La disparition du député des Landes laisse ses compatriotes orphelins. Président du conseil départemental jusqu’à sa mort, l’ancien premier secrétaire du PS et président de l’Assemblée nationale aura bataillé toute sa vie pour une certaine idée de la gauche dont il voulait défendre les fondamentaux. Dans une posture combative qui pouvait s’accommoder de quelques raccourcis, ce cacique du parti socialiste a maintenu cette ligne du « tenir bon » malgré les vents hostiles. Cet orateur cinglant et offensif n’a pourtant jamais désespéré et sut imposer sa marque au fil des congrès socialistes tout en composant, presque malgré lui, avec cette dérive sociale libérale que visait pourtant son discours critique.

Je fus sans doute le premier étudiant socialiste et militant du CERES à le rencontrer dans la période qui entoura le congrès de Pau de 1975, date à laquelle ce jeune loup, fondé de pouvoir à la banque Rotschild, se tournait vers les Landes à l’invitation de François Mitterrand. Je revois sa silhouette élancée et son sourire avenant envers ses camarades quand, débarqué du train qui le ramenait de Paris pour le congrès fédéral de Morcenx, avec quelques numéros de l’Unité sous le bras, il nous tendait le journal en assortissant son geste de propos pertinents d’un homme très au fait de la vie nationale du parti. C’était ses toutes premières apparitions dans cette fédération des Landes tenue par le formidable Scognamiglio qui travaillait auprès du premier secrétaire fédéral au développement du nouveau parti socialiste. Je fis part à mes amis bordelais du CERES de cette forte personnalité émergente de la « mitterrandie » qui devait s’imposer comme nous en fîmes très vite l’expérience au congrès de Metz qui voyait se renouveler l’alliance CERES-Mitterrand sur une ligne de gauche…

Mon retour dans les Landes, beaucoup plus tard, m’a fait découvrir un autre personnage, plus distant, qui avait l’expérience du gouvernement et dirigeait d’une main de fer, mais avec brio, le département pour lequel il réalisa de grandes et bonnes choses dans un champ très vaste. Les rares rencontres personnelles avec ce mentor d’un socialisme ancré dans la ligne d’Epinay m’ont toujours montré un visage souriant et d’une extrême amabilité, tranchant avec cette dureté d’expression de l’homme de pouvoir. Il savait prendre ce ton et ce visage plein d’empathie envers ceux qu’il considérait de son camp fussent-ils, comme moi, des opposants notoires à ce délitement du PS. Pour autant, j’ai aussi subi ses regards désapprobateurs dans les années de rupture quand nous fondions le mouvement des citoyens après le vote du traité de Maastricht et la première guerre du Golfe. Et surtout lors de la campagne à la présidentielle de 2001 de Jean-Pierre Chevènement auprès duquel il tenta quelques éphémères rapprochements après la campagne du Non au référendum de 2005. Tout a été dit et écrit sur cet épisode qui signa la rupture d’avec une ligne accommodante avec la gestion sociale libérale.

Par delà la candidature de Benoît Hamon qui garde l’empreinte de son mentor, Henri Emmanuelli, malgré toute l’ambivalence de l’héritage rocardien, on peut questionner la réalité du socialisme français et se demander s’il reste en lui encore une place dans la fidélité de ce témoignage d’une vie militante au service du peuple et de l’intérêt général. S’il y avait une référence à ne jamais renier, ce serait sans doute, par delà les hommes susceptibles de l’incarner aujourd’hui,  celle d’un républicanisme solidaire et laïc dans la tradition du socialisme français…

Xavier DUMOULIN