On en conviendra tous : le président Macron a changé de ton et ce n’est plus le chef de guerre qui parle. Ce registre martial jugé trop théâtral avait suscité beaucoup d’interpellations quant à l’appui concret apporté aux troupes en luttes : moyens des soignants, sécurité des travailleurs, etc. On ne s’auto-désigne pas « Père la victoire », et n’est pas Clemenceau qui veut!

Le président mieux inspiré s’est donc efforcé, dans sa dernière allocution, de donner des gages de volonté de résistance au coronavirus, amorçant même un début d’autocritique de sa gestion de crise. 

Ce « macromanagement » de la crise sanitaire a indubitablement souffert d’un manque d’anticipation, peinant à s’émanciper des logiques implacables d’un système socio-économique – système valorisant les élites et les profits au détriment des travailleurs et de  la production – et des réflexes d’une idéologie amalgamant la dite gouvernance de la France à celle d’une start-up. Dans ce contexte, souligné par tous, d’une crise hospitalière et d’une perte de souveraineté dans les filières du médicament et des matériels médicaux s’accompagnant d’un funeste abandon des recherches sur le coronavirus et d’une absence monstrueuse de politique de prévention dénoncée avec force par un ancien directeur général de la santé.

Cet horizon de dé-confinement progressif annoncé le 13 avril dernier pour le 11 mai prochain répond sans doute au besoin de réconfort de nombre de nos concitoyens exaspérés par les conditions concrètes de cette vie de grande promiscuité de personnes seules ou en famille, conjuguant souvent télé travail et garde d’enfants dans des logements trop exigus. Sans parler des résidents des EHPAD confinés dans leur chambre ou des plus démunis, en CHRS ou bien dans des squats de fortune. Mais la perspective de dé-confinement fait aussi écho à la demande pressante du MEDEF de reprise des activités avec en prime cette volonté de renforcer les flexibilités et de réduire le droit du travail, ce droit déjà quelque peu mis à mal avec la loi d’urgence sanitaire, loi contestée par l’expression des gauches parlementaires, et les ordonnances sensées la concrétiser en matière de temps de travail et de congés notamment. Comme en témoignent leurs premières réactions, les centrales syndicales ne sauraient accepter cette asymétrie décomplexée, sous les prétextes de besoins de souplesses revendiqués par le grand patronat dans un discours non équivoque qui ne saurait convaincre.

Ce dé-confinement est par ailleurs dénoncé par des épidémiologistes mettant en garde contre les risques mortifères de propagations et de rebonds incontrôlés avec l’ouverture trop précoce des écoles. Il reste par ailleurs tout à fait flou, dans l’attente de plans concrets prenant en compte les situations de terrain. En tout état de cause, la perspective du dé-confinement progressif suppose la réunion de l’ensemble des moyens sanitaires nécessaires au bon accomplissement des missions de service public ou régaliennes,  moyens réclamés à cor et à cri par les professionnels déjà exposés et en première ligne.

Le passage au jour d’après suppose une résolution de ces problématiques incontournables. Celles-ci nous conduisent à appréhender ici et maintenant l’avenir dans le nouveau paradigme d’une opposition résolue à la mondialisation libérale au bénéfice d’une reconquête des souverainetés dans des coopérations régionales et internationales repensées. Avec la nécessaire remise en cause des logiques en oeuvre chez les principales institutions : Banque mondiale, BCE et commission européenne confortant celles du capitalisme financier mondialisé. Un vrai programme de salut public d’intérêt général susceptible de souder un bloc républicain autour de cette perspective récusant le populisme identitaire nationaliste et xénophobe et le prétendu « progressisme » des élites mondialisées.

Mais au-delà d’une politique du court et moyen terme permettant de retrouver la respiration nécessaire, il conviendrait  d’ouvrir résolument la voie étroite d’un profond changement de cap politique, économique, social et écologique, la propagation des virus s’expliquant aussi par l’effet conjugué de la mondialisation des échanges et de la rupture des équilibres écologiques.

Donnons en référence – et pour illustration prioritaire de ce nouveau chemin -, quelques exemples forts :

- la lutte contre le réchauffement climatique en limitant le fret et l’utilisation de l’énergie à effet de serre, ce qui n’est pas antinomique, soit dit en passant, de la sécurisation de la filière nucléaire;

- la promotion d’une agriculture raisonnée, si possible biologique, avec des modes de productions agricoles ou animales réorientées, créatrices d’emplois durables, promouvant les circuits courts et favorisant dans tous les cas la prévention des risques chimiques et la lutte contre les perturbateurs endocriniens;

- avec la reconquête d’une sécurité alimentaire, celle d’une sécurité sociale et professionnelle conférant un salaire à vie sur la base d’un statut attaché au travailleur ( pour mémoire, ce « déjà là communiste » avec les conquis de 1946 doit être étendu au-delà du secteur socialisé de la santé et des travailleurs sous statut ou des fonctionnaires et représente la visée la plus pertinente dans le combat contre la liquidation de l’Etat social );

- la conquête de la co-propriété d’usage des outils de travail par l’alliance des productifs, l’expression démocratique supposant la possibilité effective de l’intervention directe des travailleurs dans les choix d’orientation (et donc de réorientation) d’une production et de ses modes de développement, expression incontournable pour satisfaire les besoins réels de la population dans une économie limitant les nuisances environnementales et l’obsolescence programmée des marchandises à des fins lucratives.

On le comprend bien, un tel programme de salut public repose sur un changement complet de logiciel de l’action publique de l’Etat et conduit à relever le défi d’une « politique de civilisation », chère à Edgar Morin et Sami Naïr, jadis dévoyée par l’emprunt sémantique de Nicolas Sarkozy prétendant après la crise de 2008 « moraliser le capitalisme ».

Éclairé par l’histoire et refusant toute équivoque, on pourra prendre à présent au pied de la lettre le propos du président Macron :  « Sachons, dans ces moments, sortir des sentiers battus, des idéologies et se réinventer – moi le premier », déclaration sur un mode un peu pathétique qui ne peut laisser indifférent et signifie pleinement l’immensité de la tâche à accomplir!

Xavier Dumoulin