mai 2015

Archive mensuelle

« France-Algérie, une ambition commune à forger au service de la paix dans le monde »

Créé par le 25 mai 2015 | Dans : Articles de fond, Blog du Che, Monde arabe, Proche et Moyen-Orient

Conférence de Jean-Pierre Chevènement, prononcé à l’Institut Français d’Alger, le 11 octobre 2014.  


Merci Monsieur l’Ambassadeur, merci Monsieur le Directeur de m’accueillir à l’Institut français d’Alger. Merci aussi à toutes les personnes ici présentes qui sont venues à ma rencontre, Français ou Algériens. Merci particulièrement aux personnalités algériennes que je reconnais, notamment le sénateur Benyounes, M. Omar Belhouchet directeur d’El Watan, et bien d’autres que je ne puis citer toutes.  
Je suis venu en Algérie, guidé par l’amitié, avec une délégation de l’AFA, l’Association France Algérie, avec son secrétaire général, Monsieur Jean-Yves Autexier, ancien député et sénateur, son premier vice-président délégué, Monsieur Raoul Weexsteen que vous connaissez bien, qui est un chercheur éminent, et qui connaît bien l’Algérie. Je tiens à vous remercier, je tiens à remercier d’abord le gouvernement algérien de l’accueil qu’il m’a réservé mais aussi les Algériens que je m’efforce de rencontrer dans leur diversité. J’ai eu l’occasion déjà de voir Monsieur Belhouchet hier et puis d’autres encore, y compris en me rendant à Tizi Ouzou pour des raisons sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure. J’ai pu avoir un contact avec les habitants et avec tout ce qui se fait de mieux dans cette terre de Kabylie qui est tellement riche, s’agissant de son patrimoine aussi bien matériel que spirituel.  
 

 

Je suis frappé, je le dis chaque fois que je viens en Algérie, par tout ce qui se fait, la ville nouvelle de Tizi Ouzou, l’énorme chantier avec des dizaines de milliers de logements, un CHU, un grand stade et, puisque je parle de sport, je tiens à me réjouir de la victoire de l’Algérie sur le Malawi. Nous étions invités par M. Benyounès avec quelques ministres dont précisément le ministre des sports et nous avons suivi minute après minute le déroulement du match. Dès le début, 1-0 [applaudissements] et puis ensuite 2-0 dans le temps additionnel. Donc l’affaire était dans le sac pour ceux qu’on n’appelle plus les Fennecs mais les Guerriers du Désert. Ma culture footballistique s’est enrichie.  
Alors, je me suis donné à moi-même un sujet difficile, un pensum que je vais peut-être vous infliger : « France-Algérie, une ambition commune à forger au service de la paix dans le monde ». Pourquoi pas ? C’est un sujet difficile. Je vais le traiter en quatre points.  
Le monde est devenu plus complexe, plus difficile à gouverner. La France et l’Algérie peuvent constituer ensemble un binôme structurant pour le XXIème siècle. Nous avons de nombreux défis à relever ensemble et je les énumérerai en évoquant plus particulièrement le défi de l’Afrique dans laquelle, géographiquement, l’Algérie plonge profondément. Et je plaiderai pour une vision raisonnable et commune, qui est à notre portée.  
Tout d’abord, l’Algérie, dit-on, est une jeune nation mais la France et l’Algérie sont un vieux couple. Cela pourrait se discuter parce que cette jeune nation pousse ses racines très loin dans le passé. Nous allons visiter les fouilles de la place des Martyrs demain et nous verrons que le passé de l’Algérie est très ancien, très riche. Mais on dit que c’est une jeune nation parce qu’elle a évidemment une démographie jeune, parce que, j’y reviendrai tout à l’heure, l’Algérie est pour la France le plus proche des grands pays émergents comme on dit aujourd’hui, dont la réussite nous importe au premier chef.  
Et puis je dis que la France et l’Algérie sont un vieux couple. Effectivement, cela fait déjà un certain nombre de siècles, que nous avons appris à nous connaître. Mais le temps qui passe et les cinquante ans de l’indépendance, que nous avons commémorés en 2012, nous montrent que nous pourrons nous connaître toujours mieux, nous respecter, nous aimer, ce qui n’exclut pas de temps à autre des scènes de ménage… Mais ce n’est pas ce qui compte et, je peux le dire aujourd’hui, nos relations sont excellentes ; elles se portent bien. Il faut avoir à l’esprit que ce n’est jamais gagné, c’est un travail de tous les jours, Monsieur l’ambassadeur le sait parfaitement.  
C’est une belle et noble bataille de rapprocher la France et l’Algérie, parce que naturellement nous devons enterrer définitivement les séquelles de l’esprit colonial : tout cela n’a plus de sens. Il faut regarder ensemble vers l’avenir avec des yeux neufs, et c’est là un défi permanent.  
Je veux évoquer brièvement la France : c’est une vieille nation. Vous connaissez sa géographie, elle est au cœur de l’Europe occidentale, entre ses principaux pays. Sa démographie n’est pas si mauvaise que cela. Nous serons d’ici une trentaine d’années, une quarantaine d’années peut-être, le pays le plus peuplé d’Europe avec l’Allemagne. Je voudrais surtout insister sur le fait que la France n’est pas une nation occidentale comme les autres. La France est le pays – c’est l’histoire qui l’a fait ainsi – où s’est déroulée la Révolution française, avec ses principes toujours difficiles à appliquer bien entendu, mais caractérisée par une promesse, un engagement qui font qu’elle doit se sentir partie prenante de la famille de toutes les nations et pas seulement partie prenante de la famille des nations occidentales, comme l’avait dit un ancien président de la République.  
La France a ouvert une dimension universaliste à laquelle elle doit rester fidèle. Ce n’est pas facile et elle y a manqué, notamment en Algérie, mais c’est toujours une exigence dont elle doit se rappeler, qui fait partie de l’histoire qui est la sienne. La France, chacun le sait, est membre du Conseil de sécurité des Nations unies, à titre permanent. C’est une des cinq puissances dotées et reconnues par le TNP, c’est le cinquième PNB mondial. C’est un pays qui se lamente sur lui-même. C’est un trait de caractère contemporain. Ça ne fut pas toujours le cas. Les Français ont péché autrefois par un excès d’arrogance mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous restons la deuxième économie européenne, la première destination touristique mondiale et nos multinationales sont nombreuses, 31 dans les 500 premières. Elles sont plus nombreuses que les britanniques et les allemandes, même si le tissu de nos petites entreprises ou de nos moyennes entreprises est beaucoup moins fourni qu’outre-Rhin. Cela fait partie de nos handicaps qu’il faudrait rappeler. La langue française est parlée par 200 millions d’habitants. Sa culture reste appréciée par les élites du monde entier. J’ajoute que nous avons une recherche qui se tient bien.  
Nous avons enfin un atout sur lequel je voudrais insister à Alger. C’est la présence sur notre sol d’une immigration nombreuse d’origine principalement maghrébine et notamment algérienne. C’est une chance pour la France ; c’est une chance – je le crois aussi – pour l’Algérie. J’observe la montée dans la société française de cadres, d’ingénieurs, de fonctionnaires, d’élus, d’artistes, d’architectes, de médecins, de commerçants et je peux dire que c’est assez impressionnant. On voit toujours le côté négatif des choses. Il existe aussi un aspect positif dont je voudrais témoigner devant vous. Je pense que cela fait partie à la fois de nos atouts et des vôtres.  
J’en viens tout de suite à l’Algérie. L’Algérie est pour la France son vis-à-vis naturel de l’autre côté de la Méditerranée, la puissance centrale du Maghreb, un pays qui, je le disais tout à l’heure, s’étend jusqu’au fond de l’Afrique, qui a de très nombreux voisins, je ne vais pas les énumérer tous : le Mali, la Mauritanie, le Niger, la Libye, la Tunisie,… et ce n’est pas toujours facile. Le Maroc que je n’aurais garde d’oublier parce que la dimension maghrébine est très importante. La France doit avoir présent à l’esprit le fait que la constitution du Grand Maghreb, qui finira bien par survenir, sera une chance pour le développement de cette région et pour le développement de nos relations.  
L’Algérie est un pays très vaste, il représente pratiquement cinq fois la superficie de la France, 2,3  millions de km2. Démographiquement, c’est un pays de près de 40 millions d’habitants, très jeune, qui maîtrise néanmoins sa démographie mais qui naturellement pèsera beaucoup plus lourd d’ici une trentaine d’années : je pense 60-65 millions d’habitants. Cela nécessite un investissement soutenu. Je vois ce que cela représente du point de vue de la formation, du logement, des infrastructures. Economiquement, c’est le premier PNB du Maghreb par habitant et en valeur absolue, c’est le quatrième de l’Afrique.  
Enfin et surtout, l’Algérie c’est une histoire, une histoire prestigieuse qui témoigne des capacités, comme on dit, de résilience -je préfère dire : de résistance du peuple algérien, qui a surmonté l’épreuve de la colonisation, qui a conquis son indépendance et dont l’importance pour les autres peuples du monde a été et reste considérable : elle a marqué les années 1960-1970.  
Je me souviens du prestige de l’Algérie, du président Ben Bella, du président Boumediene, de son ministre des affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. C’était quelque chose qui faisait partie de ces années 1960 et qui reste profondément dans les consciences. Et j’observe aujourd’hui que l’Algérie, un moment isolée dans les années 1990, a retrouvé une forte capacité de rassemblement.  
Enfin, je voudrais dire que l’Algérie est un Etat. Cela n’a l’air de rien, mais un Etat ce n’est pas à la portée de tout le monde. Quand on regarde la carte de l’Afrique, j’y viendrai tout à l’heure, on voit que très peu de pays peuvent dire qu’ils ont un Etat. L’Algérie a un Etat, c’est-à-dire qu’elle a d’abord un gouvernement avec des hommes et des femmes de qualité. J’ai fait la connaissance – je ne veux pas citer Monsieur Benyounès, on m’accuserait de flagornerie – mais par exemple votre ministre de l’Education nationale m’a fait grande impression et je pourrais dire cela de beaucoup d’autres, votre ministre des Affaires étrangères qui connaît admirablement les questions africaines, tout comme Monsieur Messahel, un expert reconnu. Je pourrais parler de la qualité des patrons de presse algériens. Je pourrais parler des écrivains, nous avons reçu Rachid Boudjedra il n’y a pas très longtemps à Paris, Boualem Sansal, d’autres encore, des hommes d’affaires – nous allons organiser un colloque avec des industriels algériens. L’Algérie enfin a une Administration qui maille son territoire et elle a une armée forte.  
L’Algérie est un pays qui a beaucoup d’atouts, le FMI lui-même le soulignait il y a peu de temps. C’est une grande puissance énergétique. Monsieur Abdelmalek Sellal nous l’a rappelé. Et je dirais qu’il n’y a aucune raison de ne pas avoir confiance dans l’avenir d’un pays comme le vôtre. C’est un pays qui a la capacité d’aller loin et pour la France c’est aussi notre intérêt. L’Algérie est notre voisin, nous avons une relation humaine qui n’est pas difficile. Entre Algériens et Français, le courant passe facilement. Il y a toutes sortes de choses qui font que, peut-être parce que nous sommes des Méditerranéens, naturellement enjoués, nous aimons plaisanter, rire. Eh bien le contact s’établit assez facilement. J’ajoute que la langue y est aussi pour quelque chose. Kateb Yacine parlait de « butin de guerre » que le français représentait pour le Maghreb. Cela facilite beaucoup les choses.  
Alors je voudrais parler maintenant des défis, en suivant le plan que je vous ai annoncé tout à l’heure, défis que nous devons relever ensemble. D’abord celui du co-développement, du développement en commun. J’évoquais ce colloque sur les échanges industriels franco-algériens qui sera conclu par Monsieur Bouchouareb et qui mettra l’accent non seulement sur la diversification nécessaire de l’économie algérienne mais aussi sur les apports que l’économie française peut réaliser à travers des investissements qui peuvent contribuer puissamment au décollage et à l’émergence. Je suis allé souvent en Chine, j’ai pu voir ce qui se faisait. La Chine a su tirer le meilleur parti de ce qu’on appelle les IDE, les investissements directs. Quand je vois les IDE français dans le monde, 2000 milliards de dollars, c’est quand même impressionnant. C’est un pays qui épargne depuis très longtemps, qui a placé son épargne à bon ou à mauvaise escient, avec bien sûr des expériences malheureuses, l’affaire des emprunts russes par exemple, mais qui ne gâchent pas notre relation. Je me rends quelque fois en Russie parce que je suis chargé d’une mission spéciale vis-à-vis de ce pays. C’est une tâche qui n’est pas toujours facile.  
Mais il n’est pas normal que le Maghreb recueille seulement une vingtaine de milliards sur 2.000. Cela devrait être peut-être 200 milliards. Mais naturellement cela implique que les pays du Maghreb et notamment l’Algérie prennent les mesures qu’il faut pour canaliser ces investissements, et la technologie qui va avec, dans le sens que l’Algérie aura choisi. C’est sa responsabilité, c’est sa souveraineté.  
Deuxième défi que nous avons à relever, c’est le défi de la sécurité dans le Sahel. J’étais venu l’année dernière avec le sénateur Larcher qui co-présidait une mission d’étude du Sénat français sur le Mali et le Sahel. Nous avions rencontré vos responsables. Monsieur Larcher est devenu président du Sénat – Monsieur Raffarin va devenir président de la commission des affaires étrangères et de la défense. Donc ce sont deux amis de l’Algérie qui, je pense, seront très utiles.  
Le problème du Sahel est un problème difficile parce que nous avons affaire à des immensités : ce sont des milliers et des milliers de kilomètres et naturellement ce sont des zones de passage, des zones de trafics, de commerce. Il faut naturellement assurer un certain contrôle dans le bien de tous parce qu’il n’y a pas de développement sans sécurité. Naturellement, l’Algérie veut garder ses frontières sûres et solides. Sa constitution prévoit qu’elle ne sorte pas de ses frontières. Mais je dirais que le fait qu’un grand pays comme l’Algérie puisse déjà jouer ce rôle a un effet de stabilisation très important et une bonne entente entre nous, qui s’est créée, peut y contribuer.  
Nous affrontons bien sûr le défi de la lutte contre le terrorisme global. Je ne veux pas mettre le terrorisme à toutes les sauces parce qu’on le fait trop facilement. Ce que je vise bien entendu, c’est l’islamisme radical, et j’ajoute : armé et global. C’est-à-dire qu’il peut y avoir des mouvements qu’on qualifie de terroristes mais qui sont en fait des mouvements de résistance, et je ne veux pas faire de confusion. Me trouvant en Algérie au lendemain de l’assassinat de l’un de nos malheureux compatriotes, je veux dire que l’amitié entre la France et l’Algérie n’est pas altérée par ce crime odieux parce que ces criminels, vous les avez connus, vous les avez subis, vous en avez souffert. Et je rends hommage à l’armée algérienne de l’effort qu’elle déploie pour retrouver les assassins. Monsieur le Premier ministre m’a indiqué que le Chef d’Etat-major en faisait un point d’honneur personnel à ce qu’ils puissent être arrêtés et déférés à la justice.  
Je ne confonds pas l’islamisme radical avec l’islam et même pas avec l’islamisme politique tel qu’on a pu le voir se développer dans certains pays. Bien sûr il peut y avoir des parentés, mais ce n’est pas du même ordre. Nous devons rester fidèles au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de pays comme l’Egypte où l’échec des Frères musulmans ne tient pas aux interventions extérieures mais essentiellement à la manifestation de leur incompétence. Je crois pouvoir le dire sans formuler un jugement qui porterait atteinte au principe de non-ingérence. Simplement, on doit pouvoir exprimer librement un certain nombre de commentaires.  
Je voudrais dire quelques mots du défi de l’Afrique parce que l’Algérie est un des grands pays de l’Afrique. J’évoquais tout à l’heure le fait que c’est l’un des rares pays qui ait un Etat. On pourrait citer le Maroc, l’Egypte, l’Afrique du Sud et quelques autres. Mais pas beaucoup d’autres et c’est un problème majeur pour le développement.  
On dit souvent que l’Afrique est le continent de l’avenir. Oui, il le faudrait, c’est nécessaire et l’Afrique a des ressources, pas seulement des matières premières mais des capacités humaines. Mais pour que l’économie et les sociétés africaines puissent se développer, il faut qu’un minimum d’ordre puisse être assuré, il faut que naturellement la vie économique puisse s’établir sur des bases stables et par conséquent, nous devons ensemble aider les pays africains à se construire sur des bases solides.  
Le premier pays qui vient à l’esprit, c’est évidemment le Mali. Tout d’abord, son intégrité territoriale est hors de cause, il faut la préserver. Personne ne songe à modifier les frontières du Mali. La fragmentation du Mali ne serait pas une bonne chose.  
Nous avons tous entendu parler de l’Azawad mais quand on regarde sur une carte ce que représentent les trois régions de Gao, Tombouctou et Kidal, elles représentent les deux tiers du Mali. Donc il est certainement raisonnable d’aller vers une certaine régionalisation au niveau de chacune de ces régions et d’aller plutôt vers un partage du pouvoir que vers un partage du territoire, comme nous l’a dit hier Monsieur Messahel. Je pense que c’est le bon sens.  
Permettez à l’homme que je suis de faire un détour par les austro-marxistes, une variété de socialistes qui ne vous dira sans doute rien. C’était avant la guerre de 1914 dans l’Empire d’Autriche-Hongrie ; des gens comme Victor Adler, Otto Bauer avaient théorisé une idée de la nation fondée sur la culture, qui aurait évité selon eux ou qui était destinée à éviter le démembrement de l’Empire d’Autriche-Hongrie. Je pense que ces études, ces vieux livres que je ne voudrais pas exhumer trop longtemps, pourraient nous guider dans la recherche de solutions adaptées à la diversité des populations dans un pays comme le Mali. Mais aussi le Niger qui peut être cité en exemple parce qu’il a su trouver des formules de coexistence adaptées.  
Si nous voulons lutter contre le terrorisme dit islamiste armé global, il faut encore assécher le terreau sur lequel il se développe. On dit que pour réduire les moustiques, il faut assécher les marais. Eh bien, il faut trouver un bon accord entre les communautés maliennes. L’Algérie s’y est essayée à plusieurs reprises, et c’est difficile. Depuis l’indépendance du Mali, en 1960, il y a eu peut-être cinq rebellions. Je sais que l’Algérie mène actuellement une médiation. Comment ne pas souhaiter sa réussite ? La France est aux côtés de l’Algérie pour l’aider à réussir dans ce travail.  
Et nous savons aussi que le Mali ne sera vraiment un Etat qui tiendra debout que lorsqu’il aura une armée, parce que c’est nécessaire. Une armée qui soit réellement significative, ce qui implique un effort de formation que nous avons entrepris avec d’autres pays européens, mais c’est surtout nous qui portons cette tâche. L’Algérie peut aussi y aider de son côté sous des formes à déterminer. Ce n’est pas une intervention. C’est une politique de coopération pour la formation de soldats, pour qu’ils sachent en quelque sorte manœuvrer ensemble et faire respecter la loi et l’ordre car cela est tout à fait nécessaire.  
Un mot sur la Libye. L’Algérie met l’accent sur un dialogue inclusif avec l’ensemble des parties prenantes. Vous savez que la Libye, pour des raisons sur lesquelles je ne vais pas revenir (…)a besoin de se réunir entre les éléments dit modernes, les éléments islamistes, les anciens kadhafistes, etc. Il faudrait que les Libyens puissent trouver ensemble le chemin de leur affirmation nationale. Il y a un million d’Egyptiens en Libye, un million de Libyens en Tunisie. Vous imaginez toutes les interconnections.  
J’en viens naturellement à la Tunisie, C’est votre voisin dans le cadre du Maghreb. La Tunisie vient d’adopter une constitution qui ressemble beaucoup à celle que lui avait donnée le président Bourguiba. Elle va avoir des élections et il est évidemment de l’intérêt du Maghreb tout entier que cette expérience tunisienne réussisse. On ne peut rien dire de plus, puisqu’il va y avoir des élections, donc les élections donneront les résultats qu’elles donneront.  
J’ai l’intention de vous dire deux mots de l’interconnexion, que j’ai pu vérifier sur le terrain en me rendant plusieurs fois dans le Sahel, entre le Sahel, le Maghreb, le Machrek, le Golfe et d’autres théâtres encore. Il y a non pas unité mais toutes sortes de connections sur lesquelles il faut réfléchir. Quand nous voyons aujourd’hui ce qu’il se passe en Irak, on voit bien que l’Irak ayant été détruit, sur le terreau de ce pays décomposé prospère le califat islamique, Daech, et la seule chose que je puisse dire, c’est qu’il me paraît évident qu’il faut dissocier les populations sunnites de Daech. C’est une responsabilité qui incombe d’abord au gouvernement irakien car il faudra d’abord reconstruire l’Irak.  
Je ne suis pas de ceux qui se réjouissent de l’effacement des frontières entre l’Irak, la Syrie etc. Je pense que ces capitales s’imposaient naturellement. Damas, Bagdad ont été de grandes capitales dans l’histoire du monde arabe et on a constitué des Etats qui étaient certes fragiles, hétérogènes mais qu’il ne faut pas dissocier. Il faut au contraire respecter leur réalité, même s’ils n’ont qu’un siècle. Après tout, il vaut peut-être mieux des réalités patiemment construites que le désordre organisé. Je reviens (…) à ce qui était notre ambition commune : parvenir à une vision du monde raisonnable. D’abord il faut dire les responsabilités.  
La lutte contre l’islamisme radical armé global, c’est d’abord l’affaire des musulmans qui doivent faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Ce fléau les afflige en premier, l’Algérie le sait. Naturellement, d’autres pays sont concernés : l’Amérique, l’Europe, l’Espagne, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et la Russie. Mais c’est quand même dans le monde musulman que doivent triompher les idées de démocratie et de progrès. Il y a des spécificités selon les pays. Par conséquent, je ne veux pas généraliser à l’excès.  
Il y a aussi une responsabilité qui est une responsabilité occidentale qu’il ne faut pas nier. Le monde arabe, le monde musulman a subi toutes sortes de manipulations, d’instrumentalisations. Je pense même à Guillaume II, qui suscitait l’alliance du sultan contre la Grande-Bretagne en 1914, et les services secrets britanniques qui envoyaient Lawrence d’Arabie pour soulever les Arabes du Hedjaz. On pourrait trouver des exemples plus récents : le soutien de la CIA aux Frères musulmans contre Nasser ; ensuite le soutien de la CIA toujours appuyée sur l’ISI -les services secrets pakistanais- aux intégristes afghans, au Hezb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyar puis aux Talibans pour des raisons pétrolières ou gazières ou simplement pour faire pièce à l’URSS. Et on pourrait multiplier les exemples.  
Le point qui est le plus choquant, je le sais, c’est le problème israélo-palestinien avec la politique du deux poids deux mesures. C’est là la matrice des tensions au Proche-Orient même s’il y a d’autres causes. Je prendrai un exemple : l’arrivée au pouvoir de l’imam Khomeiny a accru les tensions entre sunnites et chiites qui vivaient jusque-là, je dirais, en bon ménage. Les monarchies pétrolières ont réagi en développant le wahhabisme et même en finançant des mouvances terroristes. J’évoquais Ben Laden en Afghanistan. Tout cela, c’est encore une des manifestations de ce que l’on appelait « le grand jeu » au XIXème siècle et qui s’est continué pendant la Guerre froide. Donc on ne peut pas taire ces responsabilités mais il me semble qu’il ne faut jamais non plus occulter celles qui incombent à chaque peuple : chacun doit faire ce qu’il faut à domicile.  
A cet égard, il faut souligner, me semble-t-il, l’actualité des valeurs de citoyenneté partout dans le monde. L’islamisme, c’est la thèse soutenue par un de vos collègues, Monsieur l’ambassadeur, Monsieur Brochant, est une réponse à ce qu’il appelle l’« hyperindividualisme libéral » porté par l’Occident. C’est une thèse qu’il développe en 900 pages, je ne vais pas la résumer. Mais c’est un livre qui m’a beaucoup intéressé – ce n’est pas un livre d’ailleurs, c’est une étude – qui m’a beaucoup intéressé parce je pense que nous avons besoin de valeurs collectives. Nous-mêmes, en France, je ressens que ces valeurs qu’on enseignait autrefois à l’école nous sont bien nécessaires. Le civisme serait quand même un ciment précieux dans nos sociétés. Et comment peut-on imaginer la démocratie dans le monde arabe – on a beaucoup parlé des printemps arabes – si on pense que la démocratie se résume aux élections ? La démocratie implique une éducation. Elle implique une réflexion, elle implique une prise de responsabilité collective. C’est tout cela que nous devons comprendre ensemble parce que rien de tout cela ne nous sépare. Nous avons là un lot commun d’idées à faire fructifier.  
Tout cela doit déboucher sur une diplomatie de principes – je mets « principes » au pluriel – qui doit nous réunir. Nous devons agir dans le cadre de l’ONU. Bien entendu, le monde n’est plus ce qu’il était en 1945. Il y a 200 pays dans le monde. Il y en avait 51 à l’époque. Mais il y a un certain nombre de principes qui tiennent la route : le respect de l’intégrité territoriale des Etats, l’autodétermination de chaque peuple et l’action dans le cadre de l’ONU, ou dans le cadre d’organisations comme l’Organisation de l’Unité Africaine où je salue le rôle que joue l’Algérie. C’est très important parce qu’aujourd’hui on doit privilégier la voie du dialogue, de la conviction et de l’action solidaire.  
Il faut toujours penser que la négociation, quand elle est possible, est préférable à la guerre car la guerre, quand on la déclenche, est une boite de Pandore. Le diable s’en échappe et il est très difficile de l’y faire rentrer. Nous l’avons vérifié puisque c’est le centième anniversaire du déclenchement du Premier conflit mondial. Il est la matrice du « terrible et court XXème siècle » dont a parlé l’historien britannique Hobsbawn. Mais prenez la guerre du Golfe. Elle a bien évidemment abouti à cet embargo cruel puis à cette invasion de l’Irak, à la destruction de ce pays, de son administration, de son armée, de son Etat avec les résultats que nous voyons : un Etat qui est divisé au moins en trois. Les chiites qui sont peut-être majoritaires mais qui sont, je dirais, dans leur région. Les sunnites, livrés à eux-mêmes, ont été abandonnés. Comme me dit un de mes amis, on voit des chiens méchants mais qui les a rendus méchants ? Donc il faudrait dissocier ces populations sunnites de Daech parce que je pense qu’elles ne se reconnaissent pas du tout dans cette organisation. Moi qui ai connu l’Irak d’autrefois, qui était un pays de haute culture, un pays de progrès à certains égards, je vois aujourd’hui le résultat. Donc nous devons toujours privilégier la négociation à la guerre. C’est ce que fait assez systématiquement, me semble-t-il, l’Algérie. Je ne saurais que l’approuver.  
Nous ne devons pas non plus nous fixer d’objectifs qui soient au-delà de nos moyens. C’est une chose assez simple, mais quand on se fixe un objectif, il vaut mieux en avoir les moyens et bien mesurer le temps nécessaire pour atteindre l’objectif.  
L’Algérie se conçoit comme une puissance régionale majeure qu’elle est incontestablement mais, je l’ai rappelé tout à l’heure, sa diplomatie est prestigieuse. Elle peut s’exercer, par exemple dans la mission que le secrétaire général de l’ONU avait confiée à Monsieur Lakhdar Brahimi sur des sujets difficiles. On n’en est d’ailleurs pas encore sorti, mais rien ne doit nous empêcher de peser ensemble politiquement dans le bon sens pour relever y compris des défis qui se manifestent sur des champs plus lointains mais qui ont des répercussions sur la région dans laquelle nous sommes. Qui peut croire que l’islamisme est simplement un problème algérien, un problème maghrébin, un problème sahélien ? C’est un problème beaucoup plus vaste. Donc nous pouvons y réfléchir ensemble. Nous avons tout à gagner à nous parler continûment, à confronter nos analyses, à rapprocher nos points de vue. Personne n’a la vérité infuse. Chacun a sa part de vérité. En confrontant nos points de vue, je pense que nous pouvons faire grandement avancer les choses.  
Je vais conclure maintenant. Vous m’avez accordé une demi-heure. Je crois que je vais tâcher de me plier à la discipline que m’a fixée le directeur de l’Institut français. Celui-ci d’ailleurs ne s’appelle pas ainsi par hasard. Je vous ai mis l’eau à la bouche. Je vais donc dire tout de suite que c’est un amendement que j’ai présenté en pleine nuit au Sénat qui a fait préférer le nom d’ « Institut français » à celui d’« Institut Victor Hugo ». Vous risquiez de vous appeler « Institut Victor Hugo » alors que la littérature française est quand même plus riche que Victor Hugo, quels que soient finalement les mérites de cet immense poète. « Notre plus grand poète, hélas » disait Gide. Mais la littérature française est autre chose, donc vous vous appelez « Institut français ». Je veux conclure après cette incidente dont vous voudrez bien m’excuser.  
Si l’Algérie et la France doivent se fixer cette ambition à vrai dire impressionnante, que j’évoquais tout à l’heure, il nous faut éviter tous les simplismes, tous les manichéismes, prendre conscience ensemble de la complexité des situations dans le monde du XXIème siècle, lutter ensemble contre toutes les formes de discrimination, de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme. En positif, faire triompher les valeurs de citoyenneté, de fraternité entre les peuples, les valeurs de paix et cela demande du courage. C’est Jaurès qui s’exprimait ainsi avant la Première Guerre mondiale : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. C’est refuser de nous joindre, de nos mains et de notre bouche, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ».  
Je n’ai pas connu Jaurès… Mais j’ai connu Jacques Berque, qui était un de mes amis. Il est d’ailleurs Algérien, né à Frenda. C’était pour moi un ami très proche. Il a traduit le Coran en français et il me faisait remarquer que le Prophète, 44 fois – je n’ai pas vérifié mais je l’ai encore dans l’oreille – 44 fois, le Prophète faisait appel à la raison naturelle dans le Coran traduit par Jacques Berque. Le Prophète disait « il faut aller chercher le savoir jusqu’en Chine », c’est-à-dire à l’époque jusqu’à l’extrémité du monde. Je vois que vous savez le faire puisque vous avez des entreprises chinoises qui travaillent sur les chantiers algériens.  
C’est donc et je conclurai par-là, sur les valeurs de savoir, de culture, de raison que nous forgerons ensemble un avenir meilleur. Je pense, parce que je connais l’Algérie et parce que je connais toutes ses possibilités dans tous les domaines, qu’elle et la France, ensemble, peuvent y contribuer grandement. Voyez la carte du monde. Regardez une mappemonde, il y a les Etats-Unis, qui restent, non plus l’hyperpuissance mais une très grande puissance, qui déclinent peut-être mais très doucement et qui font ce qu’il faut pour ne pas décliner trop vite. Et puis la Chine qui monte dont le produit égalera bientôt celui des Etats-Unis. Vous voyez bien tout ce qui se passe et la tentative des Etats-Unis de rassembler l’Occident autour d’eux et puis d’autre part les émergents. L’Occident heureusement est pluriel, comme je le disais tout à l’heure. Les émergents aussi d’ailleurs.  
Le monde est donc compliqué mais ensemble, regardez la carte : la France et l’Algérie se touchent presque. Il n’y a que la Méditerranée à traverser. Il y a tant de choses entre nous et tant de liens humains. Donc c’est ce rapprochement vraiment inédit, exceptionnel, sans pareil, avec une compréhension qui peut-être spontanée, mais doit toujours être recherchée, qui peut former, je le disais tout à l’heure, un binôme structurant, une colonne vertébrale, quelque chose de solide pour le monde du XXIème siècle. Merci.  

 

Rédigé par Chevenement.fr le Samedi 18 Octobre 2014

« Il n’y a pas d’Etat sans autorité »

Créé par le 24 mai 2015 | Dans : Articles de fond, Blog du Che

Entretien de Jean-Pierre Chevènement paru dans la Revue des Deux Mondes, mai 2015. Propos recueillis par Valérie Toranian et François d’Orcival.


"Il n'y a pas d'Etat sans autorité"
Revue des Deux Mondes : Vous symbolisez l’autorité depuis quarante ans. Tout le monde s’en réclame depuis quelques mois.  La France toute entière semble devenue « chevènementiste ». Cela vous fait plaisir ?   Jean-Pierre Chevènement : Ça me fait sourire. Il ne suffit pas de récupérer les mots pour que l’énergie soit au rendez-vous. Ce qui manque, c’est la vue d’ensemble dans le temps et dans l’espace : la conscience de l’Histoire et en même temps la vision mondiale des problèmes. Je ne pense pas que ça puisse s’acquérir en un jour. C’est l’effet de la pratique et de la réflexion.  
Vous avez toujours incarné à la fois la République, l’autorité et la nation. Où en-sont ces valeurs aujourd’hui ? Notre pays n’a plus de lui-même une vision très claire. D’abord, il y a eu la France comme création politique qui « vient du fond des âges », selon la formule du général de Gaulle (Mémoires d’Espoir). Puis la France a pris conscience d’elle-même comme nation. Une nation devenue souveraine  en 1789 ; la République est née trois ans après. Mais elle a mis beaucoup de temps à s’affermir et il a fallu attendre le général de Gaulle et François Mitterrand pour stabiliser son fonctionnement institutionnel. Je cite François Mitterrand car l’alternance a évidemment renforcé le crédit des institutions de la Ve République.   
J’ai toujours pensé qu’il était nécessaire que le  président soit l’homme de la nation. Mais il faut aussi se demander comment, avec l’élection au suffrage universel, le président de la République peut demeurer l’homme de la nation, c’est-à-dire être l’élu de tous les Français. Peut-il transcender les conditions de son élection ? Il n’est pas évident que l’objectif du général de Gaulle ait été acquis. La présidence pourrait devenir et redevient d’ailleurs un enjeu dans le système des partis. Le quinquennat va-t-il dans le bon sens ? Je ne le pense plus. Tout ce qui donne au président une vue longue est bon et naturellement, le gouvernement doit procéder de l’Assemblée nationale : la démocratie doit fonctionner. Mais la France a besoin d’un Président de la République qui soit l’homme de la Nation. C’est ainsi qu’elle peut assumer son histoire.  
Nous avons atteint une limite. Une réflexion collective devrait être menée sur le sens de nos institutions, sans qu’il soit question de les changer ; il faut leur restituer leur place, leur autorité.  
 

 

On reproche à François Hollande son manque d’autorité. Vous partagez cet avis ? François Hollande a voulu être un président à la scandinave, un président « normal ». De surcroît, il n’a pas pu opérer dans des conditions convenables la transition entre ses fonctions de premier secrétaire du Parti socialiste et la fonction présidentielle, étant donné la manière dont la plupart des dirigeants socialistes avaient appris à le considérer et dont ils continuent  à le traiter. C’était son problème. Il en mesure désormais les effets.  
Les choses ne se sont-elles pas définies différemment avec la façon dont il a géré les attentats de janvier ?   Oui, une onde de « présidentialité » a traversé le pays. François Hollande a réagi avec beaucoup de sang-froid et de dignité, ce qui était absolument nécessaire face à un problème aussi vaste et complexe. Le problème du terrorisme djihadiste, à l’intersection des conflits qui agitent le monde arabo-musulman et des tensions de notre société, ne peut se résoudre que dans le temps long. Il faut l’affronter avec des valeurs et des repères sûrs, ceux de la République. L’intégration à la nation implique que chacun respecte non seulement la loi mais plus encore, l’esprit de la loi. C’est un travail difficile. Pour continuer à « faire France » et agréger de nouveaux citoyens, la parole de l’État doit être une parole entendue. Or, depuis 1968, la parole publique a été dévaluée. Cela vient de loin. Et cette perte d’autorité, nous la retrouvons jusqu’au sein de l’Ecole.  
Que faudrait-il pour restaurer cette autorité du maître, à l’heure où l’on constate l’échec du système scolaire et où des minutes de silence pour les victimes des attentats terroristes sont sifflées ?   Il faut revenir à une définition juste de l’Ecole. Elle est faite pour transmettre le savoir, les valeurs, le sens de notre histoire, le patriotisme, le civisme. Si l’Ecole perd de vue sa fonction essentielle, si l’on en fait un simple lieu de vie, si l’on met l’élève au centre de l’école et si on se décharge sur lui du soin de construire ses savoirs, tous les repères sont faussés. On voit les conséquences.  
Quand vous parlez du patriotisme, vous pensez à la Marseillaise ?   Cela me rappelle un souvenir. En 1985, alors que j’étais ministre de l’Education nationale, un député UDF, Henri Bayard, m’avait demandé si les enseignants étaient tenus d’apprendre la Marseillaise. Je lui ai répondu que bien entendu elle faisait partie du répertoire scolaire.  Que n’ai je pas entendu ! : « Mais qu’est-ce que c’est que ce ministre de l’Education nationale ? Les paroles de la Marseillaise sont horribles. Il faudrait d’abord les réécrire… » Un flot d’inepties ! J’ai répondu qu’il fallait la comprendre dans son contexte de la Révolution, la resituer dans un mouvement plus général.  
La France s’est toujours voulue exceptionnelle. 1789 fonde la modernité démocratique. La France doit assumer son histoire. Elle avait su le faire grâce à Michelet jusqu’à la guerre de 1914 mais ne sait plus le faire aujourd’hui. Notre Histoire au vingtième siècle n’est pas comprise. Le récit national a été brisé. Il faut le relever.  
Quand vous dites qu’il faut restituer l’autorité, les valeurs, les institutions, cela veut dire que nous avons perdu un temps énorme. Or, des hommes politiques étaient là ! Pourquoi ne s’en sont-ils pas rendus compte ?     Ils ont fait des choix erronés. Le moment est venu de le dire : l’Europe ne doit pas se substituer à la France. Je suis pour l’Europe, au sens d’une solidarité croissante des nations qui la composent, mais dans le prolongement des nations, dans le prolongement de la France et avec la France. Notre patrie reste le lieu privilégié de la démocratie, du débat et de la solidarité. On ne peut donc pas construire l’Europe si l’on oublie la France. L’idée qui consiste à croire que l’on va faire la France par l’Europe, comme disait Jacques Delors,  me paraît être une erreur.  
Cette erreur est manifeste dans l’affaire de la monnaie unique. On a parié que le jour où les difficultés se présenteraient, tout le monde ferait le grand saut fédéral. On s’aperçoit que compte-tenu de l’hétérogénéité des nations, la monnaie unique divise les peuples plutôt qu’elle ne les rapproche. En l’absence de mobilité suffisante de la main d’œuvre et, surtout, dans l’impossibilité d’opérer les transferts qui permettraient  l’existence d’une fédération digne de ce nom, nos nations sont incapables de faire ce grand saut qui était à la base de cette construction. L’Europe comme substitut aux nations est donc la première erreur.  
Nous en avons commis une autre : Cette sorte de laxisme généralisé qui a suivi Mai 1968, et qui a frappé tous les gouvernements, de gauche comme de droite. Les partis de droite sont formidables dans l’opposition, sur l’école par exemple, mais, une fois au pouvoir, ils se montrent absolument incapables de faire quoique ce soit.  
Que feriez-vous concrètement pour l’école? Il est frappant de voir à quel point les décisions semblent difficiles à mettre en œuvre.   Le premier problème est celui de la formation des maîtres. Dans la transmission des savoirs, tâche essentielle de l’école, il y a le rapport du maître à l’élève qui a quelque chose d’un peu mystérieux. Nous avons tous des maîtres qui nous ont marqués, qui ont compté dans notre formation. Il faut rétablir ce rapport dans un monde qui a muté le monde de la toile n’est pas celui de Jules Ferry.  
Les « hussards noirs » doivent-ils s’adapter ou faut-il plutôt retrouver cet esprit de verticalité ?   Il ne faut surtout pas se subordonner au numérique. Ce n’est pas la réponse aux difficultés de l’école. Le croire risquerait, au contraire, d’aggraver le tableau. L’essentiel doit passer par l’écrit, par un socle stable, ne serait-ce que pour naviguer intelligemment sur la toile, ce qui n’est pas à la portée de tous.  
N’êtes-vous pas celui qui s’est enorgueilli, à l’époque, d’avoir amené 80% d’une génération au baccalauréat ?   Non, il s’agissait de l’amener «  jusqu’au niveau du bac ».  Fixé en 1984, l’objectif de 80 % de lycéens poursuivant leurs études jusqu’en terminale a été atteint dix ans plus tard, en 1995. Je n’avais pas demandé qu’ils deviennent tous bacheliers. Les candidats obtenaient leur bac s’ils en étaient capables. Or, cela a été traduit tout autrement. La communication m’a piégé. Je n’étais pas partisan de donner le bac à tout le monde. Je désapprouve d’ailleurs fortement toutes les consignes laxistes de mes successeurs qui ont abaissé la moyenne d’admission au bac à 9 sur 20, voire 8. Et, quand les notes auront été supprimées, ce sera à zéro ?  
On accable les  professeurs alors qu’ils sont en première ligne,  souvent peu soutenus. Doit-on aussi attendre d’eux qu’ils restaurent ce lien d’autorité ?   On oublie souvent que l’école est une institution de la République. Le message doit venir d’en haut, pas seulement du ministre de l’éducation nationale, qu’on accable trop souvent, mais de la parole publique, du président et du gouvernement tout entier. C’est ce qu’on appelait jadis, au temps de Jules Ferry et de Gambetta, « la République enseignante ».  
Faut-il former  mieux les enseignants ? Ne devraient-ils pas être payés davantage ?   On devrait, bien entendu, les payer plus, les former mieux. La tâche est gigantesque et relèvera d’une nouvelle phase de l’histoire de la République.  
Sommes-nous prêts pour cette nouvelle phase ?   D’abord, l’effort est nécessaire. Regardez ce qu’était le nombre de jours et d’heures travaillés jusque dans les années 1960, et ce qu’elles sont aujourd’hui.  Moins 216 heures par an de 1964 à maintenant : l’équivalent d’une année sur le cursus scolaire entier !  
C’est vrai partout !   Mais d’abord à l’école.  
Faudrait-il rallonger les programmes scolaires ?     Je ne suis partisan ni de les rallonger, ni de les alléger mais de les repenser. Les programmes que j’ai défendus étaient courts, clairs - sujet, verbe, complément -, et lisibles par tous : par les enseignants, les parents et les élèves. Tout le monde comprenait ce qu’il fallait savoir. J’avais moi-même revu le texte ligne par ligne. Les programmes ont tenu ainsi pendant un peu moins de dix ans. On y a substitué un flot de circulaires, des centaines et des centaines de pages expliquant comment il fallait s’y prendre pour acquérir la perception globale du mot… Des textes illisibles qui vous tombent des mains. Or les enseignants – et les autres aussi – ont d’abord besoin de clarté.  
A t on un problème plus général pour nommer les choses ?   On a toujours intérêt à dire les choses telles qu’elles sont, mais cela suppose d’y réfléchir avant et de ne pas tomber dans le piège de la communication qui est celui de l’instantanéité.  
Quelles sont selon vous les causes des attentats qui ont eu lieu sur le sol français ?   C’était très prévisible.  Mais nous pouvons tout à fait surmonter ce problème.  La démocratie n’est pas à la merci du terrorisme. Aucune démocratie n’a été mise en péril de mort par le terrorisme. Celui-ci est comme un caillou dans la chaussure dont on doit s’accommoder. Naturellement, il faut en assécher le terreau et  donc mener à bien la tâche de l’intégration dont on connaît les ratés. L’erreur serait d’en rendre responsable la République et non le défaut de République.  
D’abord il y a le respect de la loi républicaine. L’ignorer c’est  se laisser aller à la culture de l’excuse, qui ne tient pas en l’espèce. Coulibaly, par exemple, avait un diplôme de maintenance audiovisuelle et un salaire de 2200 euros par mois. Il n’était ni un exclu ni un  « abandonné » de la République. Il a bénéficié d’un système éducatif et d’un système social parmi les plus développés. Ensuite, il faut, certes, comprendre le cheminement intellectuel et affectif qui conduit un certain nombre de jeunes à adopter la vision du monde  des djihadistes. On ne peut toutefois accepter le passage à l’acte terroriste. Acte de désespoir ?  Saut dans le vide ? Peut-être, mais il faut prendre garde à ne pas légitimer un acte qui relève d’une idéologie manipulatrice qui met le martyr au service de la terreur.  
Qu’est ce qui motive les frères Kouachi ou Coulibaly d’après vous ?   Je vous renvoie à l’excellent livre de Farid Abdelkrim, Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste (Les points sur les i éditions, parution le 19 février 2015). D’une manière générale, il n’y a pas de compréhension du problème global. Le monde arabo-musulman a suscité en France beaucoup d’intérêt et de vocations, auprès des chercheurs arabisants. Mais on ignore ce qu’ont été les difficultés du monde arabo-musulman dans son affrontement avec l’Occident depuis la fin de l’empire ottoman, et précisément la fin du califat, en octobre 1924.   
Deux écoles se confrontent : une moderniste et une autre que j’appellerai identitaire. Je suis allé en Tunisie au moment des dernières présidentielles. J’y ai pu rencontrer des hommes politiques islamistes. A chacun j’ai demandé comment ils étaient devenus islamistes. Certains m’ont dit qu’ils avaient été nassériens ou baasistes mais, qu’après la guerre des Six Jours (1967), ils avaient opté pour les Frères Musulmans. D’un côté un certain modernisme, soit libéral, soit socialiste, qui impliquait une dose de sécularisation, pour ne pas dire de laïcité –certains partis comme le Baas se disaient ouvertement laïques. Et d’autre part, les Frères Musulmans, fondés en 1928 par Hassan el-Banna, six ans après la fin du califat en Turquie. Cela correspond, pour moi, à la régression identitaire. On veut opposer à l’Occident un système total pour ne pas dire totalitaire qui serait si impressionnant que l’Occident, en proie à une dérive hyper-individualiste et à un ramollissement intellectuel, en perdrait son latin, si je puis dire.  
L’enseignement de la laïcité en France n’a pas réussi à être une colonne vertébrale suffisante contre les intolérances, les fondamentalismes. Pourquoi a t on échoué à la faire partager par tous ?   La laïcité est d’abord inséparable de la croyance en la raison naturelle. Sapere aude, oser savoir. On a perdu de vue cette exigence. On revient toujours aux problèmes de la transmission  des connaissances et à ce que disait Hannah Arendt : « On ne transmet que ce à quoi on croit ». Le problème de la transmission et de la capacité à penser par soi-même à la lumière de la raison naturelle est au cœur de la laïcité. Curieusement, quand on examine les religions, le Coran est le texte qui fait le plus appel à la rationalité : dans sa traduction du Coran, Jacques Berque y avait recensé quarante-quatre fois l’appel à la raison naturelle, avec l’idée qu’il fallait « aller chercher le savoir jusqu’en Chine » – le bout du monde à l’époque !  Il me semble que l’on peut rendre l’Islam compatible avec la République en expliquant la laïcité comme un espace public, où chacun peut exercer sa raison naturelle pour participer à la définition de l’intérêt général, c’est-à-dire du bien commun.  
La question est de savoir de quel Islam il s’agit ?   Il faut évidemment que l’Islam se dégage des dogmatismes excessifs, dont sont imprégnés  certains de ses courants. Le catholicisme aussi a bien dû se dégager d’un certain absolutisme … Les meilleurs esprits, qui ont contribué à la définition de la laïcité, parlaient de « laïcité intérieure ». Mon ami Claude Nicolet, malheureusement décédé, auteur de L’idée républicaine en France [ L'idée républicaine en France : 1789-1924 : essai d'histoire critique, Paris, Gallimard, 1ere éd. 1982], parlait de « République intérieure », de l’extrême scrupule qui fait qu’un homme de pensée ne pense pas avoir systématiquement raison et doit être capable de revoir, au filtre de l’esprit critique, ses positions, en sachant, le cas échéant, les infléchir.  
Une laïcité digne de ce nom est susceptible de se mettre en question et de faire constamment son examen de conscience. L’esprit de cette laïcité a été porté par une élite de professeurs de l’École normale, comme Bernard Bourgeois, qui fut pour moi une source d’inspiration, ou Jacques Muglioni, deux magnifiques transmetteurs.  
Que pensez-vous de la formation des imams dans l’islam de France?  L’État doit-il s’en mêler ?   L’État n’a pas à assurer la formation théologique, il doit garantir le bon apprentissage du français, la bonne connaissance de la société française et de son système juridique. Mais personne ne peut faire à la place des musulmans le travail qu’ils doivent faire sur eux-mêmes, sur leur religion. C’est à eux de séparer le bon grain de l’ivraie.  
Comment expliquez-vous les tensions que connaît la société française avec ses musulmans ?   Les premières communautés musulmanes formées sur le territoire national, étaient constituées d’anciens soldats de la Première guerre mondiale. Puis il y eut des ouvriers qui venaient gagner péniblement leur vie pour nourrir leurs familles restées au bled. Ensuite, avec le regroupement familial (1975) il y a eu l’arrivée de nouvelles générations. Les rapports ont évolué avec le monde arabo-musulman. De Gaulle avait compris, au lendemain de la guerre d’Algérie, qu’il fallait parier sur les facteurs de progrès. C’était ce qu’on a appelé la « politique arabe de la France ». Elle consistait à favoriser les vecteurs de progrès plutôt que de régression.  
Pourquoi nous sommes-nous mis à la remorque des courants les plus régressifs ? Il faut revenir à l’histoire du Moyen-Orient, au pétrole et à la rencontre, en février 1945, entre Roosevelt et le roi d’Arabie Ibn Seoud. A partir de là, toute une histoire se déroule : les chocs pétroliers, les centres de gravité du monde arabe qui se déplacent du Liban, de la Syrie, de l’Égypte vers les pays du Golfe ; le conflit entre Israël et la Palestine n’a pas arrangé les choses. Donc, nous avons une défaite du nationalisme arabe et parallèlement la montée de courants régressifs, souvent instrumentalisés ou manipulés. Faut-il rappeler que les Frères musulmans étaient utilisés contre Nasser, que Ben Laden l’a été par la CIA et l’ISI pakistanais contre l’Union soviétique ?  
Nous portons le legs de tout cela. On pouvait faire l’économie de la guerre du Golfe. Mais vingt-cinq ans ont passé et nous avons récolté une épouvantable catastrophe : des millions de morts, un État irakien décomposé, les Sunnites livrés à Daesh, la Syrie en proie à la guerre civile …  
L’existence de Daesh remonte-elle à la première guerre en Irak ?   Oui, mais surtout à la deuxième avec, à l’issue de celle-ci, la décision prise par les Etats-Unis  de dissoudre l’État irakien, sa police, son armée, son administration. On voulait créer un Etat ex nihilo. L’idée d’exporter la démocratie dans un pays comme la Mésopotamie, est totalement inepte. En tant que Français, je souffre de voir cette accumulation d’erreurs. On aurait pu éviter ce désastre. François Mitterrand, en fait, a pris très tôt, au mois d’août 1990, la décision de se placer dans le sillage des Etats-Unis. Il aurait pu faire un autre choix. La France aurait pu, selon moi, jouer un rôle de médiatrice.  
C’est précisément à cause de cet engagement, que vous décidez de quitter  vos fonctions de ministre de la Défense que vous occupiez depuis près de trois ans. Ce fut un moment historiquement important pour vous comme pour les armées.   Cette première guerre du Golfe intervient quelques mois avant l’effondrement du monde bipolaire et la fin de la guerre froide. C’est cela l’événement central. Il n’est plus question de bataille en Europe ; l’équilibre nucléaire a fait disparaître – je l’espère, pour longtemps – toute idée de guerre sur notre continent. J’étais moi-même partisan de la dissuasion nucléaire dès l’origine. J’ai contribué à y rallier le parti socialiste en 1978 et  j’ai veillé, comme ministre, à confirmer cette doctrine dans les faits. Quant à notre engagement dans le Golfe, François Mitterrand a pris la décision de n’y envoyer que des soldats professionnels. On a donc créé une division (« Daguet ») seulement composée de régiments professionnels, de la Légion étrangère et d’autres unités « ad hoc ». Notez qu’on a fait un choix différent en Yougoslavie : il suffisait que les appelés fussent volontaires pour y être envoyés.  
La menace est très différente aujourd’hui. Notre armée est-elle bien équipée face aux nouveaux défis du terrorisme et du djihadisme ? Sommes-nous bien défendus ?   Notre armée a montrée au Mali qu’elle était parfaitement opérationnelle pour briser dans l’œuf la tentative de djihadistes de s’emparer d’un État important de l’Afrique de l’Ouest. La même éventualité avait existé en Afghanistan, et avait été le motif de l’engagement américain contre les talibans. Disposer de capacités de projection est utile et nécessaire mais je ne suis pas favorable à la projection tous azimuts systématique. Certaines opérations peuvent être discutables. Les interventions en Irak en 2003 et en Libye en 2011 n’ont pas été suffisamment réfléchies.  En revanche, j’ai approuvé  l’opération Serval, au Mali.  
En ce qui concerne la Syrie, faudrait-il négocier avec Bachar Al-Assad ?   Je ne suis pas vraiment sur la ligne du gouvernement sur cette question. On a sous-estimé les soutiens dont disposait Bachar el-Assad dans la société syrienne d’une manière générale. Beaucoup de problèmes se sont posés en amont. C’est une vieille histoire qui remonte 1980, en raison des liens unissant la Syrie et l’Iran. Mais l’Iran n’est devenu la puissance dominante dans la région qu’après 2003, une fois le régime de Saddam Hussein disparu. Il constituait le verrou qui protégeait le monde arabe sunnite et il a  sauté.  
La question d’une alliance conjoncturelle ne se pose-t-elle pas aussi pour l’Iran ?     L’erreur a été faite. L’Iran est un grand pays, une grande civilisation, et il faudra bien trouver un accommodement et un équilibre de sécurité entre les  sunnites et les chiites. Il n’y a pas de solution militaire, il faut donc faire de la politique.  
Fallait-il supprimer le service militaire ?   Il aurait fallu, selon moi, maintenir une formule de service militaire court – un peu à la suisse – de 6 mois ou même 4 puisque cela suffit à bien former un fantassin. À cela s’ajouteraient des périodes de rappel ou de formation des sous-officiers et des officiers, avec des formules de volontariat de service long. Tout un système à la carte.   
D’autre part la diversification des formes de service national aurait été encore plus nécessaire, je pense notamment aux sapeurs-pompiers. J’ai beaucoup incité Jacques Chirac à ne pas faire ce choix de la suppression du service national en 1996, mais il était entouré de gens pour qui « ça avait de la gueule » et qui trouvaient formidable de former une armée sur le modèle britannique. Il n’est pas  facile aujourd’hui de revenir sur ce choix.  
Est-ce une question de crédits ?   C’est d’abord un problème social. La société française était « mûre » pour l’abandon du service militaire. Curieusement, les sondages montraient toujours un grand attachement au service militaire, mais surtout parmi les Français les plus âgés… Plus le temps passait, plus ils y étaient attachés. Le service national représentait un état d’esprit général, un certain sens de l’effort, du sacrifice, de l’engagement personnel qu’il faudrait restaurer, comme nous l’avons évoqué au début de cet entretien.  
La suppression du service militaire a-t-elle également contribué à la perte d’autorité dont vous parliez ?   Sans doute. Mais aussi à la perte du sentiment de fraternité entre Français. On ne se connaît plus. On s’ignore. J’ai appris beaucoup de choses à l’armée, à commencer par le raisonnement objectif : mission, moyens, idée de manœuvre, compte-rendu. Si dans l’administration tout le monde avait une idée de ce que cela signifie, peut-être que les choses marcheraient mieux. Je plaisante, bien entendu…  
Source : Revue des Deux Mondes

« François Hollande méconnaît la spécificité de l’école »

Créé par le 19 mai 2015 | Dans : Blog du Che, Education

Entretien de Jean-Pierre Chevènement accordé au quotidien Le Figaro, mardi 19 mai 2015. Propos recueillis par Caroline Beyer.  
"François Hollande méconnaît la spécificité de l’école"  
Le Figaro : Vous êtes opposé à la réforme du collège. Pour quelles raisons ?  
Jean-Pierre Chevènement : L’école souffre depuis longtemps d’une incessante « réformite ». Pourtant, l’école a besoin de stabilité. Et les élèves issus de milieux modestes ont avant tout besoin d’une école structurée. Sa mission fondamentale est la transmission des savoirs et des valeurs républicaines. Cela ne va pas sans effort. Or, la « réforme » va toujours dans le même sens : le laxisme, au prétexte de l’ouverture et du « suivi personnalisé ». Cette réforme du collège diminue les horaires des disciplines pour promouvoir des enseignements pratiques interdisciplinaires. Or, il n’y a de véritable interdisciplinarité que sur la base de savoirs disciplinaires maîtrisés.  
Selon François Hollande, « il n’y a pas de raison qu’il y ait du statu quo à l’école, alors qu’il n’y a pas de statu quo dans les entreprises ». Que pensez-vous de cet argument ?  
François Hollande méconnaît la spécificité de l’école : c’est, en France, une institution de la République et non la juxtaposition d’établissements qui définissent eux-mêmes leur projet. Cette thèse, c’était celle de Luc Chatel. Le philosophe Alain voulait faire de l’école républicaine « un sanctuaire ». Nous en sommes loin !  
Cette réforme est défendue comme le remède contre les inégalités et la reproduction sociale. N’est-ce pas utopique ?  
L’égalitarisme niveleur est l’ennemi de la démocratie véritable. Revenons à la République des Lumières ! L’« élitisme républicain »consiste à donner à chacun la possibilité d’aller au bout de ses possibilités.  
Najat Vallaud-Belkacem défend-elle bien sa réforme ?  
La ministre donne l’image d’une jeune femme qui a réussi. Je souhaite qu’elle mette son caractère au service d’une conception républicaine de l’école. Je souhaite également qu’elle écoute les conseils donnés de bonne foi et ne se mette pas dans la main de la superstructure du ministère de l’Éducation nationale…  
Parallèlement, les programmes scolaires sont revus. La proposition sur les programmes d’histoire déchaîne les passions. Quelle est votre position ?  
Il n’y a pas de démocratie qui tienne sans un puissant sentiment d’appartenance partagée. Il peut et il doit y avoir un récit national objectif qui rende compte de l’Histoire de notre peuple et lui donne envie de la continuer, en préservant dans les nouvelles générations une raisonnable estime de soi. Comment voudrait-on donner aux jeunes issus de l’immigration l’envie de s’intégrer à un pays qui ne cesserait de se débiner ?  
Dans une récente interview au Monde, Michel Lussault, le président du Conseil des programmes, estime que« l’idée de vouloir faire de l’histoire un “roman national” est dérangeante ». Qu’en pensez-vous ?  
Michel Lussault semble avoir oublié cette phrase de Michelet :« La France est une personne… » Ni Jaurès, ni De Gaulle, ni Mendès-France n’auraient renié cette pensée. Il confond volontairement « roman national » et « récit national ». Le roman, c’est de la fiction. On ne peut qu’être contre. Mais le récit national, lui, peut être objectif. C’est pourquoi le gouvernement qui, en République, est responsable des programmes, peut demander que le « récit national » ne valorise pas systématiquement des ombres de notre Histoire, mais nous parle de ses lumières et nous rappelle que la Révolution française a fait des juifs des citoyens français comme les autres, et qu’elle a aboli une première fois l’esclavage en 1794. Dans « récit national », ce qui semble gêner Michel Lussault, c’est l’adjectif « national ».  
On sait que le collège va mal. Quelle est l’urgence ?  
Il faut porter les efforts sur l’amont, les apprentissages fondamentaux. Bref, faire ce que François Hollande avait dit qu’il ferait pendant sa campagne.  
SOURCE : Le Figaro

Hommage à Fidel Castro – Rencontre historique entre Fidel et Hollande

Créé par le 12 mai 2015 | Dans : Amérique Latine, Gouvernement

Hommage à Fidel Castro  -  Rencontre historique entre Fidel et Hollande dans Amérique Latine

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