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Il existe entre l’ordre politique et l’ordre économique une intolérable contradiction. Vile et insidieuse, cette contradiction grossit depuis trente ans. Elle n’a jamais été plus profonde, plus dangereuse qu’aujourd’hui. Elle sape désormais les fondements mêmes des démocraties, disqualifie les gouvernements, aliène les libertés, éprouve durement les modèles sociaux.

La puissance économique sans limite de quelques multinationales, qui se moquent des États comme jamais, ronge méthodiquement la souveraineté politique. Celles-là imposent leurs lois aux lois, leurs volontés à la volonté générale. Elles produisent règles, normes, monnaies. Leurs capitalisations sont sans commune mesure avec la richesse des nations. Des multinationales plus fortes que des États.

Que reste-t-il de souveraineté à cette assemblée de citoyens dont parlait Jaurès, rois dans l’ordre politique, quand celui-ci est contesté ? Quand la puissance privée le dispute à la puissance publique ? Que reste-t-il quand un clic a plus de pouvoir qu’un million de bulletins de vote ? Big Brother privatisé, Léviathan numérique. L’ordre politique est renversé.

Mondialisation déloyale, évasion fiscale, dumping social, explosion des inégalités, destruction de l’environnement, financiarisation de l’économie. Le libéralisme économique dans tous ses excès, et même sa violence, emporte désormais avec lui le libéralisme politique.

C’est l’autre affaire du siècle. Aux combats séculaires en faveur des libertés publiques, politiques et de conscience, aux luttes pour les droits sociaux qui ont accompagné la construction de l’État de droit, des démocraties parlementaires et de la République sociale doit désormais succéder l’âpre bataille contre les abus de pouvoir de la puissance privée.

Il faut avoir le vrai courage de faire payer leurs impôts à celles des entreprises qui ne les paient pas, le courage d’un nouvel impôt sur les sociétés pour que les entreprises soient taxées là où elles font leur chiffre d’affaires.

Le courage de démanteler les cartels, au premier chef les Gafa, qui abusent de leurs positions dominantes, pas seulement au nom de la libre concurrence, mais au nom de toutes les libertés qu’elles atteignent.

Le courage de donner des règles là où il n’y en a plus, d’engager un nouveau chemin de sécularisation, non plus pour soustraire les États à l’influence des Églises, mais à celle de l’argent et des intérêts privés, au capitalisme de connivence.

Le courage d’interroger la liberté d’entreprendre et de remettre en cause la propriété privée chaque fois qu’il en va de biens communs et du bien commun.

Le courage de donner un prix à ce qui n’en a pas, l’eau, l’air, la terre et de fixer des limites à une vie économique à crédit de l’environnement.

Le courage de refuser le libre-échange en échange de rien, celui qui tient pour secondes les questions sociales et environnementales, celui qui ignore la fin du monde comme la fin du mois.

Le courage de donner aux salariés un pouvoir de codétermination dans l’entreprise pour faire primer les stratégies industrielles sur le court-termisme de marché et le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés sur la rémunération du capital. Voilà bien l’affaire de la gauche. Réarmer les États, redonner à la politique sa puissance et aux hommes et aux femmes un pouvoir sur leur vie. Affirmer le primat du politique sur l’économie, de la souveraineté politique. Reprendre les rênes. Défendre une assemblée de citoyens, rois dans l’ordre politique comme dans l’ordre économique. Bref, rebâtir la République jusqu’au bout.