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« Une vie violente », un film pédagogique sur la violence terroriste à voir sur le grand écran

Créé par le 18 août 2017 | Dans : a-le quartier libre de Xavier Dumoulin |

une vie violente« Un film incandescent au cœur de la chaudière nationaliste corse » titrait Jacky Goldberg dans sa critique du 23 mai dernier pour les Inrockuptibles à l’occasion de la semaine de la critique 2017. Notre cher critique talentueux compare ce second long métrage de Thierry de Peretti à « une tragédie grecque, avec son héros romantique et fataliste qui fonce droit dans la gueule du loup (pour venger ses copains assassinés), avec ses pythies attablées annonçant la catastrophe (superbe scène), avec enfin son attention extrême portée aux mots, à leur poids, à leur poésie. »
 
En ce moment de tragédies terroristes qui touchent l’Espagne, avec son cortège de victimes à Barcelone et à Cambrils, on est d’autant plus enclin à dénoncer cette violence aveugle qui  frappe sous tous les faux prétextes et, au-delà des victimes et de leurs proches, meurtrissent les cœurs de toutes ces communautés de citoyens solidaires attachées aux valeurs démocratiques et au respect des droits humains les plus élémentaires. Cette Espagne qui a déjà payé un si lourd tribut dans son histoire avant la chute du franquisme et, dans les dernières décennies, notamment la première du siècle, est rattrapée à nouveau par cette peste noire du terrorisme aveugle. A présent au nom de Daesh, hier de Al-Quaida ou de  l’ETA.
 
« Une vie violente » rentre de plein fouet dans cette machination infernale du crime quand la confusion entre militantisme indépendantiste du FLNC et mafia trouve à s’exprimer dans les exécutions sommaires et les règlements de compte avec la lâche complicité d’élus conduisant ce double jeu envers les institutions démocratiques au sein desquelles le poids des indépendantistes fragilise la république.
 
Inspirée de la mort de Nicolas Montigny le réalisateur met en scène Stéphane (Jean Michelangeli ), jeune bastiai qui se livre au traffic des armes dans un engagement au sein d’un mouvement indépendantiste radical se prétendant révolutionnaire de gauche. Avec son groupe d’amis il se trouve embarqué dans une sale logique de vendetta meurtrière que les protagonistes de l’action violente paieront de leur propre vie. « Le film souligne notamment le jeu de dupes dont furent victimes bon nombre d’activistes, exécutant, parfois jusqu’à l’assassinat commandité, les consignes des têtes pensantes, qui jouaient double jeu avec certains représentants de l’Etat central » souligne Mathieu Macheret dans sa critique du Monde du 23 mai.
 
Ce film d’une qualité cinématographique vraiment intéressante et, depuis la semaine passée, diffusé en salle,  mérite d’être vu. Il renvoie aussi au traitement du dossier Corse dans les dernières années du siècle précédent sous la mandature de Lionel Jospin. Ce dernier cédait, sous la pression d’une fraction  des élus insulaires qui avaient l’oreille attentive de son chef de cabinet, à la facilité de l’octroi d’un statut ultra-marin, sous condition de référendum remis à une date ultérieure, dans l’île de beauté. Fort heureusement celui-ci exprima le rejet d’une dérive autonomiste en 2004 grâce à l’action vigoureuse des républicains rangés derrière Emile Zuccarelli, cet ancien ministre démissionnaire de Lionel Jospin du temps de la gauche plurielle. Cette période qui devait conduire Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l’Intérieur, à démissionner à son tour dans un conflit houleux entre la place Beauvau et Matignon. Nous sommes juste après le meurtre du préfet Erignac et l’affaire dite des paillotes qui servit de prétexte à la destitution du préfet Bonnet, son successeur. 
 
Le locataire de Matignon oublie alors sa parole et finit par arbitrer au bénéfice des lobbies autonomistes, lâchant sur l’essentiel. Quand le ministre de l’Intérieur souhaitait renforcer le développement de l’île tout en faisant évoluer son statut dans le cadre constitutionnel de la France, le chef du gouvernement de cohabitation octroyait tout de go des compétences législatives à l’assemblée de Corse, négociant ainsi sans préalable d’arrêt des violences en cette période de redoublement criminel qui fait l’arrière plan du film de cette « vie de violence ».
 
 
On retrouvera tous ces éléments sur la politique insulaire dans les écrits de deux protagonistes aux postures opposées. Ceux d’Olivier Schrameck, le chef du cabinet du Premier ministre, inspirateur des accords de renoncements, ratifiés par Jospin, qui pousseront le ministre de l’Intérieur à la démission. Ce dernier livre dans ses ouvrages sa vérité sur ce dossier. Nous recommandons ainsi tout particulièrement deux lectures aux positions totalement opposées sur la gestion du dossier Corse: « Matignon Rive gauche 1997-2001″ (au Seuil octobre 2001) par O.Schrameck et « Défis républicains par Jean-Pierre Chevènement ( chez fayard, 2004);
 
Ces lectures offrent un complément substantiel pour une analyse factuelle par delà l’émotion générée par ce film recommandé d’une qualité esthétique et pédagogique certaine .
  
 
Xavier DUMOULIN
 "La République n'a pas de concessions à faire à l'ethnicisme"
Le Figaro: Les nationalistes corses sont arrivés largement en tête lors du premier tour des élections territoriales sur l’Ile de Beauté. Comment expliquez-vous ce résultat?
Jean-Pierre Chevènement:
Je ne suis nullement surpris par le résultat des élections en Corse. La montée du nationalisme corse est le résultat de démissions successives de tous les gouvernements de droite et de gauche depuis une quarantaine d’années. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui a créé l’université de Corte qui est devenue la matrice et le fief du nationalisme corse. La gauche a accordé à la Corse son premier statut et si ce n’avait été l’intervention du conseil constitutionnel, elle aurait reconnu la notion de «peuple corse». J’ai moi-même quitté le gouvernement pour ne pas entériner un transfert de pouvoir législatif à l’Assemblée de Corse. C’était en l’an 2000 et pourtant j’avais accepté que, contre tous les engagements antérieurs, le gouvernement abandonne la renonciation préalable à la violence qu’il exigeait des nationalistes. C’est ainsi que s’est ouvert le processus dit de «Matignon». Je fais également observer que l’Etat français s’est assis sur le référendum de 2003. Les Corses avaient pourtant rejeté la fusion des deux départements. Ils voulaient garder un découpage territorial qui les rapprochait de la France continentale et n’acceptaient pas d’être transformés en territoire d’Outre-mer bis avec une collectivité unique. Le législateur, sous le précédent Président de la République, a fait fi des résultats de ce référendum. En 2003, toutes les forces politiques de droite et de gauche, ainsi que les nationalistes, voulaient la collectivité unique. Ne s’y opposaient que les radicaux de gauche, le PCF et moi-même. Les électeurs corses nous ont alors donné raison mais, en 2014, le Parlement leur a imposé la collectivité unique. Beau déni de démocratie!
 
Marine Le Pen, avec un programme qui se revendiquait souverainiste, est arrivée en tête au premier tour des présidentielles en Corse. Le vote nationaliste est-il un vote anti-France ou au contraire un signal d’alarme civilisationnel envoyé au continent?
Il s’agit d’abord d’un rejet des clans qu’ils soient de gauche ou de droite. La gauche dominait le Nord avec la dynastie Giacobbi et Paul Giacobbi sur le destin duquel je ne vais pas épiloguer (ndlr: il a été condamné à trois ans de prison ferme pour détournement de fonds publics). Au Sud et à droite, c’est le clan Rocca Serra qui régnait depuis 1962. Ces clans ont fait l’objet d’un réflexe «dégagiste» qui s’est traduit aux présidentielles par un vote Marine Le Pen. Il faut observer que moins d’un quart des électeurs corses inscrits ont voté pour les listes nationalistes. Le taux d’abstention, qui s’élève à près de 50%, est massif. Nous allons voir ce que nous verrons, mais moi qui connait les oiseaux, je conseille au gouvernement une grande vigilance. Je ne pense pas qu’on puisse satisfaire la revendication de la co-officialité de la langue corse. Cela voudrait dire une politique d’exclusion à l’égard de tous les continentaux. Je l’ai observé quand j’étais ministre de l’Education nationale lorsque tous les agrégés et certifiés d’origine continentale ont été renvoyés dans leur «douar» d’origine. Je pense qu’on a accordé aux nationalistes tout ce qu’ils demandaient en matière d’aménagement du territoire. Les Corses se plaignent de la spéculation, mais ce sont les élus locaux, soumis aux pressions que nous savons, qui octroient les permis de construire. En Corse, on n’est pas libre de s’exprimer. Déroger à la doxa ou aux oukases nationalistes, c’est prendre le risque de passer un mauvais quart d’heure. Il faut maintenant tenir compte du résultat de l’élection. Je suis un démocrate, mais je n’augure rien de bon de ce qui suivra. C’est pourquoi j’attends du gouvernement de la République française qu’il reste ferme sur ses principes: la République n’a pas de concessions à faire à l’ «ethnicisme». D’autant que ce type de revendication peut se révéler contagieux.
La situation est-elle comparable à celle de la Catalogne?
Ce qui se passe en Corse, on l’observe ailleurs en Europe. C’est un mouvement de fond qui vient de loin. Après la réunification allemande, il y a eu la dissociation sanglante de la Yougoslavie et celle plus pacifique de la Tchécoslovaquie. Celle aussi de l’ancienne Union soviétique avec l’avènement d’une quinzaine de Républiques indépendantes. Cela a produit quantité de problèmes nés du découpage arbitraire des frontières. Il y a désormais en Europe occidentale le cas de la Catalogne qui est le plus emblématique, mais qui est assez comparable à ce qu’on observe en Belgique avec le mouvement flamand ou en Italie du Nord avec les Lombards. Ce sont des revendications qui rejettent l’idée de citoyenneté. Les Flamands ne veulent pas de la citoyenneté belge, les Catalans ne veulent pas de la citoyenneté espagnole, les Corses ne veulent pas de la citoyenneté française. Ces mouvements sont aussi en général des mouvements de revendications de riches qui considèrent que, favorisés par la géographie, la démographie et l’économie, ils paient trop d’impôt à l’Etat. Ce n’est pas le cas de la Corse où les transferts se font dans le sens inverse. Il y a des sommes massives transférées chaque année de la France continentale vers la Corse: environ deux milliards d’euros. C’est la limite de la revendication nationaliste. Ils en sont conscients. C’est pourquoi, ils ne réclament pas l’indépendance immédiate. S’agit-il également d’un réflexe identitaire lié à la globalisation et son corollaire, le multiculturalisme?
La nation à la française a toujours été multiethnique et pluri-religieuse depuis l’édit de Nantes et la Révolution française. Elle n’a jamais été multiculturelle. Il y a une culture française encore très largement diffusée par l’école de la République. L’idée de «charia zone» qui prévaut en Grande-Bretagne n’a rien d’équivalent en France, malgré la dérive de certains quartiers que la République a le devoir de combattre. Le communautarisme n’est pas reconnu en France car il s’oppose à la conception de l’Etat républicain où la loi est la même pour tous. Il n’y a pas de mariage sous l’empire d’une religion qui prévaudrait sur le mariage civil. Cela on peut l’observer en Grande-Bretagne où les chiffres donnés par le rapport Casey, notamment sur le nombre de femmes excisées, sont absolument terrifiants. Madame May a pris conscience de cette dérive comme l’avait fait Madame Merkel qui a imposé, en Allemagne, le concept de «culture dominante (Leitkultur)»: on exige désormais que les migrants qui viennent s’installer apprennent préalablement l’allemand avant de recevoir leur titre de séjour. En suite à votre démission du gouvernement sur la question Corse, vous aviez fait une campagne centrée sur la défense du modèle français centralisé, universaliste et laïque. Pressentiez les fractures françaises et européennes?
C’est clair, je défendais l’Etat républicain. Ma campagne était une critique de la mondialisation financière incontrôlée. Je critiquais aussi les modalités de la construction européenne. Je suis toujours sur la même ligne critique par rapport à la manière dont les décisions se prennent. Le président Macron veut redresser tout cela et construire une «Europe qui protège». Mais il mesure déjà toutes les difficultés qui se présentent notamment en Allemagne où il y a eu tout de même une incontestable poussée réactionnaire avec l’AfD, avec les libéraux qui sont des ultras et avec le poids que représente la CSU au sein même de la CDU. Il faudra tenir compte de ces réalités. L’Union européenne a-t-elle encouragé les revendications régionalistes?
Le concept d’«Europe des régions» a flatté les régionalismes et par conséquent les tendances séparatistes. Aujourd’hui, l’Union européenne fait marche arrière car les traités sont clairs. L’article 4 qui est commun aux deux traités dit que l’Union européenne est constituée par les États membres et qu’elle garantit à ces derniers leur intégrité territoriale. La promotion inconsidérée de l’ «Europe des régions» est sans doute derrière nous. Cependant, en France, la réforme des régions s’est faite, en 2014, pour faire plaisir à Bruxelles qui demandait des «réformes structurelles». Lesquelles? On ne savait pas très bien. Le gouvernement Valls a donc fait des grandes régions qui sont beaucoup trop grandes et difficiles à administrer avec des préfets de région qui ne savent plus où donner de la tête, qui ont une multitude de dossiers qui s’empilent sur leur bureau. Les administrations de l’Etat sont désormais éclatées: ici vous avez le préfet de région, là le conseil régional, ailleurs le rectorat, un peu plus loin la direction de l’équipement et de l’environnement. Tout cela n’est tout de même pas très sain du point de vue de la cohérence qui doit faire prévaloir l’administration de l’Etat! Source : Le Figaro