connaître les conditions de l’armistice.  
- Premier point. De Gaulle explicite sa pensée dès le 18 juin et plus encore le 22 : « La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre car cette guerre est mondiale » (18 juin).  
- Deuxième point. « Ce n’est pas seulement l’honneur mais c’est aussi l’intérêt de la France de continuer le combat. Que resterait-il de la France si elle se retirait d’une guerre mondiale où le camp de la liberté aurait fini par triompher ? » (22 juin). J’insiste sur cette vision : l’Etat pour être légitime doit reposer sur l’intérêt de la nation. Cette guerre est mondiale : elle entrainera tôt ou tard les Etats-Unis et l’URSS, elle-même dans le camp des Alliés.   En trahissant l’engagement pris vis-à-vis de la Grande-Bretagne de ne pas conclure une paix séparée, le gouvernement du Maréchal Pétain commet une erreur politique et une faute morale.  
 
Une erreur politique en ce qu’il circonscrit le conflit à l’Europe occidentale. Mussolini commet la même erreur, en attaquant la France le 10 juin 1940. Sinon, comme Franco, il serait mort dans son lit. Mais Pétain méconnait plus encore le sens idéologique de l’affrontement avec l’Allemagne nazie. La politique de collaboration qu’il proclame à Montoire, en octobre 1940, à peine trois mois après la conclusion de l’armistice, va le conduire à prêter le concours de sa police, à la répression de la Résistance, et à la politique hitlérienne d’extermination des Juifs, avec la rafle du Vel’ d’Hiv en avril 1942.   Les formes de la démocratie sont apparemment respectées par Pétain puisque le Congrès réunissant la Chambre des Députés et le Sénat à Vichy le 10 juillet 1940 donne son accord, par 569 voix contre 80 seulement à la dévolution de tous les pouvoirs au Maréchal. Ce faisant, l’acte constitutionnel du 10 juillet met ainsi la République en congé : il donne à Pétain proclamé Chef de l’Etat français tous les pouvoirs exécutif et législatif, et notamment celui de proclamer une nouvelle Constitution. Ce « coup d’Etat » fomenté au sein du gouvernement Reynaud avec l’appui du Chef d’Etat-Major des Armées, le général Weygand, en vue de la capitulation devant l’invasion étrangère ne peut fonder une légitimité.  
Ainsi, pour de Gaulle, la servitude ne conserve que « l’apparence de la souveraineté réelle ». Celle-ci est transportée du côté de la France qui résiste, du côté de ceux qui n’ont « jamais cédé ». Car jamais la France « ne crut que l’ennemi ne fût point l’ennemi ». C’est ici qu’intervient l’adhésion, « l’assentiment de l’immense masse française », deuxième critère de l’Etat légitime mais qui pour de Gaulle vient évidemment par surcroit. Car il faudra attendre 1944 pour que de Gaulle recueille l’assentiment explicite de l’immense masse. Au mieux il faudrait dire que se forme progressivement à partir de 1941 un assentiment implicite. De Gaulle a anticipé ce deuxième fondement de la légitimité. Cette conception de la légitimité est à la base des institutions de la France libre, du Comité français de Libération nationale constitué en juin 1943 en Afrique du Nord et du Gouvernement provisoire de la République française proclamé le 3 juin 1944, trois jours avant le débarquement.  
C’est donc à Bayeux que le Général de Gaulle, refusant le projet d’une administration américaine des territoires libérés, installe, le 14 juin 1944, François Coulet comme premier Commissaire de la République du gouvernement provisoire, huit jours seulement après le débarquement. C’est devant l’accueil enthousiaste réservé à de Gaulle par la population que le gouvernement des Etats-Unis se convainc qu’il doit renoncer à considérer la France comme un pays occupé.  
Cette conception de la légitimité maintenue contre vents et marées depuis 1940 par le Chef de la France libre lui fera répondre le 25 août 1944 à Georges Bidault, Président du CNR, qui lui demande de proclamer la République du balcon de l’Hôtel de Ville de Paris libéré : « Je n’ai pas à proclamer la République : elle n’a jamais cessé d’exister ».  
L’ordonnance du 9 août 1944 rétablit les lois de la République comme seules lois légitimes depuis 1940, et déclare nuls et non avenus les actes de Vichy. Le Général de Gaulle, par un déni magnifique, fait comme si la France libre et la Résistance avaient seules libéré la France. Il omet volontairement le rôle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il n’hésite pas à dire : « Partout où paraissait le Croix de Lorraine s’écroulait l’échafaudage d’une autorité qui n’était que fictive ». Ce déni n’est-il pas lui-même une fiction, la traduction d’une volonté d’effacer à tout prix le souvenir de l’effondrement de juin 1940 ?   De Gaulle se place exclusivement du point de vue de la France. Il dit : « La désastre de 1940 n’est qu’une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d’avant-garde ». « Avant-garde » le mot est pesé : en 1940 la France ne peut compter ni sur les Etats-Unis englués dans leur isolationnisme et qui en 1936 font connaitre leur opposition à une intervention militaire de la France pour s’opposer à la réoccupation par Hitler de la rive gauche du Rhin, pourtant démilitarisée par l’une des clauses du Traité de Versailles, seule occasion où la France eût pu abattre le régime nazi.  
La France en 1940 n’a pas pu davantage compter sur l’URSS fourvoyée dans le pacte Hitler-Staline d’août 1939, ni même sur la Grande-Bretagne qui, dans le bataille de France, n’a mis en ligne que huit divisions et a refusé d’engager son aviation pour la réserver à la bataille d’Angleterre qu’elle pressentait devoir suivre. C’était sa raison d’Etat.  
La France est seule. Elle est de surcroît divisée entre les partisans de l’armistice et ceux d’un transfert de gouvernement en Afrique du Nord. En réalité la bourgeoisie française, comme toutes les bourgeoisies européennes, est partagée depuis 1933 : entre Hitler et Staline elle ne veut pas choisir. Elle préférerait un conflit entre l’Allemagne et l’URSS. Dans la guerre mal engagée avec l’Allemagne, elle choisit donc la défaite, « l’étrange défaite » dont parle Marc Bloch.  
La France, à la différence de la Grande-Bretagne, ne dispose pas du fossé anti-chars naturel que constitue la Manche. A Londres, les partisans de « l’appeasement » avec Hitler doivent céder la place à Churchill. En France, Reynaud, qui n’est pas Churchill, est vite poussé à la démission par les tenants de l’armistice dont certains vont jusqu’à parler d’un « renversement d’alliances ». De Gaulle sait tout cela pour l’avoir vécu. Mais il relie aussi, comme ancien combattant et comme historien du présent, la Seconde Guerre mondiale à la Première qu’il a faite. Pour lui, « c’est une nouvelle guerre de Trente ans ». Le pangermanisme n’a pas admis sa défaite de 1918. A travers Hitler, il veut sa revanche. Naturellement, Hitler n’est pas Guillaume II. Il introduit une discontinuité radicale dans l’Histoire allemande et européenne. A cet égard l’historien révisionniste allemand Ernst Nolte, n’a pas tort de parler d’une « guerre civile européenne », proclamée entre le communisme soviétique et le nazisme allemand.  
Mais tout cela n’enlève rien, mais au contraire renforce l’argument de de Gaulle : Il peut donc, sans heurter la vérité, décrire la France comme « l’avant-garde des démocraties ». Soulignons encore que la guerre contre le nazisme était plus que ce que Clémenceau appelait « la guerre du Droit », mais n’omettons pas les éléments de continuité entre les deux conflits mondiaux. Si la France retrouve son rang en 1945, c’est aussi parce que Churchill, lui, n’a pas oublié le sacrifice des poilus de 1914-18 et l’écrasant tribut (1,4 millions de morts, trois millions de blessés) payé par la France au cours du premier conflit mondial.  
De Gaulle incarne la légitimité parce qu’il a choisi dès le premier jour de continuer le combat, qui est celui de la France parce qu’il est celui de la liberté. Cette conception de la légitimité renvoie à l’idée que les Français peuvent se faire d’eux-mêmes et de leur Histoire. Si, comme Jacques Chirac élu Président de la République l’a dit en juillet 1995, c’est la France qui « a commis l’irréparable » lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, la France s’identifiant ainsi à Pétain, alors c’est à bon droit que de Gaulle aurait été condamné à mort et que des milliers de résistants auraient été fusillés. S’il n’avait pas voulu légitimer Pétain et délégitimer de Gaulle, ce qui n’était évidemment pas son intention, Jacques Chirac aurait dû dire que « l’Etat français », c’est-à-dire en particulier Bousquet et Laval avaient « commis l’irréparable » et que la République n’y était pour rien, comme l’avait d’ailleurs soutenu François Mitterrand jusqu’au bout. Il n’est évidemment pas question de minimiser le crime. Croit-on cependant que Bousquet eût donné son accord à Oberg, le chef de la Gestapo en France, si celle-ci n’avait pas été occupée ? Vichy s’est mis au service de l’Allemagne nazie jusqu’à lui prêter le concours des policiers et des gendarmes français pour l’accomplissement de son crime le plus abominable mais ce n’est pas une raison pour reléguer la France, même défaite, sur le même banc d’infamie que l’Allemagne nazie. Je sais que la mode aujourd’hui est à la repentance : on évoque volontiers ceux qui ont failli. On a cessé d’exalter le courage de ceux qui n’ont pas failli. Victoire posthume de ceux qui voulaient dégrader la France, l’humilier, la réduire à un rôle subalterne, la reléguer en bout de table.  
Il y a plusieurs manières de raconter l’Histoire. La seule qui convienne est de la montrer telle qu’elle a été, avec ses ombres et ses lumières mais sans renoncer à célébrer ceux qui ont donné sens à notre Histoire, d’abord par l’édification patiente de la France, ensuite par un prodigieux renversement de perspectives, par la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen, matrice des temps modernes, et enfin par la création de la République, toujours à parfaire, toujours à défendre, toujours à réinventer.  
Pétain était-il la France ? Ou de Gaulle parce qu’il a résisté dès le premier jour ? Ce n’est pas une mince question. De la réponse dépend implicitement notre capacité à continuer notre histoire et à intégrer de nouvelles générations de Français venus d’ailleurs. Comment pourrait-on s’intégrer à un pays qui ne cesse de se débiner ? Alors faisons aimer la France, comme Bernanos qui en juin 1940, ayant eu, dans son exil brésilien, un lointain écho de l’appel du Général de Gaulle, incitait ses compatriotes à « se ranger du côté de l’Histoire de France ». Il n’y a pas d’autre manière aujourd’hui de la continuer. La manière dont on enseigne ou dont on n’enseigne plus le récit national décide évidemment de la lecture qu’on fait de l’Histoire de la France dans cette première moitié du XXème siècle : brise-t-elle le récit national que la IIIème République avait fixé à travers l’Ecole et selon Lavisse – c’est-à-dire Michelet – et qui avait fait un peuple ou permet-elle de la prolonger à travers la Résistance, la refondation sociale opérée après la Libération à partir du programme du CNR, la création et l’œuvre de la Vème République, le choix enfin de construire l’Europe, mais selon quelles modalités : l’intégration à un ensemble supranational ou la confédération ? ou bien encore une construction sui generis ?  
Cette histoire n’a pas seulement besoin d’être apprise. Elle a surtout besoin d’être d’abord comprise, acceptée et endossée, si je puis dire, par la parole publique : elle pourra alors être enseignée. Si le récit national au XXème siècle redevient audible, de Gaulle n’aura pas existé pour rien, et notre Histoire n’aura pas été inutile puisque nous pourrons la continuer. C’est ainsi également qu’on refera un peuple de citoyens.
 
II. Deuxième partie du discours de Bayeux : Les institutions.
A/ Nécessité d’un « arbitre national ». [2]  
De Gaulle veut des institutions qui puissent remédier à la rivalité des partis qui obscurcit le sens de l’intérêt général.   Il entend répondre non seulement à l’abdication de la IIIème République et aux errements d’un régime d’assemblée, mais plus profondément aux secousses qui, « dans une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d’un homme », c’est-à-dire les cent cinquante ans qui séparent la Révolution de 1789 de l’effondrement de 1940, et qui ont vu se succéder sept invasions et treize régimes. Il y ajoute « la veille propension gauloise aux divisions et aux querelles », mais c’est bien à l’instabilité fondamentale de nos institutions tiraillées entre le principe dynastique qui fonde les monarchies et successivement rejeté en 1792, 1814-1815, 1830, 1848 et 1871, et les aléas plus ou moins glorieux du régime d’assemblée, qu’il entend remédier.  
De Gaulle est à la recherche « d’institutions nouvelles qui compensent par elles-mêmes les effets de notre effervescence nationale ». Certes de Gaulle fait leur part à l’opinion et au suffrage : « Il est de l’essence de la démocratie que l’opinion et le suffrage puissent orienter l’action publique et la législation ».  
Mais de Gaulle pose deux principes :   – La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, « fortement équilibrée ». En clair il refuse le régime d’assemblée où le législatif absorbe l’exécutif.   – Le deuxième principe qui étaye le premier est celui d’un « arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Mais comment établir cet arbitrage sans revenir à la monarchie dont les Français ne veulent plus ? C’est la caractéristique même des institutions nouvelles que de faire élire le Président de la République, dont les pouvoir sont considérablement étendus, par un collège plus large que le Congrès, qui réunit les deux Assemblées.  
De Gaulle pour créer cet « arbitre national » tâtonnera : en 1958 il le fera élire par un collège de notables, et, en 1962, au suffrage universel. Michel Debré parlera de « monarque républicain ».  
De Gaulle va au-devant des critiques qui lui sont faites de vouloir « un pouvoir personnel ». Il voit au contraire la menace de la dictature dans ce qu’il appelle « le trouble dans l’Etat ». Mais bien davantage il corrèle celui-ci à l’invasion étrangère. Il entend refonder un Etat capable d’empêcher une nouvelle invasion. La Vème République enfantera la dissuasion nucléaire. En 1946 à Bayeux, de Gaulle ne s’est pas encore avisé qu’il y avait pour obtenir la subordination d’un peuple un autre moyen que l’épée : la dette. De Gaulle eût-il accepté d’aliéner la souveraineté monétaire de la France dans une monnaie unique qu’elle ne contrôlerait pas ? C’est une autre affaire.  
B/ Défense et illustration du bicamérisme. [3]  
Ce passage du discours de Bayeux est une défense classique du bicamérisme.  
Une deuxième Chambre, dont pour l’essentiel, les grands électeurs sont désignés par les Conseils généraux, dits aujourd’hui départementaux, et les Conseils municipaux, corrigera l’éventuelle imprévisibilité de l’Assemblée Nationale élue au suffrage universel et fera droit aux aspirations de la vie des collectivités locales.  
On a longtemps vu, et sans doute à juste titre, dans cette défense et illustration du Sénat une arrière-pensée conservatrice. Il se pourrait bien qu’à l’avenir le Sénat apparaisse comme un frein utile à la démagogie et joue ce rôle d’équilibre qui est dans sa vocation. Clémenceau, qui avait longtemps combattu le Sénat, le définissait comme « le temps de la réflexion ». Il est vrai qu’entre temps, il était devenu Sénateur du Var.  
De Gaulle dans le discours de Bayeux propose d’introduire dans la composition du Sénat des représentants des grandes activités du pays. Il reprendra cette proposition dans le projet qu’il soumettra au référendum en avril 1969. Mis en minorité, le Général de Gaulle se retira en vertu d’un principe implicite : l’arbitre national qu’était le Président de la République devait toujours jouir de la confiance populaire. Cet usage républicain des institutions de la Vème République devait ensuite tomber en désuétude avec la pratique de la cohabitation ou l’affirmation que l’autorité d’un Président de la République n’était pas engagée par le résultat d’un référendum. Quant à la composition du Sénat, elle résulte toujours d’un collège électoral émanant des collectivités territoriales même s’il fait davantage de place aux grands électeurs des Régions, des départements et des communes peuplées. Les sénateurs sont désormais élus à la proportionnelle dans les départements qui élisent au moins trois sénateurs. Le projet d’introduire des socio-professionnels est tombé aux oubliettes. Il est vrai qu’il y a un Conseil économique, social et environnemental qu’il faudrait évidemment supprimer si le précédent projet devait un jour revenir à la surface.  
C/ Pour une Vème République un peu plus parlementarisée. [4]  
La hantise du Général de Gaulle, c’était le gouvernement des partis, la dissension à l’intérieur même de l’Etat. Aussi va-t-il de soi à ses yeux que le pouvoir exécutif ne saurait procéder du Parlement « sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le gouvernement ne serait bientôt plus qu’un assemblage de délégations ». Et de Gaulle poursuit : « L’unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France sont des choses sacrées […]. Comment seraient-elles maintenues […] si chacun des membres du gouvernement n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ? »  
J’ai vécu personnellement cette expérience sous le gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac où le Premier Ministre tenait son autorité d’une majorité au Parlement entre le PS, le PCF et les Verts. Elle ne mettait pas le gouvernement à l’abri des chantages. J’avais posé moi-même en 1983 cette forte maxime qu’on rappelle souvent : « Un ministre, ça ferme sa gueule, si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». On omet toujours de rappeler dans quel contexte : c’était en février 1983, à la veille d’un arbitrage décisif pour ou contre l’alignement du franc sur le mark plus fort, surévaluation qui ne pouvait que gravement pénaliser notre industrie, compte tenu des différentiels de compétitivité et d’inflation entre les deux pays.   Revenons à De Gaulle : comment faire que « des institutions […] procède l’ordre dans l’Etat » ? Le principe qui fondera plus tard les institutions de la Vème République est posé à Bayeux le 16 juin 1946 : « C’est du Chef de l’Etat placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large, que doit procéder le pouvoir exécutif.  
Au Chef de l’Etat d’accorder l’intérêt général, quant au choix des hommes, avec l’orientation qui se dégage du Parlement ».  
Suit l’énumération de ses missions :   – A lui d’exercer « l’influence de la continuité […] dont une nation ne se passe pas ».   – A lui de « servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine… ». On sait que c’est ainsi, par une dissolution de l’Assemblée Nationale, que le Général de Gaulle sortit de la crise de mai 1968.   – « A lui, enfin, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France ». Réminiscence de juin 1940. L’article 16 lui confiant les pleins pouvoirs ne fut, en fait, exercé qu’une fois, après le putsch des généraux de l’OAS à Alger le 21 avril 1961, pour une durée de cinq mois, le temps que la rébellion fût définitivement matée.  
Comment faire que le Président de la République soit vraiment le garant de l’intérêt général ? Le Général de Gaulle avait taillé un costume à sa mesure. Une fois la crise algérienne surmontée, il s’avisa que, du centre gauche à la droite, de Guy Mollet à Pinay, les chefs des partis qui avaient dominé la IVème République, considérant l’intermède comme terminé, allaient trouver, dans le collège relativement restreint chargé d’élire le Président de la République, la majorité qui leur permettraient de choisir à de Gaulle un successeur. Ce fut le fameux « diner de l’Alma », à l’été 1962. De Gaulle répliqua en soumettant au référendum le projet d’élire désormais au suffrage universel le Président de la République.  
Depuis 1965, les Français élisent donc directement au suffrage universel le Président de la République. Ayant exercé huit fois ce pouvoir, il est peu probable qu’ils y renoncent par référendum, et on ne voit pas un Congrès capable de les priver, à la majorité des deux tiers, de cette prérogative : les taux de participation sont plus élevés à l’élection présidentielle qu’à toute autre élection.  
Ce mode de scrutin assure-t-il pour autant que le Président de la République devienne ainsi « l’homme de la nation » pour reprendre une autre définition célèbre de la fonction par le Général de Gaulle ? Celui-ci, mis en ballotage par F. Mitterrand au premier tour de l’élection présidentielle de 1965, mesura rapidement que les partis allaient prendre leur revanche en s’adaptant à la présidentialisation des institutions.  
Le mode de scrutin majoritaire allait d’abord favoriser la bipolarisation et les partis dit « de gouvernement » allaient présidentialiser leur fonctionnement. Ce fut chose faite, pour le Parti socialiste avec le Congrès d’Epinay (1971), et pour la droite avec la création du RPR par Jacques Chirac au lendemain de l’élection présidentielle de 1974. On se rappelle que Jacques Chirac était le patron du RPR en 1988 et 1995, que Lionel Jospin, à la même date, avait été, sept ans durant, le premier secrétaire du PS que F. Mitterrand avait choisi en 1981 pour lui succéder, que Nicolas Sarkozy s’empara de l’UMP dès 2004 et qu’enfin F. Hollande avait été pendant dix ans premier secrétaire du PS, de 1998 à 2008 avant d’être candidat à l’élection présidentielle de 2012. Conçue pour faire obstacle au retour du gouvernement des partis, la Vème République a fini par y revenir. Tout parti qui veut exister porte un présidentiable à sa tête. A tort ou à raison, la préparation des élections présidentielles donne lieu à d’âpres discussions d’Etats-majors pour savoir, dans chaque camp, qui sera candidat ou ne le sera pas.  
Alors, l’intuition initiale du Général de Gaulle n’aura-t-elle tourné qu’à un immense échec, livrant à nouveau l’Etat aux combinaisons des partis ?  
Il me semble que la réponse doit être plus nuancée. D’abord l’élection au suffrage universel par le peuple tout entier donne au Président de la République une légitimité incomparable. Il est d’ailleurs frappant que le Président est sorti du rôle qui lui est fixé par la Constitution. Il est devenu, avec le Président Sarkozy, « un président qui gouverne ». On lui a d’ailleurs reproché cette conception d’une « hyperprésidence » et il a été mis en minorité en 2012 par le suffrage universel. Il est vrai que la réduction de sept à cinq ans, décidée en 2001, du mandat présidentiel allait dans ce sens. Ce fut une erreur, je le confesse, pour l’avoir moi-même préconisée à l’époque. Si l’on veut que le Président reste « l’homme de la Nation », le temps long du septennat lui convient mieux que le mandat de cinq ans qui rapproche la France du « temps de respiration » considéré comme normal dans la plupart des autres démocraties. Le peuple français n’est pas n’importe quel peuple.  
L’excessive concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République et du gouvernement qu’il nomme a conduit à l’étiolement de la vie parlementaire. Certains en sont venus à préconiser une VIème République. Soit sous la forme d’un régime présidentiel : ainsi Jack Lang préconise-t-il la suppression du droit de dissolution ; soit de manière peu réaliste à mes yeux, sous forme d’un retour pur et simple au régime parlementaire.   Je ne crois pas à ces formules parce que je crois en la sagesse de Solon : « dites-moi d’abord pour quel peuple vous voulez faire des institutions ». Le régime présidentiel, même aux Etats-Unis, conduit à des blocages. Le régime parlementaire en France a, sauf exceptions, au début de la IIIème République, conduit au régime d’assemblée. Celui-ci s’est d’ailleurs révélé comme pouvant donner le meilleur : ce fut le cas avec Clémenceau de 1917 à 1920, ou le pire : juin 1940. On voit bien aujourd’hui qu’avec le multipartisme renaissant en France et ailleurs, les contrats de majorité peuvent tenir bon en Allemagne : ainsi entre le SPD et les Verts de 1998 à 2005 / ou entre la CDU et le FDP de 2009 à 2013 / ou encore à travers une formule de grande coalition CDU-CSU-SDP de 2005 à 2009, et aujourd’hui depuis 2013. Il en va de même en Grande-Bretagne entre les Conservateurs et les libéraux démocrates. Mais cela tient à l’Histoire de ces nations. En France, pays de la Révolution, il en va différemment : ainsi la petite coalition PS-Verts s’est brisée en cours du mandat de F. Hollande et le rabibochage n’est pas sûr. La propension aux querelles gauloises est toujours présente et déconseille un régime d’assemblée dont le peuple aussi bien ne voudrait pas.  
Il me semble que nos institutions, en plus d’un demi-siècle, ont montré leur plasticité mais ont aussi beaucoup évolué :  
- La législation, dans la majorité des textes adoptés par le Parlement, transpose les directives de Bruxelles, sur lesquelles aucun vrai contrôle démocratique ne s’exerce. La plupart de ces directives sont élaborées à partir de traités obsolètes qui codifient le néolibéralisme triomphant des années 1980-90 – Acte Unique et traités de Maastricht – ou reprennent les dispositions du projet de Constitution européenne rejeté par le référendum du 29 mai 2005 – Traité de Lisbonne adopté en 2008 par un Congrès où la majorité de M. Sarkozy n’a pu l’emporter qu’avec le soutien implicite du PS.   D’énormes délégations de compétences ont été consenties à travers de vrais dénis de démocraties à des oligarchies imprégnées d’esprit néolibéral sur lesquelles, je le répète, aucun contrôle démocratique ne s’exerce. Un dernier exemple : le Traité budgétaire européen négocié en mars 2012 par Nicolas Sarkozy et ratifié en octobre, sous son successeur, sans aucune négociation véritable.  
- Une deuxième évolution frappante de nos institutions depuis cinquante ans est caractérisée l’accroissement phénoménal des pouvoirs du Conseil Constitutionnel, véritablement érigé en troisième Chambre. Sa place dans nos institutions et sa composition méritent d’être débattues, repensées et profondément recadrées.  
- Le Parlement a rarement été aussi diminué qu’il l’est aujourd’hui. Si je ne suis pas pour ma part partisan d’une VIème République, je suis partisan d’une Vème République plus parlementaire, bref d’un retour aux sources de la Constitution de 1958.   Le Président doit redevenir à la fois l’homme de la Nation et un arbitre. Un arbitre fort (bien sûr, pas un arbitre sportif !) Il faudrait me semble-t-il renforcer les pouvoirs du Premier Ministre pour tout ce qui ne relève pas des compétences de politique étrangère et de défense qui sont, par excellence, celles du Président de la République.  
Un allongement à six ans du mandat présidentiel renforcerait le rôle du Président, au-dessus des partis, et revaloriserait la fonction du Parlement : ainsi seraient mieux marquées les origines et les fonctions différentes du pouvoir présidentiel et du pouvoir de l’Assemblée Nationale. On pourrait aller plus loin : introduire des élections de mi-mandat, comme il existe des élections de « mid-terms », aux Etats-Unis, tous les trois ans et non pas tous les deux ans. Ainsi serait mieux marquée la vocation des différents pouvoirs : Au Président de la République d’assumer la continuité de l’Etat. Au Parlement d’influer sur la législation et sur l’orientation politique générale, en réduisant autant que possible les secousses. Il me semble que celles-ci, prévisibles, pourraient être ainsi mieux amorties. Le pouvoir de dissolution subsisterait selon des modalités ajustées.  
Reste l’essentiel : Rien ne remplacera, en fait, la vertu des hommes. Même désigné par un parti, le Président de la République doit se souvenir qu’il est d’abord et avant tout, comme l’avait voulu de Gaulle et comme le réclame le pays, « l’homme de la Nation ».  
Enfin, le maintien du droit de dissolution dans les mains du Président de la République ne doit pas faire oublier aux parlementaires qu’ils peuvent censurer, et donc renverser, le gouvernement. Certes, cela n’est arrivé qu’une fois en septembre 1962 : l’Assemblée ayant censuré le gouvernement a été dissoute. Les députés, pour beaucoup, n’ont pas été réélus. Ils se le sont donc tenus pour dit. C’était il y a plus de cinquante ans. Mais l’amour d’un mandat doit-il passer avant l’intérêt général, si tant est qu’on le croit malmené, comme je l’entends dire par quelques députés frondeurs ? C’est peut-être le 49.3 qu’il faudrait abolir. Cela obligerait le gouvernement et la majorité à se mettre d’accord. Il reste en effet une procédure, par laquelle le gouvernement peut engager sa responsabilité devant le Parlement. Cela suffirait. Ou plutôt des hommes courageux suffiraient. Comment imaginer qu’après avoir voté la confiance, les parlementaires refusent un compromis que le gouvernement jugerait nécessaire ? Alors resterait l’arme de la dissolution – la moitié des députés n’étant réélus que pour trois ans par exemple, l’autre pour six. La suppression du 49.3 redonnerait un peu de pouvoir au Parlement. Il faut savoir ce que l’on veut.  
Voilà le commentaire que je fais, soixante-neuf ans après, du discours de Bayeux, un vrai discours d’homme d’Etat. Il serait bon de poursuivre le dialogue, en restant à cette hauteur.  
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[1] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Dans notre Normandie […] notre pays se trouve si souvent exposé. »   [2] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l’Etat […] soit étable un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. »   [3] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois […] la voix des grandes activités du pays. »   [4] Discours de Bayeux du Général de Gaulle, 16 juin 1946. Commentaire du passage « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif […] des fécondes grandeurs d’une nation libre groupée sous l’égide d’un Etat fort. »
Rédigé par Chevenement.fr le Jeudi 9 Avril 2015 et publié sur son blog

« Faut-il sauver l’euro ? » : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC

Créé par le 11 avr 2015 | Dans : Economie, Fédérations MRC d'Aquitaine, Pour une autre Europe, Projet politique

 

Le Mouvement Républicain et Citoyen organisait mercredi 28 janvier à l’Assemblée nationale la première de ses Rencontres, sur le thème « Faut-il sauver l’euro ? ». Voici la retranscription des échanges.  


"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Intervenants : Guillaume Balas, député européen, secrétaire général d’« Un monde d’avance » ; André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale ; Bastien Faudot, secrétaire national du MRC ; Romaric Godin, rédacteur en chef adjoint à La Tribune ; Pierre-Alain Muet, député PS du Rhône, économiste ; Christophe Blot, OFCE, animateur.  
 

Ouverture de Jean-Luc Laurent

Cette manifestation initiée par le Mouvement Républicain et Citoyen est la première du genre. En effet, il nous a semblé utile d’ouvrir un cycle de débats sur les grands défis qui se posent actuellement à notre pays et que l’actualité met de plus en plus en exergue. Je soulignais d’ailleurs lors du débat relatif au projet de loi « Macron » que nous étions pris en tenaille entre la situation grecque et les éléments de conjoncture que nous connaissons actuellement. Je pense notamment  à la baisse du cours de l’euro ou encore à la baisse du coût des matières premières. Quel est le point intrinsèque ? Quelle est la réalité au regard du dollar ? Cette situation est-elle durable ? Doit-elle nous conduire à mettre de côté certaines réflexions ? A l’évidence non. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi comme thème de cette première rencontre « Faut-il sauver l’euro ? » puisque cette question se pose aujourd’hui avec acuité.  
Lorsque nous avons décidé de retenir l’euro comme premier sujet à la fin de l’année 2014, nous nous disions qu’il fallait aussi parler de cette monnaie par temps calme. Cependant, le mois de janvier est loin d’être calme. Le débat m’apparait en effet plus nécessaire que jamais puisqu’une fenêtre s’est entrouverte contre les politiques d’austérité en Europe avec la victoire d’un nouveau gouvernement décidée par le peuple grec. Cette décision interroge les fondements mêmes de la monnaie unique car la situation de la Grèce ne doit pas être réduite au pays à lui seul. Il s’agit en effet d’un problème européen. La question posée repose par conséquent sur la nature de la construction européenne et sur celle de l’euro. Le MRC a d’ailleurs tendance à penser qu’il faut changer l’Europe et l’euro et donc qu’il faut changer l’euro pour changer l’Europe.  
Avant de laisser la parole à nos intervenants, je tenais à vous souhaiter la bienvenue pour cette première, sachant que nous vous ferons d’autres propositions de rencontres sur de grands sujets. J’aimerais également rendre hommage à Bernard Maris qui nous a quittés dans des conditions odieuses et tragiques en début d’année. Il avait à cœur, plus qu’aucun autre, de rendre l’économie accessible, de la rendre à son objet et à sa dimension politique et civique. Lutter contre les évidences du temps était pour lui la seule politique possible. Il en parlait d’ailleurs avec brio et sa voix nous manque. Cette exigence est orpheline et d’autres économistes, politiques, journalistes ou intellectuels vont désormais devoir reprendre le flambeau. Les citoyens en ont besoin. Je tenais à le souligner ce soir.  
Place donc à cette première rencontre qui sera animée, et je l’en remercie, par Christophe Blot de l’OFCE.  
Enfin, je remercie tous les intervenants qui ont compris l’esprit de ces rencontres. Il ne s’agit pas de paroles au nom de partis ou d’institutions. Ces paroles doivent être libres et doivent permettre de nourrir une réflexion. C’est en tout cas dans ce but que le MRC a voulu initier ces débats. Je salue Jean-Pierre Chevènement, Marie-Françoise Bechtel et Christian Hutin, membres du MRC, ainsi que les députés membres du groupe SRC ou du Front de gauche, Jean-Pierre Blazy, Marc Dolez, Patrice Prat, Nathalie Chabanne, Arnaud Leroy, Kheira Bouziane ou encore Isabelle Bruno, qui nous font l’honneur d’être présents. Merci à vous tous.  
 

Christophe Blot

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Ma tâche sera double. Elle consistera d’une part à donner les temps de parole à nos cinq intervenants et de l’autre à faire un propos introductif pour situer ce débat dans le contexte actuel. Je vous propose également de limiter les interventions de 10 à 15 minutes, de façon à laisser la place aux questions dans la salle et de pouvoir ensuite y répondre.  
Il faut tout d’abord se demander pourquoi nous nous posons la question de sauver l’euro aujourd’hui, même si la réponse semble relativement évidente. En effet, au-delà même de l’actualité grecque, il faut aussi tenir compte de la situation économique de la zone euro, qui traverse la crise économique la plus forte depuis la grande dépression. Certes, ce n’est pas la seule économie à traverser cette crise, cependant elle y reste engluée, à la différence d’autres pays industrialisés. Il est donc bon de donner quelques chiffres pour illustrer le décalage entre la zone euro et les Etats-Unis.  
Concrètement, la zone euro est aujourd’hui en retard de plus de 5 points par rapport aux États-Unis en termes de PIB par habitant, comparé à 2007. De la même façon, le niveau d’activité enregistre 3,5 points de retard pour la même période. Pour ce qui est des performances de croissance de l’année 2014, même si la zone euro est sortie de la récession, elle croît cependant beaucoup moins vite que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Par ailleurs, cette crise économique entraîne des conséquences sociales très fortes avec une augmentation des inégalités et de la pauvreté. C’est également une crise institutionnelle qui depuis 2008, donne lieu à de nombreuses réformes et aménagements de la gouvernance économique de la zone euro. D’ailleurs, cette situation démontre bien que la gouvernance initialement pensée dans le traité de Maastricht comportait un certain nombre de carences. Il faut par conséquent se demander si les avancées actuelles permettent d’y remédier. Enfin, cette crise économique et sociale se traduit aussi par une crise politique – nous venons de le voir avec la Grèce –, comme le révèlent les indicateurs de confiance très bas vis-à-vis des institutions européennes. Bref, les citoyens européens doutent de l’Europe et de ses institutions ainsi que de la capacité de la zone euro à promouvoir la croissance, l’emploi et l’amélioration de leurs conditions de vie.  
De fait, dans la mesure où il existe un décalage très fort entre la zone euro et les Etats-Unis, nous en arrivons à nous demander si l’euro n’est pas la cause des maux que nous traversons aujourd’hui. C’est donc la question qui nous anime ce soir. En outre, poser la question de la sortie de l’euro amène aussi à penser aux alternatives. Autrement dit, pouvons-nous réformer l’Europe dans une dynamique favorable à la croissance et à l’emploi ?  
Bien entendu, l’économiste joue un rôle important dans la participation aux débats publics, parce que la question monétaire et celle de la gouvernance économique de la zone euro laissent place à un certain nombre de mécanismes en fonction des choix politiques attendus. Malgré tout, le débat ne doit pas se cantonner à la sphère économique. Il intéresse aussi les politiques, les juristes ou encore les sociologues. Cette question relève avant tout d’un débat politique, au même titre que le fait d’être entré dans la zone euro.  
Aujourd’hui, discuter sur le fait de savoir s’il faut sauver l’euro ou réformer l’Europe est aussi une question politique et c’est le sens du débat que nous allons avoir.  
 

Romaric Godin

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Je m’interrogerai d’abord sur la question posée dans ce débat. D’après ce que l’on peut lire dans la grande presse, l’euro a déjà été sauvé par deux fois. D’abord en 2010, avec la création des mécanismes dits abusivement « de solidarité entre les pays », qui sont en fait des mécanismes de cavalerie financière. Et puis Mario Draghi l’a sauvé en 2012 via l’arme magique de l’opération monétaire sur titres (OMT), qui à mon avis ne sera jamais utilisée car cela pose beaucoup de problèmes.  
Mais qu’a-t-on sauvé avec l’euro ? Aujourd’hui, il apparait de plus en plus clairement aux yeux des citoyens européens que l’on a sauvé d’abord une construction brinquebalante de pays qui sont ensemble sans l’être vraiment. Ils sont chacun responsables de leur propre budget, ils doivent faire seuls leurs ajustements, jugés ensuite suffisants ou non par la Commission. Les déséquilibres entre les pays de l’union monétaire continuent à exister, et même se creusent. Cette construction, il faut le dire, profite pour le moment, et les chiffres le prouvent, à un pays qui est l’Allemagne, et c’est sans doute pour cela que l’on a sauvé l’euro.  
La deuxième chose que l’on a sauvée est une forme de technocratie imbibée d’une idéologie à l’agonie. Je vous rappelle en effet que la crise que nous vivons actuellement est la suite de la crise de 2007-2008, et cette crise a été provoquée non par l’Etat mais par la dérégulation financière. Or la pensée néo-libérale est celle qui domine encore aujourd’hui à la Commission et que l’on tente d’imposer aux pays membres de la zone euro.  
Comment a-t-on sauvé l’euro ? On l’a sauvé, d’abord, par une politique de rustines. En effet, on se garde bien de réfléchir à ce qu’est et ce que devrait être une union monétaire et l’on veut absolument garder cette construction brinquebalante dont je disais qu’elle profite principalement à l’Allemagne. L’exemple même de ces rustines, c’est le « sauvetage » des pays endettés. La Grèce a aujourd’hui un endettement, rapporté à son PIB, identique à celui qu’elle avait avant la douzième restructuration de sa dette, au cours de laquelle on a éliminé les trois quarts des dettes de certains investisseurs et 80 % de l’argent versé pour la dette est revenu aux créanciers de la Grèce.  
L’évolution de la gouvernance est un autre exemple de rustine. L’union bancaire, l’eurogroupe, ne sont que des avancées a minima. Dès que l’on doit faire un pas vers la solidarité entre les pays de la zone euro, on s’arrête et on ne fait que le strict nécessaire à la communication et au sauvetage de l’existant. Le lancement par exemple de l’assouplissement quantitatif de la zone euro et la mutualisation – on dit 20 %, mais en fait 12 % de la dette sont déjà mutualisés et seront repris par la Banque centrale européenne (BCE) – représentent 8 % de l’ensemble des rachats, contre 80 % qui seront laissés aux politiques nationales. Les États seront donc face à leur propre destin, obligés d’équilibrer leur budget par leurs propres moyens.  
L’euro a donc été sauvé par une politique de rustines et par des politiques économiques inspirées par l’idéologie dominante à Bruxelles et à Berlin, qui peuvent présenter quelques nuances, mais qui globalement s’accordent sur l’essentiel. Ce sont des politiques asphyxiantes pour l’économie puisqu’on ne regarde que le processus de consolidation budgétaire et – croit-on – de désendettement. En fait, on augmente la dette et ce n’est pas un hasard si l’Europe est encore en crise six à sept ans après le début de cette crise. C’est en grande partie à cause de la façon dont la zone euro est construite, et à cause de la façon dont elle a été sauvée. Les politiques d’austérité ont entrainé une dévastation de la confiance de tous les agents économiques de cette zone, alors même que l’austérité et la baisse des déficits budgétaires, idéologiquement, étaient censées rétablir la confiance.  
En troisième lieu, le sauvetage de l’euro s’est fait par la neutralisation de la démocratie – jusqu’à dimanche dernier au moins, et peut-être pour plus longtemps – en imposant les décisions économiques que je viens de décrire aux peuples en dépit des choix qu’ils pouvaient faire. Le Parlement chypriote a voté contre le plan de sauvetage ; il a dû finalement l’accepter avec des modifications marginales sous peine de sortir de l’euro en catastrophe. Des élections ont eu lieu au Portugal et en Espagne ; les deux grands partis ont été priés de se mettre d’accord avent les élections pour s’engager à respecter les politiques économiques décidées par les instances de la zone euro.  
Cet euro qui a été sauvé est donc dominé par l’idéologie, et d’une certaine façon par la foi. Le commissaire Katainen expliquait cet après-midi que le plan Junker allait créer 1,3 million d’emplois dans la zone euro. On peut y croire comme on croit à l’Immaculée conception, mais cela ne tient pas. On se rend compte que toute la structure de la zone euro ne tient qu’à cette sorte de foi dans le fait qu’elle représente l’Europe, et qu’il n’y a pas d’Europe possible sans cette structure technocratique, sans ces politiques d’austérité néo-libérales.  
Comme cela ne fonctionne pas sur le plan économique, il faut trouver des alternatives. Il y en a deux. La première, c’est la sortie de la zone euro, assez lourde sur le plan économique, mais qui peut se faire de façon intelligente et se décliner de diverses façons. Chaque pays peut revenir à une politique monétaire indépendante, mais on peut aussi prévoir des mécanismes d’ajustement et de collaboration entre eux. La sortie de l’euro ne signifie pas que les pays réarment immédiatement et se font la guerre. Cette idée relève elle aussi de l’idéologie et de la foi dans un mythe européiste qui domine à Bruxelles aujourd’hui.  
La deuxième option, plus proche de nous aujourd’hui, est celle d’une réforme dans un sens plus solidaire, en créant une véritable économie de la zone euro. Cela avait été proposé en partie par Mario Draghi au mois d’août dans son discours de Jackson Hole. La proposition était de réfléchir ensemble à la façon de faire repartir l’économie de la zone euro, en élaborant un plan de relance intelligent là où c’est nécessaire, la politique monétaire venant soutenir ce plan de relance. Il a rajouté les réformes structurelles parce qu’il est Mario Draghi et qu’il ne peut pas faire autrement, mais cela avait un sens, et surtout cela structurait une économie au sein de la zone euro.  
C’est un peu cela que veut faire Syriza, qui considère que l’État grec n’est pas en mesure d’investir en Grèce aujourd’hui, et pour qui il faut que ce soit l’Europe qui le fasse et que cela s’inscrive dans un plan d’investissement européen. Une réflexion est nécessaire autour de cette zone euro, vue comme un ensemble économique cohérent, et il faut évidemment des solidarités internes, ce qui suppose que les peuples acceptent de payer les uns pour les autres. Le problème est qu’aujourd’hui – et l’on revient toujours au même écueil – il y a un peuple qui ne veut pas payer pour les autres, c’est l’Allemagne. Ceci dit, il n’est pas sûr non plus que les Français veuillent payer pour les autres. Néanmoins, c’est clair en tout cas pour les Allemands, et ils mènent leur politique dans ce sens.  
Cette deuxième option, qui est la plus cohérente – à partir du moment où on a fait l’euro, faisons une vraie économie de la zone euro – est peut-être la plus proche, et je voudrais terminer en disant que l’on se trouve au cœur du débat aujourd’hui, puisque la Grèce proposera cette option. Le paradoxe est que les pro-européens – ceux qui prônaient le fédéralisme, selon qui il fallait accepter le pouvoir de la Commission parce que c’était un pouvoir fédéral qui représentait l’intérêt commun de la zone euro, etc. – se retrouvent vent debout contre un pays qui proposera non pas seulement la mutualisation de la dette mais aussi une solidarité interne entre les pays et, ce faisant, propose une zone euro cohérente, avec des liens qui ne se résumeront pas simplement à des relations entre créanciers et débiteurs. Il est intéressant de constater que les pro-européens, aujourd’hui, refusent la création d’une véritable fédération européenne. Cela prouve qu’ils ne défendent qu’une chose, cette superstructure néo-libérale qui aujourd’hui domine à Bruxelles.  
 

Guillaume Balas

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
J’ai été élu le 25 mai dernier député européen et je siège au sein du groupe socialiste. Je suis donc à la fois en plein apprentissage et en même temps déjà dans la pratique puisque les événements sont en train de se dérouler de manière accélérée.  
Je voulais en premier lieu remercier le Mouvement Républicain et Citoyen. Nous nous côtoyons souvent dans nombre de combats, et je pense à celui de 2005, en particulier, qui a été un moment important. Cela me permet aussi de rencontrer Jean-Pierre Chevènement, c’est la première fois et j’en suis ravi, étant comme beaucoup de ma génération un lecteur assidu de ses analyses et de ce qu’il préconise. Lorsque l’on est député européen, c’est important pour comprendre la géopolitique aujourd’hui.  
On peut dire que c’est vraiment le bon moment pour débattre de la question de l’euro, avec ce qui s’est passé dimanche et les réactions que cela provoque. C’est bien au-delà de la question de l’euro que les questions se posent, et cela a été bien dit. Il y a la question de l’Union européenne et de son devenir, des transformations potentielles qu’elle peut subir, d’ailleurs, dans un sens ou dans un autre, que l’on n’attendait plus, étant plongés dans une sorte d’apathie depuis quelques années.  
Il faut rejeter, laïques comme nous sommes, tout dogme aujourd’hui. Il faut réfléchir de façon rationnelle, à partir des valeurs que nous avons, au devenir commun que nous souhaitons et pour lequel nous combattons. Il faut éviter absolument le double discours religieux qui est de faire de l’Europe le grand Satan qui serait la cause de toutes nos difficultés, comme de faire de l’Europe le dogme de substitution à la fin des espérances de transformation sociale et en faire l’acmé de toutes les batailles. C’est un objet laïque, un objet politique et c’est bien ainsi qu’il faut y réfléchir.  
Sur la question de l’euro, qui est maintenant majeure et cruciale, mon analyse personnelle, et elle ne va pas être originale, c’est qu’il y a à l’origine un défaut de conception. Une monnaie peut difficilement se concevoir sans les instruments macro-économiques qui l’accompagnent. Imaginons qu’il n’y ait pas eu d’État français au moment où, en France, la monarchie a décidé d’unifier monétairement le territoire, que nous ayons laissé chaque province avec les asymétries économiques que nous connaissions et qu’il n’y ait jamais eu de redistribution des forces productives, des capacités, des investissements. Nous nous serions retrouvés très rapidement dans une crise politique majeure où la question de l’unité même de ce que nous faisions ensemble se serait posée. Or c’est bien, en partie, ce qui se passe aujourd’hui avec la zone euro. Des éléments ont commencé à avancer, cela a été évoqué, mais nous avons fait une monnaie sans nous poser du tout la question des instruments de régulation, et notamment de la façon de combattre les asymétries économiques. Aucune réflexion n’y a été portée, mis à part peut-être les pauvres Fonds structurels européens qui ne sont pas à la mesure des problèmes qui se posent.  
Pire que cela, on a enfermé la question de l’euro dans une espèce de confédération juridique où il y aurait des règles à respecter indépendamment du contexte économique, et nous avons fixé cela dans des traités, pour des questions géopolitiques que l’on pouvait comprendre, à l’époque, avec la fin de l’URSS, avec la réunification allemande. De ce fait, nous avons transformé ce qui relève de la politique en un credo juridique, que l’on retrouve notamment Outre-Rhin et qui est très difficile aujourd’hui à faire varier.  
Cet euro est-il néanmoins une abomination telle qu’il serait à l’origine de tous nos problèmes ? Je voudrais de ce point de vue relativiser les choses. J’ai trop entendu que la valeur haute de l’euro était la cause de tous nos problèmes économiques. Très sincèrement, je ne crois pas non plus que la baisse forte que nous sommes en train de vivre résoudra tous nos problèmes économiques. De ce point de vue il faut aussi être laïque dans la manière d’envisager l’euro, ce n’est qu’une monnaie. Cela n’empêche en rien de penser les difficultés propres que nous pouvons avoir d’abord, État par État, mais aussi les autres problèmes économiques que nous avons sur l’ensemble de la zone euro et de l’Union européenne aujourd’hui. Par exemple la question énergétique ne se résume pas au cours du pétrole, mais s’intègre dans une réflexion sur les moyens d’unifier l’Europe du point de vue énergétique, ce qui est la seule manière d’avoir une véritable autonomie politique.  
L’euro n’est donc pas la source de tous nos problèmes, mais il peut être à la source d’un certain nombre de ces problèmes.  
Quatre scénarii sont devant nous. Je reprendrai des éléments qui ont été dits précédemment, mais nous ne nous étions pas concertés.  
Tout d’abord, les choses peuvent-elles rester en l’état ? Ce corsetage juridique que nous, Français, avons accepté, que l’Allemagne nous a imposé, que nous trahissons tous en permanence, parce que c’est en fait invivable ? Nous passons de ce fait notre temps à mentir. J’ai été stupéfait d’entendre le président de la République expliquer qu’il fallait que la Grèce tînt ses engagements, parce que nous-mêmes avons bien des difficultés à tenir les nôtres. C’est en tout cas ce que pensent nos amis allemands. Je crois sincèrement que cela est en train d’exploser et que la victoire de Tsipras en Grèce est annonciatrice. Nous ne pourrons pas laisser les choses en l’état, et nous ne pourrons pas rester dans une espèce de confédération politique où la seule chose qui nous réunisse est la surveillance commune de nos budgets. Cela ne fonctionne pas, cela nous tue économiquement depuis cinq ans et si cela continue, il y aura une révolte des peuples qui se traduira par l’éclatement de la zone euro et sans doute même à terme de l’Union européenne.  
Cela bougera donc, mais pas forcément dans le bon sens. Il peut arriver qu’à un moment donné, cela ne fonctionne vraiment plus. Je choisis par exemple un scénario en imaginant que Tsipras a des exigences sur la dette, s’y tient, finalement, de manière extrêmement forte. Nous, Français, nous refusons ce que demande aujourd’hui la Grèce, de même que l’Allemagne. La BCE dit que c’est hors de question, etc. Nous pouvons alors arriver très rapidement à une crise où l’Allemagne elle-même considèrerait que faire un nouveau Markland avec quelques autres pays sera beaucoup plus profitable pour elle que de rester dans l’euro. Je voudrais souligner que, quel que soit le scepticisme que l’on peut avoir à propos de l’euro, ce ne serait pas forcément une très bonne nouvelle pour nous si cela se produisait. Nous nous retrouverions avec une zone monétaire intégrée très forte, de laquelle nous pourrions être exclus ou à la marge, sans alliés pour pouvoir contrebalancer cette zone.  
C’est un scénario que je crois probable. Je vais vous raconter tout de suite une anecdote. Tout à l’heure j’étais en débat sur une chaîne de télévision avec une députée CDU allemande, qui était déjà intervenue dans une émission avec Duflot, Mélenchon et Hamon. On touche du doigt que ce qui se passe dans la droite allemande aujourd’hui n’est pas de l’ordre de la rationalité – et je pense qu’Emmanuel Todt a raison de ce point de vue – mais de l’ordre de l’identité. Cette députée dit : « ne pas payer ses dettes, c’est une faute morale ». C’est ainsi qu’elle entre dans le débat. Lorsqu’on est face à des gens qui ne sont plus dans la rationalité du débat, mais dans quelque chose d’autre qui est réellement de l’ordre de la morale et de la valeur, c’est très compliqué de les faire bouger.  
Tous les Allemands et tous les partis allemands ne sont pas sur ces positions, mais la CDU, elle-même menacée par l’émergence d’Alternative für Deutschland, est un peu coincée et les socio-démocrates sont ankylosés. S’ils bougent une oreille, ils sont des traîtres à la nation, et ils sont par conséquents obligés de tenir un discours qui n’est d’ailleurs pas le même au Parlement européen que chez eux.   Il y a donc aujourd’hui une possibilité d’éclatement assez rapide de la zone euro.  
Le troisième scénario, c’est l’idée que porte le MRC de la monnaie-commune, qui consiste à réintroduire un système monétaire européen modernisé autour d’une monnaie commune, avec l’acceptation de la divergence monétaire par pays, compensée et négociée d’une certaine manière. C’est une idée qui m’intéresse, sans pour autant que j’y adhère complètement aujourd’hui. Cela peut peut-être sauver l’ensemble, si jamais nous sommes dans une crise profonde que nous n’arrivons pas à résoudre, si le quatrième scénario, que je vais développer et sur lequel j’essaierai de conclure, ne se met pas en place.  
Ce scénario constitue néanmoins, pour quelqu’un comme moi, un abandon formidable. Il suppose que l’on fasse son deuil de l’idée d’une construction politique européenne commune et intégrée, et que l’on entre dans un système fondamentalement confédéral, dans lequel l’idée de développer un intérêt général qui transcende les intérêts particuliers est plus compliquée à mettre en œuvre. C’est sans doute très réaliste, mais peut-être y a-t-il moyen de faire autre chose. Je crois que la conscience européenne est plus élevée aujourd’hui qu’on ne veut bien le dire et j’en prends pour exemple la victoire de Tsipras en Grèce. Le fait même que cette victoire ait un écho aussi profond dans toutes les populations et suscite autant de débats prouve bien qu’aujourd’hui ce qui se passe à un bout de l’Europe a des résonnances partout. Lorsque l’on se sent solidaire aujourd’hui du peuple grec, c’est parce c’est aussi de nous que cela parle. Ce qui ne veut pas dire que tous les pays se ressemblent et que tout est transposable. Il y a néanmoins quelque chose de cet ordre.  
C’est pour cela que j’aimerai me battre pour un quatrième scénario, dont je ne suis pas sûr du tout qu’il puisse se réaliser, et que peut-être il faudra à un moment abandonner pour revenir à votre raison. Je constate qu’il y a aujourd’hui un débat européen qui devient de plus en plus dur, de plus en plus franc et qui pose la question d’une véritable intégration politique et économique de la zone euro. La question sera posée et la réponse, je pense, rapidement donnée. Elle revient à répondre à la question précédemment posée : sommes-nous capables de payer pour les autres et les autres sont-ils capables de payer pour nous ? Sommes-nous capables, de manière démocratique et non pas, comme aujourd’hui, de manière complètement éloignée des peuples, de définir un intérêt général soit de la zone euro, soit de l’Union européenne, qui permette de s’appuyer sur une identité commune et des intérêts communs.  
Le défi est immense. Il ne répond pas simplement à un idéal, mais à des réalités. Je pense à l’énergie ; tant que l’on ne résout pas les problèmes énergétiques, tant que les uns sont sous domination russe, que les autres regardent vers les États-Unis pour essayer d’y échapper et que d’autres encore pensent que leur propre survie ne passe que par le développement de leur propre force énergétique, nous sommes loin de la définition de cet intérêt général. Je crois néanmoins qu’il existe aujourd’hui une possibilité progressiste pour la zone euro, à condition, évidemment, que l’on change tout !  
Il faut renégocier les traités – cela ne peut se faire qu’à petits pas –, renégocier la gouvernance de la monnaie et donner un véritable pouvoir politique sur la monnaie. C’est quand même le grand paradoxe de voir Draghi être le seul à peu près à comprendre ce qui est en train de se passer, même s’il ne faut pas non plus survaloriser ce qu’il fait. Les dernières mesures prises peuvent aussi être vues comme allant dans le sens d’un éclatement de la zone euro, puisque seuls 20 % des rachats seront mutualisés. Il faut aussi réfléchir à la façon d’harmoniser un certain nombre d’éléments, parmi lesquels la question fiscale – ne serait-ce que la lutte contre l’évasion fiscale – et la mise en place d’une véritable taxe sur les produits financiers. On avance sur ce sujet, mais très lentement, et la France est d’une ambiguïté absolue. Il y a la question de l’harmonisation sociale, qui est extrêmement importante et qui est faisable, contrairement à ce que l’on dit, avec des paramètres de convergence, pas identiques dans tous les pays, mais qui donnent les moyens de progresser.  
Je dirai, pour terminer, qu’il n’y a de mon point de vue qu’une solution pour y arriver : la France doit tout de suite et complètement sortir de cette obsession d’être toujours dans un rapport franco-allemand premier. Aujourd’hui, quand nous allons voir l’Allemagne, nous perdons d’emblée, nous n’avons pas le rapport de force pour mener. Ce qu’il faut faire est tout l’inverse, et la victoire de Tsipras nous ouvre là une « séance de rattrapage » après celle de 2012, l’élection de Hollande, que l’on a ratée puisqu’il n’a pas fait ce qu’il avait promis, et il a eu grandement tort. La France doit maintenant comprendre qu’elle doit créer des coalitions qui contraignent l’Allemagne, et non rester dans cette obsession du dialogue franco-allemand premier, qui la rend prisonnière des intérêts allemands et donc inutile du point de vue européen.  
 

André Chassaigne

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Les propos que je tiendrai, en m’appuyant sur le texte écrit parce que je ne domine pas parfaitement toutes ces questions, sont ceux que porte le Parti de la gauche européenne, présidé par Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français et dont un des vice-présidents est Alexis Tsipras. L’analyse que je ferai est celle que portent les différents partis du PGE et correspond par conséquent à ce que porte aujourd’hui Syriza.   C’est un débat très important, et nous allons essayer de vous copier en matière d’organisation de ce type de réflexion partagée, dont nous avons besoin. Nous portons souvent nos orientations et nous avons besoin d’écouter, de confronter celles des uns et des autres. Encore une fois, merci, et nous allons essayer de faire aussi bien que vous.  
Le premier constat que je voudrais faire, c’est que cette question sur le devenir de l’euro agite très fortement le débat politique depuis la crise de 2008-2009. On constate cependant trop souvent que le débat se cristallise sur l’hypothétique sortie de la monnaie-unique, avec une évacuation des causes profondes de la crise financière, économique, sociale de l’Europe. Si on se focalise uniquement sur cette perspective, on évacue la question des moyens de changer de politique en Europe. On aborde des choses avec une posture de fermeté, voire de menace de sortie de l’euro, qui démontre notre hostilité aux choix européens.  
Nous pensons qu’il s’agit d’une façon de présenter les choses qui peut être sclérosante et qui peut, si l’on n’y prend pas garde, rétrécir le débat politique. Pour nous, la question à poser n’est pas celle-ci, mais plutôt : « que faut-il faire pour favoriser un autre euro et pour refonder l’Europe sur d’autres bases ? ». Voilà comment nous abordons cette question. Il faut construire, dans les faits, un autre euro pour prendre le pouvoir sur la finance.   Le deuxième constat que je voudrais faire – cela a été dit par les intervenants précédents – c’est qu’aujourd’hui nous ne sommes plus dans un débat abstrait qui peut apparaitre comme superficiel. Il y a eu la victoire de Syriza en Grèce et cela nous conduit véritablement à prendre à bras-le-corps cette question de l’euro, avec un gouvernement grec qui veut combattre l’austérité imposée par la Troïka et dont la réussite est un enjeu concret pour toutes les forces de progrès en Europe. Il y a une exigence d’apporter des réponses et aussi une exigence de large mobilisation autour du gouvernement grec. Le 1er décembre, j’ai reçu, comme président de groupe, Grégor Gysi, président du groupe Die Linke au Bundestag, et déjà à cette date nous avons pris la décision de réunir régulièrement les présidents des groupes de notre sensibilité qui siègent dans différentes assemblées européennes. Nous pensions en effet qu’il fallait que nous ayons une démarche commune, et que l’on puisse, dans nos assemblées respectives, porter des textes qui soient les mêmes. Nous l’avions déjà fait sur une proposition de résolution, mais nous allons essayer de concrétiser cette démarche. La Grèce nous concerne tous et son devenir exige que l’on prenne les choses en main dans nos assemblées respectives.  
Pour que Syriza puisse réussir, cela exige que l’on prenne une direction complètement différente concernant l’euro. Nous pensons qu’il faut mener le combat pour une nouvelle création monétaire de la BCE – j’y reviendrai – mais une BCE qui serve non plus, comme aujourd’hui, à alimenter le pouvoir des marchés financiers, mais qui serve au contraire à s’en libérer, en réorientant radicalement l’utilisation de l’argent en Europe, et bien évidemment en Grèce puisque c’est elle qui est à l’actualité, en faveur d’une politique complètement différente. C’est sur ce thème que Syriza a mené la campagne, c’est un défi lancé aux marchés financiers, et cela exige que l’on apporte une réponse à la question qui est posée. Pour nous, la réponse n’est pas de sortir de l’euro, c’est d’aller vers un euro différent.  
Nous pensons, en effet, que la fin de l’euro entrainerait une spirale de dévaluation compétitive – je sais que c’est très discuté, les économistes en débattent – qui mettrait en concurrence encore davantage les pays d’Europe, notamment ceux d’Europe du sud, sous le regard que l’on suppose plutôt satisfait des conservateurs allemands. Nous pensons aussi que les peuples européens perdraient, avec ce choix de sortir de l’euro, toute chance de contester l’hégémonie monétaire du dollar qui fait tant de mal à la planète. C’est ce qu’Alexis Tsipras a développé pendant sa campagne. Il ne s’agit pas pour nous de « désobéir » à l’Europe, pour reprendre un terme parfois employé. Il s’agit de rassembler toutes les forces disponibles pour refonder l’Europe et obliger les institutions européennes à obéir à une volonté grandissante des peuples européens.  
Cela ne se limite donc pas pour nous à un plan d’urgence. Lorsque nous disons qu’il faut refonder l’Europe, qu’il faut un autre euro, qu’est-ce que cela signifie ? L’argent public, celui des entreprises, celui des banques, doit servir à répondre aux exigences sociales, doit accompagner le développement économique, le maintien et le développement des services publics, satisfaire les besoins dans le domaine écologique. Il s’agit de poser les bases d’une nouvelle façon de créer des richesses. Nous avons des propositions en termes de leviers et j’en citerai quelques-unes.  
Nous pensons que la priorité des priorités, c’est de changer le statut et les objectifs de la Banque centrale européenne. Elle doit être placée sous le contrôle du Parlement européen et des parlements nationaux. Le deuxième objectif, lié au premier, est que les banques centrales nationales puissent disposer d’une marge d’autonomie pour définir les crédits refinancés en priorité et les conditions auxquelles les banques de chaque pays peuvent emprunter à l’euro-système, à la BCE et aux dix-neuf banques centrales nationales de la zone euro.  
Le troisième objectif est de mobiliser les travailleurs et les citoyens, donc faire en sorte qu’existe un pouvoir d’intervention des peuples pour déterminer quels types de crédit il faut ou non encourager.  
Cela est soumis à une condition. Ce n’est pas par des réponses institutionnelles, par des réponses de partis que l’on réussira à aller dans cette direction. Nous pensons qu’il faut un développement des luttes sociales, des luttes politiques dans les différents pays d’Europe pour imposer des réorientations immédiates et des choix de politiques différentes en matière monétaire. Si cette mobilisation, qui commence à monter, on l’a vu avec la Grèce, on le voit avec l’Espagne, ne s’amplifie pas au niveau européen, nous aurons le plus grand mal parce que les marchés financiers ne sont pas prêts à abdiquer si nous ne sommes pas capables de conduire des luttes acharnées. Nous pensons néanmoins qu’il n’y a pas d’autre solution que de prendre de cette façon la question à bras-le-corps.  
Pour y parvenir, nous pensons qu’il faut réorienter les crédits bancaires. Ceux-ci vont aujourd’hui en priorité aux entreprises qui placent leur argent sur les marchés financiers et aux Etats qui mènent des politiques d’austérité. Il est urgent, selon nous, de renverser ces priorités. La BCE elle-même dit qu’elle veut cibler ses refinancements, mais les mesures qu’elle prend visent à préserver toujours les intérêts de la finance plutôt qu’à les combattre. Les choix nouveaux de la BCE, s’ils sont pris sur ces fondements, vont nous conduire à une nouvelle crise financière. Peut-on faire autrement ? Les traités actuels autorisent-ils la Banque centrale européenne à mener une politique monétaire sélective ? Nous pensons que oui, pour partie, et que la BCE pourrait, par exemple, si bien sûr le rapport des forces permet de l’arracher, mettre en œuvre un rachat massif des dettes publiques, sous condition. Il faut aller vers un audit des différentes dettes pour savoir comment elles sont construites, et leur rachat ne peut se faire que si ces dettes correspondent à un potentiel de croissance efficace socialement et écologiquement.  
C’est à ce prix, pensons-nous, que les dettes publiques peuvent être rachetées, et il faudra, en fonction de cet audit, se poser la question de l’effacement d’une partie des dettes des différents pays. La question se pose des intérêts, et lorsqu’on parle d’effacement, il s’agit surtout des intérêts de la dette. À quels emprunts, qui ont servi quels objectifs, qui ont alimenté quelles politiques ces emprunts sont-ils dus ? Il faut engager un processus de restructuration des dettes publiques pour sortir de la dépendance aux marchés financiers.  
Le deuxième point au sujet des banques concerne leur refinancement auprès de la BCE. Nous n’écartons pas, bien sûr, le refinancement des banques à un taux très bas, mais seulement pour les prêts répondant à des critères précis qu’il faudra mettre en place en matière économique – notamment concernant la création de valeur ajoutée dans les territoires – en matière sociale – sur la sécurisation de l’emploi, sur la formation – et aussi en matière écologique – quelle politique met-on en œuvre dans le domaine des économies d’énergie, des ressources nouvelles, de la transition énergétique ? Si les prêts sollicités ne vont pas dans cette direction, le coût des financements doit être très élevé, de façon à ce que l’on puisse influer sur eux en fonction de choix politiques.  
Avec Die Linke fin 2001, nous avions déposé le même jour à l’Assemblée nationale et au Bundestag une proposition de résolution commune, qui visait à créer un fonds de développement européen écologico-social qui achèterait les titres publics. Avant même de modifier les traités européens, ce fonds permettrait de financer les dépenses publiques nouvelles écologiques et sociales et d’orienter l’Europe vers un développement complètement différent de celui qui est le sien. Est-ce possible ? Nous disons que oui, dans la mesure où la BCE n’achèterait pas elle-même directement les nouveaux titres de dette publique, ce qu’interdit l’article 123-1 du traité de Lisbonne. C’est une nouvelle institution financière publique qui mettrait en application cette politique, ce qui est par contre autorisé par l’article 123-2 du traité. Cette première étape ouvrirait la voie à la construction d’un mouvement majoritaire en Europe pour une modification des traités. Ce fonds devrait avoir une gouvernance démocratique forte, c’est notre obsession de toujours plus de démocratie pour aboutir à des orientations politiques nouvelles.  
Voilà ce qu’a porté Syriza, ce que porte le Parti de la gauche européenne, ainsi que le Parti communiste français et, je pense les dix députés du Front de gauche – je ne les ai pas fait voter avant cette intervention. Il y a pour nous urgence à arracher ces évolutions, sinon le nouveau gouvernement grec échouera.  
Je terminerai avec cette belle citation de Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse ».  
 

Pierre-Alain Muet

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Je suis également impressionné par le choix des dates, effectivement, mais aussi par le fait qu’il sait faire dialoguer toutes les composantes de la gauche, et cela fait du bien.  
J’en profite pour saluer Monsieur Chevènement, qui reste pour moi le cofondateur du Parti socialiste, comme pour tous les socialistes de ma génération, et l’artisan de l’union de la gauche, à plusieurs étapes de sa carrière politique.  
On a beaucoup parlé des scénarii. Je reviendrai, quant à moi, sur la crise. Je pense que ce qui se passe, malheureusement, en Europe depuis trois ans n’a qu’un seul précédent dans l’histoire, un précédent tragique, ce sont les déflations des années 30 ; et je me demande depuis plusieurs années comment on a pu en arriver là.  
Une crise éclate en 2008, qui est presque une réplique de la crise de 29. Elle est le fruit de trois décennies de mondialisation libérale, comme cela s’était produit avant 29, avec une explosion des inégalités, merveilleusement décrite par les brillants travaux d’un économiste français que l’on ne cite pas suffisamment en France. Thomas Piketty montre que les inégalités dans le monde, avant cette crise de 2008, ont rejoint les niveaux qui existaient avant la crise de 29. Simplement on a retenu les leçons de la crise de 29, on n’a pas laissé s’effondrer le système financier, les banques, même si cela a coûté très cher. On a relancé partout pour éviter que l’économie ne s’effondre, mais en 2009, elle s’effondrait aussi fortement que pendant la crise de 29. Et puis, comme dans les années 30, une crise née aux Etats-Unis a produit ses résultats les plus désastreux en Europe. Dans les années 30, cela a été en Europe les pays s’accrochant à l’étalon or et pratiquant des politiques de déflation. Cette fois, c’est la zone euro qui est confrontée à une crise de la dette, ce qui est bizarre quand on pense que c’est une zone qui était moins endettée que les États-Unis, beaucoup moins que le Japon et qu’à l’exception de la Grèce, qui avait effectivement un problème de dette, la plupart des pays touchée par cette crise respectait les critères de Maastricht, certains avaient même un excédent, et c’est la crise qui a créé les difficultés que l’on connait.  
Ce n’est donc pas une crise de la dette, en fait c’est une crise d’une union monétaire qui n’a jamais su construire la solidarité qui va avec une union monétaire. J’ai pour ma part voté le traité de Maastricht, j’ai même voté tous les traités européens, mais je pensais qu’à partir du moment où l’on faisait le pas vers l’union monétaire, on mettait en place la solidarité qui va avec, ce qui suppose d’aller vers du fédéralisme politique, parce qu’on ne crée pas une banque centrale fédérale toute seule sans rien à côté.  
On a mis deux ans à trouver la façon de répondre aux attaques spéculatives lorsqu’une crise a touché un petit pays de la zone euro – la Grèce, c’est 3 % du PIB européen. Les marchés financiers, qui, eux, vont vite, ont vu que les pays européens n’étaient pas capables de mettre en œuvre un soutien rapide à la Grèce et ont continué à spéculer contre d’autres monnaies. C’est ainsi que la spéculation s’est développée.  
Il faut bien le dire, l’Europe est, depuis des années, noyée dans une idéologie qui consiste à penser que les bonnes mesures économiques, ce sont des réformes structurelles, des règles que l’on suit quelle que soit la situation économique, et non des politiques dites « discrétionnaires », c’est-à-dire qui s’adaptent à la situation. Toujours est-il que l’Europe s’est enfoncée dans un cocktail de politiques économiques qui a conduit à la situation actuelle. Ce cocktail est constitué de coupes massives dans les dépenses publiques et de coupes tout aussi fortes dans le coût du travail et parfois, malheureusement, comme en Grèce, dans les salaires. Cela peut marcher quand on est seul à le faire, mais c’est catastrophique quand on le fait tous. Et quand je dis que cela peut marcher quand on est seul à le faire, je voudrais citer le gouvernement français qui évoque souvent Schroeder, dont les réformes auraient rétabli la situation allemande. J’estime pour ma part qu’il a plutôt démoli le modèle social allemand et, sûrement, les partis de gauche en Allemagne, en tout cas son parti. Mais il faut avoir conscience que lorsqu’il a rétabli la compétitivité allemande, c’était au début des années 2000, il n’a pas en même temps réduit le déficit. En même temps qu’il baissait le coût du travail, il a laissé le déficit se creuser. C’est la seule période où l’Allemagne a été en déficit excessif, et à cette époque, le reste de l’Europe était en croissance, et ne menait pas la même politique. Par conséquent, l’Allemagne bénéficiait de la croissance européenne. Ses successeurs ont ensuite réduit le déficit des finances publiques avec des coupes dans les dépenses. Elle était seule à le faire, ses partenaires ont soutenu sa croissance, elle a donc eu des rentrées fiscales qui lui ont permis de réduire son déficit.  
Or, quand tout le monde le fait, et c’est ce qui se passe en Europe aujourd’hui, cela n’a plus aucun effet. La croissance s’effondre tellement que l’on perd en recettes tout ce que l’on croit avoir gagné en dépenses. Et on arrive à la situation – c’est la nôtre, mais c’est aussi celle de toute l’Europe – où l’on constate que l’on a appliqué des politiques d’austérité sans parvenir à réduire le déficit. Et c’est la même chose pour les politiques de compétitivité. Si un pays baisse le coût du travail, cela améliore sa situation en termes de compétitivité, mais cela dégrade celle de son voisin. Par conséquent, si tout le monde le fait, cela ne marche plus, sauf pour ceux qui vont le plus loin. La Grèce, en baissant massivement le coût du travail et les salaires, est aujourd’hui en excédent extérieur, mais à quel prix ! Si tous les pays le font, ils n’arrivent qu’à une chose, c’est à baisser les prix, c’est-à-dire à la déflation. La dépression et la déflation que connait l’Europe sont la conséquence naturelle des politiques suivies.  
Si l’on continue le parallèle avec les années 30, c’est la même chose. Les politiques de Brüning et Laval, c’était des coupes dans les dépenses, dans les salaires, et cela a produit des résultats calamiteux.  
Pour l’Europe c’est tragique, parce que c’est selon moi la négation de ce qu’elle était. Elle a été construite sur la solidarité. Quand on a intégré l’Espagne, le Portugal, la Grèce, tout le monde pensait que cela allait tirer les salaires vers le bas. Cela aurait pu se produire, mais on a mis en place des mécanismes de solidarité, des fonds structurels. On a fait en sorte que ces pays qui intégraient l’Europe avec des salaires bas bénéficient de l’innovation des pays qui étaient développés, et de cette façon on a tiré tout l’ensemble vers le haut.  
Je voudrais faire une petite parenthèse sur ces politiques de baisse du coût du travail. Je suis tout à fait partisan des politiques de compétitivité, mais par l’innovation. Les politiques de baisse du coût du travail ne sont pas coopératives, puisque tout ce que l’un gagne est pris sur ses partenaires, alors que les politiques d’innovation, elles, sont coopératives. Lorsque l’on fait un effort d’innovation en France, tôt ou tard cela bénéficie à tous les autres pays. On gagne donc en compétitivité, mais on favorise aussi celle de ses partenaires. Enfin, pour parler du cas français, je pense que c’est d’autant plus inadapté que lorsque l’on regarde l’histoire économique, on se compare toujours à l’Allemagne, spécialisée dans le haut de gamme alors que nous sommes spécialisés dans des produits extrêmement concurrencés. C’est en effet le résultat de cinquante ans de baisse du coût du travail à travers des dévaluations, que l’on a fait en France chaque fois que l’on a voulu rétablir notre commerce extérieur. L’Allemagne, qui a été obligée de réévaluer sa monnaie, c’est-à-dire d’augmenter son coût du travail, a été contrainte d’innover, de se spécialiser et a échappé à ce type de compétition. Je pense donc que ce n’est la bonne politique ni pour un État, ni a fortiori pour un ensemble d’États.  
Une autre négation de ce qu’est l’Europe, de ce qu’a été la construction européenne, c’est ce qui s’est passé avec la Grèce. Ce qu’a fait la Troïka en Grèce, c’est inimaginable. Quand l’Europe s’est construite, les fondateurs avaient en tête de ne pas recommencer le traité de Versailles, c’est-à-dire de ne pas faire payer à un pays vaincu des réparations qui le conduisent à une situation impossible. Or l’Allemagne, notamment, a fait la même chose. On a dit que la Grèce avait fauté, et qu’il fallait qu’elle payât. En réalité, oui la Grèce a payé très cher, mais toute l’Europe a payé, parce que des politiques non coopératives qui enfoncent un pays au lieu de l’aider nuisent à tout le monde. Je pense que ce qui s’est passé en Europe est tragique parce que c’est la négation de la construction européenne.  
Quelques mots sur ce qu’il faudrait faire. Le peuple grec nous le dit : il faut tourner la page de l’austérité. On ne peut pas rester avec des politiques aussi absurdes, et je pense que le jugement de l’histoire sera terrible pour cette période. Je demande souvent à mes collègues allemands ce qu’ils pensent du chancelier Brüning, et ils me répondent que c’est la catastrophe. Pour nous, quand on parle de Laval, c’est encore pire parce qu’il y a eu une suite politique qui n’était pas brillante. Je crains que ce qu’ont fait les dirigeants européens reste dans l’histoire comme ces politiques absurdes.  
Il faut donc que l’on rétablisse une Europe de la croissance. Pensez que l’Europe avait l’an dernier 230 milliards d’excédents extérieurs. On pourrait se dire qu’elle est très compétitive, mais ce n’est pas la compétitivité qui explique cela, c’est tout simplement l’effondrement de la demande intérieure, qui entraine celle des importations. Par conséquent cet excédent pèse sur le reste du monde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éditorial du New York Times au mois d’août disait que l’Europe était en train de recommencer des politiques absurdes qui l’enfonçaient dans le marasme, mais qui enfoncent aussi le monde entier dans le marasme. Or, ces 230 milliards d’excédents extérieurs représentent 230 milliards d’épargne, et permettraient de financer un plan d’investissement massif. Les 315 milliards sur trois ans, c’est très bien – si cela se fait, parce qu’on a déjà voté 120 milliards au Conseil européen, et on n’en a jamais vu la couleur, c’était seulement il y a deux ans – c’est mieux que de ne pas le faire, mais il faut plus que cela. Il faut vraiment une politique qui change les choses. Honnêtement, cela montre bien que la coordination par les règles ne fonctionne pas. On ne fait pas une union monétaire sans qu’il y ait d’abord un peu d’État fédéral. Si l’on observe tous les États fédéraux, c’est au niveau fédéral, et non au niveau des États, que se fait la politique macro-économique de soutien à la croissance. Or, en Europe, le budget européen représente 1 % du PIB, il est équilibré, donc il ne peut pas jouer le rôle de stabilisateur de la politique économique. Si l’on veut faire la même chose que les grands États, ce que l’on peut rêver quand on fait une grande Europe, il faudrait au moins que l’on soit capables de coordonner les politiques économiques pour mener des politiques discrétionnaires, c’est-à-dire que l’on sache relancer quand il faut, freiner parfois, mais en tout cas que l’on sache adapter la politique macro-économique à la situation économique de l’Europe.  
Je pense que le gouvernement français plaide depuis toujours, tous les gouvernements plaident pour un gouvernement économique, mais il faut en assumer la conséquence. Je suis partisan d’un gouvernement économique, mais je dis qu’on ne peut pas le faire sans démocratie, c’est-à-dire sans construire un parlement de la zone euro. Peu importe la façon dont on le fait, mais il faut aller au bout de la logique de l’union monétaire qui était d’avoir un pouvoir politique à côté de la Banque centrale. Autrement, on arrive à l’Europe qui est là. Elle a été construite sur la solidarité avec la mise en commun du charbon et de l’acier. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un grand marché qui met les États en concurrence avec tous les dégâts que cela peut créer. Je le dis – mais je le dis surtout à mon groupe, je pense qu’ici il y en a peut-être plus qui sont convaincus – il ne faut pas se tromper d’époque. La modernité, je n’ai jamais considéré que c’était Blair et Schroeder, je n’ai jamais considéré qu’après la crise que nous avons connue en 2008, c’était adapter notre idéal de solidarité, que nous partageons tous à gauche, à une mondialisation libérale qui est allée dans le mur.  
Il ne faut pas se tromper, la crise de 2008 est le fruit des égoïsmes individuels qui ont créé des inégalités partout, et la crise de l’euro est le fruit des égoïsmes nationaux. Le principe de solidarité que nous, à gauche, portons depuis toujours, c’est la seule vraie bonne réponse à la crise.  
 

Bastien Faudot

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Comme André Chassaigne, je fais œuvre de modestie, j’ai travaillé et rédigé mon intervention ce soir pour être en capacité de vous dire quelque chose d’à peu près structuré.  
Je voulais dire d’abord que, pendant le temps de la préparation de notre débat de ce soir, deux événement majeurs se sont passés en Europe et, d’une certaine manière, changent la donne. Je ne veux pas tenir des propos de grand soir mais au plan politique, d’abord, cela a été souligné tout à l’heure, avec l’élection d’une majorité Syriza en Grèce, qui offre au moins un chemin alternatif sur la base d’une majorité politique qui a défendu pendant toute la campagne une critique des politiques d’austérité en Europe. Cela permet de soulever le couvercle de la cocotte-minute.  
D’autre part, sur le versant économique, il y a eu la décision prise par la Banque centrale européenne, le 22 janvier, de se convertir à l’assouplissement quantitatif qui brise un tabou dans la politique monétaire de l’institution de Francfort. Quel en sera l’impact réel ? Je ne suis pas capable de le dire mais selon moi, autant l’élection d’Alexis Tsipras que la décision de Mario Draghi permettent d’ouvrir le jeu en Europe. Dans un cas comme dans l’autre, l’orthodoxie monétariste qui paralyse l’économie européenne depuis 2010 a connu de sérieux revers. Dans un cas comme dans l’autre, aussi, c’est la réponse uniforme d’une Europe intégrée qui est malmenée, et c’est le sens des politiques européennes menées depuis trente ans qui est contredit.  
La question qui nous occupe ce soir sent un peu le soufre, mais finalement pas tant que cela. Il y a un esprit de transgression dans le ton provocateur de cette question. Comme pour toute chose sacrée – Guillaume Balas l’évoquait – parler de la monnaie-unique ou la remettre en cause, de la façon dont la question est posée, relève un peu du blasphème et de l’imprononçable. Cela a été du moins le cas pendant très longtemps, et je suis ravi que l’on puisse au moins en parler sereinement.  
Il faut bien comprendre d’ailleurs que ce qui est en question, ce n’est pas la monnaie unique elle-même. C’est la charge symbolique, qui a été également soulignée à cette tribune, la mission politique que l’on avait confié à l’euro qui rend le débat parfois difficile à aborder.  
Dans l’esprit de nombreux Français, mais je pense que c’est assez partagé en Europe, l’euro, c’est l’Europe et l’Europe, c’est la paix. Par conséquent, la crainte de voir l’euro sombrer renvoie à la crainte de voir l’Europe, comme projet institutionnel et politique, sombrer et donc quelque part dans les consciences, la perspective de retour de la guerre. Je caricature un peu, mais j’ai retrouvé notamment dans le livre que Jean-Pierre Chevènement avait publié avec les dessins de Plantu en 1997, Le Bêtisier de Maastricht, un certain nombre de propos portés par ceux qui défendaient Maastricht à cette époque, qui vont tout à fait dans ce sens. Même lors du vote sur le traité constitutionnel européen, on nous promettait en cas de non une sorte d’attaque nucléaire.  
Faut-il sauver l’euro ? Ainsi posée, et je rejoins en cela Romaric Godin, je pense que la question dramatise inutilement l’enjeu. Je propose de répondre à une autre question pour aborder l’affaire sous l’angle le plus rationnel qui soit : peut-on sauver l’euro, et à quel prix ? Je crois en effet pour ma part qu’il faut avoir la sagesse de regarder cela assez froidement, cliniquement, même, pour déterminer si la monnaie-unique, dans sa configuration actuelle – c’est de cela que nous parlons – est viable sur le plan économique.  
Sûrement est-ce la présence à mes côtés de Pierre-Alain Muet qui m’encourage à cette paraphrase que j’appliquerais volontiers à la monnaie-unique : pourquoi n’aurions-nous pas collectivement le droit d’inventaire ? N’est-ce pas cela l’attitude de la raison, de l’esprit critique et de l’esprit de progrès ? En effet, la crise économique que nous traversons en Europe – je cite naturellement Lionel Jospin qui évoquait en 1995 le droit d’inventaire sur la période précédente – est le moment propice pour faire un premier bilan de ces années qui nous séparent de l’introduction de la monnaie unique.  
La zone euro est un boulet pour l’économie mondiale et pourrait entrer en récession d’ici deux ans – ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’économiste Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le 29 octobre dernier. Je pense qu’il faut aborder la question de manière claire. L’histoire de la monnaie unique est chargée d’ironie, puisque ce sont aujourd’hui les pays en dehors de la zone euro qui disposent globalement d’un taux de chômage inférieur, d’une croissance supérieure, d’une production industrielle plus dynamique et d’un endettement inférieur. Le taux de chômage global dans les pays de la zone euro est de 11,5 % aujourd’hui contre 7,8 % en Suède, 6 % au Royaume-Uni, 6,15 % au Danemark, 5,8 % en République tchèque, etc. Le taux de croissance moyen devrait être de l’ordre de 0,7 à 0,8 % pour l’année 2014 contre 2,6 % au Royaume-Uni, 2,1 % en Suède, 2,4 % en République tchèque, 3,1 % en Roumanie et 3,4 % en Pologne. Seul le Danemark est en difficulté, à 0,9 %, ayant du mal à redémarrer après la récession de 2012-2013. L’évolution de la production industrielle est négative dans la zone euro, de – 0,4 %, contre + 0,4 % au Danemark, + 0,9 % au Royaume-Uni, + 4,7 % en République tchèque, + 2,6 % en Roumanie, etc. L’endettement, enfin, puisque c’est devenu la question-clé en face de laquelle les politiques publiques tremblent, est lui aussi sensiblement supérieur dans les Etats de la zone euro, où il représente 91 % du PIB contre 72 % en moyenne dans les autres Etats européens.  
Ce bilan accablant prend encore plus de relief si on le regarde à la lumière des promesses ou des prophéties qui avaient été prodiguées au moment du Traité de Maastricht. « La monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité », prédisait alors Michel Rocard. « Si le Traité était en application, finalement, la Communauté européenne connaîtrait une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré », selon l’ancien président de la République Giscard d’Estaing. « La création de cette monnaie européenne n’aura rien d’automatique, en outre chaque Etat conservera la maîtrise de sa politique budgétaire dans les limites qui ne seront pas plus étroites que celles d’aujourd’hui », il s’agit d’Edouard Balladur. « Le traité d’Union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emploi et plus de solidarité », c’est l’actuel ministre des Finances qui le disait alors.  
J’arrête là, la liste est longue et cruelle pour celles et ceux qui ont promu à travers le traité de Maastricht la configuration initiale de la monnaie unique.  
Par contraste, il s’agit aujourd’hui, nous le constatons, d’une sorte de ruse de l’histoire qui a agi. Que s’est-il passé pour en arriver là ?  
La configuration initiale de la monnaie unique porte en elle les difficultés que nous traversons comme la nuée porte l’orage. L’euro a été enfanté sous l’influence de l’ordolibéralisme allemand, dont les deux principes de base sont la concurrence libre et non faussée d’une part, et puis la stabilité des prix. Le marché libre a donc été institué, il n’est pas tombé du ciel. Des lois ont été prises. Ce que je veux dire, c’est que le laisser-faire suppose l’intervention du législateur. L’approche des économistes de l’école de Fribourg répond dès les années 30 au traumatisme de l’hyper-inflation des années 23-24 en Allemagne, et c’est avec cela qu’ils ont créé le fameux concept d’économie sociale de marché que l’on retrouve traité après traité et qui accompagne l’ensemble de l’architecture des institutions économiques européennes aujourd’hui, jusqu’au fameux traité de Lisbonne. Or l’économie sociale de marché a généré un vrai contresens. Il ne s’agit pas d’un point d’équilibre entre la dynamique du marché et l’encadrement par une régulation sociale, Hans Tietmeyer le rappelait en 1999, l’économie sociale de marché n’est pas le premier degré de l’État providence. C’est, comme l’affirme le théoricien Alfred Müller Armak, un ordre économique dont l’objectif est de combiner dans une économie ouverte à la concurrence, la libre initiative et le progrès social, garanti précisément par les performances de l’économie de marché. Nous ne sommes pas loin, dans la définition de l’économie sociale de marché, qui a inspiré toute la politique économique allemande depuis l’après-guerre, du néo-libéralisme américain, atlantique, disons, pour faire vite.  
Dès le traité de Rome, les membres de la communauté européenne décident de réduire les droits de douane, donc de supprimer les restrictions aux exportations et aux importations, de garantir la libre convertibilité de leur monnaie. Or cela ne suffisait pas, parce que la concurrence pouvait encore être faussée par des dévaluations monétaires. De là vient l’euro, pour garantir la priorité de la stabilité monétaire à travers, par ailleurs, une lutte obsessionnelle contre l’inflation dont j’ai parlé précédemment.  
L’Allemagne a accepté d’abandonner le deutschemark – cela aussi est très présent dans un livre qu’a publié Jean-Pierre Chevènement, La Faute de M. Monnet – en l’assortissant de deux conditions. La première, c’est la libéralisation totale des mouvements de capitaux. Ce sont, dans la suite de l’Acte unique, les directives Delors et Lamy de 1988-89. La seconde, c’est la mise en place d’une banque centrale indépendante, comme le soulignait tout à l’heure André Chassaigne, sujet sur lequel François Mitterrand lui-même hésite dès 1989. « La Banque de France est indépendante, mais c’est le gouvernement qui conduit la politique économique et monétaire. J’hésite à faire cette concession, en l’absence d’autorité politique il est dangereux que la banque centrale soit une puissance souveraine ».  
Nous y sommes. L’euro est aujourd’hui à la renverse. Contredisant tous les objectifs pour lesquels il a été pensé, il produit un triple phénomène qui menace sa viabilité même. D’abord, il est un frein à la croissance, nous l’avons vu. En 2001, Jacques Delors expliquait que l’optimum de croissance de la zone euro était de l’ordre de 3,5 % par an. Aujourd’hui, force est de constater que nous en sommes loin. Certes, la crise financière est passée par là, mais entre 1999 et 2008, déjà, l’Euroland connaissait une croissance moyenne de 1,9 % et la zone non euro de 2,5 %. Sous l’effet de la crise, de 2009 à 2013, on connait une croissance négative de 0,4 % alors que les pays qui ont gardé leur monnaie nationale progressent de 0,2 %. Je dirais simplement que tendanciellement, il n’est pas possible de considérer aujourd’hui encore l’euro comme un facteur d’accélérateur de croissance.  
Ensuite, c’est une machine à fabriquer de la divergence et de l’hétérogénéité. C’est un point qui me semble important, il n’a peut-être pas été suffisamment souligné ce soir. L’erreur est de l’avoir imaginé comme un élément de cohésion économique. Wim Duisenberg, l’ancien président de la Banque centrale européenne, s’attendait en 1998 à ce que l’euro « serve littéralement de catalyseur pour une plus grande intégration. L’euro nous a apporté un processus de convergence en termes de déficit public et de niveau d’inflation ». Côté inflation, c’est assez vrai, mais une convergence pour le pire, alors que la zone euro est aujourd’hui au bord de la déflation. Côté déficit public, en revanche, cela apparaît beaucoup moins évident. Ironiquement, le Traité de Maastricht établissait des critères dits de convergence. Or concrètement, seuls trois des vingt-huit pays sont aujourd’hui dans les clous – la Suède, le Danemark et la Finlande – et parmi ces trois pays, un seul est dans la zone euro, il s’agit de la Finlande. Depuis la naissance de l’euro, nous avons en réalité assisté à une polarisation, d’une part entre la zone euro méditerranéenne, et l’Europe du nord, disons la zone euro hanséatique. Au sud de l’Europe, la baisse des taux d’intérêt a dopé le crédit alors que l’Europe hanséatique entame dès le début des années 2000 une stratégie de dévaluation à terme. Entre le renforcement de la demande intérieure au sud, et la stratégie du choc de compétitivité au nord, la zone euro est dans un engrenage qui ensuite entretient son mouvement par sa seule force mécanique. Au bout du compte, l’évolution des balances courantes témoigne du fossé qui s’est creusé entre ces deux modèles. Aujourd’hui le nord affiche un excédent à hauteur de 7 % de son PIB contre un déficit de 4 % dans la zone euro-méditerranéenne. La production manufacturière a progressé de 30 % dans le nord depuis 15 ans, alors qu’elle s’est réduite de 10 % dans le sud. Par conséquent, la tendance divergente de la zone euro est renforcée par un phénomène que souligne Paul Krugman en 1993. Le partage d’une même monnaie pousse les économies à se spécialiser au sein même de la zone, et donc à développer des modèles de croissance qui s’éloignent les uns des autres.  
Enfin, c’est au plan social la dimension aujourd’hui la plus préoccupante. L’euro, par sa configuration même de monnaie-unique, est générateur de dumping social et salarial dans la mesure où l’adoption d’une monnaie-unique empêche toute possibilité de correction ou d’ajustement monétaire par la dévaluation externe. Il reste comme levier de compétitivité la mise sous tension des salaires, l’allègement des cotisations, la flexibilisation du marché du travail. Je n’insiste pas sur ce point.  
Je pense que les politiques d’austérité budgétaire, telles qu’elles ont été décrites par mon voisin, agissent comme une mécanique infernale. Elles ne permettent pas de résoudre le problème du déficit public et sont par ailleurs génératrices de tensions sociales qui produisent la crise politique dans laquelle nous sommes désormais entrés.  
Sortir de l’euro ou le transformer ? Les vices de conception de la monnaie-unique en ont fait un corset politique. Une politique monétaire unique associée à une politique budgétaire qui s’uniformise depuis le TSCG sont en train d’anémier le politique et les souverainetés. Benoit Hamon a exprimé récemment très justement à la télévision que le problème du double abandon de la souveraineté budgétaire et de la souveraineté monétaire conduisait progressivement à dévitaliser les choix politiques qui sont enserrés dans cet étau et qui ne permettent plus au suffrage universel de déboucher sur des majorités politiques mettant en œuvre des programmes qu’elles avaient préalablement défendus devant les citoyens.  
Comment s’en affranchir pour retrouver la politique ? J’ai lâché le mot de souveraineté à dessein. Peu importe l’épithète, que l’on parle de souveraineté démocratique, nationale ou populaire, nous parlons peu ou prou de la même chose. Ce qui articule la puissance d’agir, la souveraineté, à la représentation démocratique, c’est, en France, je crois, l’héritage le plus précieux de la Révolution française. Par conséquent, la question me semble moins de savoir aujourd’hui s’il faut sauver l’euro, je le disais en introduction, que de savoir si la monnaie-unique peut vivre dans sa configuration actuelle.  
J’ai essayé de dire pourquoi cette monnaie me paraît condamnée par ses insuffisances économiques et par les effets qu’elle génère politiquement. Je m’intéresserais volontiers à une alternative, évidemment. Le problème est une affaire aujourd’hui de timing. C’est la thèse que défend le sociologue et économiste allemand Wolfgang Streeck dans son essai Du Temps acheté. Depuis le début de la crise, il reprend l’idée que les décisions prises ont été des rustines pour ajourner et remettre à plus tard les choix douloureux. Depuis 2007, on a le sentiment que les gouvernements et les institutions européennes sont en déficit d’anticipation. Face à la mécanique infernale, ils réagissent et finissent au bout du compte par prendre des décisions en complète contradiction avec l’ensemble des traités. C’est dans ce cadre-là, d’ailleurs, que mérite d’être comprise la décision annoncée la semaine dernière par Mario Draghi dont je parlais au début de mon intervention. Le problème est que l’on fait appel à cette solution non pas parce qu’on l’a jugée pertinente en elle-même, intrinsèquement, mais parce qu’on ne peut plus faire autrement. Par conséquent, si l’euro n’est pas viable comme monnaie unique, ne vaut-il pas mieux organiser sa transformation et sa mutation plutôt que d’en subir ultérieurement une sortie désordonnée qui pourrait s’avérer dévastatrice ? C’est en tout cas la position que nous défendons au Mouvement Républicain et Citoyen.  
Différents scénarii de dissolution de la zone euro existent. Il y a eu un travail réalisé sur ce point par la Fondation Res publica qui me semble précieux, notamment par Jacques Sapir. Il y a en gros trois grands scénarii. Ou bien nous sortons à travers une mutation coordonnée qui permet à la fois de maintenir des monnaies nationales, avec des parités négociées au sein de la zone euro, et une monnaie-commune pour les échanges extérieurs – c’est l’hypothèse que nous privilégions. Il y a l’hypothèse d’une scission en deux, avec les deux modèles européens du nord et du sud dont nous parlions, avec un euro hanséatique et un euro méditerranéen. Il y a, sinon, ce à quoi pourrait mener le fait de ne pas prendre dès à présent la mesure de la gravité du problème, une sortie anarchique, non préparée, par la dissolution de l’euro et dont nous ne pouvons absolument pas mesurer l’ampleur des conséquences pour les économies partout en Europe.  
 

Jean-Pierre Chevènement

"Faut-il sauver l'euro ?" : retranscription de la 1ere Rencontre du MRC  
Je voudrais insister naturellement sur ce qui peut poser problème, ce qui, peut-être, est un élément de dissensus. Non pas parce que je cultiverais le dissensus entre nous, au contraire, je souhaite que nous avancions. Je reprendrai sous une autre forme ce qu’a dit Bastien Faudot. Je pense que l’Europe n’est pas un espace homogène. Quand on pense qu’il est possible de résoudre par la solidarité les problèmes qui se posent, on fait l’impasse sur le fait qu’il y a une question majeure qui se pose : qui paie ?  
Naturellement, quand on devient très concret, personne n’a tellement envie de payer. Il y a toujours des gens prêts à encaisser, mais c’est difficile lorsqu’il faut sortir de l’argent. Le budget européen est de 1 % du PIB et on n’arrive pas à le faire augmenter ; la dernière fois, on l’a même diminué, et passer de 1 à 2 %, c’est presque impossible. Je voudrais vous rendre sensibles, par exemple, au fait que sur les 327 milliards de la dette grecque, 256 milliards appartiennent aux États de la zone euro, soit directement, soit plus généralement indirectement par le biais du Fonds européen de solidarité financière et du Mécanisme européen de solidarité qui lui a succédé. La clé de répartition est celle du FSEF, du MES et des prêts consentis – un peu plus de 25 % pour l’Allemagne, 20 % pour la France, 17 % pour l’Italie, 12 ou 13 % pour l’Espagne. Cela veut donc dire que si l’on faisait la remise de la totalité de sa dette à la Grèce, l’Allemagne devrait sortir 73 milliards, la France 55 milliards, l’Italie 48 milliards, l’Espagne 33 milliards. Personne n’est évidemment prêt à faire un tel effort.  
Robert Mendel a développé la théorie de ce qu’il appelle les zones monétaires optimales. Il dit que lorsque des pays sont trop hétérogènes, en l’absence de mobilité parfaite des facteurs de production, en particulier la main-d’œuvre, les capitaux, il faut des mécanismes de transferts correcteurs très puissants. Pour raisonner en termes de solidarité au niveau de toute la zone euro, certains économistes allemands ont dit qu’il faudrait arriver des transferts de l’ordre de 10 % du PNB par an. Cela veut dire 300 milliards pour l’Allemagne, 200 milliards pour la France. Vous voyez tout de suite que ce n’est pas possible, et que le principe de la responsabilité des États, qui est dans le traité de Maastricht, est évidemment un principe dont on ne peut pas faire l’économie. Bien sûr qu’il y a une responsabilité des États ! Et il peut y avoir une certaine solidarité. Par exemple, les mesures Draghi. Les banques centrales nationales créent 1 140 milliards de monnaie. Là-dessus, 80 % sont garantis par ces banques centrales, en cas de perte, de défaut, cela retombe sur elles. Seuls 20 % sont mutualisés, c’est-à-dire seraient assumés par la BCE. C’est une négociation qui a eu lieu entre M. Draghi et Mme Merkel, car toute indépendante que soit la banque centrale, M. Draghi n’est pas fou et il sait qu’il doit avoir le feu vert de Mme Merkel. Il a donc négocié cette clé de partage qui manifeste par conséquent une certaine renationalisations du processus de création monétaire. Il y a une mutualisation, qui n’est pas négligeable, à hauteur de 20 %, et qui fait monter au rideau Hans-Werner Sinn, économiste allemand célèbre, qui dit que l’on crée 240 milliards d’eurobonds. Peut-être Pierre-Alain Muet, qui suit ces questions de près, l’a-t-il vu, mais un certain nombre de gens en Allemagne lèvent les bras au ciel.  
Je dis tout cela car, en réalité, comme l’a très bien dit Bastien Faudot, l’euro a un vice constitutif, rédhibitoire, c’est qu’il juxtapose des pays trop différents alors que les mécanismes de solidarité ne peuvent pas jouer à la hauteur nécessaire. Cela démontre que l’hypothèse de la fédération n’est pas une hypothèse réaliste. Seule l’hypothèse d’une confédération, qui peut aller jusqu’à mettre en commun un certain nombre de compétences, dès lors qu’elles sont démocratiquement exercées, correspond à l’état actuel du monde. On ne peut pas faire une politique qui aille dans la direction que nous souhaitons, une politique de solidarité, une politique sociale si on ne tient pas compte des réalités. La réalité commande, Jaurès l’avait dit : « Il faut aller à l’idéal en passant par le réel ». Il l’avait dit d’une autre manière, c’est qu’il faut trouver une conciliation entre la nation et l’internationalisme. Un peu éloigne, et beaucoup rapproche.  
Je voudrais donc dire que la monnaie-commune, c’est le toit commun, c’est une monnaie dont il faudrait qu’elle puisse circuler à l’échelle internationale, qu’elle soit la monnaie des transactions internationales, pour que les élites qui ont fait le choix qui a été fait à Maastricht ne soient pas complètement démenties. Elles y ont mis en effet leur amour-propre, c’est une question de foi, Romaric Godin l’a dit, c’est la foi qui les meut. Il faut changer l’euro, nous allons en faire non plus la monnaie unique mais la monnaie commune, et redonner aux subdivisions nationales de l’euro, monnaies nationales, une certaine flexibilité. On va mettre dans le système la flexibilité qui lui manque. Dans un monde flexible, où tout bouge sans arrêt, on ne peut pas avoir un système rigide comme celui-là, sauf à accepter des politiques de stagnation, des politiques d’austérité qui, au bout de cinq ans, se traduisent par les chiffres qui ont été énoncés tout à l’heure et qui sont tout à fait saisissants.  
Combien de temps faudra-t-il pour y arriver ? Il faudra souffrir ! Mais les Allemands finiront par comprendre. Déjà, si vous écoutez ce qui se passe en Allemagne, ils considèrent qu’ils se sont engagés à hauteur de 300 milliards – c’est déjà beaucoup trop à leurs yeux – et ils devront payer ; ils payent un peu plus que nous. Les Français, cela ne les gêne pas. Pourquoi ? Parce qu’ils ne le savent pas !  
Je pense qu’on ne fait pas de bonne politique sociale, même socialiste et même communiste si on ne part pas des réalités et si on veut construire l’Europe, il faut la construire à partir de ses nations, à partir de ce qu’elle est, pour avoir quelque chose qui tienne la route.  
 

Débat avec la salle

Un intervenant dans la salle   Ma question s’adresse à MM. Chassaigne et Muet. Vous avez fait un exposé sur, l’un, un rêve socialisant pour l’Europe, une BCE généreuse, des banques tournées vers les citoyens, l’autre, un rêve fédéraliste, tout à fait honorable, tout à fait généreux. Or ces deux rêves sont probablement l’œuvre d’un temps long, qui ne colle peut-être pas avec l’urgence actuelle d’agir. Seriez-vous prêts à adresser un ultimatum si d’ici un ou deux ans, vos rêves, communisant pour l’un et fédéraliste pour l’autre, venaient à ne pas donner les résultats escomptés, compte tenu de l’urgence actuelle et du rythme des destructions d’emplois (800 par jour) ?  
Un intervenant dans la salle   Je voudrais simplement savoir quand on parle de monnaie commune, de façon extrêmement concrète, ce que cela signifie pour vous, pour moi, pour tout un chacun, lorsque je vais acheter une baguette de pain chez mon boulanger ou en Italie par exemple. Comment cela se passe-t-il concrètement ? Ai-je deux monnaies, deux billets différents ?  
Un intervenant dans la salle   Je n’ai pas une question, mais plutôt un avis. Nous venons d’entendre des discours techniques, des analyses très fines et très pointues, mais je pense qu’à l’heure actuelle, la vraie question à se poser est celle-ci : est-ce que les Français ont encore envie de sauver l’euro ? Pour le citoyen lambda, cela n’apporte rien de plus si ce n’est des impôts supplémentaires, des tracas supplémentaires. Il n’y croit plus, en l’euro. Si on n’intervient pas aujourd’hui, la situation demain sera dramatique.  
Un intervenant dans la salle   Je n’ai pas tout compris pour l’assouplissement monétaire, je dois dire. Je voudrais bien savoir si ces 1 100 milliards iront alimenter encore de l’économie financière, notamment par des rachats obligataires dans les banques, ou bien cela pourra-t-il quand même s’injecter dans de l’économie réelle, et notamment de la création d’emplois par exemple ?   André Chassaigne   J’ai du mal à répondre parce que, bien franchement, je n’ai pas compris la différence – je ne suis pas un spécialiste – entre « sortir de l’euro » et dire « on maintient l’euro et on a une monnaie-commune ». Des propositions ont été faites, mais concrètement, que signifie, en termes de conséquences pour la monnaie de chaque pays, la monnaie-commune ? Est-ce que cela veut dire que s’il y a une monnaie-commune on décline cette monnaie au niveau de chaque État ? Cela veut donc dire que chaque État aura effectivement une possibilité de jouer sur la valeur de sa monnaie ? Concrètement, par  exemple, les pays d’Europe du sud, qui sont les plus en difficulté, auront donc de facto une dévaluation de leur monnaie. La difficulté pour moi est de comprendre les conséquences de ces dévaluations. Certes, on peut dire que la dévaluation, dans tel ou tel pays, pourra permettre de donner un souffle, dans un premier temps, à l’économie, en facilitant notamment les exportations, mais cela engendrera une guerre terrible entre les différents pays. On ouvrira une espèce de « course à l’échalote », avec une concurrence entre les différents pays concernés qui seront notamment les pays d’Europe du sud. A partir de là, avec les conséquences de fond que cela aura sur le niveau des salaires par cette recherche de compétitivité, est-ce que l’on ne risque pas de retomber sur les même problèmes que l’on vit aujourd’hui avec cette course folle à la compétitivité, voire même l’aggraver par le fait que l’on pourra jouer sur la dévaluation ?  
Ensuite, ce choix ne risque-t-il pas en quelque sorte de servir l’Allemagne, puisqu’on aura besoin d’acheter ? Cela ne risque-t-il pas de servir l’Allemagne au niveau économique pour écouler ses productions, compte tenu de l’avance qu’elle a prise au niveau industriel ? C’est réellement une question que je me pose. J’ai du mal intellectuellement à comprendre comment cela peut fonctionner. J’ai essayé de retransmettre ce qui constitue le corps de la politique économique conduite notamment par les économistes du Parti communiste français, mais j’ai du mal à comprendre. C’est pour cela que l’on fait le choix contraire.  
Est-ce que c’est un rêve ? Mais je pense que c’est le fondement même de l’engagement marxiste. C’est une lutte, c’est un mouvement. Si l’on considère que les peuples européens, par leur mobilisation, et les partis progressistes, dans les différents pays européens, ne sont pas à même de faire évoluer l’Europe, et si l’on considère que la seule solution est de sortir de l’euro. Je crains que l’on n’alimente au contraire cette forme de compétition et que finalement on ne s’attaque pas au pouvoir financier, aux marchés financiers, parce qu’ils peuvent sortir renforcés de ce choix-là.   Christophe Blot   C’est une réponse qui appelle d’autres questions. Comme il y a peut-être des points à préciser, effectivement, soit Bastien Faudot, soit Jean-Pierre Chevènement, peuvent-ils expliquer ce qu’est la différence entre une monnaie-commune et sortie de la zone euro ?  
Jean-Pierre Chevènement   André Chassaigne, comme d’autres, a contesté qu’une monnaie plus faible puisse permettre la montée en gamme en production et dit que si l’Allemagne, aujourd’hui finalement exporte, c’est parce qu’elle a toujours eu une monnaie forte, et qu’elle s’est adaptée à cette monnaie forte.  
Je crois que c’est beaucoup plus ancien. L’Allemagne a creusé l’écart avec la France notamment à la fin du XIXè siècle. Elle s’est spécialisée dans les biens d’équipement, la chimie, l’électricité très tôt, à travers de gigantesques konzerns. Donc on ne peut pas nier que la parité de la monnaie ait un rôle très important. Et on voit d’ailleurs que lorsqu’il y a eu une période de dollar fort, c’est-à-dire de 1998 à 2002, nous avons eu une envolée, chez nous, de la croissance,  Pierre-Alain Muet s’en souvient certainement. Aujourd’hui, c’est un peu la même chose. Il n’y a pas tant une chute de l’euro qu’une remontée du dollar, qui d’ailleurs posera des problèmes et tout cela est très précaire. Nous-même, nous avons eu un euro qui valait 82 centimes de dollar en 2000. Mais quelques années plus tard, nous étions à 1,60 dollars, puis 1,40, et maintenant nous sommes à 1,14, 1,13 dollar. C’est donc fluctuant et par conséquent, lorsqu’on parle de ces questions de parité, il faut savoir qu’elles ont un rôle très important. Notre déficit sur l’Allemagne, c’était 28 milliards de francs en 1983, quand j’étais ministre de l’Industrie. Aujourd’hui, c’est 18 ou 19 milliards d’euros, c’est-à-dire 5 fois plus. C’est le mécanisme de Mendel qui fait que les écarts s’accroissent. Il n’y a pas de convergence, il y a au contraire des divergences toujours plus profondes.  
Comment cela fonctionne-t-il concrètement ? Il y a un projet, dont on peut discuter. Il y a un euro-mark, un euro-franc, un euro-drachme. La conversion se fait au cours de l’euro. Autrement dit, la dette extérieure reste la même, sauf que s’il y a une dévaluation, elle diminue d’autant. Bien entendu, cela ne peut pas être un éclatement sauvage, tout cela doit se négocier en fonction de facteurs qui sont la dégradation de la compétitivité de l’économie nationale depuis la création de l’euro, c’est-à-dire 1999. Je citerai des chiffres un peu au hasard, disons que pour la Grèce cela pourrait être 30  % de moins, pour la France, 10 à 15 % si l’Allemagne réévaluait de 5 ou 10 %, et naturellement, il faudrait faire coexister avec la monnaie commune un Système monétaire européen (SME) bis. On négocierait des parités qui fluctueraient dans des bandes à +2,25/-2,25, comme l’ancien système du SME qui ne marchait pas si mal. La monnaie-commune pourrait être une monnaie d’émission, de création monétaire, une monnaie d’emprunt, une monnaie qui serait un panier des monnaies nationales – c’est très facile avec l’informatique, cela se calcule en un millième de seconde. La valeur de la monnaie-commune serait la valeur pondérée de toutes les monnaies des pays appartenant à cette zone euro monnaie-commune. On garderait le symbole de l’euro, parce que l’Europe est une direction que nous ne contestons pas. Nous ne contestons pas le fait qu’il faille aller vers une solidarité croissante. Simplement nous ne faisons pas la même analyse du degré de solidarité qui est possible aujourd’hui.  
Il y a sûrement des critiques valables à opposer à ce système. Certainement la spéculation peut essayer de jouer, mais on peut la combattre. Il faut en tout cas que ce soit une solution négociée avec l’Allemagne. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui veut la monnaie unique, c’est elle qui l’a voulu au départ, c’est elle qui l’a imposée.  
Je me souviens que l’un des conseillers de Bérégovoy était contre, il était pour la monnaie-commune. Bérégovoy a exposé ses objections à Mitterrand, qui lui a demandé qui était favorable à la monnaie-commune. Bérégovoy a répondu : la Grande-Bretagne, personne d’autre. L’Allemagne était pour la monnaie-unique, et tous les autres pays aussi parce qu’ils mangeaient dans la main de l’Allemagne, qui était déjà la puissance économique dominante en 1988-89. C’est le Conseil européen de Madrid qui a acté le règlement de la monnaie-unique, qui est devenu le traité de Maastricht. Seul le calendrier a été fixé en 1990-91.  
Je pense donc que cela devrait être possible. C’est le moyen de préserver le symbole de l’unité européenne, et cela permet aussi d’accrocher la livre et d’autres monnaies, et d’avoir une Europe plus conforme aux réalités, qui ne soit pas cette Europe germano-centrique que nous avons aujourd’hui.  
Il faut se faire à l’idée qu’une monnaie est faite pour un pays et si nous avons une monnaie plus faible que l’Allemagne, tant mieux, d’une certaine manière, parce que cela nous permet d’être compétitifs. Plutôt que de remonter l’écart de compétitivité qui est de 15 points à force de dévaluations internes, de diminutions de salaires, de prestations sociales, de coupes budgétaires, on le fait par une modification monétaire qui est beaucoup moins douloureuse. Toute l’histoire nous montre que cela se corrige en dynamique. Évidemment, il y a un peu d’inflation, mais compte tenu du contexte mondial, ce n’est pas si important. Si l’on faisait une dévaluation relative de 15 %, peut-être l’inflation pourrait-elle être de 5 %. Je parle sous le contrôle d’éminents économistes qui sont tous beaucoup plus savants que moi.  
Pierre-Alain Muet   Je vais être le dernier défenseur de la monnaie unique ! La critique que j’ai portée aux politiques économiques n’est pas une critique de l’union monétaire. C’est en partie une critique de l’union monétaire sans solidarité financière, ce qui est quand même une aberration, mais on a fini par instaurer cette solidarité financière. Il a fallu deux ans et une crise majeure. J’ai critiqué les politiques qui ont été conduites. On peut examiner la crise en se disant : qu’aurait-il fallu conduire comme politiques économiques pour ne pas se retrouver dans cette situation ?  
Mais avant de répondre à cette question, je reviendrai sur l’histoire. Avant l’union monétaire, nous avons connu le pire des systèmes, qui était le SME. Il y avait des parités fixes, que l’on n’osait pas toucher. On pouvait certes potentiellement dévaluer mais on ne l’a pas fait quand c’était pourtant nécessaire, je pense aux années 1993. Comme on ne dévaluait pas, on vivait dans quelque chose qui ressemblait à l’union monétaire, avec une monnaie gérée par la Bundesbank et un seul pays avec des taux d’intérêt bas, l’Allemagne. Tous les autres pays avaient ce que l’on appelle une prime de risque, c’est-à-dire que pour rester dans le SME, ils étaient obligés d’avoir des taux d’intérêt très élevés. Par conséquent on avait déjà les difficultés d’une union monétaire, mais de plus on avait des taux d’intérêt élevés.  
A partir du moment où on est entré dans l’union monétaire, il s’est passé quelque chose d’étonnant, ce qui montre la myopie des marchés financiers. Les économistes disaient que dans l’union monétaire, on allait malgré tout garder des primes de risque – la dette grecque n’aura pas le même taux d’intérêt que la dette allemande. Et bien, quand nous sommes entrés dans l’union monétaire, les marchés financiers ont considéré que c’était jusqu’à la fin des temps et que la dette grecque, la dette irlandaise demandaient le même taux d’intérêt que la dette allemande. Cela a donc été un bénéfice considérable pour tous les pays qui sont entrés dans l’union monétaire. L’Espagne et la Grèce en ont profité en termes de croissance. Au lieu d’avoir des taux d’intérêt de 10 %, elles se sont retrouvées avec des taux voisins de l’Allemagne, 3,5 à 4 %, et du coup se sont endettées énormément. Une partie du problème de la dette est né de cela. Nous nous sommes tous aveuglé en estimant qu’à partir du moment où les marchés financiers considéraient que l’euro était le même quel que soit le pays, ce n’était pas la peine de mettre un mécanisme de solidarité. Les marchés financiers sont restés idiots – ils le sont encore, mais d’une autre façon – pendant une dizaine d’années, puis un jour ils se sont rendu compte que la dette grecque était plus risquée que la dette allemande, et du coup ils se sont débarrassés de tous les euros grecs qu’ils avaient.  
Comme on n’avait aucun mécanisme pour s’endetter à un taux de 1 % et prêter à la Grèce à 1 %, elle s’est retrouvée avec des taux d’intérêt à 15 %. Avec des taux de 2 %, une dette à hauteur de 100 % du PIB, cela coûte 2 % du PIB. Quand les taux sont à 15 %, c’est intenable. Le problème des crises financières, c’est qu’elles sont auto-réalisatrices. Dès que l’on s’attaque à un pays, il n’a plus les moyens de se défendre. Et comme la banque centrale n’avait pas le droit d’acheter des titres, heureusement que Mario Draghi, qui est le seul homme politique intelligent en Europe, a contourné les difficultés du Traité. Mais on aurait tout à fait pu arrêter la crise au moment où elle s’est déclenchée si on avait seulement instauré un mécanisme de solidarité.  
Il y a un autre problème au sein de l’union monétaire, c’est que lorsqu’il y a des différences d’inflation importantes entre pays, ce n’est pas tenable, sauf si on ne regarde pas les balances commerciales. Après tout, qui connait la balance commerciale de la Bretagne vis-à-vis de la Savoie ? Entre les régions de France, il doit y avoir des transferts importants, mais on ne s’en préoccupe pas. Ce que l’on aurait dû faire, au lieu de tous les critères que l’on a ajoutés, c’est respecter un critère essentiel, qui était que les taux d’inflation ne devaient pas trop diverger. Si un pays a un peu trop d’inflation, il faut lui dire de faire attention. S’il n’en a pas assez – c’est le cas de l’Allemagne – il faut le lui dire aussi. On ne s’en est pas préoccupé, on a laissé se développer des écarts importants entre pays qui ont posé des problèmes de compétitivité. Au sein d’une union monétaire, ce ne serait pas un problème s’il y avait un mécanisme de solidarité financière. Il y a des critères de bonne gestion qui sont les critères de Maastricht – pas trop de déficit ni d’endettement. Mais on ne s’est pas préoccupé des problèmes susceptibles de survenir du fait de l’absence de solidarité.  
J’en viens maintenant aux politiques macro-économiques. J’ai beaucoup critiqué les politiques européennes et je ne retire rien à ma critique. Je les trouve absurdes, j’estime qu’il s’agit d’une forme d’aveuglement collectif où chacun croit avoir raison parce que ce qu’il fait est bon pour lui. Qu’aurait-on pu faire, lorsque la crise est née ? On aurait pu faire comme les États-Unis. Ils sont sortis de la crise parce qu’ils ont d’abord utilisé une politique monétaire de soutien massif. Ce n’était pas très compatible avec la vision allemande des principes qui ont fondé la banque centrale. Nous avons un peu eu une politique de soutien en 2009, puis une politique restrictive ensuite, et ce n’est que lorsque Draghi, heureusement, a compris que l’on allait vers la déflation qu’il a complètement lâché les choses.  
En deuxième lieu, les États-Unis ont laissé leur déficit monter de façon considérable. Ils ont estimé que tant qu’ils n’avaient pas retrouvé la croissance, il ne fallait pas réduire le déficit. On aurait pu faire la même chose en Europe, mais ce n’était pas la règle. J’ai moi aussi plaidé, comme beaucoup d’autres – je ne pensais pas que la crise européenne était aussi grave – pour que l’on commence à réduire les déficits en France. Mais on aurait pu avoir la même vision macro-économique de la zone euro en décidant de laisser un certain temps à la croissance pour repartir avant de passer à des politiques de réduction des déficits. Le problème est qu’il fallait que tous les gouvernements de la zone euro se mettent d’accord pour cesser la coordination par les règles, discutent de politique économique et fassent des choix de politique économique. Que l’Allemagne relance un peu, que les pays qui devaient réduire leur déficit le fassent, mais pas trop vite pour ne pas casser les choses. Coordonner quinze politiques budgétaires était extrêmement complexe et l’absence d’un gouvernement qui puisse conduire une politique macro-économique, c’est un vrai problème. Fondamentalement, ce n’est toutefois pas l’union monétaire qui est responsable de cela. C’est le fait que dans cette union monétaire, seule la banque centrale a une vision fédérale, tous les autres se préoccupant uniquement de ce qui se passe chez eux. Quand madame Merkel dit que ce qui est bon pour l’Allemagne est bon pour l’Europe, c’est une ineptie. Ce n’est pas vrai dans la mesure où l’Allemagne est dans une situation exactement inverse de celle de tous les autres pays d’Europe. Cela aurait été le rôle de M. Barroso, d’un commissaire européen, voire peut-être du Président français de proposer de regarder les choses à l’échelle de l’Europe et non chacun avec les lunettes de son pays.  
Peut-être existe-t-il d’autres solutions. J’ai compris comment fonctionnait la monnaie-commune après l’exposé de Jean-Pierre Chevènement. Je ne suis pas sûr que cela soit facile ni de sortir de l’euro, ni de faire une monnaie-commune. Mais je pense qu’il y a un autre pas à franchir et qu’il est un peu irresponsable de ne pas le franchir à partir du moment où l’on s’est engagé dans l’union monétaire, c’est d’avoir une politique macro-économique à l’échelle de la zone euro. Quand on plaidait pour un gouvernement économique, c’était de cela que l’on parlait, disant qu’il fallait que l’on s’interroge sur l’orientation de nos politiques budgétaires. Au lieu de cela, nous nous sommes tous précipités dans les mêmes politiques, absurdes collectivement, avec le résultat catastrophique que l’on connait.  
Le fait de revenir à 3 % de déficit est un objectif qui a été fixé par François Mitterrand. La France ne l’avait jamais dépassé. C’est un objectif qui est raisonnable dans une situation normale. Dans une situation exceptionnelle, les traités disaient que l’on pouvait se contenter d’une réduction bien moindre du déficit des finances publiques. Il y avait beaucoup de souplesse. Je pense que c’est un véritable aveuglement collectif dans lequel les dirigeants européens ont une grosse responsabilité.  
On a voté, dans un sommet européen, 120 milliards pour la relance de l’investissement. J’ai trouvé que c’était un peu faible, mais que c’était bien sur le principe. C’était la proposition de François Hollande. J’ai continuellement demandé à Pierre Moscovici où nous en étions de ces 120 milliards. Il m’a dit : « ne t’inquiète pas… ». En réalité, personne n’a jamais fait les investissements correspondants. Si on avait voulu mener une politique intelligente, on le pouvait, même si ce n’était pas facile dans une union monétaire sans pouvoirs politiques.  
Un intervenant dans la salle   En fait, ce qui manquait, c’est du bon sens.  
Pierre-Alain Muet   Oui, et du courage politique. Après tout, on fait une union monétaire. Cela veut dire que l’on se préoccupe de ce qui se passe dans la zone euro, et pas seulement de ce qui se passe en Allemagne, en France, en Grèce, etc. Je pense que le problème de politique économique peut se résoudre si on sort de cet aveuglement. Ce qui se passe en Grèce aidera peut-être les pays européens à le faire. Je ne m’engagerai personnellement pas vers des solutions trop compliquées de changement complet ou de sortie de l’euro. Je n’y crois pas.  
Je reviens sur un autre point que soulevait Jean-Pierre Chevènement. Je prenais l’exemple des dévaluations françaises et des réévaluations allemandes pour dire que l’ajustement par le coût du travail n’est pas un bon ajustement à long terme. C’était plus pour critiquer les baisses du coût du travail que la dévaluation. La zone euro se serait beaucoup mieux portée si on avait dévalué l’euro dès le début, si on avait baissé les taux d’intérêt à un niveau très bas. Des choix étaient possibles. Le problème est qu’il n’y avait pas de pilote – Barroso était inexistant –, pas de gouvernement de la zone euro ni de mécanismes de solidarité. Il a fallu deux ans pour le faire, et entre-temps la spéculation avait mis en difficulté tous les pays. Nous avons souffert d’une construction monétaire où le seul élément fédéral était la banque centrale.  
Romaric Godin   Je suis assez étonné de la phobie du Parti communiste français vis-à-vis de la dévaluation, j’avoue que c’est une nouveauté pour moi. Vous savez que la culture de la stabilité part de Die Linke, va jusqu’à Alternative für Deutschland. Parfois des électeurs vont d’un camp à l’autre. Je pense qu’il faut aussi, comme l’ont souligné Pierre-Alain Muet et Jean-Pierre Chevènement, réfléchir à cette idée de dévaluation et de crainte de l’inflation quand on est en menace de déflation en zone euro. En Grèce, les prix baissent de 2 % en rythme annuel. Je pense que le problème n’est pas réellement d’avoir de l’hyper inflation, d’autant que l’on n’est pas dans un contexte mondial qui va dans ce sens.  
Concernant l’assouplissement quantitatif, ce n’est pas de la création monétaire, ce n’est pas la Reich Bank qui rachète la dette de l’Allemagne dans les années 20. C’est de la dette qui est rachetée, mais les Etats doivent rembourser intérêt et capital de cette dette à la BCE à la fin. Par conséquent la création monétaire est temporaire. D’autre part, cet argent ira à ceux qui détiennent la dette – c’est-à-dire quelques particuliers, mais principalement les banques, les assurances, les investisseurs institutionnels – et ceux-là en feront ce qu’ils jugeront bon d’en faire. Compte tenu de la situation économique européenne, il y a assez peu de chance qu’ils investissent dans l’économie européenne qui est assez peu dynamique, et dans laquelle il n’y a pas de perspectives d’investissements. Je me permets de critiquer, en toute modestie, Pierre-Alain Muet : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de pilote, il y en a un justement, et ce pilote, c’est M. Schäuble aujourd’hui. C’est lui qui, en partie, a tout bloqué, et notamment le plan de départ, celui de Jackson Hole dont j’ai parlé, qui avait été donné par Mario Draghi au mois d’août. Il prévoyait, justement, que cet assouplissement quantitatif vînt en appui d’une politique coordonnée de relance qui pût donner des perspectives d’investissement aux entreprises. Il s’agissait que les banques pussent prêter parce qu’il y aurait eu de la demande de crédit. Aujourd’hui, il n’y a pas de demande de crédit. 80 % des entreprises françaises n’envisagent pas d’investir et de plus nous sommes en sous-capacité de production. Il n’y a donc aucune raison qu’aujourd’hui cet argent aille massivement dans l’investissement. J’ajoute qu’il n’y a pas de problème de liquidité – sauf pour la Grèce, pour Chypre aussi – en tout cas pas pour les banques françaises, ou allemandes, ou peut-être italiennes. Le taux interbancaire auquel les banques se refinancent entre elles est très faible, il est même négatif. En fait, on ne traite pas le problème, mais on ne pouvait pas faire autrement parce que les marchés l’attendaient et si on ne l’avait pas fait, il y aurait eu une crise sur les marchés financiers. Je noircis un peu le tableau à dessein, mais je pense que le problème n’est pas la coordination de la politique macro-économique, mais que cet assouplissement quantitatif soit utile.  
Bastien Faudot   André Chassaigne a évoqué tout à l’heure une crainte, à travers le retour des monnaies nationales dans le cadre de parités négociées autour d’une possible guerre des changes. Or, il faut voir une chose, c’est que s’il n’y a pas de marge de manœuvre au niveau d’une dévaluation monétaire, cela se transfère sur le monde du travail, et aujourd’hui nous avons une guerre des systèmes sociaux. Nous sommes entrés dans une logique de concurrence des modèles sociaux, du temps de travail, de l’ensemble des facteurs de production. Par conséquent, d’une certaine manière, le dosage monétaire permettrait, en tout cas, de détendre un peu sur ce plan. Je crois qu’en transférant ce pouvoir et cette capacité à une zone monétaire unique – Jean-Pierre Chevènement a développé tout à l’heure tout ce qui concernait l’hétérogénéité de cette zone – nous nous sommes désarmés. Dans une situation de croissance, le désarmement n’apparait pas. Ne pas être armé lorsqu’il n’y a pas de guerre n’est pas grave,  mais lorsqu’on est en situation de conflit, cela le devient un peu plus, et c’est ce que nous sommes en train de vivre.  
Je veux également faire une remarque, cela a été dit notamment dans la quatrième hypothèse soulevée par Guillaume Balas autour de l’intégration politique européenne, Pierre-Alain Muet en a parlé également. Il me semble, au regard des éléments que nous avons, qu’il y a aujourd’hui une question de timing et d’agenda, entre le moment de la prise de conscience des difficultés et le moment des réactions qui ont été à chaque fois diluées dans le temps. C’est ce que dit Wolfgang Streeck. Il y a incapacité politique parce qu’il n’y a pas de souveraineté sur laquelle reposent en définitive les décisions, c’est-à-dire de peuple auquel s’adresser au niveau européen. De ce fait, on est dans des ajustements qui ont toujours un temps de retard et dans lesquels on est comme dans une tragédie grecque où l’on sait que cela finira, c’est inévitable, mais on y va quand même. Je pense que la question, sous l’angle politique et non pas sous l’angle économique est de savoir quels sont les choix que nous sommes en capacité de faire, en France et ailleurs, pour empêcher l’inéluctable de survenir.  
D’une certaine manière, sommes-nous capables, dans le temps qui peut rester à la zone euro dans sa configuration actuelle, d’éviter une déflagration ou une dissolution instantanée dans laquelle on ne maîtriserait plus rien ? C’est cela, je crois, la question en tout cas politique à laquelle il faudrait répondre.

Intervention de Christian Hutin, député du Nord et vice-président du MRC, à la tribune de l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi santé, mardi 31 mars 2015.

Créé par le 01 avr 2015 | Dans : environnement, Santé-social-logement

Christian Hutin  

Madame la ministre, je n’ai pas écrit de discours, car je souhaitais rebondir sur les propos liminaires que vous avez tenus cet après-midi en présentant votre projet de loi.  
Certains articles sont peut-être estompés par certains autres, plus catégoriels. Vous avez ainsi déclaré que le lien entre la santé et l’environnement était un élément essentiel de la santé publique du XXIe siècle et je souscris à ce jugement. Or, personne ne parle de l’article 10, alors que tout le monde parlait, la semaine dernière, de la pollution par les particules fines. Je me suis intéressé à ce sujet, ou du moins ai-je milité sur ces questions – j’ai en effet été président, pendant cinq ou six ans, de la fédération nationale des associations de surveillances de la qualité de l’air. Nous avions alors donné l’alerte – un peu dans le désert, à l’époque – quant au risque sanitaire lié à ces particules fines. Et voilà que sont enfin inscrites dans la loi une information obligatoire de nos concitoyens et une possibilité réelle de connaître les risques pour la santé. C’est là un point essentiel dont personne ne parle.  

Je souligne à ce propos l’importance des associations de surveillance de la qualité de l’air, qui coûtent très peu cher, car elles sont essentiellement composées de volontaires, et qui méritent d’être soutenues par votre ministère.  
J’évoquerai en deuxième lieu l’article suivant, consacré à l’amiante au titre des risques sanitaires liés à l’environnement. Comme beaucoup de nos collègues, je suis particulièrement sensible à la situation des victimes de l’amiante et au fait que certains de nos concitoyens aient travaillé dans des milieux amiantés et en soient morts. Il faut maintenant s’occuper des suites de cette situation, ainsi que des difficultés et des risques que peut présenter aujourd’hui le désamiantage pour les travailleurs qui s’y emploient. L’article 11 reprend cette considération essentielle, dont bien peu de gens parlent.  
Mon troisième point sera un petit coup de colère envers le président de la commission des finances, à propos d’un amendement sur lequel, madame la ministre, nous avons travaillé avec votre ministère et vos collaborateurs et qui était porté depuis des années par les associations de victimes de l’amiante : alors que le malade de l’amiante voit son état reconnu par la caisse d’assurance-maladie sans qu’une deuxième analyse par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – le FIVA – soit nécessaire, les familles subissent, si le malade est décédé, une double peine, car elles doivent faire procéder à un double examen, par la caisse et par le FIVA.  
L’amendement visait simplement à simplifier les choses : face au drame moral que représente cette situation anxiogène, il nous semblait essentiel que les veuves et les familles des personnes décédées n’aient besoin que d’un seul avis, immédiat et légitime. C’était là une vieille revendication, que vous avez acceptée et soutenue, mais qui n’a pas été acceptée par le président de la commission des finances. C’est incroyable, car cette mesure n’entraînait pas de dépenses supplémentaires, mais au contraire plutôt des économies.  
Le président de la commission des finances a déclaré que mon amendement n’était pas recevable. Or, il n’est économiquement pas dangereux, et même plutôt intéressant, car la suppression d’une double instruction se traduit par une économie de temps et d’argent. Je souhaiterais donc, madame la ministre, que vous repreniez cet amendement lors de la discussion des articles. Je pense que vous donnerez ce signe important pour les victimes de l’amiante, en particulier pour les veuves, et que l’ensemble de nos collègues, sur tous les bancs, en seront d’accord, car il s’agit d’un amendement de bon sens et d’une marque de respect envers les victimes de l’amiante.

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