A. Cukier « Exploitation, marxisme et droit du travail »
Créé par sr07 le 26 mai 2018 à 19:28 | Dans : Articles de fond
L’évaluation des enjeux politiques du droit du travail constitue pour la théorie marxiste, et particulièrement pour la critique de l’économie politique centrée sur l’analyse de l’exploitation, une question essentiellement contestée. Depuis Marx, le droit du travail peut être considéré, en rapport au procès d’extraction de survaleur, de trois manières fort différentes : comme une application au travail du droit bourgeois, dont il convient de critiquer radicalement la rationalité juridique formelle ; comme une force de limitation du rapport salarial et de l’exploitation, exprimant les rapports de force dans la lutte des classes ; comme le levier politique d’un dépassement du mode de production capitaliste, institué par un « droit du travail socialiste ». Si c’est la deuxième option qui paraît aujourd’hui théoriquement la plus féconde et politiquement la plus raisonnable, certaines discussions en cours au sein du mouvement social
contre la loi El Khomri rappellent que les deux autres options (le droit du travail avec l’exploitation, le droit du travail en vue d’abolir l’exploitation) n’ont pas tout à fait perdu de leur actualité. On sait que l’amputation du Code du travail français était explicitement « recommandée » par les promoteurs européens du néolibéralisme : par exemple un texte du Conseil de la Commission européenne du 14 juillet 2015 affirmait que « la France devrait prendre des mesures résolues pour supprimer les seuils réglementaires prévus par le droit du travail et les réglementations comptables qui limitent la croissance de ses entreprises », afin de « réduire le coût du travail et améliorer les marges bénéficiaire des entreprises »[1]. Il s’agit donc d’affaiblir le droit du travail pour favoriser l’extraction de survaleur. Mais certains éléments de cette proposition de loi, comme la redéfinition des critères du licenciement économique ou la possibilité légale d’une augmentation du temps de travail au-delà de 10h, par exemple, laissent apercevoir le possible réel d’un Code du travail au service de l’exploitation. D’autre part, les contre-propositions syndicales ou académiques ne distinguent pas toujours nettement entre la deuxième et la troisième option : il y est question par exemple d’instituer dans le code du travail les 32h de travail hebdomadaires et d’instaurer une « sécurité sociale professionnelle » au-delà de l’emploi mais aussi parfois d’intégrer le droit du travail dans un nouveau droit social généralisant les acquis du droit de la fonction publique. Enfin, les trois options sont également remises en jeu dans le cadre des débats juridiques en cours autour des critères de subordination hiérarchique ou de dépendance économique qu’il serait possible d’appliquer aux nouvelles pratiques d’exploitation capitalistes liées par exemple au travail à la tâche sur les plateformes numériques.
Analyser ces types d’option concernant le rapport entre droit du travail et exploitation, et chercher à préciser les conditions de pertinence de la deuxième, revient donc aussi à examiner du point de vue de la théorie marxiste un problème pratique actuel, qu’on peut résumer ainsi : que pouvons-nous attendre d’une contre-réforme progressiste du droit du travail ?
Ce texte propose d’abord une reconstruction synthétique de ces trois positions, en partant de Marx, puis d’auteurs marxistes du XXe siècle, notamment Evgueni Pasukanis et Karl Korsch. On discutera ensuite ces modèles en les confrontant à des travaux juridiques et sociologiques récents au sujet de la genèse et de la dynamique du droit du travail en France, notamment à partir des travauxd’Alain Supiot. Dans un troisième temps, on envisagera deux cas spécifiques parmi ceux qui occupent les débats juridiques et politiques actuels : les nouvelles pratiques d’exploitation sur les plateformes numériques, et le rapport entre droit du travail et droit social au niveau national et international, notamment dans l’Union européenne. Pour conclure, on proposera de réinscrire ces arguments dans le cadre d’une discussion plus générale des enjeux contemporains de la thèse de la centralité politique du travail.
http://www.penser-la-transformation.org/colloque/2016-04-21%20cukier.htm
Colloque annuel du séminaire de philosophie politique « Penser la transformation ».
Jeudi 21 avril 2016. 14h00.
Université de Paul-Valéry Montpellier, site Saint Charles.
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