La gauche française encore et toujours à la recherche d’un nouveau souffle…
Créé par sr07 le 24 mai 2019 à 21:29 | Dans : a2-Blog-notes politique de XD
la gauche française toujours en quête de sa révolution culturelle
Retour sur notre billet qui précédait les primaires de la gauche en 2016!!!
Le début de l’article daté est reproduit en bas de page pour ne pas alourdir le texte ci-dessous.*
La pensée Mao Tsé-toung constituait un vrai marqueur de ces années soixante-dix en France et en Europe. Auprès d’une jeunesse « aventuriste » à la recherche d’exotisme et de renouveau idéologique, cette grande révolution culturelle prolétarienne mythique fournissait, avec la révolution cubaine de Fidel et du Che, un exemple vivant d’une régénération révolutionnaire dans cet Occident enlisé dans ce plat réformisme des PC occidentaux, engoncés dans une posture accommodante avec l’ordre existant depuis le partage du monde en deux blocs. D’où le rayonnement du modèle chinois auprès des non-alignés, précédant cet espoir trahi d’une perspective nouvelle de cette voie chinoise.
Mystifiée par une jeunesse avide d’actions, la Chine de Mao représentait une ligne de fracture au sein des jeunesses communistes occidentales qui voyaient se structurer des fractions trotskistes opposées aux pro-chinoise ou aux pro-italienne. On redécouvrait un Gramsci dans ses très riches cahiers de prison – à ne pas confondre avec ses « écrits politiques » et ses « lettres de prison » – qui autorisaient toutes les interprétations du marxisme avec, notamment, cette louange de la « Révolution contre le capital ».
Véritable retournement de perspective marxiste-léniniste, cette focalisation révolutionnaire sur la périphérie (et non depuis le centre constitué des pays capitalistes avancés sur lequel la tradition marxiste fondait l’espérance communiste avant la prise du Palais d’hiver par les soviets) légitimait d’abord une extrême gauche maoiste se retrouvant dans cet essai de Maria-Antonietta Macciochi « Pour Gramsci », postérieur à son autre grand succès « De la Chine ».
La seconde interprétation, dialectiquement opposée à celle-ci, procédait d’une gauche communiste italienne promouvant depuis Togliati, la voie pacifique vers le socialisme dans une perspective plus tardive de « compromis historique » avec la démocratie chrétienne qui concrétisait la recherche d’un nouveau « bloc historique » au pouvoir et d’une nouvelle « hégémonie culturelle »dans une société développée traversée par une guerre de position des blocs rivaux : celui au pouvoir contesté par le nouveau bloc historique émergeant avec le combat idéologico-politique des intellectuels organiques de la classe ouvrière.
Les concepts gramsciens inspiraient aussi des gauches socialistes, à l’instar du CERES en France, œuvrant pour renouveler un marxisme dogmatique et figé dont s’accommodaient fort bien les sociaux-démocrates et les communistes. Lesquels vivaient néanmoins un affrontement théorique entre althussériens – tenants du structuralisme et insistant sur les fonctions des « appareils idéologiques d’Etat » dans l’hégémonie de la bourgeoisie - et partisans du « marxisme humaniste » d’un Garaudy à la recherche d’un dialogue avec les chrétiens. L’eurocommunisme boosté par la révolution des oeillets au Portugal et la crise des dictatures en Espagne et en Grèce, théorisée par le très regretté gramscien, Nicos Poulantzas, fleurissait et inspirait le CERES dans sa projection sur le compromis géographique, réplique de l’historique italien, considérant l’Europe du Sud comme le maillon faible de l’impérialisme.
« Je voudrais rappeler que, lorsque je fis, avec une petite délégation du CERES, le voyage de Rome (à l’initiative d’Hugues Portelli, alors membre du CERES, devenu depuis sénateur LR) il y a presque quarante ans, nous étions très intéressés par l’idée, portée par Gramsci, d’un compromis avec l’idéologie dominante qui, en Italie, est religieuse et donc avec ce qui deviendra la démocratie chrétienne. Mais Gramsci réfléchissait dans les années 30. Nous avons essayé nous-mêmes de transposer ce modèle en France. En effet, nous voulions que l’Union de la gauche ne soit pas seulement l’héritière de la gauche mais reprenne l’héritage du gaullisme. C’était une transposition d’une situation qui n’était pas celle de l’Italie, qui était celle de la France, et par rapport à une histoire bien différente ». Jean-Pierre Chevènement au colloque sur l’Italie de la fondation ResPublica décembre 2018
Tout ce mouvement intellectuel surgissait dans une France traversée par de fortes mutations sociologiques (la nouvelle classe ouvrière chère à Serge Mallet) et idéologiques (la naissance de la deuxième gauche issue de la mouvance syndicaliste originairement chrétienne avec l’apparition de la CFDT., comme l’illustre la trajectoire d’un Albert Detraz tout récemment décédé).
Ces débats d’une époque marquée par l’émergence de la contestation soixante-huitarde ne tenaient-ils pas lieu de suppléments d’âme, chez cette jeunesse romantique, plutôt que de leviers théoriques pour un vrai changement? N’est-ce point là le comble pour qui connait la dénonciation par Engels, me semble-t- il, de cette fonctionnalité dogmatique au sein du « socialisme de la Chaire »? Les impasses respectives des théoriciens dénommés gauchistes à leur corps défendant – depuis l’Ecole de Francfort, en passant par les écoles trotskistes, pour continuer avec les « Mao », façon « gauche prolétarienne » sartrienne ou JCR scissionnistes du PCF, JCR à l’époque louées par un Patrick Kessel ou un Gilbert Mury – n’ont-elles pas emporté avec leur reflux tous ces esprits fascinés par la révolution chinoise?
Avec ces reconversions spectaculaires des anciens gauchistes à l’instar des journalistes de Libération – ce journal qui appuyait la libération du Vietnam – des prétendus nouveaux philosophes tel BHL et des militants trotskistes recyclés dans le PS, tendance lambertiste chez un Jospin, un Mélenchon ou un Cambadelis, ou LCR chez un Henri Weber, théoricien de la conscience de classe. Songeons à toutes ces agitations venant de donneurs de leçons, façon Glucksmann, ex-maoïste repenti et reconverti avec l’appui de Jean-Paul Sartre, dans la solidarité avec les boat-people du Vietnam, donneurs de leçons bien reclassés dans le décennie qui suivit mai 68!
Cette année soixante-seize verra le PCF adopter « le socialisme aux couleurs de la France » et abandonner la référence à la dictature du prolétariat. Mais on voit, dans le même temps surgir en France les querelles dans cette gauche PC-PS-MRG réconciliée, malgré son trop plein d’arrières pensées respectives, et stratégiquement soudée autour d’un programme commun de « rupture avec le capitalisme » selon l’expression empruntée au discours de François Mitterrand au congrès d’Epinay-sur-Seine. Ce programme commun que nous érigions de façon quasi fétichiste comme le « seul moyen de la révolution » à ceux qui scandaient « une seule solution la révolution ». Avec ces postures des deux grands partis de gauche fort bien analysées dans les écrits de Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane dans deux ouvrages adaptés à la conjoncture politique des années soixante dix.
Dans « les socialistes, les communistes et les autres » édité chez Aubier Montaigne en 1977, Chevènement revient sur les origines de la scission de Tours et sur l’impasse française vers le socialisme pour faire un bilan du léninisme et établir les chances et les conditions de la réussite d’une union de la gauche alors aux portes du pouvoir. Ce que Didier Motchane avait théorisé dans une approche marxienne renouvelant et dépassant les doctrines socialistes et révolutionnaires figées dans une doxa archaïque. Dans ses « clefs pour le socialisme », ouvrage édité chez Seghers en 1973, le théoricien du CERES revisitait les concepts marxistes en les débarrassant de leur gangue lénino-stalinienne ou réformiste pour redonner corps et sens à la stratégie de rupture avec le capitalisme.
Cette refondation théorique réfutait les idées reçues sur la ligne de partage originelle entre réformistes et révolutionnaires, ce qu’un ancien militant du CERES et grand intellectuel recyclé au sein du NPA avant de rejoindre le camp libertaire, Philippe Corcuff, exprimera plus tard à sa manière dans une critique mélancolique de la gauche intitulée » les socialismes français à l’épreuve du pouvoir » édité chez Textuel en 2006 dans ses développements sur Léon Blum au congrès de Tours. Revenons donc sur cette histoire idéologique du PS pour comprendre son état de délabrement idéologique actuel.
Didier Eribon a développé la thèse d’une profonde mutation idéologique du PS des années quatre vingt sous l’effet du néo-conservatisme. Cet auteur considère qu’il y eut alors une véritable rupture avec les idées révolutionnaires libertaires de mai 68, elles mêmes préparées de longue date par une hégémonie de l’idéologie marxiste et contestataire..
On peut rejoindre partiellement cette analyse en distinguant bien deux périodes : la première de la Libération jusqu’à la fin des années soixante dix connaît un rayonnement très puissant des divers courants marxistes sur les intellectuels et la classe ouvrière. La seconde voit au contraire l’effacement progressif du marxisme. Cette dernière période coïncide avec l’arrivée de la gauche au pouvoir et, dans la même décennie, l’effondrement des pays du “socialisme réel”.
Dans la première période on assiste à un foisonnement intellectuel lié à la contestation du marxisme officiel – celui d’un PCF dont l’influence reste énorme – par l’école de Francfort et la mouvance libertaire, le structuralisme et le freudo-marxisme. La deuxième période est celle de la lente agonie d’un marxisme en butte aux assauts des “nouveaux philosophes”en croisade pour les droits de l’homme contre le Goulag. L’assimilation du socialisme au totalitarisme ternit durablement le message du camp progressiste.
En France, dans les années soixante dix, le PS forgeait sa stratégie de rupture avec le capitalisme. On peut dire que jusqu’à l’adoption du projet socialiste dans la foulée du congrès de Metz – qui consacre la ligne d’union de la gauche -, le PS tient bon dans une posture de gauche. Mais il remporte les élections présidentielles alors même qu’il est déjà défait idéologiquement. Commence alors une ère de véritable confusion idéologique pour la gauche française. Egarée dans la parenthèse libérale qui constitue le véritable Bad Godesberg du socialisme français, l’idée de construction européenne tient lieu de substitut à celle de la transformation sociale. Avec le grand marché puis le traité de Maastricht, il s’agit d’un complet renoncement à une alternative au néolibéralisme en pleine poussée. L’idéologie néolibérale règne alors sur les esprits et les dirigeants de gauche – en dépit de leur dénégation toute verbale -, se rangent aux raisons d’un capitalisme financier mondialisé. La rupture est totalement consumée avec les couches populaires dont une large fraction marque son attirance pour les idées du Front national dès les élections européennes de 1984 avec ses points d’orgue en 2002 et aux dernières élections régionales de 2015.
Nous ne nous reconnaissons pas dans la définition d’une idéologie conservatrice présentée par Didier Eribon – qui inclut la conception de la communauté de citoyens en tant que nation démocratique, opposée pourtant à la conception ethnique et nationaliste, dans cette dérive conservatrice – alors même que le rejet du TCE a constitué un moment important de la contestation du libéralisme par l’expression d’un attachement au modèle démocratique social français.
Les nombreuses références au mouvement intellectuel des années soixante dix gomment certains apports nouveaux tels que la redécouverte de Gramsci et de sa pertinente analyse de l’hégémonie idéologique. Par ailleurs nous réfutons la thèse qui ferait de la pensée de Kant et de Rousseau le soubassement philosophique du néo-conservatisme. L’universalisme et le contrat social sont dénoncés comme expression du choix raisonné de l’individu – cet individu idéologisé par la bourgeoisie et qui ne résisterait pas à la critique sociale des structuralistes. Dans ce débat – structuralistes contre tenants du sujet - l’auteur rend cependant grâce à un penseur comme Henri Lefebvre.
Pour autant la confrontation de la gauche de gouvernement avec le mouvement social, théorisé par Bourdieu, apporte des éclairages utiles. Par delà une problématique campée sur le terrain exclusif des prétendues références intellectuelles françaises incontournables de la gauche ( Sartre, Althusser, Lacan, Deleuze, Guattari, Foucault, Bourdieu, Derrida… ), Didier Eribon contribue à révêler le foudroyant bouleversement idéologique du PS dans les années quatre vingt. Il faudrait pourtant corriger largement les soubassements de cette réflexion qui s’enferme dans l’apologie du courant culturel soixante huitard pour dénoncer la dérive conservatrice de ce que nous appellons le social-libéralisme. Ce dernier, à l’instar de la droite actuelle serait libéral sur le terrain économique et conservateur sur le terrain idéologique. Il y aurait largement place au débat sur ce point quand le conservatisme assimilerait aussi, selon Eribon, les principes républicains de la gauche française.
Cette analyse oublie les références historiques du socialisme français et fait par ailleurs la part belle à “la gauche de gauche”, différenciée de “la gauche de la gauche” en ce qu’elle continuerait à porter l’idéal de la gauche institutionnelle, elle même quelque peu idéalisée dans une essence révolutionnaire trahie.
Les racines profondes du conservatisme français ne sont-elles pas plutôt à rechercher dans l’opposition historique à la construction républicaine … la droite légitimiste, bonapartiste et orléaniste, chère à la tripartition du regretté René Rémond. Et aujourd’hui dans les influences néo-conservatrices qui trouvent à s’exprimer dans la posture idéologique d’un Sarkozy, d’un Fillon, d’un Bellamy, d’une Le Pen, voire même du président de la république, qui entendent revenir à un certain ordre moral, faisant fi de l’État de droit avec ces mesures répressives conduites sous la houlette d’un Castaner tendant à réprimer et pénaliser les manifestants amalgamés aux casseurs, dans un climat de violences inacceptables. NDLR 25 mai 2019
Ce qui est en cause aujourd’hui, n’est-ce point la préservation de la démocratie dans sa perspective républicaine quand le néolibéralisme et le néo-conservatisme la désactivent? Le vocabulaire de la gauche radicale et mouvementiste emprunte souvent les termes de néolibéralisme et de néo-conservatisme pour désigner le système socio-économique et idéologico-politique dans lequel prospère le capitalisme financier légitimé par l’idéologie d’un nouvel ordre moral. L’analyse des relations entre capitalisme et posture morale n’est pas nouvelle. Le puritanisme protestant d’Outre-Manche et d’Outre-Rhin paraissait ainsi plus conciliable avec les processus d’accumulation du capital et de recherche du profit que le catholicisme romain, culturellement hostile à l’accumulation des richesses comme fin en soi. Le circuit du capital – “argent-marchandise-argent” qui permet à l’argent de faire des petits (A-M-A’) – , mis à nu par Karl Marx, s’épanouissait sans entraves auprès des anglo-saxons alors qu’il devait combattre, auprès des latins, bien des préjugés moraux hérités de la dénonciation de la recherche effrénée du profit (1). Pour Max Weber, cette attitude mentale fondait la tentative d’explication de l’avancée relative du capitalisme des pays anglo-saxons.
Aujourd’hui le retour à l’ordre moral pourrait apparaître, d’une certaine façon, comme antinomique de l’explosion et de la sacralisation du marché, ce Veau d’or des sociétés occidentales. Dans sa préface à l’ouvrage de Wendy Brown, récemment traduit en français, “Les habits neufs de la politique mondiale – néolibéralisme et néoconservatisme”, Laurent Jeanpierre nous éclaire sur les rapports complexes du néolibéralisme et du néo-conservatisme. Ce dernier serait en réalité “une virtualité inhérente à la rationalité politique néolibérale”, étudiée jadis par Michel Foucault sous le terme de “gouvernementalité”. Ces concepts peuvent se définir comme “conduite des conduites”. “Ils réunissent, nous dit Jeanpierre citant Foucault, ” l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, les analyses et les réflexions, les calculs et les tactiques” qui permettent d’imposer des normes de comportement à des individus et des groupes.” Le néolibéralisme étant pour Brown “l’ensemble des techniques de contrôle d’autrui et de soi par accroissement des choix plutôt que par diminution de la liberté, ou plutôt par accroissement des choix ( et réduction de la liberté à l’acte de choisir), non seulement la liberté se doit d’y être autolimitée mais elle ne peut l’être désormais qu’en étant moralisée.” Ces analyses nous éclairent sur les processus en œuvre d’intrusion du religieux dans l’espace public de notre France laïque que N. Sarkozy vilipende et voue aux gémonies devant le Pape et la dynastie souveraine d’Arabie saoudite. A nous de décrypter le sens de ces processus pour les délégitimer, faute de quoi, ils pourraient asseoir durablement l’hégémonie des néo-cons, indispensable semble-t-il aux avancées du néolibéralisme. Avec cet ouvrage de Wendy Brown, il y a ainsi matière à méditer car sous les coups de buttoir et les effets conjugués du néolibéralisme et du néo-conservatisme, c’est la démocratie qui succombe ! Cette démocratie inventée à Athènes et remise à l’honneur par les courants républicains dans le sillage des Lumières avant que les libéraux n’en usurpent plus tard toute la paternité.
Pour sauver ce qui doit l’être et retrouver une capacité offensive dans notre guerre de position, je reviens sur « une position centriste radicale et républicaine par refus des vieilles politiques de chimères ou de renoncements » déjà publiée sur ce blog. Elle mérite toujours quelques explications.(2)
Dans la tradition révolutionnaire, le centrisme n’a pas du tout la même acception que dans le langage politicien usuel. Il signifie une posture intermédiaire non pas entre la gauche et la droite mais entre courants de gauche. Ainsi Jean Longuet, petit fils de Karl Marx, passé par le guesdisme puis “le jauressisme de gauche”, fut-il qualifié de “centriste” pour ses positions conciliantes envers l’aspiration à la reconstruction, sous réserves, de l”Internationale – après la faillite de la seconde - en réfutant néanmoins les exigences de Zinoviev et de Lénine au congrès de Tours de 1920. Jean Longuet devait finalement se ranger aux raisons d’un Léon Blum que celui-ci exposa dans son discours historique préparé par un mentor du socialisme français : Lucien Herr. Ce discours, “trop connu pour ne pas être méconnu” selon Philippe Corcuff, révêle “une tradition française réformiste révolutionnaire” susceptible de bousculer les idées reçues des militants communistes, trotskyste et /ou altermondialiste. “Les militants socialistes actuels qui croient, selon P Corcuff, que le socialisme français constitue une version vaguement sociale de l’économie de marché n’en seront pas moins perturbés par la radicalité du propos”.
Dans ces temps présents de nouveaux questionnements de toute la gauche après la victoire idéologique et politique du néolibéralisme , la position “centriste” originale et originelle - sur laquelle nous reviendrons plus loin – peut nous éviter un double écueil :
- Celui de l’abandon par la gauche de l’essentiel de ses valeurs et principes au prétexte d’un prétendu caractère indépassable de l’économie de marché dominée par le néolibéralisme. C’est hélas déjà une réalité incontestable avérée par de trop nombreux exemples : la posture du gouvernement Fabius en 1984 dans la lignée de la “parenthèse libérale” augurée par son prédécesseur à Matignon; l’adoption et la mise en oeuvre du “grand marché”, de “l’acte unique”, des traités de Maastricht et d’Amsterdam sous les gouvernements Rocard, Bérégovoy et Jospin – ce dernier ayant par ailleurs pulvérisé le record de cessions d’actifs d’entreprises nationales sous sa législature et appuyé le camp favorable au TCE en 2005 – ; le positionnement prétendument social-démocrate mais parfaitement social-libéral d’un président Hollande et de son gouvernement qui, à côté de réformes sociétales, ont conduit une vraie politique économique de l’offre s’inscrivant totalement dans la politique néo-libérale européenne avec l’adoption des nouveaux traités austéritaires et de lois abaissant l’ordre public social de notre code du travail, politique dans laquelle peuvent s’inscrire Macron, Philippe et son gouvernement dont on connait la composition et les soutiens de secteurs, il y a peu encore, en provenance de la gauche! Avec ces appuis renforcés de notables socialistes pour la liste LREM dans ces élections de mai 2019 au parlement européen. NDLR 26 mai 2019
- Celui du refuge dans la tradition séculaire néo-guesdiste, – incarnée jadis par Guy Mollet -, ou bien dans cette fonction tribunitienne, – celle attribuée jadis au PCF par le politologue Serge Lavaud -, s’accompagnant d’un maximalisme verbal, auquel succombe « la gauche de la gauche », une partie de « la gauche de gauche » et même nos frondeurs qui manquent parfois de suite dans les idées quand les courants d’extrême-gauche demeurent totalement étrangers à toute perspective d’exercice du pouvoir et se perdent souvent en conjectures dans d’épuisantes querelles de chapelles parfaitement ésotériques pour le profane.
Pour sortir de ces impasses, la posture centriste pourrait se définir comme une ouverture aux réflexions des courants critiques de “la gauche de gauche”, de l’écologie politique et de l’altermondialisme tout en assumant pleinement les réalités et évolutions historiques de la gauche. Inscrite définitivement dans la tradition républicaine jauressienne du « réformisme révolutionnaire » du socialisme français – qui porte haut l’exigence démocratique avec la visée laïque et citoyenne -, la gauche reste le creuset d’une perspective sociale audacieuse. Le néolibéralisme – qui n’est rien d’autre qu’une victoire du capitalisme financier sur le monde du travail – doit donc être combattu avec détermination et réalisme. Il appartient ainsi aux forces de gauche d’entamer et de contester sa légitimité (3).
Le néolibéralisme ne doit plus boucher l’horizon de la jeunesse et des couches populaires dans un monde en proie aux communautarismes, aux replis identitaires, au changement climatique, aux spéculations effrontées du capitalisme financier mondialisé et au management productiviste qui aggravent les inégalités, les fractures sociales et spatiales et mettent en péril l’avenir de la planète. L’approche néolibérale de « la nature comme réserve inépuisable et comme dépotoir » se traduit par « l’accaparement des ressources naturelles et de la biodiversité par les multinationales du Nord et des pays émergents tandis que les pays pauvres du Sud sont voués à accueillir les déchets polluants et dangereux et sont surexposés aux changements climatiques », l‘affirmation des biens publics et communs (eau, énergie,etc.) restant ainsi la seule réponse alternative au néo-libéralisme (4).
La refondation républicaine se pose dans cette problématique de rassemblement ”centriste” à la recherche de l’ambition du réalisme pour sortir des impasses ; celle d’une gauche de la gauche anti-libérale, cantonnée dans un rôle protestataire, celle d’une force écologique déconnectée des enjeux sociaux, celle d’un réformisme sans visée affirmée de transformation sociale ou celle d’un républicanisme au message plus sécuritaire qu’émancipateur. D’où notre posture résolument éclectique, fondée sur la critique radicale du néolibéralisme dans ses dimensions sociales, économiques, écologiques et idéologiques mais profondément ancrée dans les fondamentaux républicains du socialisme de Jaurès qui nourrissent l’amour de la patrie et l’internationalisme
Rompant avec des réflexes idéologiques pavloviens, ce nouveau ”centrisme” a besoin d’être expliqué pour devenir un nouveau point d’équilibre à gauche entre différentes sensibilités. C’est un défi encore loin d’être relevé, écrivions-nous déjà depuis plus d’une décennie, en éditant, à quelques mots près ces réflexions pour refonder la gauche sur un socle social et laïc dans une France noyée dans un capitalisme financier mondialisé et déstabilisée par ses fractures sociologiques et par un certain relativisme culturel qui mettent à mal les principes de la France républicaine.
Cette France tant aimée du grand historien du monde méditerranéen, Fernand Braudel. Cette France « qui se nomme diversité » et sur laquelle il osait poser, avec pertinence et intelligence, les questions majeures de son avenir, notamment celle de l’immigration et de l’intégration des populations en provenance de l’autre rive de la Méditerranée, dans son merveilleux ouvrage, plein d’humanité, « l’identité de la France » publié en 1987, l’année qui suivit sa disparition (5).
Xavier Dumoulin
Dans le texte ci-dessus, daté du 10 septembre 2016, seules les phrases en caractères gras ou en italiques avec mention NDLR ont été corrigées ou rajoutées ces jours de mai 2019.
les notes 1 à 5 sont disponibles après la note ci-dessous
* Voici le début de l’article :
Devant le mausolée du « Grand Timonier », place Tiananmen, au centre de Pékin, le peuple est venu spontanément honorer la dépouille de Mao, revêtue du célèbre costume au nom éponyme. Nous sommes le vendredi 9 septembre et une queue de plus de deux heures en plein soleil ne repousse pas la foule qui se presse devant l’immense bâtiment de la Cité interdite, abritant le défunt fondateur de la Chine nouvelle dont le portrait géant orne l’entrée de cet ancien palais des empereurs. Pourtant aucune commémoration officielle n’est organisée et les médias restent très discrets sur cette date anniversaire.
Depuis la mort de Mao en 1976, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des grands fleuves de cette Chine moderne, emportée dans le tourbillon vertigineux de la croissance et de l’argent. Avec un véritable déplacement des équilibres internes et mondiaux. « Quand la chine s’éveillera… » , disait-on à l’époque, selon le titre du célèbre ouvrage à grand tirage d’Alain Peyrefitte bien inspiré par son regard prophétique et perçant.
Le parti communiste au pouvoir a fait depuis longtemps son aggiornamento. Avec la liquidation de la bande des quatre – qui incluait la veuve de Mao -, le socle idéologique révise l’approche révolutionnaire recentrée sur la production et l’émulation au détriment des qualités d’abnégation et de l’esprit de sacrifice. En préservant néanmoins cette discipline de fer et cet encadrement politico-idéologique qui permet à cette ruche d’une économie étatisée de prospérer, sans doute aux dépens des aspirations sociales et populaires. Signe de la débilité dogmatique du PCC, ce verdict renvoyant à 70% de bon et 30% de mauvais dans le bilan maoiste incluant, je crois, les réalisations autant que la ligne et les références du « petit livre rouge ». Reste cette tragédie de l’expérience du « Grand bond en avant » qui fut un vrai désastre économique et humain. Et cette Révolution culturelle qui s’accompagna de violences de la part des gardes rouges, manipulés par Mao, envers leurs aînés, ces cadres qui devaient rectifier leur façon de penser et d’agir dans un parti en pleine épuration.
1) Ma note sur la baisse tendancielle du taux de profit et l’évolution du capitalisme monopoliste d’Etat en capitalisme financier mondialisé.
Le taux de profit est le rapport du profit au capital, lequel intègre capital constant (locaux, machines, matières premières etc.) et capital variable (salaires). La baisse tendancielle du taux de profit est liée à l’augmentation de la composition organique du capital, c’est-à-dire de la modification du rapport entre capital constant et capital variable au détriment du capital variable seul créateur de plus-value. Absolue (plus de temps volé) ou relative (captation des gains de productivité liés à l’augmentation de l’investissement – en quelque sorte le travail mort – et à l’organisation du travail), la plus-value est en effet extorquée aux travailleurs sous forme de sur-travail (non rémunéré).
Selon les économistes marxistes, cette modification est une contradiction forte du capitalisme qui continue cependant à accroître ses profits malgré cette tendance en trouvant de nouvelles formes d’exploitation à l’âge de l’impérialisme et des monopoles – pillage du tiers monde, spéculation financière accrue avec la globalisation, etc. – ou de nouveaux cadres d’intervention – le capitalisme monopoliste d’Etat (CME) qui assure une certaine socialisation des coûts par la collectivité nationale (industrie nationale permettant des tarifs bas pour les entreprises – électricité, transport, infrastructures, etc.- des prestations sociales et de services liés à la reproduction de la force de travail – couverture sociale, chômage, santé, vieillesse, hôpitaux, éducation nationale, etc). Ainsi externalisés, ces coûts ne rentrent plus dans la composition du capital. Cependant une partie d’entre eux sont à la charge des entreprises du fait des prélèvements sociaux obligatoires, sorte de salaires différés.
Aujourd’hui, la théorie du CME n’est plus à même de traduire la réalité du nouveau capitalisme à l’âge de la globalisation. Annoncée par Lénine et en vogue jusqu’à la fin des années 70, cette théorie analysait la connivence entre le grand capital monopolistique – national et international – et l’Etat. La sphère publique prenait en charge les activités non rentables et les investissements collectifs lourds, facilitant la rentabilité des grandes entreprises, ainsi allégées dans leurs coûts de production tandis que les commandes publiques dans des secteurs porteurs assuraient d’importants débouchés. La réalité actuelle a sensiblement modifié les rapports entre l’Etat et les monopoles. D’une part, l’internationalisation du capital et l’interpénétration des économies se sont considérablement développées, rendant plus difficile la régulation étatique nationale, d’autre part, la globalisation financière a radicalement réorienté les stratégies des entreprises, à la recherche de placements financiers spéculatifs plus rémunérateurs que l’investissement productif – d’où le phénomène des licenciements boursiers. La socialisation des grands moyens de production à l’échelle nationale promue par les théoriciens du CME n’est donc plus une réponse pertinente, la gauche gouvernementale ayant par ailleurs totalement renoncé à mener une politique industrielle dans le cadre d’une planification démocratique. L’Etat perd la maîtrise des secteurs bancaires, énergétiques et productifs et remet en cause sa sphère d’intervention sociale, laissant plus de place à la régulation par le marché dans un processus de financiarisation de l’économie.
(2) Lire aussi notre note sur ce blog
(3) Il s’agit d’un engagement concret de soutien et de relais aux luttes des salariés et aux aspirations populaires, en France, en Europe et dans d’autres régions du monde, couplé d’un travail d’analyses, d’échanges et d’éducation populaire. Une telle perspective – en contrepoint absolu avec la logique du néolibéralisme – suppose l’élaboration collective, en France, d’un projet politique visant à souder un “Front de classes” d’abord ancré dans les couches populaires ( sans oublier les travailleurs précaires ) et trouvant ses appuis dans de larges fractions du salariat, des travailleurs indépendants et des couches intellectuelles. C’est le combat pour une nouvelle hégémonie culturelle et idéologique autour des valeurs républicaines et sociales de la gauche française ! C’est une volonté de peser pour une Europe solidaire vraiment européenne, tournée vers le Sud et l’Est en contrepoids à la mondialisation libérale et à l’unilatéralisme américain.
(4) Mon article dans ce blog sur les sept piliers du néolibéralisme
Dans son manifeste altermondialiste, l’association ATTAC développe ses analyses pour servir le débat public. L’introduction est réservée au diagnostic du néolibéralisme.
Le premier pilier du néolibéralisme c’est le libre échange et la libre ciculation des capitaux, les deux facettes du même processus de marchandisation du monde. L’OMC assure une concurrence directe des travailleurs et des systèmes sociaux et exacerbe les contradictions entre les pays du centre et ceux de la périphérie. On assiste au laminage des souverainetés populaires, à l’apauvrissement des peuples soumis aux plans d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale. L’Union européenne s’attache aux mêmes objectifs, soumettant ses états à la concurrence libre et non faussée. L’affirmation des souverainetés populaires est nécessaire pour contrer ce processus.
Le deuxième pilier est une approche de la nature comme réserve inépuisable et comme dépotoir. Elle se traduit par l’accaparement des ressources naturelles et de la biodiversité par les multinationales du Nord et des pays émergents tandis que les pays pauvres du Sud sont voués à accueuillir les déchets polluants et dangereux et sont surexposés aux changements climatiques. La réponse est dans l’affirmation des biens publics et communs (eau, énergie,etc.).
Le troisième pilier est la mise sous tutelle de la démocratie. Le néolibéralisme affirme le lien entre les libertés économiques et politiques en taisant les contre-exemples (Chili de Pinochet ou Chine). ATTAC dénonce la politique africaine de la France dictée par des considérations économiques ( pétrole et phosphate). Pour libérer la démocratie de ses tutelles il faut de nouvelles formes de participation populaire, une formation à la citoyenneté garantie par l’éducation, le droit d’être informé et le droit d’informer.
Le quatrième pilier c’est les politiques publiques au service des propriétaires du capital. Les dérégulations publiques profitent au tout marché. Les politiques publiques garantissent l’attractivité des territoires pour les entreprises par la stabilité de la monnaie, les taux d’intérêts élevés, la circulation des biens, des services et des capitaux. Les politiques publiques sont aussi internationales : FMI, Banque mondiale et OCDE formée des trente pays les plus riches et dont les études et les préconisations apparaissent comme une machine de guerre idéologique pour la promotion des politiques libérales.
Le cinquième pilier c’est le pouvoir absolu des actionnaires dans l’entreprise qui marque une rupture avec les modes de gestion de l’après-guerre fondés sur un compromis entre les entreprises, les pouvoirs publics et les syndicats. Les actionnaires recherchent le profit au détriment de l’investissement. Les transactions financières et les opérations sur le marché des changes s’opèrent dans un marché mondial dérégulé qui tue la démocratie sociale : licenciements boursiers, délocalisations, absence de démocratie dans les entreprises.
Le sixième pilier c’est la guerre permanente et les politiques sécuritaires. La guerre sert le contrôle des ressources énergétiques avec l’appui des régimes réactionnaires chez qui prospère le fondamentalisme. Le rôle des Etats Unis et même de la France est dénoncé par ATTAC.
Le septième pilier relève du formatage des esprits. La mondialisation est présentée comme inévitable et souhaitable. L’entreprise idéologique est conduite sous l’égide des grands médias, des élites administratives, politiques et parfois syndicales. Elle s’appuie sur la critique du totalitarisme et du populisme (stigmatisation de la politique de Chavez). Elle développe sa légitimité dans l’industrie américaine du cinéma porteur de l’ “american way of life”. Le refus de l’impérialisme culturel et linguistique par la promotion de la diversité des cultures et des langues constitue la réponse à cette offensive.. Ce diagnostic permet de mieux cerner le néolibéralisme. Ce manifeste est disponible en librairie. “Manifeste altermondialiste” aux éditions mille et une nuits, janvier 2007 (2,50 euros).
(5) L’identité de la France – Les hommes et les choses – Chap 2 ; III P 165 Les derniers problèmes : triomphe de la médecine, restriction des naissances, immigration étrangère. Arthaud-Flammarion 1986
Ci-dessous cet extrait du journal Les Inrocks
Un documentaire émaillé de témoignages sur l’apport de Braudel, l’homme de la “longue durée”, qui replaça l’histoire dans un contexte plus vaste, géographique, temporel et économique.
Biographie documentaire de Fernand Braudel (1902-1985), l’un des principaux chantres de ce qu’on a nommé la “Nouvelle Histoire”, ne consistant pas simplement à narrer la vie des rois, les guerres et les événements majeurs, tout en égrenant les dates comme des mantras (“1515”, “1789”, “14-18”, etc.), mais à resituer les peuples et les pays dans un cadre temporel et géographique bien plus large.
En gros, Braudel, avec ses collègues de la revue des Annales fondée par Lucien Febvre, son maître à penser, et Marc Bloch, fusillé par les nazis, ont apporté à la connaissance du passé l’expérience des sciences humaines et de la géographie, et donné naissance à ce courant historique qu’on appelle l’école des Annales
Dans ce film didactique, éclairé par les interventions de toutes sortes de personnalités qui ont côtoyé ou pratiqué Braudel, on replace l’historien dans son contexte historique personnel, celui de son existence, qui l’a mené de sa Lorraine natale jusqu’au bout du monde ; par ses voyages et ses recherches, il imposera une vision plus globale de l’étude des faits et des peuples, préfigurant sur le plan des idées ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation.
Il a compris qu’il fallait s’intéresser aux flux et aux courants humains sans se restreindre aux pays et aux dates – de la même manière qu’on doit prendre en compte l’effet du Gulf Stream sur tout l’hémisphère Nord quand on étudie le climat d’un lieu particulier –, et mettre en perspective les événements ponctuels et l’évolution de l’humanité sur de grands espaces et des périodes étendues. C’est ce qu’on a appelé la “longue durée”, dont l’étude est un des grands axes de la pensée braudélienne.
Comme il l’explique lui-même dans une des archives du film,
“le temps de l’Histoire, le temps des hommes, le temps de la vie sociale, est un temps multiple, qui est formé de temps très brefs, de temps plus longs, de temps très longs, et de temps de longue durée qui peuvent sembler immobiles, mais qui ne le sont pas.”
Le documentaire est ainsi émaillé d’extraits d’émissions de télévision auxquels Braudel participa, comme par exemple Apostrophes , où Bernard Pivot, présentant l’historien avec sa verve coutumière, réclame pour lui la création d’un prix Nobel des sciences humaines, lors de la publication complète d’un des trois ouvrages-phares de celui-ci, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle (1979).
Contre “le roman de la Nation”
Sa fille, Françoise Braudel-Pineau, divers philosophes, géographes, et ses pairs historiens témoignent, comme le Polonais Krzysztof Pomian, ou bien Marc Ferro, du comité scientifique des Annales, qui résume ainsi l’apport de Braudel :
“Ce qui le passionnait, ce n’était pas seulement la connaissance historique, c’était l’organisation d’une connaissance de l’histoire qui mettrait fin à ce qu’on appelait “l’histoire bataille“, c’est à dire celle des bons et les méchants […] Il voulait rompre avec ce qu’on appelle maintenant ‘le roman de la Nation’, qui est en débat parce qu’il faut y mettre fin”.
Un débat toujours d’actualité, comme le montre récemment le souhait du candidat Fillon de “réécrire les programmes d’histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national”.
Des extraits de l’œuvre de Braudel sont lus, et l’essentiel de son parcours décrit posément : sa naissance dans un village lorrain ; son agrégation ; ses débuts dans le professorat en Algérie à 21 ans – source de sa plus grande fascination, la Méditerranée, son premier sujet d’études majeur, qui lui inspirera plus tard le grand ouvrage de référence La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (1949).
Lors d’un séjour de deux ans à l’université de Sao Paulo au Brésil (1935-37), il rencontre certains précurseurs des sciences sociales et du structuralisme (comme Claude Lévi-Strauss) ainsi que son maître à penser Lucien Febvre (sur le bateau du retour).
Envoyé en captivité en Allemagne (1940-1945), il met son isolement à profit pour rédiger La Méditerranée, sans le secours de ses précieuses notes. En retrouvant la France, il prend la direction des Annales, entre au Collège de France et crée la Maison des Sciences de l’Homme (1963).
L’économie maîtresse
Au moment où il vient d’entamer le dernier chapitre de son grand œuvre, L’Identité de la France (1986), que la mort ne lui laissera pas le temps de terminer, il entre à l’Académie Française. La grande affaire de Braudel, à l’aune de laquelle il scrutera l’évolution de la civilisation, c’est l’économie, qui gouverne le monde, et sera l’enjeu de son livre Civilisation matérielle… Cet aspect est naturellement abordé dans le film.
En revanche on ne mentionne pas les impasses de Braudel qui, en dédaignant les “soubresauts du temps court” s’opposait à l’événementiel mais aussi à l’idéologie. Il n’étudiera pas le rôle de la religion dans La Méditerranée, et se refusera assez régulièrement à commenter les événements politiques. Une telle dimension manque peut-être à sa réflexion. Car Braudel a moins été un sismographe de la pensée en mouvement que des transformations matérielles de l’humanité. Un matérialiste non marxiste.
L’homme qui réinventa l’histoire : Fernand Braudel Documentaire de Didier Deleskiewicz Lundi 5 septembre, 23 h 30 France 3
2 réponses to “La gauche française encore et toujours à la recherche d’un nouveau souffle…”
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Interview pour Libé
Laurent Jeanpierre : «Le mouvement des gilets jaunes a permis à beaucoup d’inventer une parole politique»
Par Thibaut Sardier, 23 août 2019 à 17:06
Dans «In Girum», le professeur de science politique lit l’évolution des mouvements sociaux à partir de l’expérience des gilets jaunes. Il voit s’ouvrir un nouveau cycle de mobilisations, centrées sur l’échelle locale, et où les réseaux sociaux jouent un rôle structurant.
Laurent Jeanpierre : «Le mouvement des gilets jaunes a permis à beaucoup d’inventer une parole politique»
Qu’adviendra-t-il des gilets jaunes ? Si l’été n’a laissé sur les ronds-points que quelques irréductibles (lire Libération des 27 et 28 juillet), ils sont attendus à Biarritz ce week-end pour le contre-sommet du G7. Impossible de prédire si la mobilisation reprendra de l’ampleur à l’occasion de la réforme des retraites, du premier anniversaire du mouvement, le 17 novembre, ou lors des municipales. Mais l’incertitude sur l’avenir n’empêche pas de réfléchir à ce que ce mouvement social révèle des nouveaux modes de mobilisation et de contestation. C’est ce que fait Laurent Jeanpierre, professeur de science politique à l’université Paris-VIII, dans son essai In Girum. Les leçons politiques des ronds-points (La Découverte, en librairies le 29 août). S’appuyant sur les premiers travaux d’analyse menés «à chaud», il voit dans le mouvement des ronds-points l’indice d’une «relocalisation» des mobilisations citoyennes, dont les préoccupations porteraient désormais en priorité sur les questions liées à la sphère de la «reproduction» : l’ensemble de ce qui assure la pérennité de notre espèce, de l’écologie au logement et à l’éducation.
D’après vous, nous entrons avec les gilets jaunes dans un nouveau cycle de mobilisations. Pourquoi ?
Il n’y a pas de rupture nette : en France, on a cru après 1968 à la mort des institutions du mouvement social comme les syndicats, or elles sont toujours présentes, quoique fragilisées. En revanche, si on inscrit les gilets jaunes dans une séquence qui inclut la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Nuit debout, le mouvement des places aux Etats-Unis, en Espagne ou en Grèce, on observe des glissements qui permettent d’envisager le début d’un nouveau cycle. Ce sont des mouvements d’échelle locale qui concernent des groupes sociaux différents. Ces luttes locales se multiplient, laissant supposer une relocalisation de la politique. Seront-elles assez solides pour se développer et tenir ? C’est la question.
La nouveauté réside-t-elle dans les cadres théoriques ou dans les conditions pratiques de la mobilisation ?
L’un des paris du livre, qui ne porte pas strictement sur les gilets jaunes mais raisonne à partir de ce mouvement, c’est justement de mettre en rapport deux tendances. La première est plutôt d’ordre pratique, il s’agit des formes effectives prises par la politisation locale : la façon dont les ronds-points ont été investis en est le meilleur exemple, c’est l’élément d’originalité et de nouveauté du mouvement plus que les émeutes des centres-villes. La seconde tendance est d’ordre théorique, et renvoie à la façon dont la commune et le local ont été pensés comme des échelles privilégiées de l’action politique, chez le théoricien anarchiste Murray Bookchin, lui-même critiqué par le géographe marxiste David Harvey. Ces deux éléments ne devaient pas nécessairement se rencontrer, sauf chez ces quelques intellectuels curieux de ce qui se produisait sur le terrain. Et pourtant, ils se sont bel et bien croisés avec les gilets jaunes, signe que quelque chose s’est produit.
Ce «quelque chose» doit beaucoup aux réseaux sociaux. Est-ce une originalité ?
J’ai un peu analysé les révoltes arabes en 2011, qui n’étaient pas des «révoltes Facebook» : les réseaux de mobilisation préexistaient, et les médias sociaux n’ont été qu’une chambre d’écho, un accélérateur. Inversement, les sociabilités électroniques ont eu un effet structurant pour les gilets jaunes : elles leur ont permis de se sentir légitimes à la participation politique, et ce d’autant plus que l’algorithme de Facebook avait changé quelques mois avant les gilets jaunes pour favoriser les publications issues des amis et connaissances de la sphère locale. C’est d’autant plus important que le taux d’adoption de Facebook dans les foyers des classes populaires et moyennes françaises a été très rapide, jusqu’à devenir la principale source d’information, comme l’a souligné la sociologue Dominique Pasquier.
Vous constatez dans le livre que les revendications liées au travail ont été quasi absentes. Comment l’expliquer ?
Dans leurs propos et leurs revendications, les gilets jaunes ont globalement laissé de côté les problématiques de la production et de l’organisation du travail. Si on raisonne à l’échelle du mouvement, il faut distinguer deux moments : une phase ascendante à partir de novembre 2018, puis une phase de déclin qui débute avec la destruction des abris sur les ronds-points fin janvier 2019. Dans la première période, on observe un des effets quasi miraculeux du mouvement : des divisions très ancrées dans les imaginaires, entre «ceux qui bossent» et «ceux qui ne foutent rien», s’estompent (elles reviendront lors du déclin du mouvement). C’est un moment de découverte et d’intercompréhension entre les fractions basses des classes moyennes et les classes populaires défavorisées. Cela montre que la revendication initiale des gilets jaunes n’est pas salariale, puisqu’elle regroupait, du travailleur précaire au RSA au patron de PME, des personnes aux niveaux de revenus très variables. Il en va de même de la réponse gouvernementale, qui a pris la forme d’une prime et pas d’une revalorisation du smic. La mobilisation était d’abord liée au pouvoir d’achat et aux dépenses contraintes : fiscalité, coût de la vie, des transports, de l’énergie, du logement. C’est la raison pour laquelle la CGT comme de nombreux leaders politiques de La France insoumise ou du NPA ont eu des réticences ou des difficultés à soutenir le mouvement. S’ajoute à cela le fait que le gouvernement n’a pendant longtemps rien demandé au patronat. Pourquoi Emmanuel Macron et son gouvernement ne se sont-ils pas adressés au Medef pour calmer la crise en affirmant que le pouvoir d’achat ne relève pas exclusivement de l’Etat, mais dépend aussi du salaire ? C’est un symptôme de la codépendance de ce gouvernement et du patronat.
Peut-on dire que le rond-point a pris le relais de l’usine ou de l’entreprise comme lieu de politisation ?
Il faut s’accorder sur ce qu’on appelle politisation. Les professionnels de la représentation que sont les politiciens, les journalistes ou les chercheurs ont des présupposés assez forts sur sa définition : ce seraient d’abord des discours, si possible cohérents du point de vue idéologique. Avec une telle conception, on s’interdit de voir d’autres modalités de politisation qui apparaissent pourtant si on regarde ce que les gens ont échangé sur les ronds-points et sur les réseaux sociaux : beaucoup disaient à la fois qu’ils ne s’intéressaient pas à la politique des représentants et qu’ils découvraient la politique. Le mouvement a ainsi eu une fonction d’éducation populaire qui peut être l’une des clés d’explication de sa durée : il a permis à beaucoup d’inventer une parole politique et de se réapproprier les discours politiques des représentants. On les a traduits, discutés, on a construit une compétence politique spécifique. On peut donc parler de politisation, même si cela ne débouche pas sur un discours politique cohérent. D’une certaine manière, le fait que le discours idéologique soit traversé de contradictions, d’incohérences, d’inventaires de revendications à la Prévert, fait partie de la durabilité du mouvement, car on parle de plein de choses sans penser à les unifier.
Avec un attachement aux sujets concrets que l’on entend comparativement peu chez les représentants.
Cette politisation anti-intellectualiste et anti-idéologique a conduit à partager des récits d’expérience quotidienne qui sont en grande partie inaccessibles aux représentants, parce qu’ils ont des expériences vécues totalement étrangères, mais surtout – c’est notable pour les partis de gauche – parce qu’ils ne sont plus en mesure d’avoir accès à cette expérience ordinaire. Un des éléments frappants en lisant les premiers témoignages, c’est l’inquiétude concernant l’avenir. On a beaucoup insisté sur les problèmes du quotidien immédiat, le fait de ne pas joindre les deux bouts, mais on a oublié que ce ne sont pas les plus pauvres qui sont dans le mouvement. En moyenne, ce sont des personnes gagnant environ 1,5 fois le smic. Ce sont aussi souvent des gens qui sont endettés, qui n’ont pas la possibilité d’une ascension sociale pour leurs enfants alors même qu’ils ont un emploi et ne sont pas précaires. Effectivement, cela ne suffit pas, et cette difficulté de projection dans l’avenir pour ceux que j’appelle les «entravés» est un trait important.
Comment le pouvoir s’est-il adapté à cette situation inédite ?
On a noté à juste titre des points communs entre les gilets jaunes et «l’entreprise Macron», comme le «ni droite ni gauche» sur le plan idéologique. Macron s’efforce de détruire ce clivage, et les municipales de l’an prochain permettront de voir s’il bénéficie d’une base locale assez forte pour cela. Chez les gilets jaunes, beaucoup d’électeurs sont capables de voter aussi bien à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite et, plus encore, de ne pas voter. On constate aussi une défiance partagée vis-à-vis des médiateurs de la politique, journalistes, corps intermédiaires voire élus locaux. Macron dirige un gouvernement très centraliste et vertical, qui a négligé les maires durant une bonne partie du mouvement, et qui n’est donc pas en mesure d’actionner les leviers de médiation habituels. Cela nécessite d’inventer un nouveau type de réponse aux mouvements sociaux. Je fais l’hypothèse que la manière française sera «un peu plus de répression, un peu plus de participation». Cela pourrait d’ailleurs être, plus largement, la forme de gouvernement des mouvements sociaux caractéristique du néolibéralisme autoritaire.
Ce développement de la démocratie participative n’est-il pas une façade, comme on a pu le dire du grand débat ?
Le dispositif du grand débat, avec la non-prise en compte de ce qui se disait hors des thèmes imposés, est apparu aux spécialistes comme une parodie de dispositif participatif. Mais au-delà, on assiste à une multiplication de ces dispositifs. Ce sera un autre enjeu important des municipales : la question n’est pas de savoir si des maires vont rejoindre LREM, mais ce qu’ils vont faire pour être élus par leurs administrés des ronds-points. Vont-ils faire entrer des gilets jaunes dans leurs listes ? Promettre du participatif local pour faire droit à la colère qui s’est exprimée ? Cela engage assez peu, et devrait apparaître dans les programmes. Est-ce que ce sera suffisant ? Pas sûr : il me semble aussi que les mouvements sociaux qui prennent la forme d’assemblées de discussion imposent des formes d’abstraction politique déconnectées des conditions réelles d’existence, tout le contraire de ce que défendaient au départ la plupart des gilets jaunes. Nuit debout est un bon exemple de cette abstraction : c’était un mouvement pour des gens qui voulaient écouter des discours et cartographier des idées. Les tentatives «assembléistes» que l’on observe autour des gilets jaunes risquent ainsi de résorber le mouvement dans la grammaire classique de la gauche, issue de 1968.
Vous abordez l’écologie à la fin du livre. Peut-elle devenir la nouvelle matrice des mobilisations de demain ?
Je ne cherche pas à «verdir» les gilets jaunes. S’ils ne sont pas les «anti-écolos» que l’on a dépeints au début du mouvement, reste qu’ils n’ont pas convergé avec les militants écologistes des marches pour le climat, notamment parce que ces deux groupes sont très différents sociologiquement. Néanmoins, au-delà du seul cas des gilets jaunes, et puisque le travail n’est plus un ressort politique structurant, il n’y a pas mille autres endroits où trouver un élément mobilisateur englobant. Je pense que c’est la «sphère de la reproduction» qui joue déjà et qui jouera ce rôle. Cette notion, issue des pensées marxistes et féministes, désigne l’ensemble de ce qui assure la pérennité de notre espèce, et qui inclut notamment l’alimentation, le logement, le travail domestique, l’éducation, le care, la nature. L’idée que ces combats ne sont pas déconnectés commence à s’imposer.
La ZAD peut-elle fournir un modèle d’action pour les (futurs) militants de cette sphère de la reproduction ?
C’est l’exemple d’une lutte collective dont le projet politique, d’échelle communale, a fait converger les préoccupations autour de la reproduction. A ce titre, la ZAD a été une sorte d’expérience totale. Mais les raisons de son existence ainsi que la sociologie de ses participants aboutissent à une configuration difficile à transposer telle quelle. C’est pourquoi, même s’il y a une proximité entre les cabanes de Notre-Dame-des-Landes et celles des ronds-points, je ne dirais tout de même pas que la ZAD est l’horizon des gilets jaunes. Les politiques autonomes du local restent encore à inventer.
Thibaut Sardier Dessin Cat O’Neil
LAURENT JEANPIERRE IN GIRUM La Découverte, 144pp., 12€.
BIG BANG
Il est minuit moins deux.
L’urgence nous oblige.
#Soyez le Big Bang
Où sont passés la colère sociale et l’esprit critique qui s’aiguisent depuis des mois dans notre pays ? Ils demeurent dans les têtes, dans les cœurs et dans la rue. Mais la situation politique est catastrophique. Au lendemain des élections européennes, le bon résultat de l’écologie politique ne peut masquer le fait que la gauche est en miettes, désertée par une très grande partie des classes populaires. La gauche et l’écologie politique sont loin de pouvoir constituer une alternative alors même que le pouvoir en place et la droite fascisante dominent la scène politique dans un face à face menaçant où chacun se nourrit du rejet de l’autre et le renforce. Le pire peut désormais arriver. Nous n’acceptons pas ce scénario. Nous devons, nous pouvons proposer un nouvel horizon.
La raison essentielle de ce désastre est l’absence d’une perspective émancipatrice qui puisse fédérer les colères et les aspirations autour d’un projet politique de profonde transformation de la société. Un big bang est nécessaire pour construire une espérance capable de rassembler et de mobiliser.
Il y a du pain sur la planche : réinventer nos modèles et nos imaginaires, rompre avec le productivisme et le consumérisme qui nous mènent au chaos climatique, à la disparition des espèces et à une dramatique déshumanisation, substituer le partage des richesses, des pouvoirs et des savoirs aux lois de la finance et de la compétitivité. L’enjeu, c’est aussi d’articuler les différents combats émancipateurs pour dégager une cohérence nouvelle qui s’attache aux exigences sociales comme écologiques, à la liberté des femmes comme à la fin de toutes les formes de racisme, aux conditions et au sens du travail comme au droit à la ville, à la maîtrise de la révolution numérique comme à l’égalité dans l’accès à l’éducation et à la culture, à la promotion des services publics comme au développement de la gratuité. Nous n’y parviendrons qu’en assumant des ruptures franches avec les normes et les logiques capitalistes. Ce qui suppose de nous affranchir des logiques néolibérales et autoritaires qu’organisent les traités européens et de donner à nos combats une dimension internationaliste.
Et pour cela, ce big-bang doit aussi toucher aux formes de l’engagement. La politique est en crise globale. La défiance est massive à l’égard des représentants et des partis politiques, et plus généralement à l’égard de toutes les formes délégataires de représentation. Il est impératif d’inventer la façon de permettre, à toutes celles et ceux désireux de s’engager, de vivre ensemble et d’agir avec des courants politiques constitués qui doivent intégrer dans leurs orientations les expériences alternatives en cours. Et cela suppose de repenser les lieux et les modalités du militantisme autant que les rouages de la délibération collective. L’exigence démocratique se trouve dans toutes les luttes de notre époque, sociales, écologistes, féministes, antiracistes…, des nuits debout aux gilets jaunes. Elle implique de penser les médiations, de favoriser des liens respectueux, loin de toute logique de mise au pas, avec les espaces politiques, sociaux, culturels qui visent l’émancipation humaine. Puisque nous prônons une nouvelle République, la façon dont nous allons nous fédérer dira notre crédibilité à porter cette exigence pour la société toute entière.
Le pire serait de continuer comme avant, de croire que quelques micro-accords de sommet et de circonstances pourraient suffire à régénérer le camp de l’émancipation, que l’appel à une improbable « union de la gauche » à l’ancienne serait le sésame. Nous sommes animés par un sentiment d’urgence et par la nécessité de briser les murs qui se dressent au fur et à mesure que la situation produit des crispations et des raidissements. Il est temps de se parler et de s’écouter, de se respecter pour pouvoir avancer en combinant le combat pour les exigences sociales et écologiques. Nous pensons bien sûr aux forces politiques – insoumis, communistes, anticapitalistes, socialistes et écologistes décidés à rompre avec le néolibéralisme. Mais ce dialogue entre mouvements politiques constitués ne suffira pas à soulever les montagnes pour redonner confiance et espoir. C’est plus largement que les portes et les fenêtres doivent s’ouvrir aux citoyens, à la vitalité associative, au monde syndical, aux espaces culturels et intellectuels critiques, aux désobéissants du climat, à celles et ceux qui luttent au quotidien contre les oppressions et les violences policières.
Il y a urgence. Nous savons la disponibilité d’un grand nombre de citoyen.ne.s et de militant.e.s à unir leurs énergies pour ouvrir une perspective de progrès. Ces forces existent dans la société mais elles n’arrivent pas à se traduire dans l’espace politique. C’est ce décalage qu’il faut affronter et combler. Sans raccourci. Un travail patient autant qu’urgent de dialogue, d’ouverture, d’expérimentations est devant nous si nous voulons rassembler pour émettre une proposition politique propulsive. Il faut de la visée, du sens, de l’enthousiasme pour qu’une dynamique s’enclenche, pour qu’elle se fixe l’objectif d’être majoritaire. C’est d’une vision plus encore que d’une juxtaposition de colères et de propositions dont notre pays a aujourd’hui besoin. Loin du ressentiment et de la haine pour moteur, nous devons faire vivre un horizon commun de progrès pour l’humanité. La réussite de cette entreprise tient en grande partie à la capacité à assumer un pluralisme authentique tout en dégageant de nouvelles cohérences partagées. Toute logique de ralliement, de mise au pas derrière un seul des courants d’idées qui composent ce large espace à fédérer, se traduira par un échec à court ou moyen terme.
C’est pourquoi nous appelons au débat partout pour la construction d’un cadre de rassemblement politique et citoyen, avec l’objectif de participer activement à la réussite de cette invention à gauche que nous appelons de nos vœux. Nous savons la difficulté de l’entreprise. Mais elle est indispensable. Et beaucoup de voix s’élèvent pour en affirmer l’exigence. Faisons converger nos efforts. Engageons-la ensemble le 30 juin prochain au Cirque Romanès.