Syrie: Macron a raison, notre ennemi c’est Daech
Créé par sr07 le 24 juin 2017 à 4:44 | Dans : Articles de fond, Contre la guerre, Gouvernement
http://www.causeur.fr/assad-macron-syrie-daech-45148.html
Mieux vaut Assad que l’Etat islamique

Charles Beigbeder dans Causeur
est entrepreneur, élu de Paris et actionnaire de Causeur.
Publié le 23 juin 2017 / Monde
Il faut saluer les propos tenus par Emmanuel Macron dans Le Figaro d’hier, au sujet de la Syrie : « Je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar Al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! Longtemps, nous avons été bloqués sur la personne de Bachar Al-Assad. Mais Bachar, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien. »
Après six années d’une politique chaotique qui n’a fait que marginaliser la France dans la gestion du conflit syrien, nous assistons au retour de la diplomatie, prélude au renouveau de la France sur la scène internationale.
Hiérarchiser les menaces
La diplomatie ne consiste pas à échanger entre amis partageant les mêmes positions, elle sert à parler avec ses adversaires, de manière à éviter, en cas de désaccord, une escalade qui puisse mener jusqu’au conflit armé. De ce point de vue, Emmanuel Macron a raison de renouer le dialogue avec Vladimir Poutine qui détient aujourd’hui les cartes maîtresses sur le terrain pour dénouer le conflit syrien.
Ensuite, un État doit savoir hiérarchiser ses menaces et ses ennemis. À ce sujet, la France a commis l’erreur de mettre au même niveau Bachar Al-Assad et l’État islamique, en les vouant tous les deux aux mêmes gémonies : « Ni Bachar ni Daech » ânonnait fébrilement Laurent Fabius, qui concentrait tout son fiel sur la Russie.
Assad n’est pas responsable du Bataclan
Il a fallu les 130 morts du Bataclan en novembre 2015 pour que la France infléchisse très légèrement sa position. Or, jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont ni les troupes de Bachar Al-Assad ni les soldats russes qui tuent nos concitoyens dans les rues. Affirmer cela ne signifie pas donner quitus à l’un et à l’autre sur tous les aspects de leur politique. En 1941, les anglo-américains n’ont pas hésité à s’allier avec le régime de Staline dont personne ne pouvait méconnaître le caractère totalitaire. Interpellé sur ce point à la Chambre des Communes, Churchill avait répliqué net : « Si Hitler avait envahi l’enfer, j’aurais cherché à construire une alliance avec le diable ».http://www.causeur.fr/assad-macron-syrie-daech-45148.html
Bienvenue à la realpolitik…
Un principe de bon sens qu’Emmanuel Macron a rapidement mis à exécution au rebours de sa stratégie de campagne, preuve qu’il a réellement endossé les habits d’un homme d’État. Cette inflexion salutaire qu’il qualifie lui-même de « vrai aggiornamento » le conduit à fixer désormais comme priorité « la lutte absolue contre tous les groupes terroristes » et à reconnaître des « convergences » avec la Russie sur ce terrain-là. De la même manière, le départ de Bachar Al-Assad ne devient plus le leitmotiv de la politique française.
Avec Emmanuel Macron, on assiste au retour de la realpolitik et de la diplomatie d’influence sur l’idéologie néoconservatrice qui prévalait jusqu’alors : « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ». Nicolas Sarkozy est implicitement visé pour s’être alors aligné sur la diplomatie américaine, au mépris de la tradition gaullienne d’indépendance que Chirac avait respectée en refusant de participer à la guerre en Irak.
…en rupture avec le manichéisme de Bush
Le réalisme en diplomatie, ce n’est pas n’avoir aucune considération morale et verser dans le cynisme mais privilégier l’éthique de responsabilité – qui évalue les conséquences de chaque décision et choisit la moins mauvaise d’entre elle – sur l’éthique de conviction qui se drape dans une posture morale et multiplie indignations et bons sentiments au mépris du réel. C’est le refus de l’idéalisme en politique. Le refus d’une grille de lecture simpliste qui divise le monde entre bons et méchants, à l’image de George W. Bush qui avait rangé l’Irak dans « l’Axe du mal » pour justifier la guerre qu’il voulait lui déclarer. Le refus d’utiliser les droits de l’homme et les valeurs démocratiques comme source unique de l’agir politique, au mépris des conséquences engendrées par les guerres engagées en leur nom. Le refus des actions spectaculaires de court terme qui enveniment la situation sur le long terme, comme ce fut malheureusement le cas en Libye.
Le réalisme en diplomatie, c’est favoriser tout ce qui contribue au maintien ou au retour de la paix et de la stabilité ; c’est un exercice humble et laborieux qui suppose de dialoguer avec tous les acteurs concernés. C’est surtout le renoncement à vouloir transformer le monde dans la fébrilité d’une émotion, l’indignation d’un moment ou la fièvre d’une aventure militaire sans lendemain. C’est la prise en compte du temps long et des permanences de l’histoire, de la lente évolution des mentalités et de la nécessité de ne pas bousculer des équilibres internationaux souvent précaires pour des résultats à coup sûr chaotiques.
Macron a appris de Hollande
C’est, enfin, la nécessaire prise en compte de l’existence d’un État souverain comme préalable indispensable à tout rétablissement de la stabilité sur le long terme. Emmanuel Macron précise, à ce titre, que sa politique sera guidée par la nécessité de garantir « la stabilité de la Syrie car je ne veux pas d’un État failli ». On est bien loin du moment où Laurent Fabius livrait à la rébellion des armes qui terminaient entre les mains des factions islamistes et voulait porter au pouvoir des rebelles souffrant d’une absence de légitimité sur le terrain.
Sur cette base, une certaine convergence est possible avec la Russie qui peut seule aujourd’hui faire entendre raison à l’Iran et au régime syrien et réunir à la table des négociations toutes les parties au conflit. Le président fixe toutefois une ligne rouge en cas d’utilisation d’armes chimiques par Bachar Al-Assad et affirme être prêt à répliquer militairement après preuve irréfutable d’utilisation et enquête indépendante, y compris en cas de non-participation des Américains. Une leçon qu’Emmanuel Macron a puisé de la reculade de François Hollande qui avait renoncé à tout bombardement après la volte-face d’Obama en août 2013, montrant à la face du monde qu’il était en tout dépendant de la politique américaine et n’avait aucunement les moyens de ses ambitions.
Rétablir l’influence française au Levant
Si Emmanuel Macron est fidèle à cette nouvelle ligne, il contribuera à rétablir l’influence française au Levant qui a beaucoup pâti de la diplomatie catastrophique des six dernières années. La Syrie est un ancien mandat français, la francophonie y reste une réalité et l’image de la France, quoique ternie, demeure bien ancrée dans les esprits. Souhaitons donc pour l’avenir de la Syrie comme pour le rayonnement de la France que l’inflexion diplomatique du président Macron soit couronnée de succès !
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18h04 , le 22 juin 2017
http://www.lejdd.fr/international/moyen-orient/syrie-la-nouvelle-position-demmanuel-macron-cree-une-polemique-3369275
Le chercheur français Bruno Tertrais souligne
l’incompréhension suscitée par cet « aggiornamento ».
Emmanuel Macron ne fait plus du départ de Bachar el-Assad un préalable à toute discussion en Syrie. Le président français justifie cette position par le fait qu’il n’existe pas selon lui de « successeur légitime » au président syrien. Une petite phrase qui a choqué.
« L’époque où Macron était le leader moral du monde libre a pris fin assez rapidement, n’est-ce pas? » Cette petite phrase, lâchée sur Twitter par Kyle Orton chercheur au Centre for the Response to Radicalisation and Terrorism, basé à Londres, résume le désarroi qui demeure après les propos tenus par Emmanuel Macron sur la Syrie dans un entretien accordé jeudi à huit quotidiens européens. « Je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime! », déclare en effet le président français.
Priorité numéro un : lutter contre les terroristes
Sur les réseaux sociaux, chercheurs et internautes ont souvent interprété cette phrase comme un blanc-seing accordé à Bachar el-Assad pour, sinon qu’il se maintienne au pouvoir, du moins qu’il participe à la transition politique en Syrie. Cette idée n’est pourtant pas nouvelle dans la diplomatie française. Si pendant longtemps, Paris a renvoyé dos à dos terroristes de l’Etat islamique et Bachar el-Assad, la France avait légèrement infléchi sa position après les attentats de novembre 2015, faisant de la lutte contre le terrorisme une priorité. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, avait ainsi évoqué dès fin 2015 la possibilité d’une transition politique en présence de Bachar el-Assad. Mais la France répétait également que le président syrien ne pouvait « représenter l’avenir » d’un pays ravagé par six ans d’un conflit au bilan terrifiant – plus de 320.000 morts et des millions de réfugiés.
Emmanuel Macron le reconnaît d’ailleurs lui-même : il s’agit d’un « aggiornamento » – une mise à jour – de sa politique dans ce dossier complexe. « Nous devons construire la sortie de Bachar el-Assad dans une transition vers un nouveau régime », disait-il en effet durant la campagne électorale. Désormais Président, il fait de la lutte contre le terrorisme sa priorité. Un argumentaire que l’on pouvait par exemple retrouver chez un François Fillon, qui justifiait d’ailleurs ainsi un dialogue avec Bachar el-Assad et un rapprochement avec Moscou.
« Honte à la France » dit l’opposition syrienne
Or, c’est ce que dit aujourd’hui Emmanuel Macron. « Mes lignes sont claires (…) Un : la lutte absolue contre tous les groupes terroristes. Ce sont eux, nos ennemis. Nous avons besoin de la coopération de tous pour les éradiqueR, en particulier de la Russie », déclare-t-il, soulignant les discussions constructives avec Vladimir Poutine lors de son passage à Paris fin mai. On est loin des propos qu’il tenait il y a à peine quelques mois, quand il accusait le Kremlin de complicité de « crimes de guerre » lors de la reprise d’Alep. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était d’ailleurs à Moscou mardi.
Un revirement qui a provoqué le désarroi de l’opposition syrienne. « Ces déclarations sont surprenantes, compte tenu que la France faisait partie des quatre principaux pays réclamant le départ de ‘Bachar le Chimique’, a ainsi écrit sur Twitter l’une de ses figures, Khaled Khoja. Même son de cloche du côté d’Ahmed Ramadan, également membre de l’opposition : « Honte à la France, dont le dirigeant Emmanuel Macron ne considère pas Bachar comme son ennemi ou l’ennemi de l’humanité. »
Le chercheur français Bruno Tertrais souligne, lui, l’incompréhension suscitée par cet « aggiornamento ».
La résolution politique du conflit au second plan?
La deuxième partie de la phrase prononcée par Emmanuel Macron dans cet entretien est également surprenante. Comme dit plus haut, il a déclaré : « Personne ne m’a présenté son successeur légitime. » Qu’a voulu dire exactement Emmanuel Macron en parlant de « successeur légitime »? Cela signifie-t-il que le président français ne considère pas la mise en place d’un processus politique, et donc la tenue d’élections libres et démocratiques, comme une étape première et indispensable à toute résolution du conflit?
Difficile de répondre à cette question. Mais une chose paraît certaine : le règlement politique du conflit n’apparaît plus comme étant au cœur de la doctrine française, mais davantage comme un corollaire. Si le président français affirme qu’ »il faut une feuille de route diplomatique et politique », il ne s’attarde pas sur le sujet et ne cite jamais le rôle que pourrait avoir l’ONU dans ce processus, dont une résolution adoptée en 2015 constituait jusqu’à présent la référence pour un règlement du conflit.
« Le changement de ligne est clair », analyse une source diplomatique citée par l’AFP, avant d’ajouter : « Ça fait des années qu’on dit qu’Assad doit partir et ça n’a rien donné. Diplomatiquement, rien n’avance, Genève [lieu des négociations inter-syriennes, Ndlr] ne sert pas à grand-chose… On ne peut pas continuer comme ça ».
Les lignes rouges d’Emmanuel Macron : suffisant?
Emmanuel Macron justifie cette politique pragmatique – realpolitik disent déjà certains – par le fait que la priorité absolue est d’éviter d’avoir « un Etat failli » en Syrie. « Je ne veux pas d’un Etat failli », insiste-t-il, évoquant les exemples irakien et libyen. « La démocratie ne se fait pas de l’extérieur, sans tenir compte des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak, et elle a eu raison. Et elle s’est trompée en faisant la guerre de cette façon en Libye », dit-il encore. En agissant ainsi, le Président espère aussi replacer la France dans le jeu, en profitant notamment de l’absence de visibilité américaine.
Pour rassurer, Emmanuel Macron a toutefois rappelé ses deux lignes rouges, déjà énoncées au côté de Vladimir Poutine à Versailles : « les armes chimiques et l’accès humanitaire », sur lesquelles il affirme qu’il sera « intraitable ». Il a d’ailleurs réaffirmé que la France procéderait à des frappes si le régime syrien venait à utiliser des armes chimiques. Sur l’accès humanitaire, et son non-respect, le chef de l’Etat n’a en revanche rien dit sur la manière dont il entendait le faire respecter. Ce qui à l’heure du bilan de cette nouvelle position française dans le dossier syrien parait un peu léger.