A l’heure d’une évolution de l’épidémie, la géopolitique du virus présente sous un nouveau jour la compétition entre le président chinois Xi Jinping qui prodigue à présent les enseignements d’une crise sanitaire sous contrôle et Donald Trump, imprévisible et arrogant chef d’Etat enfin décidé à changer de cap, après ce long déni de risque épidémique de ce qu’il nomme à présent le « virus chinois ». Les dirigeants du vieux continent ont quant à eux trop tardé à tirer les leçons des pays asiatiques en pointe dans l’endiguement de la contagion qui sévit particulièrement à ce jour en Italie, en Espagne et en France.

L’exemple français reste à cet égard éloquent. Confronté à l’avalanche quotidienne de questionnements critiques émanant de tous les secteurs de la société française, et en particulier du monde de la santé et de la recherche scientifique, le pouvoir  décline haut et fort son catalogue des bonnes intentions sous un mode martial et trop assuré qui dissimule mal sa fébrilité face aux difficultés concrètes des acteurs du soin, libéraux ou hospitaliers, en première ligne dans la crise sanitaire qui monte jour après jour sur les territoires de la métropole, de l’île de beauté et de l’Outre-mer.

Le manque avéré de réactivité dans la gestion gouvernementale de la crise hospitalière, crise structurelle depuis la mise en oeuvre de la T2A et de la dite « nouvelle gouvernance », n’offre-t-elle pas une illustration de ce décalage opérationnel? Les promesses toutes récentes du président Macron envers les soignants hospitaliers n’exonèrent pas, loin s’en faut, de l’absence de réponses aux besoins en capacités hospitalières, en personnels et en moyens malgré les alertes et interpellations des professionnels ces douze derniers mois marqués par le mouvement des urgentistes et des centaines de démissions de responsables hospitaliers.

A cette crise hospitalière structurelle, s’ajoutent à présent les constats de déficiences logistiques en matière de tests de dépistage, de masques de protections pour les malades et les soignants et de matériel médical. 

Ces réalités accablantes, dans ce moment de vérité qui accompagne l’approche du pic épidémique, illustrent ces carences gouvernementales et managériales. Le manque de détermination gouvernementale à conduire une politique de confinement dans un temps opportun précédent l’explosion de la pandémie, de l’aveu même de l’ex-ministre de la santé, candidate LREM en fort mauvaise posture de second tour pour la mairie de Paris, traduit bien cette incapacité. Dans cette période pré-électorale qualifiée de mascarade par Agnès Buzin, ce non choix implicite pour rassurer les marchés financiers et préserver l’économie avant de se résigner in extremis à l’annonce de mesures fortes, à la veille d’un scrutin pourtant maintenu en dépit du bon sens, ne trahit-il pas une absence de vision et de cohérence pour combattre la pandémie?

Le discours présidentiel de guerre contre le virus – virus dont le porteur  reste néanmoins l’homme contaminé – souffre du manque certain de cohérence et de pédagogie sinon de légitimité de l’exécutif qui eût été mieux inspiré de ne pas mettre en œuvre le 49-3 en période de menace de pandémie avant de se raviser trop tardivement en suspendant toutes les réformes en cours. 

Les propos trop tranchés de refus des fermetures du pays sous le prétexte que le virus ne connaîtrait pas de frontières ont aussi fragilisé la crédibilité du discours régalien quand on savait l’importance des mesures de précaution et du confinement qui supposent bien évidemment une stricte limitation des circulations sur les espaces concernés. Que cette demande de fermeture des frontières émane d’une Le Pen ne justifie en rien ce flou présidentiel décalé sur fond de compétition politique entre le populisme identitaire du RN et l’européisme de LREM et du MODEM !

Les instances européennes  sont d’ailleurs (et par dessus le marché!) paradoxalement totalement absentes dans une définition pertinente et concertée de mesures de santé publique adéquates qui restent pourtant attendues dans l’espace de Schengen. On observe aussi ce retard à l’allumage de la BCE dans la défense des économies menacées de la zone euro, aujourd’hui en passe d’être compensé par les changements radicaux d’orientations dont il faudra mesurer la portée mais qui augurent de révisions salutaires en matière de gouvernance économique.

Cette difficile gestion de crise par l’exécutif – président, chef du gouvernement et ministre de la santé -  se revendique pourtant d’une expertise éclairée. Expertise certes nourrie courant mars des analyses et préconisations du conseil scientifique constitué ad hoc avec onze personnalités qualifiées, cooptées en raison de leur compétence dans les domaines médicaux et scientifiques incluant les sciences humaines, et dirigé par le docteur Jean-François Delfraissy, immunologue qui présidait, avant l’installation du conseil par le nouveau ministre de la santé, le comité national consultatif d’éthique.

L’expertise du conseil scientifique vient compléter celle des institutions nationales dont la direction générale de la santé, représentée par son directeur, le professeur Salomon, aux côtés d’autres autorités telle que la Haute autorité en santé mais avec un grand oublié dans cette période médiatique : le Haut conseil de la santé publique.

Ce retrait d’une instance particulièrement qualifiée dans le champ de la stratégie nationale de santé et de prévention de risques sanitaires s’opère dans un contournement implicite de notre démocratie sanitaire. Cette démocratie sanitaire s’accomplit notamment dans les procédures d’élaboration et d’évaluation des grands programmes de santé publique, son effacement amputant en conséquence la légitimité des choix en la matière. A rebours donc des dynamiques participatives qui semblaient inscrites dans le nouveau paysage sanitaire voulant donner toute sa place à « l’expertise des usagers » aux différents niveaux territoriaux et dans la conduite transversale des politiques de santé. Le confinement constitue une première attitude civique pour freiner la contamination et donner une respiration aux soignants pour une meilleure prise en charge des publics en détresse. Son succès repose surtout sur la pleine conscience des populations tant l’effort exigé peut être difficile. Une pédagogie portée par les acteurs expérimentés dans le champ de la santé publique doit contribuer au strict respect  de cette mesure salutaire encore trop faiblement appliquée malgré les injonctions régaliennes et la répression des comportements délictuels.

Jusqu’à ces derniers jours, les manquements au principe de précaution inscrit dans notre constitution – le problème n’étant plus de discuter du fondement mais des modalités de mise en œuvre du principe dans cette crise – se conjuguent avec un certain effacement de la démocratie sanitaire dans cette période qui aurait grandement besoin de pédagogie civique, d’éthique et d’adhésion aux impératifs de santé publique dans ces circonstances exceptionnelles. Dans les débats et votes autour de de l’urgence sanitaire on a pu mesurer la responsabilité des gauches parlementaires sur le volet social contrariant la propension de la majorité parlementaire au détricotage du droit social.

La recherche d’efficacité dans la gestion de la crise liée à la pandémie ne suppose -t-elle pas à présent de corriger le tir en joignant des actes concrets à une parole mieux orientée et plus collégiale, à la hauteur des fondements de notre démocratie sanitaire et sociale? Dans cet esprit, permettre aux acteurs de la santé, médecins et soignants, ainsi qu’aux professionnels et bénévoles d’autres secteurs actifs aujourd’hui, d’accompagner leurs compatriotes, malades et citoyens, avec les moyens d’intervention et de protection adéquats reste un objectif élémentaire. Sans oublier de donner aussi toute leur place aux choix éthiques et civiques consubstantiels à la conduite d’une gestion de crise équilibrée qui doit trouver son point d’appui décisif dans la solidarité du corps social et dans le réconfort moral de la Nation unie.

Xavier DUMOULIN