Quelles perspectives pour cette gauche française saisie du remord du pouvoir dans l’urgence de sa refondation systémique et d’ensemble ? par Xavier Dumoulin
Créé par sr07 le 11 mai 2020 à 10:17 | Dans : a0-blog citoyen, socialiste et républicain et actualité du Nouveau Front Populaire, a2-Blog-notes politique de XD
Quelles perspectives pour cette gauche française saisie du remord du pouvoir dans l’urgence de sa refondation systémique et d’ensemble ?
Crédits photographiques du blog citoyen, socialiste et républicain Statues dans la rue à La Havane
« Nous croyons à la force de nos idées … il faut rebattre le jeu, redistribuer les cartes et nous faisons confiance en nos idées pour – dans un cadre plus vaste – progresser, s’affirmer, devenir majoritaire. Donc, c’est un calcul stratégique qui fait fond sur l’analyse que nous faisons de la crise de la mondialisation, qui fait fond aussi sur les espaces qu’elle ouvre à une gauche digne de ce nom ! » Extrait d’un entretien avec Jean-Pierre Chevènement pour le blog citoyen, socialiste et républicain en 2008
« La vraie question s’est d’abord d’être au clair… pour construire ensemble une nouvelle dynamique… Moi, je plaide pour qu’on crée une université populaire et permanente de la gauche avec toutes les forces intellectuelles de gauche de ce pays pour qu’on se confronte, qu’on aille au bout des discussions pour savoir ce qui nous fédère et ce qui nous divise. » Extrait d’un entretien avec Marie Noëlle Lienemann pour le blog citoyen, socialiste et républicain en 2008
« Ce qui a constitué le progrès de l’humanité, c’est le fait que les gains en efficacité obtenus par la raison, par la technique, par la science, ont permis aux êtres humains d’avoir plus de mieux être et moins de mal être tout en ayant plus de libertés, plus de temps libre, plus de temps disponible pour autre chose que le travail, que l’affrontement à la nature.» Extrait d’un entretien avec Jacques Généreux pour le blog citoyen, socialiste et républicain en 2008
« Pour moi, le parti communiste français, c’est comme une nappe phréatique. Il a subi, certes, beaucoup de défaites. Le communisme a été trahi ! Horriblement trahi par certains dans le monde. Mais la nappe phréatique du communisme français, elle est toujours vivante… Et lorsque certains abandonnent les mots communiste et révolutionnaire, je pense qu’il est important pour nous de les conserver. Mais bien sûr, de les faire vivre avec les temps d’aujourd’hui et les temps de demain… » Extrait d’une table ronde avec Claude Cabanes et d’autres militants lors de la fête des Pins à Tarnos en 2008
« Donc ce qui est important, aujourd’hui (… ) c’est de travailler à une vraie refondation et à quelque chose qui sera mieux qu’un rebond. C’est à dire faire ce que les hommes du mouvement ouvrier tentent depuis toujours de réaliser – enfin plus exactement depuis l’industrialisation de la France, fin 18° et au 19°siècle quand les ouvriers sont arrivés dans les villes, les métropoles régionales… avec des salaires très bas, les enfants dans les usines… Mais malgré le massacre de la commune, grâce à tout ce qui va se produire sous la Troisième république, il y aura un changement profond. Et puis ce sera l’école publique, gratuite ! Ce sera bien entendu, le droit du travail qui avancera- ce sera plus long – et puis ce sera un pays qui deviendra profondément républicain – c’est à dire un peuple souverain qui ne s’en laisse pas conter ! » Extrait d’un entretien avec Georges Sarre pour le blog citoyen, socialiste et républicain en 2008
« Mais la gauche, elle existe ! Elle travaille ! Elle est là ! Ce n’est pas parce qu’elle a des représentants qui ne la représentent pas qu’elle n’existe plus ! Je vous assure qu’elle travaille et elle travaille bien ! Pas seulement en France, mais dans le monde entier… Croyez-moi, le mouvement, il est parti ! Il est irréversible ! La seule inquiétude, c’est de savoir où en sont les dégâts. Et s’il n’y a pas une situation irréversible dans les dégâts et dans le processus de la destruction de l’humanité. Actuellement, le régime, le système actuel, il est à bout de souffle. Cet argent qui a étouffé tout le monde, il s’étouffe lui-même aujourd’hui. Et il ne faut pas le laisser mourir tout seul. Il faut l’aider à mourir et le combattre mais la relève est là et croyez-moi, l’alternative elle est prête, elle est là ! » Extrait d’un entretien avec Danielle Mitterrand pour le blog citoyen, socialiste et républicain en 2008
Synthèse de l’article
Douze ans après la crise financière, la période présente agit comme un révélateur et ouvre un regard nouveau sur un monde en proie au coronavirus. En France, les sous-capacités hospitalières en réanimation, l’absence de masques, de tests et de matériels médicaux jettent un trouble profond dans une opinion médiatisée et retournée qui retrouve les vertus des « premiers de corvée », soignants, caissières, livreurs, les plus exposés, dans une insécurité certaine en début de pandémie.
« C’est le kairos, le moment où il faut saisir le retournement idéologique » selon le politologue Rémi Lefebvre.
Les développements contenus dans l’article proposé ci-dessous bénéficient d’un éclairage concret au travers de l’authenticité de nos humbles engagements dans les courants socialistes et républicains, de l’exercice de nos responsabilités professionnelles au sein du service public de l’emploi et de la santé et, plus largement, de nos pratiques et questionnements éthiques et politiques de « citoyen ordinaire » et « spectateur engagé ». On trouvera dans la rubrique « à propos du blog citoyen » nos éléments de présentation.
Sur les thèmes développés, nous assumons une posture idéologique apparentée à un « réformisme révolutionnaire » sans doute plus révolutionnaire que réformiste, même dans son acception traditionnelle, le terme étant à présent totalement dévoyé par les réformes néolibérales. Nous nous interrogeons sur les perspectives d’une gauche à refonder pour donner sens à son retour aux responsabilités nationales et nous situons résolument dans une optique de changement complet de paradigme dans une visée de reconquête démocratique des souverainetés élémentaires et nécessaires à la vie intellectuelle, politique, économique et sociale de la nation, à commencer par la première de toutes, la souveraineté populaire. Ce mouvement n’a de réelles chances d’amorcer une révolution dans les modes de production de richesses au service d’une humanité réconciliée avec son environnement qu’à la condition de s’émanciper de la doxa néolibérale. L’audace de nos « pistes » programmatiques et projectives à court, moyen, voire très long terme (il ne s’agit pas, ici, dans ce mode libre, purement exploratoire que nous livrons en débat, du niveau de précision d’un programme électoral d’élaboration collective soumis aux électeurs : calendrier, financement, détail dans l’articulation des mesures, etc.,), vient ainsi à point pour secouer les réflexes pavloviens d’une gauche frileuse et repliée, idéologiquement défaite ou confuse, et qui « s’éclate » ainsi malgré tout. Cette contribution citoyenne en croise des milliers d’autres aujourd’hui dans un débat public dé confiné, souvent informel et spontané, qui concerne citoyens, militants et traverse les formations associatives, syndicales et politiques. Les développements sont articulés autour des points et résumés suivants :
- La bonne implantation des gauches sur les territoires pour leur gestion locale
Historiquement, la gauche a réussi son implantation nationale, avec des évolutions contrastées qui n’épargnent pas certains bastions forts (ex du PC) ou bien qui subissent le phénomène « essuie-glace » qui sanctionne, aux élections locales, les politiques nationales. Sur ses territoires la gauche garde une réelle capacité d’actions et de réalisations au bénéfice des populations concernées.
- La décomposition socio-spatiale des territoires de la France
Les zones péri-urbaines et rurales constituent un véritable archipel d’une France reléguée. Ce processus de délitement alimente des frustrations à la hauteur de la protestation sociale qu’elles génèrent sous différentes formes.
- L’ambiance libérale-libertaire accompagne l’après mai 68 vers la société de consommation libidinale pour l’élargissement de la reproduction capitaliste et sa refondation doctrinale en « marchéisme » néo-conservateur dans un paradoxe apparent
Cette période marquée par la contradiction interne de la classe dominante accompagne les mutations du capitalisme. La génération libertaire de 68 fournit au capital des perspectives de consommation élargie dans un genre de vie bourgeois prétendant révolutionner le monde dans une consommation transgressive qualifiée de libidinale par le sociologue marxiste Michel Clouscard. Celui-ci dénonce la farce d’un capitalisme de consommation ayant une fonction d’intégration de la classe ouvrière. En fait le capitalisme monopoliste d’Etat tend à aligner les conditions d’existence des travailleurs face au genre de vie réservée à la grande bourgeoisie et à la fraction de la nouvelle petite bourgeoisie intégrée dans la nouvelle division internationale du travail. Le monde bouge et les bobos se fondent dans une perspective libérale-libertaire illusionniste. Pendant ce temps le monde bascule dans un marchéisme néoconservateur qui tente de mettre à bas l’Etat social. C’est la grande régression du capitalisme financier international qui doit être combattue par une gauche digne de ce nom qui saura renouer avec les couches populaires.
- La théorisation d’un éloignement des couches populaires de la gauche comme point d’appui d’une orientation social-libérale dans une recomposition de ses alliances
Dans ce contexte le niveau d’abstention des couches populaires reste très élevé et le vote ouvrier, quand il s’exprime, ne profite plus à la gauche. Terra Nova théorise l’irréversibilité du phénomène de retournement électoral et renforce cet éloignement en cantonnant un PS mal inspiré dans la conduite des réformes sociétales attendues d’un électorat bobo.
- Les raisons de l’abandon par la gauche de gouvernement du noyau dur de son projet
Un examen critique du bilan des gauches au pouvoir montre un tropisme certain dans l’abandon du noyau dur des réformes programmatiques. Les dynamiques politiques dans un environnement néolibéral tournent à l’avantage des tenants de la pause sociale puis de la réorientation libérale (parenthèse libérale, politique de l’offre, fin de la politique industrielle, etc.).
- Une rétrospection historique critique de toute la gauche dans une visée prospective pour combattre le néolibéralisme et revenir aux fondamentaux de la république sociale
Un retour sur les postures des gauches et leurs réalisations témoigne d’un bilan plutôt positif mais souvent très ambivalent. Dans les domaines sanitaires et sociaux, noyaux de l’Etat social, l’œuvre de la social-démocratie conjuguée à celui du communisme français, autorise un certain optimisme. En Europe du Nord scandinave (et dans la Suède en particulier avec la gestion réputée de la social-démocratie longtemps au pouvoir sans discontinuité), dans l’Allemagne de longue date avec le système des assurances sociales, dans l’Angleterre avec Keynes et Beveridge et en France dans la suite des conquêtes sociales du Front populaire avec le programme de la Résistance du CNR et les gouvernements de la Libération et des débuts de la IV° République (le tripartisme), l’Europe voit l’éclosion de l’Etat-Providence conjuguant la démocratie et le développement du social, la citoyenneté politique et la citoyenneté sociale. Une citoyenneté perçue ainsi comme plus épanouie que celle amputée de sa dimension démocratique en pays du « socialisme réel ».
Il s’agit concrètement d’une part des services publics (santé, éducation, etc.) et, d’autre part, du statut salarial. Ce « compromis fordiste », arraché par les luttes et « conquis sociaux » plus qu’octroyé par les capitalistes pour satisfaire les besoins de débouchés d’une production de masse, des trente glorieuses, connait des résultats positifs en terme de partage de la valeur ajoutée. En France, la part du travail est minorée de dix points sous les quarante piteuses pour se fixer autour de 60% au bénéfice du travail. Dans la nouvelle période du « capitalisme financier mondialisé », l’Etat social subit des réformes néolibérales visant à dénaturer ses fondements et à limiter les niveaux de protections jusqu’alors assurées dans le compromis fordiste. Pourtant l’Etat social résiste et constitue un solide point d’appui pour affronter la logique destructrice du Capital pour peu que l’on sache mener ces combats sur de solides bases idéologiques (ce qui n’est hélas pas toujours et partout vérifié dans le combat syndical et politique contre la loi travail, la réforme de l’assurance-chômage, la réforme des retraites). Bernard Friot, sociologue du travail nous invite à une réflexion de fond en la matière pour passer d’une logique de répartition de la valeur (compromis fordiste ou social-démocrate dénoncé par le Capital financier) à une logique de nouvelle production de valeurs débarrassée de cette conception du travail abstrait qui valorise le Capital. Comment ? Nous y serions déjà un peu, sinon beaucoup…
Ce serait l’impensé d’un « déjà là communiste » avec les réalisations des premiers gouvernements de la IV° République à forte participation communiste (énergie, travail et sécurité sociale, fonction publique) qui imprègnent durablement la formation sociale française. Avec le droit au « salaire à vie » reconnu aujourd’hui à près d’un travailleur sur trois, la conception d’une retraite (dans des régimes spéciaux et dans le régime général à la différence du régime complémentaire AGIRC-ARCCO) comme « salaire continué » (et non « différé »), « la qualification attachée à la personne » (et non à l’emploi), Bernard Friot vante « la puissance du salariat » et dénonce tous les contre-sens mortifères qui révèlent une faiblesse d’orientation idéologique fatale jusque dans la conception des régimes par répartition défendue sur le mode « j’ai cotisé, j’ai droit » et non sur celui du « salaire continué ». Avec ce retour à la critique marxiste de « la valeur travail », travail abstrait versus travail concret, lequel peut rentrer dans la valorisation du capital ou y échapper selon les conditions de sa production (le nettoyage par un membre de la famille à la maison ou bien le nettoyage industriel par une société de service). Ce travail abstrait est calculé en temps de travail socialement nécessaire à la production d’une valeur d’usage (bien ou service pour simplifier). Il fonde l’exploitation du « travail marchandise » avec « l’extorsion de la plus-value » sur le travail réalisé. Nous insistons tout particulièrement sur cette rétrospection positive qui appelle de nouvelles conquêtes sur le modèle de la sécurité sociale en matière d’alimentation ou d’habitat (avec des caisses auto-administrées recevant et contrôlant les cotisations y relatives) et permet de fonder l’émancipation du travail sur des bases cohérentes : puissance du salariat (et non abolition selon la vulgate), « déjà là communiste » qui reste à défendre et promouvoir quand certains prônent la fin du travail et paradoxalement son partage ! Ce « Travail » qui, selon le titre d’un récent ouvrage d’Alain Supiot, « n’est pas une marchandise ! » Nous insistons particulièrement sur ces développements d’une manière générale peu connus et relevant d’une certaine abstraction théorique (comme toute analyse, la marxiste en particulier détonnant singulièrement avec les lieux communs sur le travail). Mais le néolibéralisme conduit une lutte de classe de longue date qui étouffe les potentialités d’épanouissement de « ce déjà là » communiste. Il faut donc le connaître et le comprendre pour mieux le combattre dans son articulation avec le néo-conservatisme.
- L’analyse des gauches historiques et recomposées
On trouvera des développements complémentaires sur le PS et le PC (dans leur dynamique historique idéologique et politique). Les basculements et évolutions sont évoqués et illustrés pour ouvrir la réflexion sur le dépassement de ces gauches (dépassement interne ou bien sur leurs gauches) et les recompositions en œuvre avec les courants de la France insoumise. Une référence à la critique même de la gauche en tant que signifiant accompagne une vision critique de cette gauche introuvable pour relever nos défis démocratiques et sociaux.
- L’union sous pression à gauche
L’actualité livre un foisonnement d’initiatives qui traduisent un besoin d’union (peut être plutôt d’unité) sous pression venue de « la base » et de forces associatives, syndicales et politiques qui veulent saisir ce temps de retournement idéologique. La gauche socialiste et républicaine – qui ne se résume pas au nom éponyme du dernier parti né à gauche – trouve à présent un terreau particulièrement fertile dans ce nouveau paysage de crise aigüe qui tend à légitimer, plus que jamais, ses perspectives dans le champ des souverainetés et de la question sociale notamment. Ces tentatives de refondation s’inscrivent dans une perspective de rupture avec le « macronisme », ce « bloc élitiste » en déroute quand ce dernier tente de se réinventer pour faire un gouvernement d’unité nationale à la recherche d’un nouveau projet.
- L’exploration d’une voie difficile d’un profond changement de cap
Sortir du productivisme et du néolibéralisme est un vaste chantier qui ne peut murir qu’avec une rigueur et une clarté de positionnement sur des choix fondamentaux pour orienter les luttes de classes positivement. Ce cheminement devrait s’appuyer sur l’expérience historique, la force et la réflexion présentes des acteurs politiques, associatifs et sociaux pour explorer avec ambition et réalisme de nouvelles voies au service d’une politique de civilisation. L’exploration livrée dans ce développement pose volontairement autant de questions qu’elle n’en résout. Ses grands axes programmatiques veulent être à la hauteur de ce défi.
Nous avons évacué les questions institutionnelles en lien avec la rénovation démocratique, faute de trancher un débat « constituant » autour des formes de régime (pour sortir du « présidentialisme ») en insistant sur les confusions possibles chez beaucoup de nos concitoyens entre les système parlementaires et présidentiels, le nôtre étant qualifié de semi-présidentiel ou parlementaire rationalisé avec des faiblesses certaines depuis l’inversion des élections et l’instauration du quinquennat. Faut-il revenir au septennat et à un nouveau calendrier électoral ? Nous ne trancherons pas ce débat tout en appuyant ce constat de faiblesse démocratique avec l’abaissement du militantisme relégué à un rôle de supporter des écuries présidentielles fédérées par les combats de chefs au détriment du débat public nécessaire à la représentation de l’intérêt général inscrit dans la loi par « le législateur » souverain. Plus largement c’est bien la vocation des partis qui est en cause quand les fonctionnalités partisanes devraient être enrichies et élargies à d’autres composantes d’un mouvement social, politique et culturel dans un pluralisme qui ne gomme pas les contradictions mais les exprime en vue d’une résolution au service de l’intérêt général.
Nous n’aborderons pas non plus la question majeure de la fiscalité, voulant, dans notre volonté d’émancipation du travail, porter le fer sur la cohérence du maintien d’un haut niveau de recettes en provenance des cotisations assises sur le salaire pour un nouveau contrôle du salariat sur sa sécurité professionnelle et sociale, à rebours des politiques de l’offre prenant prétexte de « l’emploi » pour abaisser en fait le coût du travail. Cette priorité n’est bien évidemment pas exclusive d’une recherche de justice fiscale et de lutte contre l’évasion fiscale.
Dans une optique de développement du modèle de sécurité sociale au bénéfice de nouveaux secteurs (alimentation, logement) sous forme de mutualisation des moyens rendue possible par des contributions alimentant des caisses autogérées, nous voudrions inciter à imaginer de nouvelles formes de solidarité (pour une qualité de consommation populaire et un cadre de vie, économe d’énergie et avec le moins de nuisances, au bénéfice de nos concitoyens) articulées avec la création d’emplois qualifiés dans l’agriculture et l’élevage raisonnés, dans le bâtiment et les ouvrages d’art, et plus largement, les services auprès des personnes (des plus jeunes au plus âgées) dans tous les champs utiles (et notamment ceux de la santé, du social et de « l’instruction publique »).
Les idées forces qui traversent ces développements relèvent d’une vision critique des processus en œuvre depuis quarante ans d’abandon progressif de nombreuses références socialistes et républicaines en questionnant néanmoins ces dites références. Elles voudraient stimuler la réflexion idéologique d’une gauche militante et renvoient, pour inviter à les traiter au fond, aux questions essentielles du travail et de la souveraineté populaire, clés de toutes les autres souverainetés (y compris celle des travailleurs sur le produit de leur travail), dans la perspective d’une rupture dans les modes de production pour promouvoir des perspectives de planification écologique et démocratique et émanciper le travail.
Nota Bene : avertissements et mises en garde
Les contre-sens allant souvent bon train, nous voudrions alerter le lecteur sur l’importance de faire la part des choses entre une logique d’analyse d’ensemble, parfois schématique à des fins pédagogiques, et les éléments contradictoires qui la nourrissent et la constituent, ceux-ci révélant souvent la nécessité de fortes nuances dans un raisonnement plus approfondi. Il en est ainsi du mouvement social de mai 68 qui fut, in fine, récupéré par un capitalisme avide de nouveaux débouchés sans pour autant se réduire à ce processus majeur de recomposition du capitalisme. Pour rester sur cet exemple, la critique de la recomposition capitaliste libéral-libertaire, abordée ici, n’invalide pas, loin s’en faut l’importance d’une conquête emblématique de cette mobilisation ouvrière : celle de la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise qui va durablement modifier les capacités d’intervention syndicale. Dans le même sens, la critique d’une « consommation libidinale » ne saurait s’assimiler à une dévalorisation péjorative des conquêtes sociétales en matière de droits d’expression ou à disposer de son corps et, plus largement, dans le champ de l’autonomie individuelle et de la remise en cause des vieilles hiérarchies dans le code civil. En retour, ces éléments ne sauraient masquer l’illusion d’un mouvement révolutionnaire quand le romantisme d’une jeunesse contestant l’ancien ordre moral l’a emporté, dans la mémoire collective véhiculée par un gauchisme mondain, sur l’analyse plus concrète d’un mouvement ouvrier qui, avec ses composantes les plus combatives, loin d’avoir trahi sa classe, a su orienter avec réalisme et volontarisme une lutte de classe pour augmenter les droits démocratiques et sociaux et une meilleure rémunération du travail. Cet exemple de démarcation contre tout réductionnisme vaut dans bien d’autres domaines explorés dans nos développements. Autour de la critique du productivisme qui ne signifie pas allégeance aveugle aux théories de la décroissance ou celle du social-libéralisme qui ne gomme aucunement l’apport historique de la social-démocratie et la pertinence d’un projet socialiste s’appuyant sur ce « déjà là communiste» lui-même vanté pour l’apport du communisme français aux caractères originaux de la formation sociale française, sans pour autant nier la part d’ombre de cet héritage politique. Dans le brassage des éléments historiques qui illustrent nos propos nous avons intentionnellement tu le phénomène du pacifisme de l’entre deux-guerres qui a marqué une large fraction de la gauche française avec le courant socialiste et planiste de la SFIO et celui du communisme qui fut mis hors la loi au prétexte de son alignement sur l’URSS avant que celle-ci ne paie le plus lourd tribut à la guerre contre l’Allemagne nazie quand la résistance française n’aurait jamais trouvé son développement sans s’appuyer sur une base ouvrière et révolutionnaire. Autre exemple, la critique du phénomène « bobo » analysé dans cet article veut démasquer plus largement « l’impertinence » de « la critique artiste » qui vient en fait alimenter la stratégie de recomposition élargie du capital, en légitimant notamment de nouveaux modes de management, dits à tort participatifs, quand on a vu dans l’expression de cette « nouvelle petite bourgeoisie » libérale-libertaire le socle d’un mouvement d’émancipation sociétale sans précédent. Mais, d’un point de vue fonctionnaliste, « les faits sont têtus » ! Et cette société « permissive envers le consommateur » n’en est pas moins, et plus que jamais, « répressive envers le producteur ». D’où le besoin d’un retour à la critique socialiste originelle et toujours originale dans ses développements contemporains.
Les grandes thématiques développées dans l’article ci-dessous
Sur les territoires, les gauches assument le plus souvent, et avec succès, leur gestion locale
Nous vivons une période de décomposition socio-spatiale des territoires de la France dans un véritable archipel avec ses milieux péri-urbains et ruraux disloqués
L’ambiance libérale-libertaire qui accompagne l’après mai 68 vers la société de consommation libidinale caractérise une période clef de l’élargissement de la reproduction capitaliste et de sa refondation doctrinale en « marchéisme » néo-conservateur dans un paradoxe apparent
Avec le phénomène « bobos », la nouvelle sociologie politique électorale nourrit les orientations de la boîte à penser du PS Terra Nova qui fait son deuil de l’éloignement des couches populaires au bénéfice d’une recomposition du projet politique et des alliances du PS
Au sein de la dite gauche, le complexe de la séduction et la peur de mécontenter l’opinion publique, cette invention médiatique, finissent par édulcorer le noyau dur d’un projet politique fédérateur et populaire combattu par le pôle social-libéral hégémonique qui refuse d’aller à rebrousse-poil de l’idéologie dominante
La crise liée au coronavirus témoigne ainsi de la nécessité de revenir aux fondamentaux de la république sociale dans les champs sanitaires et sociaux. Elle invite donc à une rétrospection historique critique du bilan de la gauche dans une visée projective pour sortir résolument du néolibéralisme
Mais d’abord de quelle gauche parle-t-on?
Aujourd’hui à gauche, « l’union sous pression » semble préférée à l’hypothèse d’un gouvernement de salut public
Il conviendrait d’ouvrir résolument la voie difficile d’un profond changement de cap politique, économique, social et écologique
Temps de lecture
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Documentation-bibliographie
Le Post-scriptum intègre des références par grandes thématiques et auteurs dans un développement d’ensemble préféré à de fastidieux renvois à des notes spécifiques.
A Jean-Marie
En souvenir d’un certain 10 mai 1981 : Crise sanitaire oblige et expériences faites, quelles perspectives pour cette gauche française saisie du remord du pouvoir dans l’urgence de sa refondation systémique et d’ensemble pour donner sens à un retour aux responsabilités nationales ?
Introduction
Ce titre volontairement « alambiqué » veut exprimer tout le paradoxe de cette gauche aux multiples visages et aux parcours complexes semés d’espoirs, de réussites et d’échecs. On limitera le propos aux seules gauches françaises disponibles, expériences faites, pour assumer l’exercice du pouvoir dans une logique espérée de fidélité aux attentes populaires. Au sein de ces gauches républicaines radicales, citoyennes, socialistes, écologistes et communistes, incluant la gauche dite de gauche (gauche de la gauche?), qui expriment autant qu’elles les résument dans leurs rapports respectifs et au pouvoir, à la tête de l’Etat, les contradictions inhérentes à leurs postures paradoxales (contestation opportuniste dans un manque de clarté idéologique et programmatique/difficulté à traduire une réelle politique alternative à celle contestée dans l’opposition), on privilégiera l’examen historique critique des gauches socialistes et communistes en perte vertigineuse d’influence en rapport aux autres mouvances élargies de la France insoumise et des écologistes. S’agissant de ces derniers, on s’attachera à souligner l’ambivalence de cette force résultant d’une poussée électorale venant d’un électorat mouvant tant du point de vue sociologique que politique.
Chacun appréciera les conditions d’une contribution de toutes ces formations à la constitution d’un nouvel et large « rassemblement populaire », voire « populaire républicain », à l’aune de la compatibilité de leur posture avec celle d’un « évolutionnisme révolutionnaire » mettant en œuvre un changement complet de paradigme dans la tradition des « mouvements ouvrier et socialiste » – eux-mêmes historiquement distincts – pour la « République sociale » (autrement dit « la Gueuse », selon l’expression péjorative historique de ses ennemis de classe qui donne toute la dimension de ce repoussoir pour l’ordre social bourgeois!).
Révolution, dans le sens donné par Marx à l’édification d’une société qui constituerait « une renaissance dans une forme supérieure, d’un type social archaïque » comme le soulignait le philosophe Jean-Claude Michéa dans « les mystères de la gauche », réfutant ainsi les présupposés de ce prétendu « progressisme de gauche » qui organise la fuite en avant (toujours prêt à vilipender et conspuer le conservatisme et les néo-réactionnaires). Processus susceptible de conduire la transition de « l’exercice à la conquête du pouvoir » (au sens que Léon Blum accordait respectivement à ces deux termes d’un mouvement graduel de réformes puis de basculement révolutionnaire dans une équivoque doctrinale opportuniste) dont la condition dynamique parait toujours celle du chemin vers l’hégémonie culturelle et politique d’un socialisme démocratique, donc aux racines républicaines, selon la perspective jaurésienne réaffirmée par Ernest Labrousse. Révolution en réponse aux défis du temps présent (et donc adaptée au « changement de climat » intellectuel en pleine érosion du néolibéralisme et explosion du risque écologique) et en rupture d’avec les lieux communs de la politique social-libérale. L’exploration des grandes lignes programmatiques qui constitueraient le vecteur de cette révolution sont proposées à court, moyen, voire très long terme et mises en perspective dans la conclusion de cet article.
Sans aborder le travail politique et idéologique partisan et d’éducation populaire que recouvre un tel chantier dans « la constitution d’un nouveau bloc au pouvoir », « bloc populaire » ou « populaire républicain » (versus « bloc élitiste » ou « souverainiste identitaire populiste »), mais en entamant une ébauche critique de la réception de cette notion emblématique - et de plus en plus énigmatique – de « la gauche » qui ne voudrait pas s’aliéner le mouvement socialiste historique quand celui-ci n’a jamais été aussi étranger à l’inspiration des politiques conduites par la dite « gauche de gouvernement ». Nos humbles mais authentiques expériences de « citoyen ordinaire » et « militant de base » (parsemés dans des notes personnelles rattachées au texte ci-dessous mais que nous réservons à nos inspirations d’écriture) révéleront aux plus jeunes ce que peut être la difficulté d’un engagement concret dans un combat pour le socialisme pour l’émergence d’un « mouvement d’en bas », sans s’enfermer dans le mode élitiste de « la politique professionnelle coupée des masses et de la base » et sans ignorer pour autant l’importance d’un « mouvement d’en haut » pour la conduite des réformes.
Dans ce large ensemble des formations historiques et/ou recomposées à gauche, chacune d’elles oscille entre logique partisane (pouvoirs d’appareil et recherche de gains électoraux) et nécessités stratégiques (union de la gauche, unité et/ou pouvoir populaire et /ou unité nationale) pour répondre au nécessaire dépassement des intérêts partisans dans l’accompagnement de ces luttes de classes pour le service du peuple, de l’intérêt national et d’un intérêt général qui devrait prévaloir sur toute autre considération. Dépassement plus que jamais nécessaire dans cet épisode dramatique de crise sanitaire, écologique, sociale, économique et démocratique majeure quand d’aucuns évoquent même un gouvernement d’union nationale ou de salut public alors même que le « macronisme », ce bloc bourgeois illusoire et élitiste en pleine tornade, associe déjà ministres en provenance de la droite et de la gauche dans la conduite des réformes néolibérales fortement contestées par nos compatriotes (loi travail, assurance-chômage, réforme des retraites, la première aggravée par la loi d’urgence sanitaire et sa prolongation, les deux suivantes aujourd’hui suspendues).
Sur les territoires, les gauches assument le plus souvent, et avec succès, leur gestion locale
La posture de la gauche dans l’exercice du pouvoir d’Etat parait plus problématique que dans celui des collectivités locales. Celles-ci s’administrent librement depuis les lois communales de la III° république et ont trouvé un nouvel épanouissement départemental et régional avec la décentralisation (qui a aussi concernée les collectivités locales à statut particulier d’outre-mer), grand œuvre du socialiste Gaston Deferre. Les avancées en la matière intègrent aussi l’impact de la loi Chevènement sur les regroupements communautaires quand les réformes plus récentes n’ont pas atteint le stade de leur maturité mais laissent néanmoins circonspects.
Sur les territoires, les gauches assument le plus souvent, et avec succès, leur gestion locale. Avec à cet égard, de notables résultats exprimant une capacité d’enracinement doublée de celle à faire vivre « le socialisme municipal » qui puise ses racines dans ce possibilisme théorisé par le docteur Paul Brousse, à la fin du 19° siècle, avec l’éclosion des services publics qui connaîtront une lente consécration jurisprudentielle. Depuis, le communisme, à son tour, réussit localement dans sa géographie électorale municipale et départementale (à l’origine tant dans les zones industrielles ouvrières de tradition plutôt guesdistes que dans les départements agricoles inspirées par une forte influence radicale) à s’imposer progressivement comme force majeure durable malgré une érosion récente de ses bastions parallèle à celle de sa perte d’influence continue depuis les années Marchais (qu’il s’agisse de périodes d’avènement de ministres communistes au gouvernement de la France sous P.Mauroy de 1981 à 1984 puis L.Jospin de 1997 à 2002 ou de phases d’opposition à la droite ou de soutien critique, voire d’opposition à la gauche socialiste).
Et depuis la poussée des verts des années 90, eux-mêmes intégrés dans des gestions gouvernementales, l’élection de candidats issus de sensibilités écologistes modifie les repères traditionnels de clivage gauche-droite dans ces différentes collectivités territoriales avec cependant une tendance à l’agrégation des écologistes au sein des exécutifs de gauche.
Dans cette géographie politique, des communes, départements et régions, la gauche, initialement majoritairement radicale et républicaine avant son évolution socialiste et communiste, a profondément imprégné sa culture et sa marque au bénéfice des populations avec des orientations concrètes donnant sens aux politiques locales. Lors des élections municipales de 1977 puis de 1983, la gauche socialiste nationalisait son implantation dans ses nouvelles terres de missions à l’Ouest avant de conquérir plus tard nombre de grandes villes. Avec des périodes de forte hégémonie, la gauche pouvant se trouver majoritaire sur l’ensemble de ces échelons territoriaux. Ceux-ci ont pu même constituer des enjeux électoraux de contestation du pouvoir central avec cet effet essuie-glace balayant les politiques à la tête de l’Etat dans les élections locales qui cristallisent, en cours de mandat présidentiel, tous les mécontentements. La présidence Hollande qui s’est engagée avec une omnipotence des socialistes dans tous les échelons de la représentation électorale devait connaitre ce formidable phénomène de basculement local.
Nous vivons une période de décomposition socio-spatiale des territoires de la France dans un véritable archipel avec ses milieux péri-urbains et ruraux disloqués
Le dit effet essuie-glace s’appliquant donc autant envers la gauche qu’envers la droite avec le succès relatif de celle-ci aux dernières élections régionales sous le mandat du président Hollande, malgré le bon score du FN qui ne parvint pas à transformer l’essai pour la conquête des exécutifs. Cet ex-FN aujourd’hui RN qui, affranchi de la pesante tutelle paternelle vieille France antigaulliste, catholique intégriste, mêlant vichyssois, poujadistes et anciens de l’OAS et du mouvement Occident, a muté en force populiste identitaire sous l’impulsion d’une héritière prête à tronquer et troquer l’héritage familial (très disputé par sa nièce) et à capter pour mieux le détourner, l’attachement populaire aux valeurs de laïcité et de sécurité.
Un vrai danger pour la démocratie dans cette période de décomposition socio-spatiale des territoires de la France dans un véritable « archipel », selon l’expression de Jérôme Fourquet, avec ses milieux péri-urbains et ruraux disloqués, habités par les populations autochtones mais aussi issues de l’émigration de nationaux ou de l’immigration. Ces transferts liés à la gentrification des centres-villes, laissent les populations expulsées en proie à la déqualification (disqualification?) professionnelle et sociale et au chômage de masse sur des territoires souffrant d’une désertification industrielle et d’un effacement de la puissance publique et de ses services publics (postes et autres guichets) et de la montée de l’insécurité dans des zones de non droits plus exposés à la délinquance et à la criminalité sans véritable protection. Entre ces composantes de la population il existe parfois des conflits liés aux pertes d’identité ressenties dans des confrontation au quotidien de modes de vies faisant mauvais ménage et objets d’une stigmatisation exagérée de part et d’autre (songeons aux néo-ruraux qui vont ester en justice contre le chant matinal du coq, le tintement des cloches de l’église ou les odeurs des élevages aviaires ; le sentiment d’insécurité dans les cages d’escalier dans les immeubles des grands quartiers ; les agissements et les violences des dealers et plus largement les incivilités.). Avec une médiatisation excessive et une exploitation à des fins politiciennes de la droite dure provoquant des réflexes pavloviens d’une gauche différentialiste tombant dans tous les pièges et tenant pour la prévention contre une droite sécuritaire affichant avec bonheur sa volonté répressive, les deux partis, dans une crispation idéologique dogmatique, refusant le dépassement de ce jeu de rôle en tentant de discréditer les politiques républicaines de sortie par le haut : éducation des bien nommés « sauvageons » (à l’image des arbres sans greffons), développement de la police de proximité ; accès facilité à la naturalisation dans le respect des exigences civiques et sociétales, refus des communautarismes et promotion d’un Islam de France et des valeurs de la laïcité, lutte contre les radicalisations, etc. Ces politiques républicaines ont été inspirées, initiées ou conduites par l’ancien ministre Chevènement ou avec son concours plus récemment.
Comme l’indique Ameyric Monville reprenant Michel Clouscard, « le capitalisme, en détruisant les supports matériels de l’esprit républicain, porte la guerre civile chez les pauvres : l’affrontement qui naît de la promiscuité des cités ouvrières, entre le sous-prolétariat et le prolétariat, entre le travailleur immigré de l’intérieur et celui de l’extérieur, entre le chômeur et le travailleur. Tout est fait pour scotomiser la culture populaire, empêcher la reconstitution d’un front populaire. C’est le temps de l’incommunicabilité et de l’absence de toute médiation, celui des frustrés revanchards qui veulent leur part du gâteau : tout est prêt pour un nouveau fascisme ». Le prix Goncourt 2018 « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu exprime, avec la poésie des mots crus, cette réalité vécue dans la profondeur de ses ressorts psychosociologiques. Ce roman réaliste interroge le devenir de cette jeunesse d’une cité du Nord en proie à toutes les incertitudes de l’existence de ce monde en « crise » après la fermeture de ses hauts fourneaux…
L’ambiance libérale-libertaire qui accompagne l’après mai 68 vers la société de consommation libidinale caractérise une période clef de l’élargissement de la reproduction capitaliste et de sa refondation doctrinale en « marchéisme » néo-conservateur dans un paradoxe apparent
Dans le même temps le monde « bobo », incline à la critique d’une réaction populaire en provenance des zones sinistrées et portée par un sentiment d’insécurité et de perte d’identité. Sentiments certes exacerbés et exploités à des fins politiciennes par une droite extrême surfant sur cette vague sécuritaire et xénophobe qu’elle cultive à l’envi! Cette critique « bobo » du « monde des beaufs » et des « petits blancs » va de pair avec la stigmatisation d’une politique promouvant le civisme et la citoyenneté, politique d’intégration républicaine jugée trop sécuritaire avec ses relents de « moisie », sinon assimilée, sans autre forme de procès, à celle du Front national, aujourd’hui RN. D’ailleurs, la seule évocation de la nation ou de l’intérêt national semble une véritable provocation aux yeux des grands et petits bourgeois cosmopolites tenants du multiculturalisme et du « droit à la différence ». Et que dire du drapeau tricolore et de la Marseillaise, symboles républicains abandonnés à l’extrême droite qui dispose ainsi d’un patrimoine immatériel national plus important encore que l’héritage encombrant du père! Pourtant cette même idéologie libérale-libertaire glisse vers un libertarisme affirmé qui fait du marché le veau d’or de nos sociétés. Celles-ci dérivent vers un individualisme forcené ou un communautarisme affiché qui provoquent ces réflexes de repli identitaire. Selon Jacques Généreux ( La grande régression 2010), « Athées néofascistes, fondamentalistes, religieux, ultraconservateurs, « vieux réacs » et « nouveaux réactionnaires » de toutes obédiences se sont retrouvés sans peine aux côtés de nos soi-disant « néolibéraux » pour soutenir des politiques combinant recul des droits sociaux, atteintes aux libertés publiques, réduction des dépenses sociales, inflation des politiques sécuritaires, islamophobie et apartheid communautaire ».
- Une conscience plutôt libérale-libertaire pour des bourgeois-bohème en mal d’identité
Quand les bobos clouent au pilori la politique de tradition républicaine réputée « étatiste », « jacobine », sécuritaire », « répressive », « nationaliste », « industrialiste » et « élitiste », ils lui opposent une écologie de préférence apolitique, c’est à dire d’une grande plasticité – comme le révèle la trajectoire d’un Cohn-Bendit passé de l’anarchisme au « macronisme » après sa glorieuse épopée chez les verts européens – s’attachant d’abord à leur cadre de vie, ou un social-libéralisme ouvert aux questions sociétales mais sensible, avec sa politique de l’offre, à l’idéologie néolibérale qui vise à soulager des « charges sociales » et de la « pression fiscale » qui « plombent l’économie » française tributaire des contraintes externes en empêchant la création d’emplois dans de potentiels gisements d’une économie ouverte aux échanges internationaux qui doit adapter sa règlementation fiscale et sociale en conséquence. Le « pacte de compétitivité » de F.Hollande ne faisait-il pas écho à ce « choc de compétitivité » attendu des milieux d’affaire du MEDEF quand dans les années 90 l’argumentation principale des socialistes en faveur du traité de Maastricht était ce message insolite d’une Europe sociale avec un alignement par le haut de la fiscalité, des salaires, de l’emploi, des conditions de travail et, plus largement, de la protection sociale? Tout aussi « jésuites », ces bourgeois « bougistes » et «bohèmes», s’accommodent fort bien d’une mondialisation dont ils dénoncent pourtant les effets redoutables sur le changement climatique et la pollution des mers (développement du fret routier, aérien et maritime, faiblesse des normes environnementales, explosion de l’industrie du tourisme international avec « tour opérator », low cost et complexe hôtelier) et d’une division internationale du travail permettant aux firmes les moins disant en terme de respect des normes environnementales et sociales de délocaliser dans les pays à bas coûts de main d’œuvre (tristes exemples actuels de la Chine et de l’Inde pour le médicament et les matériels médicaux qui nous manquent tant). Ce lobby bobo-vélo-éo (lienne) ne rencontre-t-il pas celui des lili(putiens), certes plus affirmé dans la défense de « la régulation par le marché » et de « la concurrence libre et non faussée » ? Ne voit-il pas d’un bon œil le déplacement des industries polluantes hors de son paysage au bénéfice d’une prétendue société de service post-industrielle dans un monde virtuel où le numérique et la voiture électrique surgiraient dans un territoire hors-sol déconnecté de toute industrie extractive et polluante et où l’ingénierie des couches supérieures en cols blancs remplacerait le trivial et salissant travail manuel? Avec au passage quelques paradoxes quand les verts allemands ont accompli cet exploit dans leur refus obstiné du nucléaire d’encourager l’énergie carbonée qui laisse une empreinte écologique très forte.
Tout cet enchevêtrement de pensées confuses, de tête à queue idéologique et d’irresponsabilité politique s’accomplit dans une ambiance lili (libérale-libertaire) faisant de l’après mai 68 une période de recomposition de la société de « consommation mondaine libidinale, ludique et marginale » selon l’expression du regretté sociologue Michel Clouscard (disparu en 2009) que nous rejoignons dans sa critique datée du « capitalisme de la séduction et « de la « social-démocratie libertaire », du « néo-fascisme » et de « l’idéologie du désir ». L’éclairage de David Vachon de l’université de Montréal est très pertinent pour saisir cet état d’esprit qui va nourrir cet esprit post-soixante huitard.
« En milieu militant et universitaire, Mai 68 joue d’une certaine manière le rôle d’un mythe moderne. On y retrouve ses idoles (Daniel Cohn-Bendit, ex-anarcho-trotskyste aujourd’hui réformé en parlementaire de l’UE), Satan et ses cerbères (De Gaulles et les CRS), ses écrits presque sacrés (Éros et civilisation d’Herbert Marcuse publié en 1955), ses artistes qui en chantent la nostalgie (Renaud et L’Hexagone), mais surtout, son image idyllique dans l’esprit de nombreux militants identitaires. La fonction du mythe (muthos), que l’on oppose traditionnellement au discours rationnel (logos), est de présenter la partie pour le tout. Cela a pour effet, entre autres, de figer la représentation du réel dans une vision totalisante, en plus de rendre impossible toute pensée dialectique de l’histoire ».
Cet extrait des actes d’un colloque « socialisation et conformisme » (Association des cycles supérieurs en sociologie de l’Université de Montréal ACSSUM https://socio.umontreal.ca/public/FAS/sociologie/Documents/5-Departement/Colloques_et_actes_de_colloques/XIe_colloque_de_l_ACSSUM-Socialisation_et_conformisme_Oct2016.pdf) les 10 et 11 mars 2016, est issu de l’exposé de David Vachon de l’université de Montréal, sur « Militantisme identitaire et double ignorance » qui vient à l’appui de nos explications sur la pensée de Clouscard dans la critique de la consommation transgressive.
« Pourquoi est-ce justement le Mai 68 des étudiants qui s’est imposé, pour finalement se cristalliser dans le mythe moderne que l’on connaît aujourd’hui ? La thèse la plus intéressante permettant de répondre à cette question de fond vient d’un marxiste français nommé Michel Clouscard. Ce dernier est reconnu pour avoir critiqué sévèrement la mutation de la gauche traditionnelle vers un libéralisme libertaire, se ralliant à l’économie de marché et transformant le terrain de lutte autour de questions d’ordre sociétal, c’est-à-dire des objectifs principalement identitaires (lutte sexuelle, reconnaissance des minorités ethniques ou religieuses, etc.) Concernant le tournant de Mai 68, Clouscard affirme que, loin de représenter une forme progressive d’émancipation, la monopolisation du discours par l’avant-garde estudiantine représente une simple révolte de la nouvelle bourgeoisie pseudo-contestataire, contre la vieille bourgeoisie puritaine, dont le but effectif était d’étendre le marché capitaliste, auparavant limité par la morale bourgeoise. Autrement dit, la mutation de la gauche militante à partir de Mai 68 relève davantage d’une usurpation par la petite-bourgeoise oisive, contre la classe productive et réellement révolutionnaire. À partir de ce moment, la conscience révolutionnaire ne se détermine plus par son statut de producteur non propriétaire de ses moyens de production, mais plutôt par son mode de consommation, liant ainsi ethos révolutionnaire et modes identitaires consuméristes. D’où la critique de Clouscard envers la deleuzophrénie et de sa mise au pinacle du désir comme force émancipatrice : Aussi, le modèle de la nouvelle consommation sera l’émancipation par la transgression. [...] Consommer, c’est s’émanciper, transgresser c’est être libre ! jouir c’est être révolutionnaire !!! [...] Politiquement, [le néocapitalisme] a dévié l’élan révolutionnaire d’une certaine jeunesse des diversions et identifié mode et révolution. (Clouscard, « Néo-fascisme et idéologie du désir » 1973) »
On pourrait évoquer, aujourd’hui, dans ce cadre donné par Clouscard, une société de consommation autour des éléments suivants : audio-visuel, économie des loisirs, mode vestimentaire, gentrification des cœurs de villes touristiques, domotique dans l’habitat quotidien et développement des résidences secondaires, industrie des biens culturels et immatériels, publicitaires et marketing, essor de la distribution via les nouvelles plateformes, explosion de la téléphonie, du digital et du numérique pour les branchés. Une consommation au profit des secteurs de cette nouvelle petite bourgeoisie (NPB) – qui manifeste paradoxalement une sensibilité aiguë sur les questions relatives à la survie de la planète antinomique mais paradoxalement symétrique à sa complice participation à « l’empreinte écologique » de son mode de vie et apte à dénoncer « ceux qui fument des gauloises, se chauffent au fioul et roulent au diésel » selon les mots blessants à l’encontre des gilets jaunes de l’ex porte-parole du gouvernement – Benjamin Griveaux qui, suite à ses frasques dans des vidéos sexuels menacées d’être rendues publiques, devait plus tard renoncer à la candidature LRM à la mairie de Paris. Ce type de consommation élargie rompant avec le mode de vie sous « le capitalisme gaullien à la papa » des plus modestes et des couches populaires traditionnelles, encore et toujours limitées dans leur pouvoir d’achat de salariés smicards, d’autoentrepreneurs, de travailleurs indépendants, de chômeurs ou de « bénéficiaires des minima sociaux » n’autorisant une consommation qui n’a que l’apparence du luxe et de la frivolité mais répondant surtout aux besoins élémentaires de l’existence et de la reproduction de la force de travail (habitat, alimentation, équipements électro-ménager, communication et transports) d’un prolétariat réputé aliéné (boulot-métro-dodo) qui a de plus en plus de mal à boucler ses fins de mois. Clouscard a remarquablement déconstruit l’idée d’une société de consommation qui ferait fi des mécanismes de ségrégation sociale dans le capitalisme fondé sur l’extorsion de la plus-value par la répression des producteurs. Et contrairement aux thèses de Marcuse sur l’intégration de la classe ouvrière par l’extension de la consommation de masses, le sociologue analyse précisément les types de consommation selon le mode de vie des couches populaires qu’il différencie du genre de vie des fractions de la bourgeoisie dominante.
- Un mode de vie toujours contraint pour le plus grand nombre et une consommation débridée pour les plus riches
« Après le plan Marshall et Mai 68, les idéologues des secteurs pilotes comme l’audiovisuel, la mode, les loisirs, vont promouvoir avec succès la consommation d’émancipation transgressive comme prétendu combat d’avant-garde contre le néo-capitalisme. Ce qui assurera de formidables nouveaux profits et la neutralisation de la lutte des classes. L’Anti-Oedipe de Deleuze/Guattari paru en 1972 en exprimera l’exaltation maximale ».
Pour mieux comprendre, empruntons quelques extraits de « la revue du projet » (PCF et FDG) de juin 2014, dans la rubrique Critiques « le capitalisme selon Michel Clouscard » de Patrick Coulon. « Dans Néofascisme et idéologie du désir Clouscard entame la polémique avec Deleuze, Foucault, Reich et Marcuse. Elle permet de dresser, quatre ans après, un constat d’échec de mai 1968 et de la société qui se met en place à partir de là. Selon Clouscard, malgré les dix millions de travailleurs dans la rue, c’est la face marketing de l’idéologie soixante-huitarde qui l’a emporté. « L’idéologie du désir » n’aura servi qu’à débloquer les « marchés du désir » entérinés par le plan Marshall, pour mieux réduire le désir au marché. Toujours selon Aymeric Monville « si Balzac a vu l’arrivée du capitalisme, quand son époque se complaît encore dans les rêveries romantiques pour la droite, le socialisme utopique pour la gauche, Clouscard aurait décrit l’arrivée du néocapitalisme, ou plutôt le type de compromis qu’invite le capitalisme en phase ascendante et que l’on voit aujourd’hui se fracasser sous nos yeux.
Pour résumer : après-guerre, par le déplacement des populations et par l’organisation de nombreux équipements collectifs devenus nécessaires à la reproduction de la force de travail et à la nouvelle urbanisation, le capitalisme monopoliste d’État produit à la fois le produit et le client.
Auparavant, le capitalisme se contentait de dire comment produire. Désormais il va dire comment consommer, et au-delà comment vivre.
Pour contrecarrer la crise des débouchés, on exploite également les loisirs, et aujourd’hui la consommation elle-même. L’exploitation prend d’autres formes. La marchandise est arrivée à un tel degré d’accumulation qu’elle devient non pas seulement image ou spectacle, ce qui est une partie du problème, mais surtout dressage, de l’enfance à la tombe. Dressage véritablement anthropologique, destiné à influencer sur le processus d’hominisation ; la transformation du citoyen en « homo oeconomicus », de la société en marché. »
« Le marché du désir c’est l’engendrement réciproque de l’économie de marché – orientée vers la satisfaction des besoins – et du désir, une création du libéralisme libertaire qui redynamise l’économie du profit :
le fantasme devient marchandise licite ;
le « produit » est élaboré par de nouveaux métiers ;
un apprentissage quotidien de masse « forme » la clientèle potentielle, en particulier avec le nouveau marché des jeunes et des femmes. »
Et l’auteur conclut sa critique en rappelant que « Michel Clouscard a publié plus d’une dizaine d’ouvrages et donc que le lecteur aura de quoi satisfaire sa soif de connaissance approfondie de cet auteur engagé auprès du PCF sans en être membre. »
Selon Clouscard, le bloc capitaliste c’est l’ensemble impérialisme américain, Europe des trusts, régionalisation. Le projet du capitalisme monopoliste d’Etat vise « une mutation de l’Etat qui doit, d’une part, quitter la fonction de l’Etat traditionnel, d’autre part, s’opposer à la nation des instances, services, fonctions, institutions qui sont le résultat de l’action républicaine, démocratique, socialiste, patriotique (laquelle nation s’oppose au nationalisme, idéologie des notables, de l’armée, de l’Eglise, des forces bourgeoises traditionnalistes). » Prise en tenaille par l’Europe des trusts et le régionalisme, la Nation ne sera plus un frein à l’expansion néo-capitaliste. « L’appareil d’Etat pourrait se vouer aux intérêts de l’Internationale capitaliste sans opposition ; les monopoles régneraient sur les masses réduites à la consommation-transgressive, au permissif, à l’irresponsabilité (la deleuzophrénie). »
Nous avons là l’illustration concrète de la manière dont le capitalisme de la séduction assure le développement « intensif » du marché pour contrer une crise de débouchés qui serait fatale à l’accumulation du capital sans laquelle il n’y aurait ni capitalisme, ni profit. L’autre développement dit « extensif » accompagnait les politiques colonialistes que Lénine théorisait en « impérialisme, stade suprême du capitalisme » après saturation du marché mondial, et Rosa Luxemburg comme « impérialisme », « expression politique du processus d’accumulation du Capital ».
Une accumulation capitaliste pour de nouveaux débouchés dans un mode de consommation hiérarchisé et adapté aux différents segments de consommateurs potentiels et qui trouve toujours ses ressorts dans le marketing, la publicité et aussi le mimétisme et la fascination des couches dominées par le mode de vie des dominants avec un développement du capitalisme de consommation de masse qui programme l’obsolescence de ses marchandises (équipements électro-ménagers, électronique des véhicules, etc.). Et dans cette société du spectacle, mise à nue par les situationnistes, le règne de la valeur d’échange tournée sur elle-même et devenue sa propre finalité, c’est à dire la possession de valeurs symboliques, ce pouvoir des apparences. Avec chez les générations contemporaines de cette recomposition capitaliste, cette attirance phénoménale pour les vêtements et gadgets de grandes marques ou bien, pour les jeunes envieux moins fortunés, les répliques de ces modèles fabriquées et commercialisées par la grande distribution et ses enseignes qui fleurissent dans le péri-urbain ou les circuits parallèles de la contrefaçon dans un système dérégulé de trafic mondial. Une consommation débridée d’une marge de la jeunesse incitée parfois à l’incivilité, la délinquance et la criminalité (dealers) en miroir des pratiques de « la délinquance en cols blancs », des refuges dans les paradis fiscaux et du blanchiment de l’argent sale qui n’épargnent (si j’ose dire) même pas une part, certes infime mais au combien symbolique, de la « classe politique »!
Dans tous les cas, la confiscation du pouvoir réel (économique, social et culturel) par les fractions dominantes de la grande et petite bourgeoisie (du fait de leur bon positionnement dans la NDIT), héritiers nantis du capital économique, social et culturel et de la distinction sociale qui va avec. Et de l’apparence d’un pouvoir économique chez le prolétariat moderne ou les couches moyennes paupérisées, dans la possession d’objets (téléphonie, jeux numériques, et vêtements) ou de biens mobiliers ou immobiliers (voiture ou logement acheté avec un crédit et des frais de fonctionnement) sources de dépenses (carburant, entretien, taxes et charges) qui « pompent » une part énorme du budget de la consommation populaire. Ces couches moyennes déclassées venues du monde entrepreneurial qui ont tout perdu dans une relégation économico-spatiale stigmatisante (gilets jaunes en révolte), les mêmes devant payer le prix d’une écologie punitive dans leur mode de vie qui tourne en rond avec la hantise des fins de mois (coût du carburant taxé avec une distanciation de l’habitat en zones déclassées donc loin des lieux de travail et parfois des commerces, et l’exigence accrue de mobilité). D’où la forte et durable mobilisation des « gilets jaunes », phénomène irréductible à une base de manœuvre électorale (malgré toutes les tentatives de récupération) mais plutôt expression d’une lutte des classes sans orientation idéologique univoque et à la recherche de nouvelles dynamiques comme l’atteste la présence de représentants (auto-désignés) de ce mouvement dans les manifestations contre la réforme des retraites et, aujourd’hui, à l’unisson dans le grand élan de reconnaissance sociétale envers « les premiers de corvée ».
- Un capitalisme en mutation
Cette modernisation post-soixante-huitarde annonçait ainsi le renforcement de la domination et de l’élargissement de la reproduction d’un capitalisme monopoliste d’Etat exerçant « une pression accrue sur les conditions de vie et de travail des salariés » qui se traduit « pour l’essentiel, par une tendance à l’alignement des conditions de vie et de travail des couches intermédiaires sur celle des ouvriers. C’est le rôle en particulier, de la politique des revenus ou de la « masse salariale » qui tend à faire supporter aux employés, techniciens et cadres, l’élévation nominale de certains bas salaires » selon les théoriciens du capitalisme monopoliste d’Etat (Traité d’économie marxiste tome 1 le CME 1971). « Ce processus de nivellement se traduit, dès maintenant, dans la structure des dépenses de consommation. Qu’il s’agisse d’alimentation ou de transport, les dépenses moyennes de ouvriers et des employés varient peu ».
Le capitalisme monopoliste d’Etat qui va prendre tout son essor après la seconde guerre mondiale développe la financiarisation avec la fusion entre capital bancaire et industriel (préexistant déjà dans le capitalisme du stade monopoliste et impérialiste en quête de nouveaux débouchés) dans la constitution de grands groupes nationaux et internationaux et la globalisation (sous l’effet conjugué de la mondialisation des échanges et de la révolution numérique). On assiste au passage du stade du capitalisme monopoliste des Etats à celui du capitalisme financier international avec son cortège de déréglementations et pertes de souverainetés des Etats, tentant de liquider l’Etat social au bénéfice des chaînes de valeur pour les actionnaires avec les délocalisations, les licenciements boursiers des grandes entreprise du CAC40, la précarisation des emplois, « l’ubérisation » des services, le travail à façon et l’intensification de l’extorsion de la plus-value par les gains de productivité et les nouveaux modes de managements privés et publics. Bref une société capitaliste permissive avec les consommateurs (c’est à dire les personnes disposant du pouvoir d’achat des nouveaux types de consommation) et répressive envers les producteurs au travail (salariés, indépendants ou autoentrepreneurs « ubérisés »). Politiquement la transition du gaullisme au capitalisme avancé est assurée sous la présidence pompidolienne avant le basculement complet du monde dans le néolibéralisme et sa biopolitique déjà enseignés par Michel Foucault dans ses cours au collège de France après le milieu des années 70.
- Le compromis social-démocrate
Les trente glorieuses, malgré ou grâce à la guerre froide, ont connu ainsi un développement social du capitalisme, désigné sous les termes flous de « compromis keynésien », « fordiste », « capito-cadriste » ou « social-démocrate ». La première appellation relève de l’inspiration économique de J.M Keynes dans les politiques contra-cycliques de relance publique de la demande ou de l’investissement qui assurent, in fine, un impact économique beaucoup plus fort que les sommes initialement injectées (théorie du multiplicateur d’investissement). L’appellation « compromis fordiste » nous vient de l’Ecole de la régulation. Elle peut être ambivalente car le fordisme a aussi inspiré le national-socialisme quand on ne peut par ailleurs prêter à l’industriel de l’automobile, Henry Ford, d’autres visées que celles des débouchés plus larges dans le marché des voitures avec des méthodes capitalistes d’organisation taylorienne du travail pour obtenir des gains de productivité accroissant la plus-value extorquée au travail vivant, et donc le profit, tout en soutenant la demande en rémunérant mieux le travail. Le terme de compromis « capito-cadriste » est préféré par d’autres économistes marxistes – Duménil et Lévy – eu égard aux changements dans le « management » des entreprises par les cadres liés à la fraction de la classe dominante » – phénomène qui pourrait, selon nous, rappeler ce que Burnham appelait « l’ère des organisateurs ». « Le compromis social-démocrate » renvoie aux politiques plus volontaristes de la social-démocratie, conduites avec ses alliés et les forces syndicales, de longue date, dans un face à face avec le patronat. Il a largement contribué à l’échelle de l’Europe à la promotion des Etats–sociaux avec des dynamiques propre à chaque formation sociale et des particularités nationales historiques : Etat-providence en pays scandinaves, modèle universel de Beveridge en Angleterre, modèle assurantiel en Allemagne et en France mixité d’inspiration.
Ce compromis s’établit dans le domaine de la répartition des richesses produites avec un partage de la valeur ajoutée nationale entre le Capital et le Travail, plus favorable à ce dernier. En France, ce partage représente aujourd’hui respectivement 40 et 60% de la valeur ajoutée. D’aucuns considèrent que ce fut sans doute le prix à payer pour contenir la combativité de la classe ouvrière. Certes, l’amélioration des conditions de vie des couches populaires résulte toujours de luttes syndicales et politiques, avec cependant des stratégies différenciées selon les perspectives syndicales et politiques. Le syndicalisme réformiste réclamait « du grain à moudre » quand le syndicalisme révolutionnaire de la période exigeait des évolutions majeures en termes de transformations sociales sur la base d’un rapport de forces résultant d’une lutte de classes. Les courants réformistes pouvaient considérer, à l’époque, que l’évolution du capitalisme dans ce cadre de compromis entre les forces du travail et du capital correspondait partiellement à leur projet d’évolution de la société. Les gains de productivité par la rationalisation taylorienne, fordienne ou toyotiste de l’organisation du travail et surtout par l’investissement capitalistique des entreprises et grandes firmes ( « le travail mort » ou « le travail vivant cristallisé ») ont assuré néanmoins au capital une extorsion de la plus-value contrant la tendance à la baisse du taux de profit. Mais ce partage des richesses est surtout à mettre à l’acquis de la combativité du monde du travail.
Pour en conclure avec cette histoire, la charte actuelle des droits fondamentaux de l’union européenne dont nous avons très largement analysée la genèse historique dans la grande (convention européenne des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe) et la petite Europe (chartes sociales successives avant l’adoption de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs) n’offre cependant guère de réel point d’appui aujourd’hui pour un alignement par le haut des législations sociales des pays de l’Union quand elle semble marquée du sceau de l’ambivalence de son contenu (du point de vue de notre conception républicaine et sociale) et de l’ineffectivité des droits reconnus. Il faut se souvenir que la construction du marché commun puis du marché intérieur de l’Union repose sur la mobilité des marchandises, des capitaux, des entreprises, des services et des travailleurs. Ceci explique la réduction originelle de l’approche sociale centrée sur les problèmes de la libre circulation (couverture sociale des travailleurs migrants de la CEE) et sur la mobilité professionnelle (actions du FSE). Le marché boucherait-t-il l’horizon démocratique et social de l’Europe ? C’est bien ce qu’exprimaient avec force les tenants du Non en 2005 à cette Europe de « la concurrence libre et non faussée » (à gauche principalement le PC, le MRC de Chevènement, le NPA et autres courants trotskystes avec l’appui des socialistes Fabius et Emmanuelli, l’association ATTAC) quand l’UMP de Sarkozy et le PS de Hollande louaient en chœur le Oui au référendum et prenaient leur revanche sur cette première expression de la souveraineté populaire bafouée avec le traité de Lisbonne qui devait être négocié par le président Sarkozy (en reprenant ledit projet de traité constitutionnel européen coordonné par Giscard) puis ratifié par les parlementaires des mêmes partis réunis en Congrès dans un vrai déni de démocratie ! Le compromis fordiste, fort bien analysé par l’Ecole de la régulation, a ainsi montré toutes ses limites quand, dans la même logique, plus tard, que celles de Maastricht et de Lisbonne, le mouvement même du capitalisme néolibéral et de la lutte de la classe dirigeante, depuis les années 80 et les quarante honteuses qui ont succédé aux trente années glorieuses d’après la Libération, vient reprendre 10% de cette valeur ajoutée (crée par le travail) qu’il redonne au capital.
- Une distinction capitale : travail abstrait versus travail concret
C’est donc au cœur du capital qu’il faut s’attaquer aujourd’hui c’est-à-dire à la production de valeurs en entamant un processus de déconstruction du « travail abstrait » comme valorisation du capital (travail abstrait s’exprimant dans la valeur d’échange selon le temps de travail moyen socialement nécessaire à la production d’une marchandise) que l’on oppose au travail concret (les tâches et activités concrètes indépendamment des conditions de leur mise en œuvre) qui trouve aussi à s’exprimer en dehors même de toute valorisation capitaliste (dans le bénévolat associatif par exemple ou l’entraide familiale ou agricole ou dans l’engagement citoyen et civique) et qui est créateur de richesses.
Et comme nous sommes toujours dans les débats et combats autour de la réforme des retraites, rappelons avec force certaines vérités sur le travail concret « des personnes à la retraite » quand on ne voit dans les pensions de retraite qu’une source de dépenses qu’il faudrait diminuer. Ce travail concret, créateur de richesses et de services rendus, reste très important sinon irremplaçable sur le plan sociétal. Prenons quelques exemples : encadrement associatif, culturel ou sportif, appui aux initiatives alternatives dans les champs économiques et sociaux, implication dans les circuits courts de distribution type épicerie sociale ou AMAP, jardinage des plantes, fleurs et légumes, services bénévoles aux personnes de proximité ou auprès de la famille avec les gardes des petits enfants, etc. Même si ce n’est pas quantifié dans les comptes publics, les montants des pensions accompagnent les richesses crées par l’activité et le travail concret des dits retraités qui fait l’objet d’un déni par la vision capitaliste qui ne sait compter que la valeur fourni par le travail abstrait source de plus-value. De la même façon il faudrait vraiment intégrer les indicateurs humains de développement dans le raisonnement économique borné des économistes libéraux fascinés par la croissance du PIB.
Le travail abstrait que nous dénonçons avec les marxistes est ainsi le travail créateur de la valeur d’échange dont l’extorsion de la plus-value assure le profit du capital par l’exploitation du travail sous forme d’extorsion d’une partie du temps travaillé (« plus-value absolue ») ou des gains de productivité liés à l’investissement, c’est à dire « le travail mort » incorporé dans les machines numériques et les robots, ou à l’organisation du travail de type fordiste ou toyotiste avec l’émiettement ou l’intégration des tâches (« plus-value relative »).
- La montée du mal nommé néolibéralisme en France et en Europe annonce la grande régression du « marchéisme » néoconservateur
Tout ceci mérite encore quelques explications conceptuelles qui permettront de saisir et mesurer la nature et la portée de nos lignes programmatiques exploratoires pour une gauche osant le changement de paradigme pour sortir de la logique infernale du productivisme, du néolibéralisme et du capitalisme financier. Ce dernier, déjà dénoncé par Lénine comme l’alliance du capitalisme industriel et bancaire, atteint aujourd’hui une suprématie économique mondiale. « L’élément majeur nouveau est sans doute le renforcement de l’extension mondiale de l’économie : mondialisation ou globalisation. Ce nouvel ordre conforte la prépondérance des sociétés multinationales » (Duménil et Lévy « Economie marxiste du capitalisme » 2002). Il reconfigure le pouvoir « qu’on peut caractériser comme une seconde hégémonie de la finance. Les disciplines imposées aux cadres et aux classes populaires, les libertés que s’est octroyée la finance et le renouvellement des flux de revenus, en sa faveur militent dans ce sens ». « Le néolibéralisme repose sur des compromis, même s’ils s’avèrent beaucoup moins contraignants pour les classes dominantes qu’à l’époque antérieure » : interface propriété-gestion (alliance des hauts fonctionnaires pour défendre les intérêts des grandes firmes dans les réformes néolibérales, rémunérations faramineuses des gestionnaires) ; le « tous capitalistes » (épargnants, retraités ou en voie de l’être soumis aux renversements des cours boursiers) ; attaque sélective contre les structures de l’Etat social affectant les couches populaires (santé, école) plus atténués en Europe du fait du social-néolibéralisme. « Ces concepts (empruntés à Duménil et Lévy) permettent d’identifier simultanément la nature de classe de l’ordre néolibéral, c’est-à-dire le retour à l’hégémonie d’une fraction des classes dominantes, et l’association de couches plus étendues dans un marché dont elles sont en grande partie les dupes ». Arrivé avec la crise structurelle des années 70 et son inflation, dans un contexte d’affaiblissement des luttes populaires et de la crise des pays du socialisme réel, « l’enjeu fondamental du tournant néolibéral … (c’est) de mettre fin à une dérive « cadriste » à l’intérieur du « capito-cadrisme », car la crise menaçait de conduire à des alternatives plus radicales susceptibles d’accentuer le rôle et l’autonomie des gestionnaires privés et publics. La finance a inversé ce mouvement en les remettant à la botte des propriétaires ». Le ralliement de l’Europe continentale au néolibéralisme dans les années 70-80, s’explique par « la volonté des finances locales de s’inscrire dans le grand système de la finance mondiale ». « Ainsi l’Europe financière et monétaire s’est-elle directement construite comme mondiale », condamnant ainsi « toute possibilité d’autonomie du continent dans la conduite de ses politiques macroéconomiques et de développement, malgré l’euro. L’Europe s’en trouve reléguée dans la position subalterne qui est la sienne dans le néolibéralisme ». Ce néolibéralisme décrit par nos économistes Duménil et Lévy en 2002, relève « la productivité du capital et le taux de profit » dans un mouvement qui rappelle fortement celui de la première moitié du XX° siècle. Il faut y voir une nouvelle expression de la grande dynamique des forces productives et des rapports de production » mais « ce qui va condamner le néolibéralisme est inscrit dans sa nature même : une transformation étroitement axée sur l’intérêt d’une minorité qui entraîne l’économie vers la croissance lente, les excès de la spéculation et de l’instabilité financière (sans parler de la destruction de l’environnement) ». Coincé dans cet environnement international dans une conjoncture de guerre économique farouche entre les Etats-Unis d’Amérique et la Chine pour l’hégémonie mondiale, il faudra, en conséquence, desserrer les contraintes externes en s’émancipant de l’Europe des traités néolibéraux et en nouant de nouvelles coopérations régionales sur des bases de réciprocité dans l’intérêt mutuel et non de guerre économique. C’est dire l’ampleur de la tâche et des combats qui nous attendent et auxquels nous devons nous préparer !
Rappelons pour la bonne compréhension de ces démonstrations que le taux de profit est le rapport du profit au capital, lequel intègre capital constant (locaux, machines, matières premières etc.) et capital variable (salaires). Le capital est dit « constant » car ses composants, matières premières et outils de production, gardent « la même valeur » dans leur intégration à celle du produit crée par « le travail vivant » réalisé par « la force de travail », ce « capital variable », seule source de « la plus-value » dégagée de ce capital productif qui se réalise dans « la valeur marchande » de la production. La baisse tendancielle du taux de profit est liée à l’augmentation de la composition organique du capital, c’est-à-dire à la modification du rapport entre capital constant et capital variable au détriment du capital variable seul « créateur de plus-value ». « Absolue » (plus de temps volé) ou « relative » (captation des gains de productivité liés à l’augmentation de l’investissement – en quelque sorte le travail mort – et à l’organisation du travail), la plus-value est en effet extorquée aux travailleurs sous forme de surtravail (non rémunéré).
Selon les économistes marxistes, cette modification est une contradiction forte du capitalisme. Avec des nuances d’analyse dans les facteurs de développement de l’accumulation capitaliste quand l’école de la régulation et les postkeynésiens les rattachent à la demande (le débouché qui justifie l’augmentation du capital) et donc à la croissance des salaires et d’autres, à l’instar des classiques, de Marx et des théoriciens marxistes, Gérard Duménil et Dominique Lévy expliquent que « c’est le changement technique qui est le mécanisme fondamental, et non les règles de formation de la demande », la recherche d’un surprofit expliquant le choix des techniques sélectionnées par les capitalistes à salaires et prix constants (Economie marxiste du capitalisme). Ces mêmes auteurs ont analysés de près ces corrélations entre le profil historique du taux de profit et le rapport capital-travail sur plus d’un siècle (1870 à 2000) aux Etats-Unis, traduisant l’intuition de Marx comme une thèse concernant les propriétés de l’innovation qui, bien que rentable, alourdit le coût du capital. Lequel développe des contre-tendances avec aux Etats-Unis, les nouvelles configurations institutionnelles (fusions, formation de vastes institutions financières), les nouvelles techniques (travail à la chaîne au début du XX° siècle, technologies de l’information dans les dernières décennies du siècle dernier), « la tendance à la baisse du taux de profit » constituant « un des fondements majeurs des mutations du capitalisme ». Au travers de ses crises structurelles (fin du XIX° et années 1970 – la crise de 29 est d’une autre nature dans une phase de rétablissement de la rentabilité « c’est la crise de la sortie de la fin de la crise du XIX° ») le capitalisme se transforme. Le regretté Henri Weber, disciple d’Ernest Mandel (IV° Internationale), à l’époque de la sortie de son « Marxisme et conscience de classe » en 1975, portait un regard sur la période de l’après-guerre d’expansion prolongée qui succède à la longue période de dépression d’entre les deux guerres « marquée par la stagnation des forces productives, la succession de crises catastrophiques (1921,1929,1938), le chômage structurel massif, la paupérisation des masses, la régression du commerce mondial, le dérèglement complet de la machine économique » et comme dans toutes les grandes phases de dépression, c’est « une époque de réorganisation de la domination bourgeoise » de concentration et centralisation du capital avec les modifications de la structure interne de la classe dominante. « La bourgeoise monopoliste contrôle l’essentiel de la production industrielle et de l’investissement » et « s’affirme comme fraction hégémonique de la classe dominante » qui en appelle à l’intervention de l’Etat : New Deal aux USA, fascisme en Europe centrale. La grande bourgeoise n’attend pas seulement de l’Etat national le financement public de l’accumulation monopoliste. Elle exige qu’il crée les conditions politiques favorables à la reconstitution d’un taux de profit élevé : elle exige qu’il mate la classe ouvrière ». « Le taux de profit élevé, reconstitué au cours des années 30-40, à la faveur des défaites ouvrières et de la guerre, est reconduit au lendemain de la Libération. Dans l’Allemagne vaincue, la classe ouvrière reste prostrée. Dans les pays alliés les directions réformistes engagent la classe ouvrière dans l’Union sacrée pour la reconstruction nationale», dénonce le théoricien trotskiste Weber (qui deviendra dirigeant socialiste du courant fabiusien dans les années 80) en désaccord total, dans cette condamnation sans appel, avec le regard optimiste actuel sur « ce déjà là communiste » du sociologue du travail, Bernard Friot, fruit de l’œuvre des premiers gouvernements de la IV° (république) sur laquelle nous reviendrons plus en détail. Weber poursuit « Dans toute l’Europe occidentale, c’est le « produire d’abord, revendiquer ensuite » cher aux communistes français. Le taux d’exploitation se maintient donc à un niveau très élevé. Et avec lui, le taux de profit et les investissements ». Inutile de signifier ici notre réfutation de cette critique sans nuance d’une stratégie d’évolution révolutionnaire que le sénateur socialiste devait adopter lui-même quelques années après ces écrits de jeunesse, à l’instar de ses camarades de la IV° (Internationale) reconvertis dans les écuries présidentielles socialistes de la V° (République).
Pour continuer à accroître ses profits malgré cette tendance à la baisse du taux de profit, le capital trouve donc de nouvelles formes d’exploitation à l’âge de l’impérialisme et des monopoles – pillage du tiers monde, spéculation financière accrue avec la globalisation, etc. – ou crée de nouveaux cadres d’intervention – le capitalisme monopoliste d’Etat (CME) théorisé par Paul Boccara et les économistes du PCF (traité marxiste d’économie politique Le capitalisme monopoliste d’Etat 2 tomes ES 1971) qui assure une certaine socialisation des coûts par la collectivité nationale (industrie nationale permettant des tarifs bas pour les entreprises – électricité, transport, infrastructures, etc.- des prestations sociales et de services liés à la reproduction de la force de travail – couverture sociale, chômage, santé, vieillesse, hôpitaux, éducation nationale, etc.). Même analyse chez les trotskistes. « La machine de l’Etat, nous dit Weber, ses appareils administratifs, idéologiques, répressifs sont considérablement renforcés. Les ressources de l’Etat sont démultipliées. En France, le budget passe de 5% du revenu national en 1929, à 35% en 1970, non inclues les dépenses des collectivités locales et des divers organismes parapublics. L’Etat devient le principal investisseur (armement, énergie, transports, construction), le principal employeur (salariés des administrations et des entreprises publiques), le principal distributeur de revenus (Sécurité sociale, allocations diverses…). En assurant un volume plus stable des investissements et des revenus, il joue un rôle régulateur permanent du cycle économique ». La démonstration continue avec l’exemple de la planification indicative, les mesures anticycliques conjoncturelles lors des récessions, sociétés mixtes, nationalisations des pertes, soutien dans les secteurs où le taux de profit monopoliste n’est pas assuré, subventions, crédits, tarifs préférentiels, dégrèvements fiscaux, règlementations… « L’Etat s’affirme comme l’instrument primordial de la rationalisation capitaliste de la production ».
Ainsi externalisés, ces coûts ne rentrent plus dans la composition du capital. Cependant une partie d’entre eux sont financés par des prélèvements sociaux obligatoires, impôts ou cotisations assises sur le salaire. Ces cotisations sociales, nous insistons encore sur ce point, dont la maîtrise reste un enjeu fondamental pour les salariés qui se voient contester par le patronat et le pouvoir politique (Pompidou, Rocard, Juppé, Jospin) le droit d’en disposer (rappelons que les salariés disposaient dans les débuts de la gestion de la sécurité sociale, d’un budget supérieur à celui de l’Etat) comme ils le firent jusqu’aux ordonnances Jeanneney de 1967 mettant fin à la prépondérance ouvrière dans les conseils d’administration des caisses. Et depuis, cette étatisation de la sécu dont on vote les crédits au Parlement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en œuvre également avec des recettes fiscales qui viennent se substituer à une part des cotisations, lesquelles sont allégées dans le cadre d’une politique de l’offre qui se veut au service de l’emploi.
Aujourd’hui, la théorie du CME n’est plus à même de traduire la réalité du nouveau capitalisme à l’âge de la globalisation néolibérale. Annoncée par Lénine et en vogue jusqu’à la fin des années 70, cette théorie analysait la connivence entre le grand capital monopolistique – national et international – et l’Etat. La sphère publique prenait en charge les activités non rentables et les investissements collectifs lourds, facilitant la rentabilité des grandes entreprises, ainsi allégées dans leurs coûts de production tandis que les commandes publiques dans des secteurs porteurs assuraient d’importants débouchés. La réalité actuelle a sensiblement modifié les rapports entre l’Etat et les monopoles. D’une part, l’internationalisation du capital et l’interpénétration des économies se sont considérablement développées, rendant plus difficile la régulation étatique nationale, d’autre part, la globalisation financière a radicalement réorienté les stratégies des entreprises, à la recherche de placements financiers spéculatifs plus rémunérateurs que l’investissement productif – d’où le phénomène des licenciements boursiers. La socialisation des grands moyens de production à l’échelle nationale promue par les théoriciens du CME n’apparaît donc plus comme une réponse pertinente quand la gauche gouvernementale a par ailleurs totalement renoncé à mener une politique industrielle dans le cadre d’une planification démocratique. L’Etat perd la maîtrise des secteurs bancaires, énergétiques et productifs et remet en cause sa sphère d’intervention sociale, laissant plus de place à la régulation par le marché dans un processus de financiarisation de l’économie.
Le passage du capitalisme monopoliste des Etats au capitalisme financier mondialisé s’est accompagné de profondes transformations socio-économiques, technologiques, environnementales et culturelles qui rendent donc insuffisantes sinon obsolètes les vieilles recettes de la course à la productivité dans une société productiviste contestée par ailleurs. Examinons ces caractéristiques actuelles du néolibéralisme. Dans son manifeste altermondialiste, l’association ATTAC développe ses analyses pour servir le débat public. L’introduction est réservée au diagnostic du néolibéralisme que nous synthétisons ici.
Le premier pilier du néolibéralisme c’est le libre-échange et la libre circulation des capitaux, les deux facettes du même processus de marchandisation du monde. L’OMC assure une concurrence directe des travailleurs et des systèmes sociaux et exacerbe les contradictions entre les pays du centre et ceux de la périphérie. On assiste au laminage des souverainetés populaires, à l’appauvrissement des peuples soumis aux plans d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale. L’Union européenne s’attache aux mêmes objectifs, soumettant ses états à la concurrence libre et non faussée. L’affirmation des souverainetés populaires est nécessaire pour contrer ce processus.
Le deuxième pilier est une approche de la nature comme réserve inépuisable et comme dépotoir. Elle se traduit par l’accaparement des ressources naturelles et de la biodiversité par les multinationales du Nord et des pays émergents tandis que les pays pauvres du Sud sont voués à accueillir les déchets polluants et dangereux et sont surexposés aux changements climatiques. La réponse est dans l’affirmation des biens publics et communs (eau, énergie, etc.).
Le troisième pilier est la mise sous tutelle de la démocratie. Le néolibéralisme affirme le lien entre les libertés économiques et politiques en taisant les contre-exemples (Chili de Pinochet ou Chine). ATTAC dénonce la politique africaine de la France dictée par des considérations économiques (pétrole et phosphate). Pour libérer la démocratie de ses tutelles il faut de nouvelles formes de participation populaire, une formation à la citoyenneté garantie par l’éducation, le droit d’être informé et le droit d’informer.
Le quatrième pilier c’est les politiques publiques au service des propriétaires du capital. Les dérégulations publiques profitent au tout marché. Les politiques publiques garantissent l’attractivité des territoires pour les entreprises par la stabilité de la monnaie, les taux d’intérêts élevés, la circulation des biens, des services et des capitaux. Les politiques publiques sont aussi internationales : FMI, Banque mondiale et OCDE formée des trente pays les plus riches et dont les études et les préconisations apparaissent comme une machine de guerre idéologique pour la promotion des politiques libérales.
Le cinquième pilier c’est le pouvoir absolu des actionnaires dans l’entreprise qui marque une rupture avec les modes de gestion de l’après-guerre fondés sur un compromis entre les entreprises, les pouvoirs publics et les syndicats. Les actionnaires recherchent le profit au détriment de l’investissement. Les transactions financières et les opérations sur le marché des changes s’opèrent dans un marché mondial dérégulé qui tue la démocratie sociale : licenciements boursiers, délocalisations, absence de démocratie dans les entreprises.
Le sixième pilier c’est la guerre permanente et les politiques sécuritaires. La guerre sert le contrôle des ressources énergétiques avec l’appui des régimes réactionnaires chez qui prospère le fondamentalisme. Le rôle des Etats Unis et même de la France est dénoncé par ATTAC.
Le septième pilier relève du formatage des esprits. La mondialisation est présentée comme inévitable et souhaitable. L’entreprise idéologique est conduite sous l’égide des grands médias, des élites administratives, politiques et parfois syndicales. Elle s’appuie sur la critique du totalitarisme et du populisme (stigmatisation de la politique de Chavez). Elle développe sa légitimité dans l’industrie américaine du cinéma porteur de l’ « american way of life ». Le refus de l’impérialisme culturel et linguistique par la promotion de la diversité des cultures et des langues constitue la réponse à cette offensive.
Ce diagnostic introductif nous permet de mieux cerner le néolibéralisme. (« Manifeste altermondialiste » aux éditions mille et une nuits, janvier 2007, 2,50 euros). Selon Jacques Généreux, « tout cela constituait les bases d’une idéologie que l’on étiqueta souvent comme néolibérale, pour bien la distinguer du libéralisme classique ». Aussi suggère –t-il de baptiser cette nouvelle doctrine « marchéisme » car elle repose d’abord sur le mythe d’une société intégralement constituée par des relations d’échanges entre des atomes humains indépendants. Par ailleurs, le terme néolibéralisme laisse entendre qu’il s’agit d’un nouveau libéralisme, ce qui constitue un véritable contre sens philosophique et historique »… « Or la tournure prise (par les politiques publiques) comme les alliances nouées pour les mettre en œuvre suffisent largement pour les qualifier d’illibérales ou d’anti libérales, comme vous voudrez. Athées néofascistes, fondamentalistes, religieux, ultraconservateurs, « vieux réacs » et « nouveaux réactionnaires » de toutes obédiences se sont retrouvés sans peine aux côtés de nos soi-disant « néolibéraux » pour soutenir des politiques combinant recul des droits sociaux, atteintes aux libertés publiques, réduction des dépenses sociales, inflation des politiques sécuritaires, islamophobie et apartheid communautaire ». Cette alliance entre les tenants de la libre compétition et les prosélytes d’un ordre moral sectaire est bien plus naturelle qu’il n’y paraît. En effet, plus on entend livrer une société à la libre compétition des intérêts privés, plus on doit se préparer à contenir les conflits et la violence par des normes sociales et des institutions répressives. Aussi la révolution culturelle des années 1980 était-elle nécessairement hybride : elle alliait une utopie néolibérale de l’émancipation par le « marchéisme » et une conception réactionnaire de l’ordre social. Elle nécessitait une alliance politique entre les néolibéraux prônant l’extension planétaire du libre-échange marchand à toutes les activités humaines et les conservateurs rétrogrades visant la restauration d’un contrôle social étroit des individus par la famille, la religion, la communauté et la stricte répression des déviants » (Jacques Généreux La grande régression).
Lazzarato Maurizio, dans une critique de « la naissance de la biopolitique » de Michel Foucault (cours au collège de France de 1979 qui fait suite à celui de « Sécurité,territoires, population » en 1977) analyse très finement l’évolution de l’ordo-libéralisme allemand au néolibéralisme à l’aune de la gestion néolibérale de la crise de 2007 et conclu ainsi son article dans la revue raisons politiques (Lazzarato Maurizio, « Naissance de la biopolitique, à la lumière de la crise », Raisons politiques, 2013/4 (N° 52), p. 51-61. DOI : 10.3917/rai.052.0051. URL : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-4-page-51.htm) :
« À la différence de ce qu’énonce l’idéologie libérale, l’intervention n’émane pas de l’État de droit, mais des institutions qui « gouvernent » le capitalisme financier : banques privées, BCE, FMI, ainsi que quelques gouvernements comme le gouvernement allemand qui participent du capitalisme d’État dans les nouvelles conditions qui sont les siennes. Le libéralisme rompt avec la « raison d’État » au nom de la société, nous dit Foucault : « C’est au nom de celle-ci qu’on va chercher à savoir pourquoi il est nécessaire qu’il y ait un gouvernement » et c’est toujours au nom de la société que les libéraux ne se posent plus la question de la raison d’État « comment gouverner le plus possible et au moindre coût ? » , mais plutôt celle-ci : « pourquoi faut-il gouverner ? »
Dans la crise, on voit une toute autre logique à l’ œuvre. Si le marché ne fonctionne pas, si au lieu de déterminer une « rationnelle et juste formation de prix », il crée des déséquilibres qui bloquent la valorisation et conduisent à la crise, la faute en revient à la société. Si le libéralisme a pu mettre autrefois en récit une lutte mythique entre l’État et la « société civile », animée par les propriétaires et les entrepreneurs, cette opération est d’autant plus impossible aujourd’hui que la société est composée de « débiteurs », qu’il faut gouverner à partir des intérêts de « créditeurs ».
Contre toute évidence, contre toute logique, même bêtement « économique », c’est aujourd’hui la société qui doit changer, qui doit se conformer aux marchés, au risque même de se désagréger, au risque même d’imploser comme dans le sud de l’Europe. D’où les contre-réformes du marché de l’emploi, les coupes dans les services sociaux, la diminution et les blocages des salaires, l’augmentation des impôts des plus pauvres et des classes moyennes qui visent, avec un cynisme assumé, la « destruction de la société » si elle ne capitule pas au chantage de la dette. Pour aligner la société et la démocratie sur la valorisation capitaliste, le libéralisme met de côté toute production de « liberté » et n’hésite pas à produire une gouvernementalité autoritaire post-démocratique. »
Cette analyse en rejoint de très nombreuses du même type sur la menace néolibérale. La reconquête de la souveraineté populaire doit être un motif déterminant pour engager le combat de toute la gauche contre toutes les formes de ce néolibéralisme y compris « le social-néolibéralisme » dont nous avons analysé toute la complicité d’avec cette forme autoritaire actuelle du capitalisme financier. C’est à cette condition première, nécessaire et non suffisante cependant, de travail idéologique et politique que l’on pourra se dégager de cette emprise intellectuelle et idéologique du « marchéisme » néoconservateur et sortir des cadres convenus des batailles politiques mortifères (souverainisme identitaire contre élitisme dit progressiste) érigées en adversaires favoris auto-désignés par les protagonistes d’un enfermement de la vie politique dans le « macronisme » et le « lepénisme »!
Quand l’exigence écologique semble plus que jamais d’actualité avec la crise sanitaire qui s’origine dans la combinaison de la mondialisation capitaliste (rapidité de diffusion des maladies avec l’extrême mobilité des hommes) et des déséquilibres des écosystèmes (déforestation et côtoiement de l’habitat humain des animaux sauvages porteurs de virus), le retour des « premiers de corvée », le besoin d’un Etat protecteur et les exigences d’un renouvellement de la démocratie, appellent aussi de nouvelles approches dans l’organisation des modes de productions industrielles, agro-alimentaires et agricoles et dans le type de consommation recherchée. On se mettra d’accord sur une critique du productivisme et sur l’idée d’une nécessaire décroissance de l’utilisation des ressources naturelles avec à l’appui les questionnements actuels autour de l’impact des déséquilibres naturels sur la diffusion du coronavirus.
Quelle peut être alors la reconfiguration politique de la gauche pour une stratégie de sortie par le haut de la crise conjuguée du capitalisme financier et du coranavirus? Certainement pas celle qui inspire un social-libéralisme qui n’est en fait qu’un social-néolibéralisme.
Avec le phénomène « bobos », la nouvelle sociologie politique électorale nourrit les orientations de la boîte à penser du PS Terra Nova qui fait son deuil de l’éloignement des couches populaires au bénéfice d’une recomposition du projet politique et des alliances du PS
Tous ces éléments marquants évoqués pêle-mêle se conjuguent et favorisent la recomposition d’une sociologie politique électorale depuis les années 80 avec la montée de l’extrême droite (élections municipales de 1983 à Dreux) devenue identitaire et populiste avec un pouvoir d’attraction sur les milieux populaires jusqu’alors jamais atteint (score électoral du RN aux dernières élections présidentielles, régionales et européennes) et une érosion majeure des bases sociologiques de l’électorat de gauche s’accompagnant de sa dispersion au détriment du PS et du PC. On ne dira jamais assez combien la déroute idéologique de « la gauche morale » avec ses appels au « partage du travail » qui accompagne une vision économique malthusienne (qui légitime ainsi le fait que le gâteau à partager n’est pas extensif) a pu être un appel d’air pour l’idéologie nationaliste, aujourd’hui souverainisme identitaire, dans son rejet de l’immigration vécue comme une cause de chômage et de perte de pouvoir d’achat pour les dits « nationaux ». « La France aux Français » ce slogan xénophobe et, pour le moins, équivoque – quand il gomme la réalité de la très longue histoire de l’immigration et de l’intégration (sinon de l’assimilation) des populations qui font le cœur de la France – a fait flores (surtout avec la montée d’un fondamentalisme islamique nourri de nos erreurs géostratégiques (guerre(s) du Golfe, intervention finale en Libye, ambiguïté de nos politiques envers le monde arabe). Dans ce simplisme, venu de tous côtés (diplomatie aveugle, idéologie néo-malthusienne, guerre des civilisations, droit à la différence, etc.) l’extrême droite traditionnaliste a pu muter en force prétendument laïque voire républicaine (transfigurant les apparences en réalité). Avec la bonne réception de son message dans une fraction significative de l’opinion populaire (réception qui se vérifie dans des scores électoraux que lui envie la gauche sur les territoires qui étaient les siens) !
Dans le même temps ce phénomène s’accompagne d’un transfert de la droite vers la gauche dans les grandes villes (exemples de ces basculements historiques à Paris et à Lyon), le phénomène « bobos » (bourgeois-bohème et non pas bonapartiste-bolchevick !) constituant ainsi une partie du nouvel électorat d’une gauche ayant conquis les classes supérieures et moyennes mondialisées – ce que nous appelions – nous les affreux bobos stigmatisés dans la seconde définition – dans les années 70 et 80 la Nouvelle petite bourgeoisie (NPB) – en référence à leurs positions sociologiques dans la nouvelle division internationale du travail (NDIT). Electorat fluctuant par ailleurs, pour preuve cet part importante de l’électorat socialiste et écologiste urbain qui, à l’instar de ses dirigeants, a muté du social-libéralisme ou de l’écologisme vers le « macronisme » en toute décomplexions ! Plus encore, le ralliement de très nombreuses personnalités du PS au président Macron traduit la profondeur de cette désertion du socialisme du temps de l’union de la gauche dont il faut déplorer toute l’ampleur. L’exécution du candidat Hamon, au premier tour, par ses pairs (et ses pères) qui avaient pourtant participé aux primaires de la présidentielle et la participation (actuelle et /ou récente) de ministres, autorités parlementaires et membres des cabinets issus du PS ou de l’écologie au gouvernement d’Edouard Philippe révèlent mieux encore que les discours abstraits le pourrissement idéologique et morale du social-libéralisme et le flou de la politique écologiste (à commencer – puisqu’il semble utile d’insister encore – par ces personnalités : l’ancien premier ministre de F.Hollande, l’ancien maire de Lyon un temps ministre de l’Intérieur, l’ancien maire PS de Paris, appui de LRM aux européennes, Hulot, ministre d’Etat démissionnaire, Buzyn, candidate LRM à Paris, transfuge du P.S si j’en crois mes sources, Griveaux, ex-porte-parole du gouvernement Philippe, Cohn-Bendit « conseiller privé » du président – et j’en passe avec les actuels ministres des Armées, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice, et autres secrétaires d’Etat, le précédent puis l’actuel président de l’Assemblée nationale, etc.).
En se gardant de tout schématisme outrancier cette perspective sociologique reste le point d’appui d’une orientation politique social-libérale de la boîte à penser du PS Terra Nova qui fait son deuil de la rupture avec les couches populaires et de la quasi-disparition de l’électorat ouvrier très abstentionniste au bénéfice d’une stratégie électorale visant la recomposition des assises de la gauche, compensant la perte des couches populaires par son attractivité auprès d’un électorat dit bobo ou lili (libérale-libertaire). Cet électorat « bougiste » acquis à la mondialisation libérale dans cet espace régional européen magnifié par l’idée erronée d’une démocratie européenne sous entendant l’existence d’un peuple européen ( théorie du philosophe Habermas), privilégiant l’Europe de Maastricht (et du projet de constitution européenne remisée dans le traité de Lisbonne qui sacralise « la concurrence libre et non faussée » et « les politiques austéritaires ») et, son corollaire, la politique de l’offre au risque tout à fait assumé des délocalisations (mais aussi des investissements directs étrangers sur sol français), des pertes de souveraineté économique dans les secteurs stratégiques et des pertes d’emplois. La mondialisation prend, de fait, largement le pas sur une puissance publique entravée ou impuissante dans la conduite de ses politiques solidaristes (Etat social), industrielles (politique des filières contre celle des créneaux rentables) et keynésiennes (politiques économiques de relance de l’investissement productif et de la consommation des ménages par la combinaison de politiques des revenus, budgétaires, monétaires et fiscales). Sous la présidence Sarkosy, les propositions de la commission Attali (ancien conseiller du président Mitterrand), animée par Macron (plus tard ministre de l’Economie sous la présidence Hollande), illustre, dans ce tête à queue – que nous soulignons malicieusement – ce renversement idéologique qui attend le salut économique de la France dans la déréglementation et le tout marché. Il y a donc fort à faire pour redresser la barre et cela ne date pas d’hier !
Au sein de la dite gauche, le complexe de la séduction et la peur de mécontenter l’opinion publique, cette invention médiatique finissent par édulcorer le noyau dur d’un projet politique fédérateur et populaire combattu par le pôle social-libéral hégémonique qui refuse d’aller à rebrousse-poil de l’idéologie dominante
Revenons à notre sujet principal : celui de l’examen de cette question de la capacité d’action de la gauche dans la fidélité à ses valeurs, son programme et la cohérence de son projet. Elle est souvent portée au pouvoir suprême dans un élan d’enthousiasme populaire (mai 1936, mai 1981) et/ou dans des périodes de guerre ou de crise majeure (Union sacrée, Libération de la France et 4°république, grève de l’hiver 95) mais semble condamnée à des retournements spectaculaires et emblématiques :
venu de la gauche républicaine anticléricale et en dépit de son action réformatrice et sociale, Clémenceau, « premier flic de France » et « briseur de grèves », s’illustre notamment dans la répression des vignerons en 1907 puis, suite aux grèves de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges en 1908, dans celle de la CGT qu’il décapite avant de faire face à l’agitation sociale à son retour à la présidence du Conseil en 1917 et au sortir de la guerre avec « les grandes grèves de 1919″; après lui, Millerand – qui avait rompu avec le socialisme de longue date -, devenu président du Conseil d’un « bloc national » inspiré à l’origine par Clémenceau – réprime avec la plus grande dureté, aux côtés des compagnies des chemins de fer, les grandes grèves des cheminots en 1920; les décrets-lois du radical Dalladier en 1938 signent la mort du Front populaire au prétexte du besoin de réarmement; l’adoption du plan Marshall va de pair avec le départ des ministres communistes sous le gouvernement socialiste de Ramadier; la parenthèse libérale en 83 sous Mauroy et retour à la politique de l’offre en 84 sous Fabius, amplifiée sous Chirac, Rocard, Cresson, Bérégovoy et Balladur durant les septennats de F. Mitterrand; le choix du grand marché européen dès l’acte unique, le Traité de Maastricht ratifié en 1992; la participation de la France à la première guerre du Golfe en 1991; les privatisations et la mise à mal de l’indivisibilité de la république avec la question Corse sous Jospin de 1997 à 2002; l’affaire Arcelor-Mittal; la politique « austéritaire » en Europe (dans la logique du soutien au TCE, du vote du traité de Lisbonne), avec l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’union économique et monétaire (TSCG) et la position française sur la question de la Grèce; la loi El Khomri, le projet de perte de la nationalité sous le quinquennat du président Hollande.
Cette énumération fastidieuse illustre cette impuissance à tenir bon sur l’essentiel, ce que d’aucuns n’hésitent pas à considérer comme tare congénitale de la social-démocratie. On taira ici les lieux communs autour de la politique, et donc de la relation au pouvoir, faisant potentiellement des vainqueurs des renégats potentiels usurpant le pouvoir par la démagogie et condamnés à trahir le message furtif d’une élection. Cependant, « les faits sont têtus! »
Pour preuve de ces retournements, « le socialisme à la Française » porté par le candidat de l’union de la gauche en 1981 se soldant par la parenthèse libérale dès 1983 (selon Mauroy il s’agissait de la parenthèse de la rigueur), en constitue un exemple fort. Il trouve son équivalent à droite dans le discours du candidat Chirac en 1995 autour de la condamnation de la fracture sociale et de la pensée unique pour conduire ipso facto, sous la houlette de son premier ministre Alain Juppé, une politique d’orthodoxie néolibérale qui jette durant l’hiver 95 les Français dans la grève directe ou par procuration contre les mesures libérales adoptées en contre sens total avec le discours électoral.
A contrario, malgré les scandales (dont on l’accable trop facilement dans les pages d’histoire enseignée aux élèves du secondaire) et une vision souvent colonialiste du rayonnement de la France (avec des oppositions notoires de politique étrangère et sur les questions coloniales au sein des républicains), les politiques républicaines, radical-socialistes et socialistes de la III° République à qui l’on doit les grandes lois sur l’Instruction publique, les libertés publiques, de séparation de l’Eglise et de l’Etat, de législation du travail et de solidarité sociale par la justice fiscale, démontrent l’efficacité d’un projet politique porté par des courants de pensée capables d’une implantation locale et d’une représentativité nationale durable. Puis, sous la IV° République l’œuvre des forces du tripartisme détaillée plus avant dans cet article, et enfin, celle d’un Mendès-France, ce radical-socialiste empreint de courage et de lucidité qui connut avec Blum les prisons de Vichy, contrebalancent la désastreuse politique algérienne d’un Guy Mollet, président du conseil en 56 . Lequel avait au nom de son marxisme orthodoxe pris le pouvoir à la tête de la SFIO au « congrès de redressement doctrinal » de 1946 dans une opposition au chef de la résistance socialiste, Daniel Mayer.
- Du complexe de la séduction à la fascination pour le marché
La gauche actuelle, malgré ses résolutions affichées et en raison de ses arrière-pensées inavouées, reste dans des postures équivoques quant à l’appréciation de la meilleure stratégie à adopter pour gouverner efficacement. Quelle est vraiment son ambition? Balancée entre ses pôles républicains et communistes d’un côté, écolos et sociaux-libéraux de l’autre, avec parfois des mélanges de genre et des consensus de façade dictés par des connivences d’intérêts, elle peine à suivre un cap cohérent et alternatif pour finir par incliner vers la facilité, poussée par ce complexe de la séduction, reprenant les rengaines des sirènes social-libérales et libéral-libertaires. La peur de mécontenter l’opinion publique, cette invention médiatique, finit par entamer le noyau dur du projet (le parti et les électeurs sympathisants se prennent par la gauche) jugé finalement déraisonnable dans une dynamique politique analysée dans ce texte. Ceci au nom des contraintes externes, de la soutenabilité de la dette, des engagements européens, de l’équilibre budgétaire, de l’équilibre des comptes sociaux, de la diplomatie, du « réalisme économique », des intérêts des grandes firmes sur sol français, de la compétitivité des entreprises, du niveau « excessif » des prélèvements sociaux, du risque de tomber dans une politique d’assistanat avec « la trappe à inactivité », de l’endettement « excessif » de la France qui fait porter ce poids sur les générations futures, etc..
Ces raisons conduisent en 1983 vers la politique de l’offre et en 1986 l’Acte unique et le grand marché en lieu et place de la rupture avec le capitalisme et du triptyque nationalisations/ planification/ autogestion ; en 1997 vers la poursuite des privatisations largement engagées sous la première cohabitation et la partition de la république en Corse. Et que penser des mesures phares de type 35 heures qui semblèrent plutôt répondre aux attentes des nouvelles couches moyennes qu’à celles des travailleurs surtout désireux d’augmenter leur pouvoir d’achat ? Et plus avant des lois Auroux (préparées par Martine Aubry dans le cabinet Auroux sous la présidence Mitterrand) de promotion des droits des travailleurs dans toute leur ambivalence en prônant la négociation dans l’entreprise, certes nécessaire mais préférée à la réglementation, au risque de fragiliser l’ordre public social et anticipant sur la loi El Khomri (présidence Hollande) et la loi travail (présidence Macron) donnant plus que leur place aux accords d’entreprises, ceux-ci prenant à présent le pas sur les accords de branches dans des domaines jadis verrouillés par le socle du droit du travail.
Cadenassée par des traités adoptés avec un passage en force, la gauche social-libérale incline à suivre la pente naturelle de l’abandon des souverainetés (populaires, nationales, énergétiques, industrielles, alimentaires, diplomatiques, militaires, etc.) et de l’exception française au bénéfice d’un irénisme consumériste, mondialiste, globaliste et bougiste qui semble satisfaire pleinement l’idéologie lili (libérale-libertaire) et conduit à décliner en tous points la perspective thatchérienne du TINA (Il n’y a pas d’alternative), sur le plan économique et ses conséquences sociales, avec néanmoins une différenciation très nette, comme nous le verrons plus en détail, dans le domaine sociétal d’avec les néo-conservateurs.
Les « bourgeois-bohème » épousent la critique artiste du capitalisme pour le changer de l’intérieur en érigeant les droits (de l’homme) contre la loi et en faisant du Marché le moyen méthodologique de réaliser l’optimum économique. On les oppose ainsi aux « bonapartistes-bolchévik » comme on le sait centralisateurs, autoritaires et égalitaristes! Le choix politique LILIputien autorise le libre épanouissement des fantasmes des gentils BOBOS, ceux qui sont en prise avec la réalité de notre époque, ces branchés qui vouent une admiration mal dissimulée au veau d’or du Marché symétrique à leur détestation de cette France archaïque aux odeurs de moisie qui croit encore à son récit national, à ses usines, à ses ouvriers, à ses campagnes, à ses paysans et à son peuple et propage une idéologie socialisante et républicaine à contre-courant des vents dominants. Les bobos ne parviennent quand même pas à éradiquer totalement ce souffle nauséabond du cœur de la France qui n’inspire plus qu’à moitié cette gauche défaite idéologiquement. On reconnaîtra dans le choix de notre vocabulaire les marques de nos intellectuels LILIputiens : les BHL et autres nouveaux philosophes qui dénonçaient jadis, en début de septennat mitterrandien, « la bêtise » du socialisme français.
- De l’union de la gauche à la gauche plurielle et à la présidence Hollande : un rétropédalage
Les bilans des deux septennats de F.Mitterrand (on peut oser après Jospin le fameux « droit d’inventaire » !) et celui de la gauche plurielle, en période de cohabitation, sont controversés : succès en demi-teinte (les libertés, la décentralisation, la justice, le social, encore que sur ce dernier point on pourrait contester l’efficience des mesures dans la réalité concrètes du mode de vie des couches paupérisées…) et échecs (chômage, désindustrialisation, privatisations…) avec en point d’orgue cette élimination au soir du premier tour de la présidentielle de 2002 du candidat Jospin. « Mon projet n’est pas socialiste » clamait à cor et à cri le candidat en campagne. « C’est un beau jour pour la gauche » (ou un grand soir) devait rappeler une Danièle Mitterrand venue saluer avec son plus beau sourire et dans la discrétion le démissionnaire de la vie politique complètement abasourdi par les propos privés de la veuve du président qui, voyant sans doute beaucoup plus loin, avait parfaitement saisi l’ambivalence de la situation dans cette estocade finale!
La présidence de F.Hollande est entamée par ce très médiatique baiser volé, à l’occasion de « ce moment » d’effusion des soirs de victoire électorale, et illustre la drôle de façon de communiquer en toute transparence de ce président normal brisant à tort tous les tabous au risque de confusion des genres entre vie privée et publique. Le bilan de ce quinquennat reste plutôt sobre pour ne pas dire sombre (du moins si l’on avait pris au sérieux son slogan de campagne « mon ennemi c’est la finance » !) avec quelques grands moments emblématiques de contestation par les siens : abandon et retournement dans l’affaire Arcelor-Mittal de Florange, inscription dans le marbre du pacte budgétaire européen, ce traité des règles de « l’Europe austéritaire », adoption par le 49-3 de la loi El Khomri, une gestion sécuritaire face aux attentats terroristes mais avec cette terrible faute de la proposition de perte de la nationalité pour les terroristes bi-nationaux.
Et le point d’orgue avec cette déroute électorale du candidat socialiste au premier tour de la présidentielle (6% des suffrages) et le ralliement de très nombreuses personnalités de la gauche (souvent dès le premier tour) au président Macron et à la politique de son gouvernement (parfois la veille de leur entrée au gouvernement) qui exacerbe les couches populaires et moyennes (mouvement des gilets jaunes) et les syndicats (loi travail, réforme de l’assurance-chômage, réforme des retraites). Le même Macron issu du PS qui fut à l’Elysée avant d’être ministre de l’Economie sous Valls et avec lequel il géra comme on le sait l’affaire Florange, la loi El Khomri pour finir par partir avec brio dans une campagne électorale engagée avant même sa démission du gouvernement. Hollande devait préciser avec amertume « il m’a trahi avec méthode !»
La présidence « Hollande » est « moins une anomalie que l’échec définitif des tentatives de concilier la base sociale de la gauche et la modernisation du modèle français. Ce projet se prolonge désormais par la tentative d’édifier un bloc bourgeois fondé sur la poursuite des réformes structurelles destinées à dépasser le clivage droite/gauche par une nouvelle alliance entre classes moyennes et supérieures. L’émergence, en réaction, d’un pôle souverainiste coexiste avec les tentatives de reconstruire les alliances de droite et de gauche dans un paysage politique fragmenté ». Cette synthèse extraite de la 4° de couverture de l’ouvrage de Bruno Aimable et Stefano Palombarini, « L’illusion du bloc bourgeois », édité début 2017, anticipait formidablement l’interrogation sur « l’avenir du modèle français » dépendant « de l’issue d’une crise politique qui n’est donc pas liée à des querelles d’appareils et encore moins de personnes, mais à la difficulté de former un nouveau bloc dominant ».
Trois an plus tard, le « macronisme », ce bloc bourgeois illusoire et élitiste en pleine tornade dont nous parlions dans notre introduction, a révélé toutes ses faiblesses et fragilités. Reprenons à cet égard les développements d’Emmanuel Roux dans « La cité évanouie – Au-delà du progressisme et du populisme ». L’auteur évoque les grands moments machiavéliens de la présidence Macron. Acte 1 : la fortune accompagne le candidat dans la débâcle de la gauche et de la droite, l’utilisation de l’Ancien monde fait advenir le Nouveau, la politique des apparences, en début de quinquennat réussit à bluffer l’opinion. Acte 2 : « la verticalité jupitérienne sait tout, décide de tout. Et d’abord, du sort des riches, ces premiers de cordée qui doivent nous emmener vers les sommets ». Acte 3 : « le dévissage du premier de cordée ». L’analyse de Roux s’arrête à l’été 2019. et l’anticipation n’en est que plus saisissante sur la gestion de crise du Covid-19, Acte 4, qui agit, selon nous, comme un révélateur de toutes les contradictions et de l’épuisement du néolibéralisme comme boussole du « macronisme ».
Remontons plus avant dans l’histoire et penons pour mémoire cette formidable réussite sociale emblématique du Front populaire, - cette « révolution manquée » selon l’analyse contestable du regretté militant libertaire Daniel Guérin qui accompagnait l’aile gauche pivertiste (du nom du militant Marceau Pivert) de la SFIO à l’époque -, articulant exercice du pouvoir et mobilisation populaire pour la conquête des droits aux congés payés et plus largement des accords de Matignon avant le tragique épilogue lié à la situation internationale, la manif sanglante de Clichy du 16 mars 1937 au cours de laquelle le ministre de l’Intérieur « socialiste » Marx Dormoy fit tirer sur son aile gauche causant cinq morts et de nombreux blessés, les décrets-lois Daladier remettant en question les acquis sur le temps de travail et avec la décrue sociale, la scission à l’intérieur de la SFIO et, enfin, la marche à la guerre.
- La gauche impuissante face au mur de l’argent
Des analyses fines et étayées avaient tiré des enseignements monétaires sur la gestion de Léon Blum indépendamment des questions internationales (diplomatie officielle de non intervention en Espagne avec néanmoins un timide soutien logistique, accords de Munich auxquels Léon Blum était opposé contre une partie de la SFIO) et politiques (le mouvement des néo-socialistes et plus largement des pacifistes socialistes et communistes face à la puissance menaçante du national-socialisme).
Parmi ces enseignements, la nécessité d’une forte dévaluation monétaire, dès la prise du pouvoir, s’imposait pour beaucoup d’économistes socialistes dans la préparation de l’alternance au sein du parti d’Epinay.
Pour autant ces débats qui restaient bien concrets dans l’approche du SME avec la critique du CERES sur l’arrimage du franc au mark, et plus largement dans la logique du projet socialiste pour la France adopté en 1980, ne donnèrent pas l’avantage à cette option quand le gouvernement Mauroy se refusait à dévaluer contre toute attente dans un temps de phénoménale spéculation contre notre devise et ce dès les heures qui suivirent l’élection de F Mitterrand et qui continua avec son installation à l’Elysée le 21 mai et la nomination de son premier ministre résolu à ne rien faire. Plus tard, quand les signes d’une dégradation inéluctable de notre balance des paiements liée aux déficits de notre commerce extérieur – les Allemands raflant le bénéfice de la croissance française du fait de l’augmentation du pouvoir d’achat (SMIC et prestations sociales) des couches populaires se tournant vers l’achat des produits étrangers (allemands) concurrentiels-, la question fut remise sur le tapis avec l’épilogue que l’on connaît et donc le maintien dans le SME (signe précurseur de l’option ultérieure favorable à l’Union européenne du grand marché et à sa monnaie unique dans la décennie suivante) avec une politique du franc fort souhaitée par Jacques Delors qui devait prôner très vite une pause sociale à l’automne 81. Loin des 110 propositions de F.Mitterrand, propositions sensées s’inscrire dans la perspective du projet socialiste pour la France !
Autre exemple : celui des nationalisations de 1981 conçues après bien des discussions (durant la période d’actualisation du programme commun en 1977 et puis avant les arbitrages favorables à des nationalisations franches malgré l’opposition farouche de Rocard et Delors au sein du gouvernement pendant l’été 81) comme outil au service de la promotion d’une politique industrielle par filière rompant avec la stratégie giscardienne des créneaux rentables dans la NDIT. Dans les faits, le tournant de 83, (expliquant la démission du ministre de l’Industrie et de la recherche Jean-Pierre Chevènement principal inspirateur de l’écriture du projet socialiste pour la France) et l’accession de Laurent Fabius à Matignon l’année suivante devaient solder cette ambition à peine ébauchée.
Le changement de paradigme s’accomplit donc dans la foulée de la dite parenthèse de la rigueur (mais en fait libérale et jamais refermée depuis 1983 !) au profit du grand marché européen avec l’acte unique adopté en 1986 devenu le choix décomplexé des socialistes et annonçant l’irréversible changement de cap : « la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». Avec cet effondrement concomitant du tissu industriel de la France dénoncé plus tard dans le rapport Gallois commandé par François Hollande au début de son quinquennat, fruit de la liquidation de pans entiers de notre industrie au prétexte de sa modernisation, et la logique d’une libéralisation des marchés des entreprises et des mouvements de capitaux sous l’égide de la commission en Europe et de l’OMC à l’échelle mondiale.
Toutes ces logiques emportent ainsi les services publics dans une frénésie de démantèlements et de privatisations dans les secteurs des communications et des transports, pour ne citer que les principaux parmi bien d’autres, et « le nouveau management public » conduit au phénomène des suicides chez les cadres d’Orange ou à la désespérance des soignants provoquée par la gestion hospitalière de directeurs d’hôpital-entreprise aux ordres des ARS dans une gouvernance privilégiant l’exhaustivité des recettes liées à la T2A sur les missions plus traditionnelles en voie de diminution, sinon de marginalisation, dans l’ensemble des recettes hospitalières. Avec cette orientation managériale débile de gestionnaires tout puissant privant les soignants de leurs prérogatives.
La crise liée au coronavirus témoigne ainsi de la nécessité de revenir aux fondamentaux de la république sociale dans les champs sanitaires et sociaux. Elle invite donc à une rétrospection historique critique du bilan de la gauche dans une visée projective pour sortir résolument du néolibéralisme
Revenons un peu sur cette gauche, objet volatil non identifié capable, le plus souvent, du meilleure dans une dynamique d’unité populaire mais trahissant aussi, dans un climat de repli sur soi, les bases même de sa légitimité. Les tropismes du PS ont été largement développés précédemment mais on ne saurait trop conseiller l’examen plus minutieux de son histoire et de ses contradictions historiques en sortant du contre sens sur une social-démocratie qui serait par nature portée à la trahison.
- L’examen des spécificités historiques du socialisme français
La social-démocratie a longtemps incarné cette promesse d’une redistribution des richesses dans une démocratie où les forces du travail participent à la gestion économique et sociale du pays. Il est vrai que les spécificités françaises du mouvement ouvrier avec d’une part l’indépendance syndicale vis-à-vis du politique posée dans la charte d’Amiens en 1906, dans le prolongement de la tradition anarcho-syndicaliste et le développement de la CGT sur ces bases, la pratique guesdiste d’autre part refusant « le ministérialisme » prôné par un Jaurès socialiste républicain (la controverse nationale et internationale sur la participation du socialiste Millerand, au « gouvernement de défense républicaine »), ont freiné toute intégration de la classe ouvrière dans la nation jusqu’en 1914. Le retournement de Jules Guesde du fait de l’échec de la 2° internationale dans son combat pour « l’unité du prolétariat international » contre la guerre et l’entrée au gouvernement d’Union sacrée de ministres et collaborateurs de cabinet issus de la SFIO (Guesde, Albert Thomas, Marcel Sembat, Léon Blum), ou d’un socialisme indépendant (Viviani, Millerand, futur président du conseil en 1920 et président de la République en septembre de la même année, ayant déjà rallié la droite avant sa participation au gouvernement de Viviani d’août 1914 à octobre 1915), ont changé la donne. Mais l’expérience de l’Union sacrée reste paradoxale. Elle tend à modifier les relations du mouvement ouvrier et de l’Etat. Jaurès, tenant de « l’évolutionnisme révolutionnaire » avait déjà analysé et souligné les contradictions d’un Etat exprimant « les rapports de classes » et marqué par l’empreinte des conquêtes sociales et démocratiques (législations industrielles de l’époque, instruction publique, laïcité et libertés publiques héritées des réformes républicaines). Mais la CGTU campera longtemps dans une opposition aux lois sociales (retraites ouvrières notamment) suivant en cela la tradition anarcho-syndicaliste jusqu’à la réunification de la CGT en 1936. La SFIC devait par ailleurs sa naissance en décembre 1920 au congrès de Tours à la faillite de la 2° internationale et aux protestations du monde du travail attisées par la répression de ses grèves par un Clémenceau, président du Conseil depuis 1917. Avec cette condition d’adhésion à la 3° Internationale subordonnant l’action syndicale au parti d’avant-garde.
- La drôle de trajectoire du courant communiste en France
Les limites d’une lecture léniniste de la social-démocratie viennent paradoxalement de l’analyse minutieuse de la trajectoire du courant communiste en France. Notons au passage cette dénonciation de l’impérialisme qui va de pair avec l’idée d’une aristocratie ouvrière dans les pays capitalistes du centre, aristocratie qui, bénéficiant des miettes des profits liés à l’exploitation des peuples de « la périphérie », constituerait une base populaire pour une social-démocratie des pays du « centre », au cœur du capitalisme, impliquée dans l’exploitation coloniale. Nous avons écarté ici cette dimension qui interrogerait les politiques coloniales ou néocoloniales des gouvernements de défense républicaine et du bloc républicain (fin XIX° et début XX°), puis, (sans omettre de rendre justice à la virulente opposition de Jaurès aux politiques colonialistes précédant et expliquant le première guerre mondiale) des socialistes sous la IV° République (Indochine, Algérie, Canal de Suez, etc.), les premiers communistes s’étant illustrés dès les années vingt par leur engagement internationalistes (les secteurs de la jeunesse notamment contre l’occupation de la Ruhr, l’Affaire du Rif au Maroc) avant de soutenir, par nécessité d’alliance, des politiques ambiguës (en 46 vote des crédits militaires pour le corps expéditionnaire en Indochine avant le changement de position deux mois plus tard, vote des pouvoirs spéciaux en Algérie cette année 56 remplies d’épreuves avec le XX° congrès du PCUS, le rapport secret de Khrouchtchev, le bouleversement de Varsovie et la tragédie de Budapest! ) dénoncées plus tard avec des ruptures d’alliances dans un contexte de tensions internationales très marquées entre Est et Ouest. Le PCF aurait, il est vrai, bien des comptes à rendre sur ses postures historiques vis à vis de l’hégémonisme soviétique du temps de la guerre froide, voire même de la détente, en distinguant d’ailleurs les problématiques de l’interventionnisme soviétique dans les pays satellites de « souveraineté limitée » de celles liées à l’expansionnisme de l’URSS (avec toutes les ambiguïtés de ses interventions dans d’autres régions). Le tout dans des réalités objectives plus complexes que les principes abstraits et avec des positions mouvantes dans ses réactions alternées d’allégeance (Hongrie et Tchécoslovaquie en 56) et d’indépendance (timide dénonciation de l’intervention soviétique à Prague en 68, affirmation d’une voie française du « Socialisme aux couleurs de la France » au 22° congrès du PCF). On n’a pas encore tiré au clair la position de Marchais dans la période de renégociation du programme commun quand ses postures prosoviétiques en politique étrangère, sous l’influence et le double jeu de Jean Kanapa (soutien des soviétiques en Afghanistan pour donner le change), allaient à contre-courant de sa stratégie unitaire du 22° congrès à laquelle on peut penser qu’il tenait avant tout (dans cette contradiction difficilement surmontable : Brejnev préférant Giscard à Mitterrand). Mais après tout, au-delà des contradictions personnelles (Leroy n’était-il pas mieux à même de diriger un PCF en toute autonomie du fait de sa biographie et de ses capacités remarquables quand un Marchais, phagocyté par sa trajectoire personnelle équivoque, devait infléchir ses positions internationales pour préserver l’essentiel?) l’histoire qui s’est écrite ne peut-elle justifier partiellement certaines positions à l’époque qualifiées de sectaires par anticommunisme trop viscéral ? Ces éléments n’ont plus, de fait, d’autre intérêt qu’historique avec le renouvellement profond du parti lié aux départs ou disparitions de nombre de ses militants historiques et/ou intellectuels de grande valeur, sa perte d’influence électorale et sa crise d’identité avec l’abandon de fait de la référence léniniste au profit d’une conception jaurésienne d’un évolutionnisme révolutionnaire.
Pour revenir à la portée réelle de la critique léniniste de la social-démocratie, ne convient-il pas de s’interroger sur l’histoire propre du PCF? Le PC n’a-t- il pas été lui-même confronté à des lignes contradictoires dans une longue et difficile recherche de conciliation entre pureté révolutionnaire et efficacité politique ? Les leçons d’échec de la stratégie initiale « classe contre classe » avec la tactique du Front unique à la base – après la période de bolchévisation purgeant le parti de ces éléments droitiers ( L.Froissard) puis gauchistes ( le groupe Barbé-Celor, Treint, Semard, Dunois et consorts) – semblent avoir été tirées par un Maurice Thorez qui sut adapter avec plus de succès que ses prédécesseurs les lignes de l’Internationale au contexte de la France.
- L’heureuse et précoce conversion du PCF au réformisme révolutionnaire ou « l’impensé communiste »
Avec la stratégie du Front populaire dès 1934, puis celle de la participation au gouvernement du général de Gaulle et des débuts de la IV° République (tripartisme socialistes-communistes-chrétiens démocrates), le PC fait l’expérience heureuse de l’unité populaire. Il prône même une certaine modération dans le contenu des réformes (refus des nationalisations par le PC) et ne participe pas aux gouvernements de Front populaire de 36 et 37 qu’il soutient au parlement (quand la CGT impose au patronat les accords Matignon suite aux occupations pacifiques des usines). Il accomplit son grand œuvre plus qu’à la Libération, dans le train des nationalisations voulues surtout par le général de Gaulle, au sein des premiers gouvernements de la IV°. Ceux de Gouin, Bidault et de Ramadier (jusqu’en mai 47 du fait de la dénonciation du plan Marshall, cette arme économique des Etats-Unis visant à développer le mode de vie américain en Europe, avec les débouchés qui vont avec pour le capitalisme américain) notamment sous l’empire d’une nouvelle constitution (adoptée par le PCF, il est vrai sans enthousiasme) dont le préambule consacre les droits économiques et sociaux, préambule intégrant le bloc de constitutionnalité (jurisprudence du conseil constitutionnel) et inspirant des principes généraux du droit particulièrement nécessaires à notre temps (jurisprudence du Conseil d’Etat).
Avec le statut de la fonction publique (Maurice Thorez), le statut des travailleurs des entreprises nationales du secteur de l’énergie notamment (Marcel Paul à l’Energie), la création de la sécurité sociale (Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la sécurité sociale), la conjonction de ces réformes appuyées par une CGT réunifiée change la donne en introduisant des éléments fondamentaux « d’un mode de production communiste », stratégie s’imposant dans une pratique de lutte des classes mais théorisée récemment par le sociologue du travail Bernard Friot dans des remarquables développements qu’il faut explorer en profondeur autour de cet « impensé communiste » ( « Emanciper le travail », « Le travail, enjeu des retraites », « Vaincre Macron ! »). Ainsi avec l’existence d’un statut protecteur dans la fonction publique et les entreprises nationales, les travailleurs vont jouir « d’un salaire à vie » (traitement ou salaire puis retraite) et d’une sécurité professionnelle avec la reconnaissance de la qualification attachée à la personne (et non à l’emploi) permettant une véritable promotion sociale avec une évolution de la rémunération liée à l’ancienneté et à la progression de carrière. Cette perspective s’étend grâce aux conventions collectives et à leurs grilles de qualifications et de rémunérations dans d’autres secteurs (les arrêtés de salaire Parodi de 1945-46, du nom du ministre du travail, ami personnel de Pierre Laroque, ce grand inspirateur de la sécurité sociale, qui fut le collaborateur des ministres Parodi et Ambroise Croizat).
- La grande conquête révolutionnaire de la sécurité sociale
Avec la sécurité sociale et sa branche retraite (« vieillesse »), c’est aussi pour les salariés du régime général le droit à « un salaire continué » à la retraite. Nous suivons complètement Bernard Friot qui explique que le régime par répartition doit être défendu sur ces positions de classe (il ne suffit pas de défendre le régime par répartition contre celui par capitalisation) qui font de la retraite non pas « un salaire différé » assuré par les cotisations prélevées (le slogan « j’ai cotisé, j’ai droit ») mais « un salaire continué » (et donc à vie), la conquête « du salaire à vie » pour tous devant devenir le mot d’ordre. L’idée de la solidarité intergénérationnelle reste ambivalente quand elle reflète « une perspective capitaliste de la répartition » des actifs vers les inactifs, solidarité conçue plus largement comme une redistribution des plus riches vers les plus pauvres avec les minima sociaux, le RMI puis le RSA. Même sous sa forme néolibérale, le capitalisme a besoin de contenir et de limiter l’ampleur des fractures sociales en assurant et finançant une cohésion minimale de la société (le compromis n’est plus celui du temps du fordisme mais, même moins contraignant, il demeure cependant) avec un revenu minimum d’existence, filet de protection élémentaire, surtout s’il entend déréguler davantage en revenant sur l’institution même du salariat (d’où la critique de la forte ambivalence de l’idée du revenu universel – ou d’existence – mesure phare de Benoît Hamon dans la campagne de 2017), l’invention de la CSG (sous Rocard) accompagnant la diminution de la part des cotisations assises sur les salaires dans le financement de la sécurité sociale, elle-même en voie d’étatisation avec les ordonnances Juppé de 1996 (que ne reniera pas Jospin en 97) qui reviennent aussi sur l’élection des administrateurs, après cette première brèche considérable dans la gestion de la sécurité sociale par les travailleurs, avec l’institution du paritarisme par le ministre Jeanneney en 1967. Malgré ces tentatives de déconstruction de cette « institution de la démocratie » dans une pente gestionnaire (« La sécurité sociale Une institution de la démocratie » par Colette Bec Gallimard 2014), l’institution résiste grâce à sa force propulsive toujours en action depuis sa (re)fondation législative par le ministre Ambroise Croizat (il existait un système d’assurances sociales mais le conseil national de la Résistance avait consacré un article pour « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils seront incapables de se les procurer par le travail »). La construction matérielle de « la sécurité sociale » s’opère avec la CGT qui implante alors les caisses partout en France en 1946 après les lois des 22 mai, 22 août et 13 septembre qui font suite à l’ordonnance du 4 octobre 1945, « pierre angulaire du nouveau système » qui avait fixé le cadre et les principes fondateurs de « l’organisation de la sécurité sociale » reposant sur un réseau de caisses à compétence générale et dont la gestion est confiée aux intéressés dans « une démocratie sociale ».
Aujourd’hui, grâce à l’action des ministres communistes de 1946 et des conquis d’un mouvement syndical offensif d’une CGT unie (mais à la veille de son nouvel éclatement en 47) sous influence communiste, un travailleur sur trois (soit 17 millions de plus de 18 ans) détient une qualification attachée à sa personne et le droit à un salaire à vie : fonctionnaires des trois fonctions publiques, salariés des entreprises sous statut protecteur, salariés des secteurs de la métallurgie, chimie et de la banque couverts par des conventions collectives de branches favorables auxquels on devrait rajouter, comme nous allons le voir, les professionnels de santé libéraux et fonctionnaires . Selon les calculs présentés par le sociologue Bernard Friot, sur 327 milliards de pensions versées en 2016, la part du « salaire continué » représenterait 35,10% pour le régime général s’inspirant du système de référence (malgré le recul de la réforme de Simone Veil) 22,14% pour les fonctionnaires, 4,96% pour les salariés sous statut, 2,51% pour les salariés agricoles et 8,35% de cette masse pour les indépendants. A contrario, le régime AGIRC-ARCCO et IRCANTEC verse respectivement 26,76% et 0,87% de cette masse sous forme de « revenu différé » quand les professions libérales en reçoivent 2,31%.
Avec la branche santé (« maladie »), le secteur de la santé est socialisé. Le développement hospitalier révolutionne le soin (l’après-deuxième guerre marque le tournant hospitalier en terme de réussite sanitaire, précédant la création des CHU) et accompagne la déconfessionnalisation déjà en cours des professions soignantes et leur professionnalisation jusque dans les hôpitaux psychiatriques où des infirmiers vont définitivement remplacer les « garde-fous » et les pratiques issues du système asilaire. Les libéraux, infirmiers, paramédicaux et médecins rémunérés selon la nomenclature des actes, les professionnels de santé sont ainsi assurés d’une rémunération équivalente sur tout le territoire ( à travail égal s’entend pour les libéraux, ce qui ne saurait manquer de poser la question des spécificités territoriales – les déserts médicaux – d’une part, du niveau de la rémunération des hospitaliers, d’autre part quand les soignants en France seraient les plus mal payés d’Europe aujourd’hui), les assurés sociaux bénéficiant d’un remboursement des soins en grande partie par les organismes de sécurité sociale. Les principes d’unité (des prestations), d’universalité (au bénéfice de l’ensemble des travailleurs) et d’unicité (par un organisme commun) affichés dans l’ordonnance de 1945, ne s’appliqueront cependant pas dans leur intégralité avec, notamment, cet éclatement des régimes et des caisses s’expliquant par l’histoire des conquêtes sociales et les particularismes des professions. Et le maintien de la mutualité dans le dispositif à sa demande et sous sa pression (il y a encore des « restes à charge » et des « complémentaires santé » pour les rembourser devenues obligatoires pour l’affiliation de tous les salariés sous Hollande après la création de la CMU sous Jospin). En 1946, les représentants des travailleurs gagnent le combat pour la création des caisses et leur gestion. Ils contrôlent ainsi un budget social supérieur à celui de l’Etat et ce, jusqu’en 1967, époque de remise en cause par les ordonnances Jeanneney de cette gestion ouvrière avec l’institution du paritarisme. En matière de retraite on peut considérer que jusqu’en 1993, la logique initiale de la sécurité sociale l’emporte avec la prise en compte, pour le régime général des dix meilleures années de carrière, limitant l’écart entre le montant des pensions et celui des salaires. La réforme de Simone Weil constitue ainsi un véritable recul pour les femmes exposées à une discontinuité de travail dans l’accomplissement des charges parentales en changeant les références des périodes travaillées portées aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul du montant de la pension !
D’un point de vue plus large, la confrontation entre deux logiques, analysée finement par Colette Bec dans son livre « la sécurité sociale Une institution de la démocratie », celle d’une sécurité sociale comme « institution de la démocratie » et celle d’une « logique gestionnaire » axée sur les économies renvoie à deux visions politiques opposées. La logique gestionnaire pousse à revenir sur les acquis ou du moins à en grignoter significativement la portée avec la réforme de Simone Weil, le développement des « restes à charge », les réformes des retraites Fillon et Sarkozy en 2004 et 2010 – avec un réaménagement plus favorable par Hollande pour ceux qui ont travaillé jeune – et le projet de retraite à points conçu sur le modèle de la complémentaire AGIRC-ARCCO (le salaire différé et non continué, le « j’ai cotisé, j’ai droit »). Ce dernier projet est finalement suspendu par son inspirateur Macron après ce puissant mouvement social qui avait permis de le délégitimer. Cela dans une conjoncture de crise sanitaire favorisant les critiques aiguës quant à l’impact des précédentes réformes hospitalières (dénoncées dans une mobilisation de longue durée de plus d’un an des urgentistes et hospitaliers du fait du manque de moyens en places et lits, en personnel médicaux et non médicaux, en terme aussi de rémunération et d’attractivité, d’organisation hospitalière, d’aménagement et d’équipement des territoires de santé, etc.), réformes s’accompagnant de notre dramatique perte de souveraineté sanitaire (délocalisations des industries du médicament et des matériels médicaux en Chine et en Inde, arrêt des recherches sur le coronavirus, suppression de l’EPRUS fondu dans Santé-France).
Cette dérive gestionnaire néolibérale ne permet cependant pas, malgré tous ses efforts en ce sens, de gommer l’acquis de « cette révolution de 1946 » liée à la connivence des réformes : création du statut de la fonction publique, statut de la FP d’Etat, hospitalière et des collectivités locales rénové par Anicet Le Pors, ministre de la fonction publique et des réformes administrative sous le gouvernement Mauroy ; statut des travailleurs des entreprises nationales EDF-GDF-SNCF et développement des conventions collectives de branches ; mode de rémunération des professionnels de santé avec une nomenclature des actes professionnels remboursables aux assurés sociaux. Ce système permet à plus d’un travailleur sur trois en 2020 de bénéficier d’un « salaire à vie » (traitement ou salaire puis retraite) et d’une garantie d’emploi, ce qui constitue le socle de ce « déjà là communiste » susceptible d’inspirer des perspectives d’élargissement en reprenant l’offensive idéologique et politique sur ces questions après la belle résistance populaire à la réforme des retraites. « Ce déjà là » sur les principes qu’il faut préserver et étendre, ne saurait dispenser de se battre aussi sur la question du niveau des rémunérations des salaires, traitements et pensions sur des bases d’une digne reconnaissance du travail avec, selon nous, un principe de limitation des écarts de revenus (base de réflexion autour d’une élasticité de 1 à 4 incluant l’impact de la justice fiscale).
Ces développements autour des conquis sociaux rencontre le mouvement actuel d’exigence d’un renouveau des services publics à commencer par l’hôpital dont les soignants, ces « premiers de tranchées », méritent mieux qu’une relégation dans ce nouveau management public qui vise à détruire les fondements de l’Etat social au service d’une sécurité sociale et professionnelle.
Quelle peut être alors la reconfiguration politique de la gauche pour une stratégie de sortie par le haut de la crise sanitaire, économique, sociale et écologique en combattant résolument ce « marchéisme néoconservateur » qui sert de boussole aux élites dominantes du capitalisme financier mondialisé ?
Mais d’abord de quelle(s) gauche(s) parle-t-on?
Pour comprendre les évolutions idéologiques des gauches, revenons sur leur genèse et leur dynamique historique dans une époque marquée par l’émergence de la pseudo contestation soixante-huitarde de ladite société de consommation, contestation équivoque quand elle servait de point d’appui à la mutation du capitalisme dans la promotion d’une consommation libidinale, ludique et marginale pour la grande bourgeoisie et la nouvelle petite bourgeoisie, et qui parait décalée depuis les crises successives auxquelles répondent des politiques d’austérité et de rigueur antisociales et impopulaires à l’échelle nationale et européenne (plan Barre, parenthèse de la rigueur, traités européens) tant il est vrai que la crise des débouchés engendre déflation, austérité et chômage et s’accommode ainsi d’une croissance zéro.
« Curieuse gauche française aux réflexes pavloviens, écrivions-nous déjà il y a de cela onze ans, qui n’en finit pas de décourager ses plus fervents partisans. Frappés du syndrome de la division historique et, plus récemment peut être, du culte des égos, ses chefs se disputent, se contemplent et s’ébrouent. Elle s’éclate selon le principe de fonctionnement d’une centrale nucléaire à uranium enrichi mais sans surgénérateur. D’où son épuisement parallèle à son émiettement : PS fracturé, PC atrophié et éclaté, Gauche de gauche atomisée, Gauche républicaine introuvable… Notre seul correctif onze ans plus tard serait gauche de gauche avec des hauts et des bas, PS atomisé.
Tout le contraire de cette époque révolue du “sinistrisme”, ce phénomène historique du rayonnement d’une gauche dont la force propulsive savait orienter le débat public sur ses propres fondamentaux. D’où la marche en avant de la république sociale allant de pair avec l’hégémonie des idées de progrès !
Peut-on se contenter d’incriminer les hommes sans rechercher les causes structurelles et intellectuelles de ce délitement ? Pour les uns, cette réalité signe le constat d’échec d’une gauche archaïque, incapable de muter et d’épouser son temps. Ceux-ci n’ont rien d’autre à proposer qu’une normalisation de la gauche, vestige déliquescent d’une exception française à l’origine de tous nos maux. Ils oublient de nous dire en quoi les gauches centristes ou recentrées - c’est selon - feraient mieux autour de nous pour ne prendre que les exemples britanniques, allemands, italiens ou espagnols (NDLR : avant le quinquennat de Hollande, nous restions encore optimiste quant à la capacité de la gauche à résister à la normalisation des gauches européennes)! »
– Les postures de la radicalité politique à gauche
Alors que refleurissent aujourd’hui mille controverses autour du projet de la croissance verte versus théorie de la décroissance - sujets dans l’air du temps et inépuisables de surcroît – on peine parfois à démêler l’argumentaire des différents protagonistes. D’une façon basique, rien n’autorise à schématiser deux types d’approches qui prévaudraient dans la contestation ou le fondement d’une écologie politique. Celui d’une conception occidentalo-centriste du progrès infini portée par le cartésianisme et l’ idéologie productiviste allant de pair avec la confiance aveugle aux lois du marché, celui d’une perspective malthusienne dénonçant les progrès technologiques et l’aliénation dans une critique de la société de consommation.
Près de cinquante ans après la parution du rapport du commissaire eurocrate Mansholt qui inspira le club de Rome et l’avènement de l’écologie politique portée en France par un agronome tiers-mondiste expérimenté, René Dumont (un temps m’avait-on dit, militant du CERES), dans un contexte intellectuel et sociétal de remise en question des fondements de notre civilisation technicienne, de Jacques Ellul en passant par l’école de Francfort et les idées de mai 68, un nouvel aggiornamento ne s’impose -t-il pas à présent pour ne pas laisser l’écologie politique, traversée de courants contradictoires, confisquée par les partis qui s’en réclament?
« On assiste depuis quelques années, écrivait Didier Motchane en 1973, aux premières manifestations d’une critique intérieure de la croissance capitaliste. Le fait que cette réflexion s’inscrive dans le champ d’une problématique neutre, donc bourgeoise, ne doit pas masquer l’intérêt qui s’attache, par-delà les slogans de la croissance zéro, aux travaux du « Club de Rome » et aux intégrations de « la lettre de Mansholt ».
Les contradictions du capitalisme atteignent une acuité telle que les protagonistes les plus intelligents du système sont obligés d’en mettre en cause le fonctionnement. Alors même qu’ils évitent d’en faire une critique fondamentale au niveau des structures, ils présentent une critique décisive des conséquences de son fonctionnement.
La nécessité historique du socialisme se trouve ainsi aujourd’hui, et pour la première fois, sur le point d’être démontrée d’une manière rigoureuse. Malgré les simplifications et les faiblesses que comporte le modèle utilisé par le M.I.T., la ligne générale de la démonstration paraît bien établie. Elle suggère trois conclusions dont la troisième est implicite :
- La prolongation des tendances actuelles conduirait rapidement à une crise catastrophique de l’humanité, du fait de l’épuisement des ressources naturelles, alimentaires et industrielles, du surpeuplement, de la pénurie de l’investissement et des nuisances.
- Une planification soustraite aux objectifs du profit et, partant, une révolution dans le concept même de croissance est le seul recours possible.
- Le développement socialiste doit donc remplacer la croissance capitaliste » (Didier Motchane Clefs pour le socialisme 1973)
Nous verrons plus avant, dans notre exploration programmatique, comment.
Quant à l’extrême gauche, les impasses respectives des théoriciens dénommés gauchistes à leur corps défendant – depuis l’Ecole de Francfort, en passant par les écoles trotskistes, pour continuer avec les « Mao », façon « gauche prolétarienne » sartrienne ou JCR scissionnistes du PCF, JCR à l’époque louées par un Patrick Kessel (Le mouvement maoïste en France 1972) – n’ont-elles pas emporté dans leur reflux tous ces esprits fascinés par la prophétie d’une révolution mondiale ou par l’exotisme de la voie chinoise et de sa révolution culturelle vue sous les regards trompeurs d’une Maria-Antonietta Macciocchi ( son « Pour Gramsci » en 1975) ou d’un Gilbert Mury (« De la révolution culturelle au X° congrès du PCC » paru en 1973)? Bien loin, soit dit en passant, de l’analyse magistrale, presque quarante ans plus tard, de la réussite de « La voie chinoise Capitalisme et empire » par Michel Aglietta et Guo Bai (2012) qui tournent le dos aux explications néolibérales dans une exploration de l’héritage culturel et politique de la Chine. Et bien loin également d’une forme de contestation artistique interne et actuelle (cf l’exposition au musée Guggenheim de Bilbao en 2018 : « arte y china despues de 1989 El teatro del mundo ») des nuisances du mode de production et de vie chinois venant des milieux du cinéma ou des arts plastiques quand l’épicentre du covid-19 vient du cœur de la mondialisation dans cette province chinoise de Wuhan.
Revenons à ces reconversions spectaculaires des anciens gauchistes à l’instar des journalistes de Libération (dont le très célèbre Serge July) – ce journal qui appuyait la libération du Vietnam – et des prétendus nouveaux philosophes. Songeons à toutes ces vociférations venant de donneurs de leçons bien reclassés dans le décennie qui suivit mai 68, façon André Glucksmann, ex-maoïste repenti et reconverti, fort opportunément avec l’appui de Jean-Paul Sartre, dans la solidarité avec les boat-people du Vietnam. Et à la reconversion de ces militants trotskistes recyclés dans le PS, tendance lambertiste chez un Jospin (qui joua double jeux dans sa période d’entrisme puis d’adoubement avant d’en devenir premier secrétaire), chez un Mélenchon ou un Cambadelis aux parcours glorieux, ou tendance LCR chez le respectable et regretté Henri Weber qui vient de nous quitter, ce magnifique théoricien de la conscience de classe devenu plus tard sénateur socialiste. Lequel interrogeait, en 1975 dans son livre majeur « Marxisme et conscience de classe », « le processus de radicalisation en cours » se demandant s’il aboutira « à la résurgence d’un mouvement ouvrier révolutionnaire » ou restera « contrôlé par les appareils réformistes ».
- Le « socialisme à la française » a-t-il vécu ?
L’année soixante-seize verra le PCF adopter « le socialisme aux couleurs de la France » et abandonner la référence à la dictature du prolétariat. Mais on voit, dans le même temps surgir en France les querelles dans cette gauche PC-PS-MRG réconciliée, malgré son trop plein d’arrières pensées respectives, et stratégiquement soudée autour d’un programme commun de « rupture avec le capitalisme » selon l’expression empruntée au discours de François Mitterrand au congrès d’Epinay-sur-Seine. Ce programme commun que nous érigions de façon quasi fétichiste comme le « seul moyen de la révolution » à ceux qui scandaient « une seule solution la révolution ». Avec ces postures des deux grands partis de gauche fort bien analysées dans les écrits de Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane dans deux ouvrages adaptés à la conjoncture politique des années soixante dix
Ceux-ci réfutaient les idées reçues sur la ligne de partage originelle entre réformistes et révolutionnaires, ce qu’un ancien militant du CERES et grand intellectuel recyclé au sein du NPA avant de rejoindre le camp libertaire, Philippe Corcuff, exprimera plus tard à sa manière dans une critique mélancolique de la gauche intitulée » les socialismes français à l’épreuve du pouvoir » édité chez Textuel en 2006 dans ses développements sur Léon Blum au congrès de Tours. Revenons donc sur cette histoire idéologique du PS pour comprendre son état de délabrement idéologique actuel.
Didier Eribon a développé la thèse d’une profonde mutation idéologique du PS des années quatre-vingt sous l’effet du néo-conservatisme. Cet auteur considère qu’il y eut alors une véritable rupture avec les idées révolutionnaires libertaires de mai 68, elles-mêmes préparées de longue date par une hégémonie de l’idéologie marxiste et contestataire.
On peut rejoindre partiellement cette analyse en distinguant bien deux périodes : la première de la Libération jusqu’à la fin des années soixante-dix connaît un rayonnement très puissant des divers courants marxistes sur les intellectuels et la classe ouvrière. La seconde voit au contraire l’effacement progressif du marxisme. Cette dernière période coïncide avec la montée en puissance du néolibéralisme et l’accession des néo-cons au pouvoir (Thatcher-Reagan) au moment de l’arrivée de la gauche au pouvoir en France et, dans la même décennie, l’effondrement des pays du “socialisme réel”.
Dans la première période on assiste à un foisonnement intellectuel lié à la contestation du marxisme officiel – celui d’un PCF dont l’influence reste énorme – par l’école de Francfort et la mouvance libertaire, le structuralisme et le freudo-marxisme. La deuxième période est celle de la lente agonie d’un marxisme en butte aux assauts des “nouveaux philosophes ”en croisade pour les droits de l’homme contre le Goulag. L’assimilation du socialisme au totalitarisme ternit durablement le message du « camp progressiste ».
En France, dans les années soixante-dix, le PS forgeait sa stratégie de rupture avec le capitalisme. On peut dire que jusqu’à l’adoption du projet socialiste dans la foulée du congrès de Metz – qui consacre la ligne d’union de la gauche -, le PS tient bon dans « une posture de gauche ». Mais il remporte les élections présidentielles alors même qu’il est déjà défait idéologiquement. Commence alors une ère de véritable confusion idéologique pour la gauche française. Egarée dans « la parenthèse libérale » qui constitue le véritable « Bad Godesberg » du socialisme français, l’idée de construction européenne tient lieu de substitut à celle de la transformation sociale. Avec le grand marché puis le traité de Maastricht, il s’agit d’un complet renoncement à une alternative au néolibéralisme en pleine poussée. L’idéologie néolibérale règne alors sur les esprits et les dirigeants de gauche – en dépit de leur dénégation toute verbale -, se rangent aux raisons d’un capitalisme financier mondialisé. La rupture est totalement consumée avec les couches populaires dont une large fraction marque son attirance pour les idées du Front national dès les élections européennes de 1984 avec ses points d’orgue en 2002 et aux dernières élections régionales de 2015 et européennes de 2019.
La confrontation de la gauche de gouvernement avec le mouvement social, théorisé par Bourdieu, apporte des éclairages utiles. Et par-delà une problématique campée sur le terrain exclusif des prétendues références intellectuelles françaises incontournables de la gauche (Sartre, Althusser, Lacan, Deleuze, Guattari, Foucault, Bourdieu, Derrida…), Didier Eribon contribue à révéler le foudroyant bouleversement idéologique du PS dans les années quatre-vingt. Il faudrait pourtant corriger largement les soubassements de cette réflexion qui s’enferme dans l’apologie du courant culturel soixante-huitard pour dénoncer la dérive conservatrice de ce que nous appelons le social-libéralisme. Ce dernier, à l’instar de la droite actuelle serait libéral sur le terrain économique et conservateur sur le terrain idéologique. Il y aurait largement place au débat sur ce point quand le conservatisme assimilerait aussi, selon Eribon, les principes républicains de la gauche française.
Nous ne nous reconnaissons pas dans la définition d’une idéologie conservatrice présentée par Didier Eribon – qui inclut la conception de la communauté de citoyens en tant que nation démocratique, opposée pourtant à la conception ethnique et nationaliste, dans cette dérive conservatrice – alors même que le rejet du TCE a constitué un moment important de la contestation du libéralisme par l’expression d’un attachement au modèle démocratique social français.
Les nombreuses références au mouvement intellectuel des années soixante-dix gomment certains apports nouveaux tels que la redécouverte de Gramsci et de sa pertinente analyse de l’hégémonie idéologique. Par ailleurs nous réfutons la thèse qui ferait de la pensée de Kant et de Rousseau le soubassement philosophique du néo-conservatisme. L’universalisme et le contrat social sont dénoncés comme expression du choix raisonné de l’individu – cet individu idéologisé par la bourgeoisie et qui ne résisterait pas à la critique sociale des structuralistes. Dans ce débat – structuralistes contre tenants du sujet - l’auteur rend cependant grâce à un penseur comme Henri Lefebvre.
Les racines profondes du conservatisme français ne sont-elles pas plutôt à rechercher dans l’opposition historique à la construction républicaine … la droite légitimiste, bonapartiste et orléaniste, chère à la tripartition du regretté René Rémond. Et aujourd’hui dans les influences néo-conservatrices qui trouvent à s’exprimer dans la posture idéologique d’un Sarkozy, d’un Fillon, d’un Bellamy, d’une Le Pen, voire même du président de la république, qui entendent revenir à un certain ordre moral, faisant fi de l’État de droit avec ces mesures répressives conduites sous la houlette d’un Castaner tendant à réprimer et pénaliser les manifestants amalgamés aux casseurs, dans un climat de violences inacceptables.
- La gauche à l’épreuve du néolibéralisme et des néo-cons
Ce qui est en cause aujourd’hui, n’est-ce point la préservation de la démocratie dans sa perspective républicaine quand le néolibéralisme et le néo-conservatisme la désactivent? Le vocabulaire de « la gauche radicale et mouvementiste » emprunte souvent les termes de néolibéralisme et de néo-conservatisme pour désigner le système socio-économique et idéologico-politique dans lequel prospère le capitalisme financier légitimé par l’idéologie d’un nouvel ordre moral. L’analyse des relations entre capitalisme et posture morale n’est pas nouvelle.
Le puritanisme protestant d’Outre-Manche et d’Outre-Rhin paraissait ainsi plus conciliable avec les processus d’accumulation du capital et de recherche du profit que le catholicisme romain, culturellement hostile à l’accumulation des richesses comme fin en soi. Le circuit du capital – “argent-marchandise-argent” qui permet à l’argent de faire des petits (A-M-A’) – , mis à nu par Karl Marx, s’épanouissait sans entraves auprès des anglo-saxons alors qu’il devait combattre, auprès des latins, bien des préjugés moraux hérités de la dénonciation de la recherche effrénée du profit.
Pour Max Weber, cette attitude mentale fondait la tentative d’explication de l’avancée relative du capitalisme des pays anglo-saxons. De la même façon, l’éthique protestante résulte de la rareté de la marchandise en pays de démarrage du mode de production capitaliste de biens d’équipement. L’éthique insiste donc sur la nécessité de réinvestir et affiche selon Clouscard, « les valeurs de la production et de l’économie, elle est l’expression idéologique des conditions de la production et du rôle de la marchandise ». Comme elle participe du sérieux de la production et de la consommation, au même titre que la haine du peuple pour le gaspillage, elle sera combattue par le néo-capitalisme qui veut promouvoir la consommation débridée et le gaspillage pour conquérir ses nouveaux marchés. « Le freudo-marxisme remplit cette fonction : il doit liquider l’éthique (proposée comme moralisme répressif de papa !). Il doit liquider l’économie (de l’accumulation), l’inhibition, les valeurs traditionalistes. Aussi le modèle de la nouvelle consommation sera celui de l’émancipation par la transgression. »
Régis Debray, interrogé en avril 2018 dans la revue des deux Mondes, suite à la parution de son ouvrage sur « Le nouveau pouvoir », jugeait qu’ »avec Macron, président, les réformes en œuvre vont dans le sens de la Réforme, chacun doit se débrouiller tout seul pour faire son salut, sans corps intermédiaires, en ramant dans son coin. Les partis sont donc de trop, les syndicats aussi, comme hier les clergés. L’idéal, c’est l’individu tout nu, seul avec sa foi dans la flexisécurité et les vertus du marché, comme risque à courir. » On ne saurait dire comment ce trait de protestantisme servira ce nouveau pouvoir dans sa lutte actuelle contre la malédiction du Coronavirus.
Nouveau pouvoir analysé dans « un essai fulgurant » de Régis Debray « qui montre en quoi la France du catholicisme et de la République vient à son tour de s’inscrire dans l’avènement planétaire de la civilisation issue du néo-protestantisme. Un livre indispensable pour comprendre ce qui s’est passé. Et pour anticiper ce qui va arriver » signale la quatrième de couverture (Le nouveau pouvoir 2017).
Aujourd’hui le retour à l’ordre moral pourrait apparaître, d’une certaine façon, comme antinomique de l’explosion et de la sacralisation du marché, ce Veau d’or des sociétés occidentales. Dans sa préface à l’ouvrage de Wendy Brown, récemment traduit en français, “Les habits neufs de la politique mondiale – néolibéralisme et néo conservatisme”, Laurent Jeanpierre nous éclaire sur les rapports complexes du néolibéralisme et du néo-conservatisme. Ce dernier serait en réalité “une virtualité inhérente à la rationalité politique néolibérale”, étudiée jadis par Michel Foucault sous le terme de “gouvernementalité”. Ces concepts peuvent se définir comme “conduite des conduites”. “Ils réunissent, nous dit Jeanpierre citant Foucault, ” l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, les analyses et les réflexions, les calculs et les tactiques” qui permettent d’imposer des normes de comportement à des individus et des groupes.” Le néolibéralisme étant pour Brown “l’ensemble des techniques de contrôle d’autrui et de soi par accroissement des choix plutôt que par diminution de la liberté, ou plutôt par accroissement des choix (et réduction de la liberté à l’acte de choisir), non seulement la liberté se doit d’y être autolimitée mais elle ne peut l’être désormais qu’en étant moralisée.” Ces analyses nous éclairent sur les processus en œuvre d’intrusion du religieux dans l’espace public de notre France laïque. A nous de décrypter le sens de ces processus pour les délégitimer, faute de quoi, ils pourraient asseoir durablement l’hégémonie des néo-cons, indispensable semble-t-il aux avancées du néolibéralisme. Avec cet ouvrage de Wendy Brown, il y a ainsi matière à méditer car sous les coups de butoir et les effets conjugués du néolibéralisme et du néo-conservatisme, c’est la démocratie qui succombe !
« Mais de quel État et de quel capitalisme, de quelle souveraineté et de quelle gouvernementalité s’agit-il ? » s’interroge Lazzarato Maurizio, dans un article précédemment cité (« Naissance de la biopolitique, à la lumière de la crise », Raisons politiques, 2013/4 (N° 52), p. 51-61. DOI : 10.3917/rai.052.0051. URL : https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-4-page-51.htm)
« Le capitalisme d’État que l’on voit agir dans la crise est-il le même que le capitalisme d’État du 19e et du début du 20e siècle ? Et peut-on même encore parler aujourd’hui de capitalisme d’État dans les termes qui étaient ceux de Gilles Deleuze et Félix Guattari ? » A noter les références nombreuses ici à « L’Anti-œdipe. Capitalisme et schizophrénie », Paris, Éditions de Minuit, 1972, Gilles Deleuze, cours de préparation de l’Anti-œdipe, publié sur le site La voix de Gilles Deleuze (http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/rubrique.php3?id_rubrique=4) à la différence de la critique radicale de Michel Clouscard dont nous avons relaté précédemment la critique d’une consommation d’émancipation transgressive (nous n’avons pas personnellement exploré plus avant ces écrits de Deleuze et Guattari).
« Le travail de Michel Foucault peut nous être utile ici, à condition d’interpréter l’ordo-libéralisme, puis le néolibéralisme, comme des politiques qui travaillent à une nouvelle configuration du capitalisme d’État, à un nouveau rapport entre souveraineté et gouvernementalité, dont les libéraux constituent la condition subjective. Le néolibéralisme représente une nouvelle étape dans l’intégration du capital et de l’État, de la souveraineté et du marché, dont la gestion de la crise actuelle (crise de 2007 NDLR) peut être considérée comme un accomplissement.
La thèse principale qui traverse les deux cours celle d’un libéralisme en opposition à l’État , nous semble davantage ébranlée par les événements qui ne cessent de secouer le capitalisme depuis 2007, que par la critique théorique que l’on pourrait lui adresser.
Le fait que la question du libéralisme porterait sur le « trop gouverner », que sa critique se concentrerait sur « l’irrationalité propre à l’excès de gouvernement » et que, par conséquent, « il faut gouverner le « moins possible » » est en effet largement remis en cause par la crise. Le gouvernement néolibéral opère une centralisation et une multiplication des techniques autoritaires de gouvernement qui rivalisent avec les politiques des États dits totalitaires ou « planificateurs ». Comment est-il possible que les libéraux soient passés soudainement de « chercher à gouverner le moins possible » à « vouloir tout gouverner » ? Comment expliquer qu’ils considèrent comme irrationnelle toute forme de big gouvernement et qu’en même temps, depuis 2007, les gouvernements techniques, l’Europe, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE), en un mot toutes les institutions d’obédience libérale, tracent des « plans » de redressement des comptes de l’État qui courent sur plusieurs décennies (à titre d’exemple, le Fiscal Compact prévoit au moins vingt ans de « sacrifices » pour payer les créditeurs), qu’elles multiplient les institutions de contrôle, supervisées par des « experts », vérifiant la plus petite dépense de l’administration, prescrivent des coupes budgétaires dans les plus infimes détails, fixent de manière autoritaire les délais du redressement des budgets publics ; qu’elles dictent enfin, littéralement, des lois aux parlements et aux gouvernements nationaux ? Comment expliquer que, au soi-disant « État minimum » des libéraux avant la crise, les mêmes libéraux aient substitué un État « maximum » ? Comment rendre compte de ce big gouvernement néolibéral supranational qui, par ailleurs, se passe, sans aucun état d’âme, de toute « démocratie » ? » Cette démocratie inventée à Athènes et remise à l’honneur par les courants républicains dans le sillage des Lumières avant que les « libéraux » n’en usurpent plus tard toute la paternité dans « une démocratie formelle » et que les soi-disant « néolibéraux » n’en fassent ensuite qu’un usage dénaturé quand ils l’amputent de sa dimension essentielle, celle de la souveraineté populaire.
Pour revenir à notre critique de l’analyse de Didier Eribon et conclure sur ce point, disons qu’elle semble oublier les références historiques républicaines du socialisme français. Didier Eribon fait par ailleurs la part belle à “la gauche de gauche”, différenciée de “la gauche de la gauche” en ce qu’elle continuerait à porter l’idéal de la gauche institutionnelle, elle-même quelque peu idéalisée dans une essence révolutionnaire trahie. Ou en est donc cette gauche de gauche?
– La gauche de gauche
Et d’abord au PCF : quelle mutation pour quel horizon? L’idée d’une mutation ou d’un dépassement reste une perspective qui ne saurait faire l’impasse sur une histoire pour aborder le présent autrement.
L’histoire intérieure du Parti communiste français, en quatre volumes publiés chez Fayard entre 1980 et 1984, œuvre magistrale mais contestée, de l’ancien secrétaire des étudiants communistes, Philippe Robrieux, apporte mille détails truculents sur la vie mouvementée d’un parti sans cesse recomposé et déchiré entre ses choix fondateurs dans une tactique dite de classe contre classe et son aspiration à représenter tout le peuple français. Comme nous l’avons souligné, les clés d’identification des impasses de la conception léniniste furent plus pertinemment développées par Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane.
Dans « les socialistes, les communistes et les autres » édité chez Aubier Montaigne en 1977, Chevènement revient sur les origines de la scission de Tours et sur l’impasse française vers le socialisme pour faire un bilan du léninisme et établir les chances et les conditions de la réussite d’une union de la gauche alors aux portes du pouvoir. Ce que Didier Motchane avait théorisé dans une approche marxienne renouvelant et dépassant les doctrines socialistes et révolutionnaires figées dans une doxa archaïque. Dans ses « clefs pour le socialisme », ouvrage édité chez Seghers en 1973, le théoricien du CERES revisitait les concepts marxistes en les débarrassant de leur gangue lénino-stalinienne ou réformiste pour redonner corps et sens à la stratégie de rupture avec le capitalisme.
En renouant à la façon d’Anicet Le Pors, esprit cultivé et ouvert, avec la tradition républicaine, tradition certes constante dans l’histoire du PCF – et surtout chez les historiens marxistes à qui l’on doit, de Mathiez à Soboul, la connaissance du mouvement populaire et révolutionnaire à l’origine de la construction républicaine française – mais néanmoins souvent galvaudée en raison d’égarements doctrinaux ou politiques étrangers au socialisme jaurésien, le Parti communiste se grandit. Il ne peut, du reste, relever le défi de son propre dépassement qu’en mettant ses forces importantes au service d’une perspective d’alternative démocratique et sociale qui se joue dès à présent dans la bataille des idées, dans les luttes et dans les urnes. Et bien sûr dans la perspective de l’unité d’une gauche d’alternative…
Avec l’érosion du PC, l’avenir des gauches repose-t-il davantage sur ce parti de gauche dont l’émergence en 2008 a ensuite marqué les succès du Front de gauche puis de la France insoumise? Pour mémoire, le PG s’est fondé à partir d’éléments composites dont Jean-Luc Mélenchon et Jacques Généreux avec qui nous avions fait la campagne de Ségolène Royal (derrière Jean-Pierre Chevènement) pendant que Clémentine Autain et Marie-Georges Buffet, elle-même candidate, espéraient un meilleur score d’une gauche prétendument plus radicale. Ce n’est qu’en 2008 que Mélenchon et ses amis en pleine déconfiture électorale interne au Congrès du P.S décident, après une sévère sanction de la gauche socialiste et une impossible reconquête du parti, de quitter ce dernier. Ainsi l’ex-sénateur socialiste, défenseur du traité de Maastricht, devenu plus tard ministre de Jospin, devait virer sa cuti sans s’encombrer d’un zeste de complexe vis à vis d’une trajectoire bien méandreuse. Il illustre, à sa manière, cette formidable plasticité d’une gauche pure et dure qui sait jouer d’obscurs renversements tactiques sous couvert de considérations stratégiques plus nobles. Après les indéniables scores historiques des deux dernières élections présidentielles, la FI connait un reflux d’influence et une crise interne. Son leader semble frappé d’une certaine perte d’estime et de confiance après le piège des épreuves judiciaires et la chute électorale aux élections partielles et à celles du parlement européen. Mais l’excessive personnalisation est-elle compatible avec le registre d’une gauche qui entend promouvoir une sixième république? Les initiatives actuelles de la base et des élus vont-ils permettre une porte de sortie par le haut de cette crise qui secoue la FI? S’agissant de la gauche républicaine, on peut saluer la naissance de la gauche socialiste et républicaine (GSR) à l’initiative de la gauche socialiste en rupture de parti avant les dernières élections européennes (Maurel et Lienemann) avec l’appoint du MRC (Coutard et Laurent). Ce dernier mouvement dans la filiation du CERES restant néanmoins divisé quant à l’opportunité de cette fusion après son ébranlement suite au retrait définitif de son président d’honneur Jean-Pierre Chevènement précédant son congrès national en juin 2015. Le MRC, après la tentative d’un pôle rassemblant les républicains des deux rives, avait succédé au MDC, fondé le 1°mai 1993 marquant la rupture des chevènementistes avec le PS en raison de désaccords de fond sur la diplomatie (Irak) et l’Europe (Maastricht). Quelle peut être la force d’entraînement de la gauche socialiste et républicaine (Maurel, Lienemann, Laurent, Coutard) dans cet ensemble? Et quel peut être la place d’un MDC « maintenu » derrière le brillant Claude Nicolet (homonyme du regretté historien de la république), fidèle d’un Jean-Pierre Chevènement sans parti-pris et de Marie-Françoise Baechtel, animatrice de République moderne ?
L’idée d’un front de gauche à la base prôné un temps par l’exégète de Gramsci et de la guerre de position, Razmig Keucheyan, a-t-elle quelques chances de supplanter l’immobilisme et la disparition du FDG ? Rien n’est moins sûr comme nous l’avons depuis vérifié!
– Penser à gauche ou repenser la gauche ?
L’échappée d’un solide intellectuel, sociologue bourdieusien aux références riches et éclectiques, peut aussi nous aider dans cette quête introspective et prospective. Philippe Corcuff appartient à cette catégorie inclassable de militants aux parcours désencombrés de tout opportunisme.
La gravité de la situation appelle en effet à une rupture avec les solutions toutes faites. Nous sommes dans la nasse temporelle face à l’urgence de battre l’extrême droite alors qu’il faut dès à présent entamer la recomposition de la gauche à moyen terme sans sacrifier le moyen terme à l’urgence et l’urgence au moyen terme! Cela fait deux siècles que le courant pour la société émancipée anticapitaliste existe. Deux siècles que ce courant échoue, nous explique encore Corcuff, ce qui ne change rien au caractère inacceptable du capitalisme et donc à la nécessité du combat anticapitaliste! Mais cela invite à une plus grande association entre radicalité et humilité face à l’arrogance quand nous croyons tout pouvoir comprendre et ranger dans les concepts totalisants qui prétendent saisir le réel mais passent à côté des complications des sociétés humaines. D’où l’intérêt de rechercher l’apport des idées libertaires et anarchistes dans cette quête d’un nouvel aggiornamento au service de la perspective d’une émancipation humaine qui suppose une rupture totale d’avec la gauche contaminée par le néolibéralisme (les politiques social-libérales qui mélangent libéralisme économiques et réformes sociétales) et le néo-conservatisme (de l’ordre moral à l’idéologie sécuritaire).
Nous insistons sur les thèses du regretté sociologue Michel Clouscard, aux antipodes de cette social-démocratie libertaire un temps prônée par Corcuff, et dénoncée dans un essai sur « Le capitalisme de la séduction - Critique de la social-démocratie libertaire ». Ces idées sont bien synthétisées par Aymeric Monville qui explique le néocapitalisme selon Clouscard. La société de consommation qui n’est que la société de ceux qui peuvent consommer le travail des autres n’est pas la fin de l’histoire. Le pacte tacite de l’après Mai 1968 (« la droite gère l’économie et la social-démocratie s’en tient au sociétal, à la libération des mœurs qui ne coûte pas un sou au capital et permet de créer de nouveaux marchés ») est dénoncé au travers de la critique de la société permissive envers le consommateur mais plus que jamais répressive envers le producteur. Clouscard forge dès l’après 68 le concept de libéralisme libertaire ou encore celui de capitalisme de la séduction.
Nous ne pouvons exposer ici, dans l’espace de cet article, les impertinentes (pertinentes ?) mais incontournables critiques du philosophe Jean-Claude Michéa qui décode d’une tout autre façon « Les mystères de la gauche De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu » (2013) en analysant en profondeur les processus historique, politique et idéologique qui, depuis l’affaire Dreyfus et le socialisme parlementaire auraient trahi à gauche les idéaux et références ouvrières et socialistes.
A la façon du philosophe Alain – « Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de droite et de gauche, hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui me pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche »- nous étions il y a peu encore plutôt constant dans cette perspective d’une césure entre deux représentations du monde, de l’homme et de l’Histoire. La vie politique française a cependant connu des vrais bouleversements sinon des tremblements de terre (avril 2002, Non au TCE en 2005, premier tour de la présidentielle en 2017) symptomatiques des déplacements des axes de polarités traditionnelles gauche/droite, progressisme/conservatisme, Etat/société civile au bénéfice de nouvelles oppositions de type socialisme autogestionnaire/social-libéralisme, marxisme libertaire/dirigisme bureaucratique, démocratie/néolibéralisme, éco socialisme/progressisme, décroissance/productivisme, Etat social/société de marché, souveraineté populaire/souverainisme identitaire comme nous l’avons développé ou noté dans le corps de cet article. La reconquête de la souveraineté populaire qui conditionne toutes les autres (sur le travail, alimentaire, industrielle, sanitaire, etc.) est à l’ordre du jour. Elle interroge sur le fond les partis et mouvements se réclamant des courants socialistes, communistes, républicains, écologistes et libertaires et stimule notre réflexion militante pour cimenter ce nouveau front populaire.
L’œuvre de Jean-Claude « Michéa l’inactuel – une critique de la civilisation libérale » présentée et critiquée par Mathias Roux et Emmanuel Roux (2017) exprime une totale défiance envers cette idée (pervertie?) de la gauche qui ne serait plus un « signifiant maître » opératoire et dont il faudrait faire son deuil. Ces penseurs que nous avons entendus et lus posent mille nouvelles questions à toute la gauche. Nous devons réserver une étude approfondie à cette critique à partir notamment des écrits de Jean-Claude Michéa et d’Emmanuel Roux pour mieux s’interroger sur la présentation de leur marxisme libertaire, ce « socialisme démocratique » originel et original selon Orwell (Orwel anarchiste tory suivi de A propos de 1984 J.C Michéa 2008) dont nous réfutons a priori l’idée qu’il ne saurait s’enraciner dans un courant républicain que ces philosophes semblent réduire à une expression libérale porteuse d’une vision « progressiste » qui accompagnerait et légitimerait le développement même de « Notre ennemi le Capital »(J.C Michéa 2017). Cependant Emmanuel Roux apporte bien des nuances aux thèses de Michéa dans son dernier ouvrage « La cité évanouie – Au-delà du progressisme et du populisme » (2019) qui plaide plus explicitement pour la possibilité d’un populisme civique qu’il trouve à explorer dans l’œuvre de Michéa. Cette réflexion, plus complexe que son raccourci de première lecture ou son interprétation au premier degré, peut être utile au questionnement critique du « progressisme élitiste » ou de « l’élitisme progressiste » dans le sens du réformisme libéral ou du libéralisme réformateur en cours opposé à notre « réformisme révolutionnaire » jaurésien si bien développé par Jean-Paul Scot (Jaurès et le réformisme révolutionnaire 2014).
Revenons à présent, par-delà ces thèses hétéroclites, aux réflexions actuelles pour envisager la sortie par le haut du néolibéralisme dans cette période qui vient de connaitre tant d’assauts contre les fondamentaux de la construction républicaine et sociale. Depuis la crise du coronavirus, échanges virtuels et textes unitaires entendent contrer la logique suicidaire d’un affrontement central entre « macronisme » et souverainisme identitaire.
Aujourd’hui à gauche, « l’union sous pression » semble préférée à l’hypothèse d’un gouvernement de salut public
Ce « festival des idées » initié par Christian Paul et Guillaume Duval vise au rapprochement des forces de gauche et des écologistes quand la Fondation Copernic voudrait proposer, en s’inspirant des moments d’unité du mouvement ouvrier, une méthodologie de rassemblement et des éco syndicalistes réfléchissent de leur côté autour de l’altermondialiste Gus Massiah. Le regroupement l’« Archipel de l’écologie » rassemble la multitude des galaxies écolos et de citoyens engagés auxquelles les partis se sont joints. Clémentine Autain (FI) et Elsa Faucillon (PCF) organisent leur « Big Bang », dans un carrefour entre les forces de gauche et le mouvement social, quand François Ruffin (FI) cherche à unir « le rouge et le vert ».
Comme le soulignent Abel Mestre et Sylvia Zappi, auteurs d’un article du Monde - « On sent une envie commune plus grande : l’Union sous pression » – auquel nous empruntons ces éléments synthétiques, ces comités ad hoc ne sont pas d’accord sur l’objectif final mais tous cherchent la possibilité d’une culture et d’une doxa communes. « La crise sanitaire liée au Covid-19, moment de rupture politique majeur, a mis un coup d’arrêt au jeu d’appareils. Et a donné un coup d’accélérateur aux discussions. Les multiples réunions Zoom ou autres vidéoconférences ont visiblement facilité les liens et les échanges. »… « Les numéros Un des partis se parlent aussi quotidiennement pour mettre au point des positions communes dans la phase aiguë de l’épidémie comme pour envisager l’avenir. « Tout le monde a conscience qu’avec la crise sanitaire quelque chose de majeur s’est passé. Une plate-forme commune est possible. Ensuite, le calendrier n’est pas encore arrêté », observe François Lamy, ancien ministre de la ville. »… « Au PS, à Europe Ecologie-Les Verts (EELV), à Génération.s, comme dans certains cercles minoritaires de La France insoumise (LFI), on remarque que, dans la période d’incertitude, la pression à l’unité se fait plus forte.
« On est dans une tectonique de plaques qui bougent, constate Emmanuel Maurel, (ex-PS) député européen, fondateur avec Marie-Noëlle Lienneman (ex-PS) et Jean-Luc Laurent (MRC) de la gauche socialiste et républicaine apparentée LFI. Il va falloir arrêter les conneries si on veut se débarrasser du duo infernal Le Pen-Macron. Le dégagisme a ses limites, surtout en période de crise. Mais il faut de la crédibilité politique et une rupture radicale avec les politiques passées. » Le politologue Rémi Lefebvre constate lui aussi que la roue a tourné avec la crise : « L’idée qu’elle doit se résoudre avec des solutions de gauche devient très populaire. C’est le kairos, le moment où il faut saisir le retournement idéologique. »
A l’idée d’une « Fédération populaire » lancée il y a près d’un an par Jean-Luc Mélenchon, qui veut associer les revendications politiques, syndicales et associatives sous un label commun et proposer un contreprojet de société global, fait écho l’appel « Plus jamais ça », lancé notamment par les altermondialistes d’Attac, des associations environnementales comme Greenpeace ou encore des syndicats, notamment la CGT. Chez les initiateurs de cet appel, on regarde les partis avec une grande prudence. « Nous cherchons un débouché politique au sens de la vie de la cité. On veut établir un front large du mouvement social », explique Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac. Les signataires, qui sont désormais une quarantaine, ont rédigé un nouveau texte pour le 1er-Mai qui jette les grands axes d’une reconstruction autour de la reconversion sociale et écologique des entreprises ou d’une fiscalité plus juste.
Une perspective bien différente de celle prônée par l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement (quatre ministères majeurs sous les septennats de Mitterrand et de Chirac) qui voudrait prendre au pied du mot le président Macron dans sa récente volonté affichée de réinventer l’avenir. Ce que le républicain de toujours, pourfendeur du capitalisme financier et de l’Europe néolibérale, ancien Député-Maire et ancien Sénateur du Territoire de Belfort, conseiller spécial des présidents Hollande et Macron pour la Russie (dont il souhaite l’intégration dans une grande Europe de la Méditerranée à l’Oural) concrétise dans un programme de salut public qu’il appelle de ses vœux de longue date. Et ce, depuis le MRC (dont il fut président d’honneur avant de reprendre son indépendance vis-à-vis des partis en 2015 après avoir commis l’exploit d’être élu sénateur contre la droite et le PS) et à présent avec sa fondation Res Publica qui réfléchissait récemment à la recomposition géopolitique du capitalisme et à celle de la politique française par l’émergence d’un bloc républicain qui ébranlerait la bipolarisation entre le bloc élitiste (aujourd’hui « macroniste ») et le bloc souverainiste identitaire (le RN).
Dans sa chronique du Monde du 21 avril, « Montebourg et Chevènement, deux figures de gauche surgies du passé, sont le baromètre de ce qui pourrait se produire dans les prochains mois », Françoise Fressoz s’interroge sur la pertinence du niveau territorial pour une hypothétique reconquête de souveraineté prônée par les Montebourg, Mélenchon et Chevènement, les deux premiers rejetant par ailleurs toute perspective d’union nationale autour du président Macron, à la différence de l’ancien ministre.
« Mais à quelle échelle ? Nationale ? Européenne ? Les deux à la fois ? Là réside l’ambiguïté de la question qui, depuis la querelle de 1983, n’a jamais été résolue ni dépassée : alors que la France était affaiblie par des dévaluations à répétition, François Mitterrand avait fait le choix de rester dans le système monétaire européen pour s’arrimer à la construction européenne. Son ministre de la recherche de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, préconisait lui d’en sortir, persuadé que c’était la seule façon de garantir la survie de l’outil productif français. Il quitta alors le gouvernement puis dix ans plus tard le Parti socialiste pour mener l’aventure que l’on sait. Européen ou souverainiste, il fallait désormais choisir son camp.
Trente-sept ans plus tard, le schisme demeure, cette fois incarné par le dangereux face-à-face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Pour sortir du piège, Chevènement pousse au dépassement. Il veut croire que le président de la République a entrepris le tournant national, qu’un grand ministère de l’industrie sera bientôt créé pour réorganiser sur le long terme les chaînes de production et de valeur à partir d’un Etat redevenu stratège. La partie, cependant, reste éminemment européenne. »
L’hypothèse envisagée ici d’une union nationale n’a pas les faveurs de J.F.Khan dans Marianne qui ironise sur « les dérélictions de cet autre qui-suivez son regard-en pince pour l’élargissement du gouvernement à des gens connus pour reprendre l’injonction surréaliste du philosophe Luc Ferry (il y voit même Badinter et Chevènement, pourquoi pas Giscard et Jacques Delors!) ».
Le journaliste préconise la dissolution pour mettre en œuvre « une ligne politique, économique et sociale claire, forcément musclée, assise sur une nouvelle majorité qui s’y identifie ». La préférence de JFK irait pour une majorité allant de la fraction républicaine des Insoumis jusqu’à la gauche de la République en marche en passant par l’écologisme rationnel pour s’émanciper de la logique néolibérale.
Il conviendrait d’ouvrir résolument la voie difficile d’un profond changement de cap politique, économique, social et écologique
Dans cette crise sanitaire après la réponse du confinement pour préserver les chances d’accès à l’hôpital, le passage au jour d’après suppose une résolution des difficultés actuelles : développement des moyens et des capacités hospitalières, disponibilité des matériels médicaux et des masques de protection grand public, testage massif, pertinent et fiable. Cela nous conduit à la souveraineté sanitaire qui en appelle d’autres chez la 6° « puissance mondiale » qui garde de nombreux atouts dont le moindre n’est pas celui du génie de son peuple. Et donc à appréhender ici et maintenant l’avenir dans le nouveau paradigme d’une opposition résolue à la mondialisation libérale au bénéfice d’une reconquête des souverainetés dans des coopérations régionales (une grande Europe de l’Atlantique à l’Oural) et internationales repensées. Il va sans dire que les relations extérieures de la France et sa diplomatie doivent aller dans le même sens de la préservation de l’intérêt national et de l’indépendance stratégique dans la coopération pour le développement humain, solidaire et écologique. Avec la nécessaire remise en cause des logiques en œuvre chez les principales institutions : Banque mondiale, BCE et commission européenne confortant celles de « notre ennemi », le capitalisme financier mondialisé.
En cette fin de cycle d’un néolibéralisme épuisé et rejeté, il conviendrait d’ouvrir résolument la voie d’un profond changement de cap politique, économique, social et écologique, la propagation des virus et des pathologies s’expliquant aussi par l’effet conjugué de la mondialisation des échanges, de la dégradation de la qualité des produits de consommation et de la rupture des équilibres écologiques.
Donnons en référence – et pour illustration prioritaire de ce nouveau chemin -, quelques exemples forts :
- la lutte contre le réchauffement climatique en limitant le fret et l’utilisation de l’énergie carbonée, ce qui n’est pas antinomique, soit dit en passant, de la sécurisation de la filière nucléaire;
- la promotion d’une agriculture raisonnée, si possible biologique, avec des modes de productions agricoles ou animales réorientées, créatrices d’emplois durables, promouvant les circuits courts et favorisant dans tous les cas la prévention des risques chimiques et la lutte contre les perturbateurs endocriniens;
- avec la reconquête d’une sécurité alimentaire, celle d’une sécurité sociale et professionnelle conférant « un salaire à vie » sur la base d’un statut attaché au travailleur. Pour mémoire, ce « déjà là communiste » – avec les conquis de 1946 bénéficiant à un travailleur sur trois aujourd’hui – doit être étendu au-delà du secteur socialisé de la santé, des travailleurs sous statut et des fonctionnaires et représente la visée la plus pertinente dans le combat contre la liquidation de l’Etat social, en matière de retraite notamment ; le droit à « un salaire continué » financé par des cotisations sociales versés à une sécu, « institution de la démocratie », dont la gestion étatiste actuelle serait dénoncée pour être rendue aux représentants des travailleurs élus ;
- la conquête de la copropriété d’usage des outils de travail par les productifs (pour mémoire selon une définition empruntée au « manifeste d’initiative capitalexit », est lucrative la propriété dont la fin exclusive est de tirer profit privé du bien possédé, est dite d’usage celle qui confère à ses titulaires le seul droit d’user de ce bien à l’avantage commun) en leur offrant ainsi la possibilité effective d’une maîtrise du produit de leur travail dans l’urgence d’une réorientation de la production et de ses modes de développement, pour satisfaire les besoins réels de la population dans une économie limitant les nuisances environnementales et l’obsolescence programmée des marchandises à des fins lucratives ;
- à côté du secteur des « petits entrepreneurs », des « travailleurs indépendants » (de l’artisanat, de l’industrie, des services, des transports, de la culture) et des « paysans », attachés à leur métier, une propriété patrimoniale des outils de production (différente de la propriété lucrative) adossée à des collectivités publiques, coopératives, associations et fondations d’utilité publique et une participation effective aux prises de décisions stratégiques des travailleurs, des usagers et de la puissance publique, celle-ci garante en dernier ressort, de l’intérêt général défini dans les procédures de planification démocratique, ce que l’on appelait l’autogestion ;
- des nationalisations, sous forme de socialisation plus que d’étatisation des instruments de production, autant que de besoin dans les secteurs stratégiques (pour la reconquête de notre souveraineté) ou menacés (défense de la production et des emplois) avec un vrai retour de la puissance publique dans la régulation économique ;
- le développement des services publics – à commencer par l’hôpital public (asphyxié par la T2A et les politiques managériales visant à déposséder les soignants de leur métier) et les centres de santé à implanter sur les territoires. Les secteurs de la petite enfance, de l’enseignement et de la recherche méritent une attention très forte. Et plus largement d’autres secteurs : transport, communication, sécurité, police de proximité, habitat, énergie, alimentation, culture, activités physiques et sportives, parcs et espaces préservés. La promotion de l’économie sociale et solidaire offre aux côtés des services publics, un cadre adapté pour répondre aux vrais besoins humains et faire vivre les principes d’égalité sur tous les territoires;
- le retour de l’Etat stratège avec une planification écologique et démocratique dans les secteurs clés pour la souveraineté, la sécurité nationale, la vitalité économique, sociale, la qualité de vie sur les territoires et la « déspécialisation » de leur développement durable.
Selon l’économiste Cédric Durand et le sociologue Rasmig Keucheyan, la planification écologique s’inscrit dans une perspective opposée à l’écologie conservatrice toujours prégnante (nous prenons pour preuve l’alliance des conservateurs et des verts en Autriche contre l’immigration et le changement climatique ou bien le soutien des écologistes australiens à la privatisation de l’eau pour en limiter l’usage). Cette planification écologique exposée dans une récente livraison du Monde Diplomatique (« L’heure de la planification écologique » LMD Mai 2020) reposerait sur cinq piliers :
- le contrôle public du crédit et de l’investissement;
- la garantie d’emploi par l’Etat, au salaire de base du secteur public ou davantage, emploi à forte valeur ajoutée sociale ou écologique dans une logique opposée à celle du travail qui valorise le capital;
- une relocalisation de l’économie reposant sur trois principes : déspécialisation des territoires, protectionnisme solidaire (barrières douanières environnementales et sociales), normes de robustesse des produits contre la logique marchande du « tout jetable »;
- la démocratie avec des outils de pilotage participatifs et numériques (données du big data);
- la justice environnementale contre la logique qui frappe les classes populaires les plus exposées au Covid-19, aux catastrophes naturelles et aux nuisances de toute nature.
Notre exploration programmatiques à des fins pédagogiques ne présente aucune solution toute faite et allant de soi quand elle pose autant de questions qu’elle n’en résout en matière de production et de consommation de ressources énergétiques, de changement du travail dans sa nature, ses formes et son organisation, d’évolution de l’appareil productif et des services sur les territoires de la république :
- autour de la transition énergétique, de la sécurisation du nucléaire civil indispensable à notre indépendance énergétique et à la décroissance dans l’utilisation des ressources naturelles compatible avec le maintien d’un niveau de production socialement nécessaire et d’une distribution beaucoup plus égalitaire des richesses (nous suivons, sur ces sujets, les réflexions critiques et originales, parfois à contre-courant de la pensée économique alternative, de l’économiste Christian Rameaux, signataire du manifeste des économistes atterrés).
- sur le risque d’effet a priori récessif en terme d’emploi d’une « croissance sociale » – qui consiste en la substitution de valeurs d’usages et de services socialement utiles, préférés aux productions et services du genre de vie américanisé et bourgeois mondain, facteurs de nuisances environnementales, sanitaires et sociales – nécessitant des ajustements en volume et qualité d’emplois (dans la grande distribution, le marketing, la publicité, l’industrie des communications et transports, du loisir, du tourisme, de la mode, de l’audiovisuel, etc.) avec un nécessaire déversement d’emplois plus qualifiés, plus ergonomiques et sécurisés professionnellement, dans d’autres secteurs à vrai valeur ajoutée sociale, (dans les services et l’agriculture raisonnée, le logement et les ouvrages de travaux publics notamment, les services à la personne, culturels, d’éducation, de proximité, etc.). En veillant à promouvoir dans ce cadre la création artistique, fruit du travail des artistes, intérimaires du spectacle et de leurs équipes techniques, dans une perspective d’un large accès populaire à la culture.
- en terme de restructuration et relocalisation de l’appareil productif au plus près des territoires et de la nation, de la relation des travailleurs à leurs outils de travail et de redéfinitions stratégiques de la production de biens et de services à valeur ajoutée sociale, eu égard aux besoins réels des populations sur leurs territoires « déspécialisés », face à un environnement supra national, régional et mondial, qui offre autant de leviers que de contraintes selon les perspectives : coopération au développement solidaire ou bien concurrence et guerre commerciale.
On le comprend bien, un tel programme d’évolution révolutionnaire repose sur un changement complet de logiciel de l’action publique de l’Etat, des collectivités publiques, des élus et des responsables et, par-dessus tout, des mentalités et des habitus à tous les niveaux, dans tous les secteurs. Ce programme ne se décrète pas mais se prépare dans l’action politique et l’éducation populaire. Dans « la praxis » donc s’il fallait situer l’exigence d’une militance renouvelée. Cet objectif républicain de démocratie politique, sociale et économique serait en effet insensé et totalement hors de portée sans les formations politiques, syndicales et associatives en capacité de fédérer et d’accompagner un large mouvement citoyen autour d’un projet qui a aussi besoin d’intellectuels organiques pour le véhiculer et le décliner! Cela conduit à relever le défi d’une « politique de civilisation », chère à Edgar Morin et Sami Naïr, jadis dévoyée par l’emprunt sémantique de Nicolas Sarkozy prétendant après la crise de 2008 « moraliser le capitalisme ».
Mais qu’elle peut être cette nouvelle morale «fondée sur une éthique immanente au mode de production» qui «lie praxis et psyché» ? « La seule morale politique viable pour Michel Clouscard s’articule autour de ce couple. Elle ne procède pas d’un dogmatisme ou d’un devoir être abstrait : elle est liée à la production » : « Tu ne consommeras pas plus que tu ne produis ». Notons au passage le beau commandement contre la confiscation de la plus-value et contre un mode de production capitaliste au service du consumérisme « libidinal, ludique et marginal » des couches sociales supérieures nourries par l’idéologie et ses supports anthropologiques qui font appel à la psyché du freudo-marxisme déguisé c’est-à-dire ni marxiste ni freudien mais véhicule de la pensée libéral-libertaire, forgée par le capitalisme de la séduction. Car c’est la praxis qui engendre la psyché contrairement à ce que dit la psychanalyse qui croit aux pulsions naturelles » et « Clouscard , « c’est le penseur de la psyché, comme instance engendrée par la praxis » rajoute Monville qui conclut son livre (« le néo-capitalisme selon Clouscard ») par ces mots : « Clouscard retrouve ainsi le sens d’un engagement civique ancré dans l’univers concret, d’un marxisme incarné dans la réalité républicaine de notre pays », engagement auquel il nous invite encore et toujours dans son œuvre, onze ans après sa disparition.
Dans notre France qui n’est pas une start-up mais une république, la participation très large de personnalités issues des mouvances de la gauche social-libérale et écologique, avec ce cortège de démissions en chaîne, n’a fait jusqu’alors que conforter « une gouvernance macroniste » néolibérale mal inspirée par son premier de cordée. Éclairé dans ce même temps par nos références et l’histoire et refusant toute équivoque, on pourra (mais peut-on croire aux ruses de l’Histoire hégélienne?) prendre à présent au pied de la lettre le défi du président Macron pour le relever : « Sachons, dans ces moments, sortir des sentiers battus, des idéologies et se réinventer – moi le premier », déclaration sur un mode un peu pathétique qui ne peut laisser indifférent (« par Jupiter », je voudrais écrire sans ironie aucune mais c’est aux lecteurs d’apprécier la teneur des propos présidentiels! ) et signifie pleinement l’immensité de la tâche à accomplir! A commencer par ce vrai programme d’intérêt général, voire de salut public (la désignation doit faire sens!), susceptible de souder un bloc républicain, mariant éléments populaires et élitisme républicain, dans un nouveau front populaire – bien différent de cette alliance insolite du gouvernement d’Edouard Pilippe – autour de cette perspective récusant le populisme identitaire nationaliste et xénophobe et le prétendu « progressisme » des élites mondialisées. Et donc à rebours d’une politique de discorde nationale qui a vu, à quelques mois de l’élection du président Macron l’éclosion d’un mouvement dit des gilets jaunes d’une ampleur et durée phénoménales et une vive protestation populaire contre la retraite à points, vécue comme remise en question du régime de répartition, le tout sur fond d’un manque de confiance dans les capacités de l’exécutif à faire face aux défis de la crise sanitaire et sociale.
Xavier DUMOULIN, le 21 avril 2020, actualisation du 17 juin 2020
Post-scriptum du 21 mai 2020 :
Les témoignages sont autant de marqueurs concrets complémentaires d’une histoire qui a vu la gauche inverser l’ordre de ses priorités. Mais on se gardera avec Didier Motchane, de « l’autobiographe pontifiant ou pénitent (qui) ne se fait jamais que le souvenir veuf d’une mémoire épuisée. Surtout s’il espère obtenir de la reine du tournoi le Prix de la Vérité… »
On réservera donc les nôtres, le cas échéant, dans l’illustration de nos réflexions ou dans des billets lorsque l’anecdote illustre le fond de l’affaire, plus en qualité de « spectateur engagé » qu’acteur dans cette politique spectacle obéissant à des cadres anthropologiques qui dévalorisent l’action militante. Celle-ci serait motivée par la recherche de « gratifications symboliques » (et pourquoi pas d’ailleurs? n’éprouvons-nous pas une réelle fierté à l’évocation de ces batailles militantes et un vrai plaisir dans ces liens de camaraderie et de rencontres auprès de personnalités éclairées et rayonnantes?) sinon matérielles (quand le noyau dur de ce qu’il resterait de militants reposerait aujourd’hui en grande partie sur les personnels des collectivités locales). C’est dans une perspective plus noble de la militance comme dépassement de la contradiction multimillénaire entre l’égoïsme et l’altruisme par le sentiment de contribuer à une œuvre plus grande que soi, qu’il ne faut pas hésiter à garder la tête haute dans une militance concrète au cours d’une histoire qui a vu pourtant la gauche inverser l’ordre de ses priorités, oubliant aussi la place et le rôle des « intellectuels organiques » (grands et petits) dans la préparation d’un basculement idéologique. Militance qui voudrait croire en son destin mais jugée trop naïve et souvent méprisée des milieux dirigeants de la politique professionnelle. Ceux-ci ne se grandissent pas en se ménageant trop souvent une base, masse de manœuvre manipulable et parfois gratifiée en conséquence, toujours préférable aux citoyens aguerris pour singer la démocratie, avec un trop plein de discours creux, d’arrière-pensées et de petites phrases ambivalentes, permettant tout et son contraire. Ce qui fait le lit des fossoyeurs de la démocratie !
Le combat militant pour le socialisme et la république doit continuer. Mais il doit se soustraire de l’influence idéologique néolibérale qui le désarme et notamment :
- Celle d’une gauche social-libérale qui a épousé la vision anthropologique de l’individualisme méthodologique (théorie des jeux chez Boudon : je gagne, je perds ou je compense gains et pertes dans mes échanges motivées par l’intérêt) et la philosophie politique libérale. Sur ces points il faut lire en particulier Jacques Généreux dans ses essais sur la Dissociété, le socialisme néomoderne ou la grande régression, Philippe Corcuff dans ses « B.a-ba philosophique de la politique pour ceux qui ne sont ni énarques, ni politiciens, ni patrons, ni journalistes », ses nombreux écrits de « trajets critiques en philosophie et sociologie » et ses « Enjeux libertaires pour le XXI° siècle par un anarchiste néophyte », Michel Clouscard dans sa critique du capitalisme de la séduction. Faut-il rappeler les plus hautes références toujours incontournables de la pensée socialiste (au sens large) qui sont celles de Marx, Engels, Jaurès et Gramsci ? Références auxquelles il est utile d’articuler ou de confronter d’autres écoles de pensée dans le foisonnement de leur développement et entrecroisement : celles du socialisme utopique, de l’anarchisme, de l’idée républicaine et du communisme libertaire. On s’attachera aussi à suivre les travaux de la critique sociale sans pour autant céder au relativisme et à la pensée fourre-tout au risque de perdre le cap d’une conception dynamique d’un réformisme révolutionnaire qui articule la fin et les moyens dans une perspective éthique, politique et morale.
- La primauté des droits (et des luttes contre les discriminations dans ce qui semble leur violation) contre la loi qui ne trouve plus à représenter la volonté générale, dans un système de conflits de logiques des droits revendiqués contradictoires et attachés aux identités, fort bien développée dans l’œuvre de Jean-Claude Michéa, un colloque de Res Publica, les essais de Pierre-André Taguieff et de Jean-Pierre Chevènement (Passion de la France à la collection Bouquins chez R.Laffont 2019). Les sources de la pensée républicaine restent dans ce cadre toujours bien précieux et leur champ d’exploration est immense (autour du républicanisme civique notamment de Machiavel à Harrington !).
- La fin du travail qui épouse l’air du temps (partage du travail, revenu d’existence par refonte des minima sociaux, promotion des activités avec des contrats d’insertion, etc.) et auquel s’oppose avec une grande clarté idéologique sur la base d’une recherche sociologique décapante, Bernard Friot qui vante la « puissance du salariat » et de la sécurité sociale comme « mode de production communiste déjà là » (qui doit s’étendre demain à d’autres domaines tels que l’alimentation ou l’habitat), prenant à rebrousse-poil tous les faux semblants et chausse-trappes de la pensée dominante intériorisée sur la rareté des emplois et la nécessité de «l’abaissement du coût du travail»,. La lecture et l’écoute des conférences du juriste du travail, de la sécurité sociale et de la philosophie du droit, Alain Supiot, professeur au Collège de France, nous fera explorer tout une recomposition des savoirs dans ce champ très large.
- Le marché comme régulation systémique. Ici la floraison d’analyses marxistes, de l’Ecole de la régulation, des économistes atterrés ou d’ATTAC, de Jean-Pierre Chevènement, de Jacques Généreux, du regretté Bernard Maris et de tant d’autres dont nous n’avons pas épuisé la lecture offrent des approches pluralistes mais critiques du capitalisme financier mondialisé et du néolibéralisme dont on ne saurait se dispenser d’une lecture approfondie, pas plus d’ailleurs que de celle des fondamentaux dans la critique de l’accumulation capitaliste en la matière : Karl Marx, Friedrich Engels et les marxistes (dont les pensées sont parfaitement synthétisés dans l’histoire du marxisme contemporain, collection dirigée par le regretté gramscien Dominique Grisoni), les traités aujourd’hui datés mais néanmoins utiles d’Ernest Mandel et dans une tout autre perspective des théoriciens du capitalisme monopoliste d’Etat.
Ce combat ne doit pas non plus s’épuiser dans la crise d’identité d’une gauche qui a trop longtemps porté les stigmates du stalinisme dans un difficile arrachement au modèle de socialisme bureaucratique étatique, autocritiquée par les courants d’historiens communistes dans « l’histoire mondiale des socialismes » sous la direction du regretté Jean Elleinstein, histoire aussi incontournable (par-delà la connaissance historique et érudite du socialisme mais pour une militance éclairée) que « l’histoire générale du socialisme » sous la direction du regretté Jacques Droz. Les deux volumes de l’ « Histoire des gauches en France » sous la direction de Jean-Jacques Becker et Gilles Candar constituent une belle contribution à la connaissance de l’héritage des deux siècles passés pour saisir l’actualité d’une gauche à l’épreuve de l’histoire. Insistons sur la place du « continent histoire » dans la pensée marxiste pour inviter aussi aux lectures de l’Histoire-Monde du regretté Fernand Braudel et de son disciple récemment disparu, Immanuel Wallerstein.et, plus largement des historiens dans le sillage de l’Ecole des Annales. Vaste programme de lecture que nous voudrions partager en sachant qu’il faut l’avoir en tête, ne serait-ce que pour en explorer quelques morceaux choisis! Ce qui ne serait déjà pas si mal (je parle pour moi).
Ces écueils des sociaux-démocrates et des communistes expliquent l’égarement de la gauche dans la perpétuation d’un modèle de croissance productiviste dont la critique trouve à s’exprimer dans de nombreux ouvrages qui ont suivi « La campagne de René Dumont et du mouvement écologique » parue en 1974 chez Pauvert. Parmi les auteurs critiques de l’économie productiviste et du « progrès » dont il faut conseiller la lecture : Bernard Maris, J.C Michéa, P.A Taguieff, Jean-Marie Harribey, des économistes d’ATTAC (dans « les petits libres » de la collection Mille et une nuits) et des tenants d’un « socialisme gourmand » (le bien-vivre : un nouveau projet politique vanté par Paul Ariès) préférés aux « décroissants » tenant d’un écologisme radical (versus éco socialisme ou écologie politique humaniste ou rationnelle).
L’idée d’une croissance sociale, référence socialiste d’avant 81, n’était-elle pas plus audacieuse que tous ces petits jeux politiciens d’aujourd’hui (sans base idéologique solide visant à capter un électorat écologiste caractérisé par sa base sociale mouvante et son idéologie équivoque) quand elle portait en elle cette capacité de subvertir le système aux raisons duquel elle a fini par se ranger en responsabilité nationale?
« La croissance comme la vitesse d’une bicyclette doit maintenir l’équilibre du véhicule social : peu importe la direction pourvu qu’il roule. La croissance capitaliste a d’abord pour but de conserver. A travers elle, le mécanisme de l’accumulation capitaliste entraîne tous les autres… » écrivait Chevènement dans le manifeste socialiste servant de préface aux « Clefs pour le socialisme » du très regretté Didier Motchane. Cet inégalable théoricien, d’une résilience sans pareil, conjuguant l’éloquence, la rigueur et la poésie dans des mots armés de sens qui nous ont tant appris (nous, ces « échevelés du CERES » aux questionnements insatiables) et dont les analyses d’une pertinence cinglante s’accommodaient mal des petits arrangements de la social-médiocratie !
Et, malgré cette dialectique à la manœuvre, cette impuissance, chez « Les socialistes, les communistes et les autres » à conjurer la marche en avant de ce mouvement néolibéral qui a tout entraîné dans son sillage, donne toujours à réfléchir à la façon de Motchane, incarnation d’une pensée dialectique vivante pour ceux à qui il importe toujours de « comprendre, vouloir et agir ». On lira avec intérêt « Ni périr ni trahir » un demi-siècle de débats et combats socialistes préfacé par Chevènement en juillet 2018, ouvrage posthume à l’initiative de Jean-Paul Pagès, militant du CERES puis du MDC.
Parlant de Didier Motchane, Chevènement souligne qu’en « fin dialecticien et redoutable polémiste, il comprenait que les défis du monde impliquaient cette conversion républicaine à laquelle le PS pour son confort, mais aussi pour son malheur, a préféré une conversion libérale à bas bruit et, pour cela même, irrémédiable. Didier, je l’ai dit, n’était pas seulement un théoricien. Il était un redoutable polémiste. Il avait le mot qui tue. Aussi parle-t-il des gaullistes « commémoratifs ».
Aux déçus de mai 68 qui, dix ans après, dressent le constat du décès du mouvement ouvrier, il concède qu’ils ne sont pas ses assassins, pas plus qu’ils ne peuvent s’improviser médecins, mais qu’ils sont simplement les victimes d’une erreur de diagnostic : bons staliniens pour la plupart, ils ont confondu la classe ouvrière avec le parti communiste : « En quittant celui-ci ils ont cru voir disparaître celle-là ».
Mais c’est à la deuxième gauche que Didier Motchane réservait sa meilleure verve rajoute Chevènement évoquant l’ironie mordante de ces mots de Motchane : « Elle n’est au fond qu’un produit et un témoin de la crise de la première, c’est-à-dire de la gauche ». Et Chevènement de conclure sa préface en affirmant que « Didier Motchane était resté le dernier fils de Prométhée : il nous encourage encore et toujours à professer « l’optimisme de la volonté ».
Si les hommes écrivent l’Histoire sans toujours savoir laquelle, notre pratique militante a bel et bien échoué à infléchir l’ordre des choses. Mais ne permet-elle pas aujourd’hui de donner sens et légitimité aux combats d’ici et maintenant? La collection des archives du CERES chez Bruno Leprince nous ressource dans cet « Enjeu pour la République et le Socialisme », titre de notre revue d’après le tournant libéral de 83 qui déclare dans son manifeste « Nous souhaitons, en effet, que la République redevienne ce que ses fondateurs avaient voulu qu’elle fût, un bien collectif ». Le livre de Jean-François Claudon et Julien Guérin retrace l’épopée des jeunes du CERES de 1971 à 1981. « Cheveux longs et poings levés » (Bruno Leprince 2012) et nous livre une belle et complète documentation sur les mouvements de jeunesse socialistes (Mouvement des jeunes socialistes et des Etudiants socialistes) auxquels nous étions liés dans cette période. Dans sa préface, Didier Motchane résume en quelques mots « Ce que fut le CERES, ce qu’il a voulu être : la volonté de tirer les conséquences d’une conviction. Que le socialisme, avenir souhaitable, devienne possible. Non pas comme l’horizon d’une histoire qui recule à mesure qu’elle vieillit, utopie dans le sens le plus triste d’une idée magnifique, non pas dans l’avènement d’une société sans conflits, ni désirs, mais dans l’accomplissement du vivre ensemble qui tienne à l’honneur de magnifier les chances du bonheur de chacun ».
Ces références militantes mettent à mal les raisonnements implicites de ces dirigeants trop souvent arrogants et sophistes qui tranchent à la va vite les sujets majeurs dans une conciliation idéologico-politique désarmante et voudraient au nom de raisons jamais explicitées invalider nos perspectives d’avancées vers une République sociale. Qu’ils nous expliquent donc où, quand, pourquoi et comment les fondamentaux du socialisme démocratique républicain qui restent les nôtres ont été mis à la trappe ou jeté par-dessus bord. Ou plutôt qu’ils s’en expliquent! Quant à nous nous continuerons d’exposer en toutes libertés nos raisons d’agir car selon le mot de Jean-Pierre Chevènement dans un entretien pour le blog citoyen, socialiste et républicain : « Vivre c’est lutter ! »
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