Contribution de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre, Livre à paraître.


Happés par le « court termisme » et affolés par l’instantanéité, notre civilisation disparaitrait sans le ressourcement dans la longue durée, c’est-à-dire dans l’Antique, ce passé principiel. Comment notre civilisation pourrait-elle encore nourrir un projet et l’envie d’un bel avenir, si elle laissait se tarir ses sources les plus profondes ? On définit souvent la civilisation occidentale comme « judéochrétienne ». Et certes on connaît peu de civilisations qui n’aient été, ou ne soient soutenues, par une religion, chrétienne, islamique, hindouiste, bouddhiste, etc. S’il n’est nullement dans mon propos de vouloir diminuer ce que la civilisation occidentale doit à l’Ancien et au Nouveau Testaments, j’observerai cependant que la deuxième religion de France, l’Islam, si elle n’ignore ni Moïse ni Jésus, vise cependant à « clore le cycle des prophéties ». Ce n’est pas une modeste ambition. Nous nous en accommoderons, dans notre société sécularisée et d’abord par la compréhension de ce que le Christianisme et l’Islam se sont développés, depuis quinze siècles, dans une si profonde interaction que ce dernier, lui aussi, fait désormais partie de notre identité moderne. Il est encore plus décisif que les musulmans déclarent s’accommoder de la laïcité et ainsi admettre le principe de l’autonomie du jugement individuel, contribuant à une lecture ouverte de leurs textes sacrés et à l’émergence d’un Islam de progrès. L’identité républicaine de la France puise à d’autres sources que la source vetero ou néotestamentaire. Faut-il rappeler à nos concitoyens que les sources de notre civilisation ne sont pas seulement à Jérusalem mais aussi à Athènes et à Rome ? C’est la mission de l’Ecole républicaine de transmettre cet héritage.
 

 

Ce sont les Grecs, et particulièrement Athènes, qui inventèrent une civilisation qui tend naturellement à l’Universel. Ils nous ont légué le culte de la Cité, au sein de laquelle chaque citoyen se doit de contribuer au Bien public. Bref, ils ont inventé la politique, la démocratie et aussi, il faut bien l’avouer, son corolaire inévitable : la démagogie. Encore cette dérive n’a pas eu que des aspects négatifs : l’apport des sophistes ne fut pas seulement d’apprendre comment on pouvait flatter le peuple. Ils affinèrent la langue et, à travers elle la pensée, tel Prodicos, qu’évoque Jacqueline de Romilly, qui donna à chaque mot son sens précis. Les sophistes contribuèrent ainsi à « serrer », si je puis dire, le raisonnement, la démocratie et le « logos » cheminant de pair. La Grèce nous a donc ainsi légué l’art de raisonner afin que, non seulement chaque citoyen puisse conformer, si possible, son action aux commandements de la Raison, mais surtout afin que le souci du Bien public s’impose dans la conduite des affaires de la Cité. La Grèce est aussi la mère de la philosophie, dont je rappelle que la IIIème République avait fait la discipline-reine de nos classes de terminale en lycée, à l’époque, décrite par Claude Nicolet, où la République française se voulait la résurrection de la « République athénienne ». Ces deux concepts associés de démocratie et de raison, ou si l’on préfère de philosophie, auraient pu périr avec la liberté des cités grecques et le triomphe de l’Empire, celui d’Alexandre le Grand d’abord, mais surtout l’Empire romain, dans lequel la Grèce tout entière bascula, après qu’à Pydna (168 avant JC) les armées de Paul Emile eurent défait celles de Persée, dernier roi de Macédoine. Il n’en fût rien. Après moins de deux mille ans, l’idée de liberté a refleuri avec les cités italiennes de la Renaissance, la Florence des Médicis et de Machiavel et, au siècle des Lumières, avec les Républiques américaine et française, inspirées de Locke et de Rousseau. L’idéal de l’autogouvernement avait survécu. Et qui ne voit que par nos temps d’incertaine « globalisation », l’avenir lui appartient encore ? Plus grande est l’incertitude en dehors et plus puissante, au dedans, la volonté de reprendre barre sur son destin. Lire la suite sur le site de J.P Chevènement