Agir en citoyen pour la Paix et le respect des droits humains en Ukraine, par Xavier Dumoulin

(ou comment repenser la sécurité des nations depuis la société civile)

Dans ce court exposé nous rappelons des éléments nous permettant de comprendre la situation de l’Ukraine ( 1, 2 et 3) avant de proposer la lecture de « la cantine syrienne » (4) dont nous ne partageons pas pour autant toutes les conclusions mais qui tire des enseignements de l’expérience en Syrie.

1 L’évolution des relations internationales dans le monde contemporain

Pour mémoire, 1648 la paix de Wesphalie après la guerre de Trente ans, le nouvel équilibre en Europe entre la France, les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne puis la suprématie de la Suède et de la Russie (Pour mémoire système de « l’Etat des Etats » dans l’empire Austro-Hongrois et l’Espagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne puis évolution vers la monarchie absolue au cours du XVIII° siècle (sauf Pologne en désagrégation, les PB et la GB) et le despotisme éclairé dans la 2° moitié du XVIII° (Frédéric II de Prusse, Joseph II d’Autriche, Catherine de Russie, Charles III d’Espagne). Aux PB et en GB système de « l’Etat des Etats » maintenu).

Le congrès de Vienne (1814-1815) et le concert des nations pour une recherche de la légitimité (des souverains) et de l’équilibre des forces. 

La paix de Versailles en 1919. La SDN et son échec

1945: Paix de Yalta ; conférence de San Francisco et création de l’ONU.  Difficultés de respect des principes de la charte du fait de la politique des blocs (guerre froide puis détente) ou des visées impérialistes (véto des membres permanents). Violation du droit international (Kosovo, Ukraine notamment).

Enfin « le renouvellement total de la scène internationale se produit pour la cinquième fois depuis l’aube des Temps modernes, depuis la constitution d’un système européen puis international composé d’entités étatiques souveraines » (C Zorgbibe) avec « les révolutions européennes des années 1989-1990″.

2 La situation de l’Ukraine après la dislocation de l’URSS et les évènements de Maïdan

Pour mémoire le statut de « république indépendante » (Lénine contre Staline qui voulait seulement l’autonomie), la Crimée donnée à l’Ukraine sous Kroutchev.

Depuis l’explosion du glacis soviétique avec l’écroulement de l’URSS, l’Ukraine concentre plus que jamais des problèmes cruciaux pour son propre avenir et celui d’un monde qui tourneboule (cf.Charles Zorgbibe Une histoire du monde depuis 1945, 2017, pp 371-374 notamment). L’auteur rappelle l’enchaînement des faits depuis le 21 novembre 2013 avec le mouvement de Maïdan quand « de grandes manifestations rassemblent démocrates et libéraux pro-occidentaux, auxquels se mêlent quelques groupes néonazis » sur la place centrale de la capitale ukrainienne. « La réplique de la Russie sera double : la Crimée vote son rattachement à la Russie le 16 mars 2014 ; sur le flanc est de l’Ukraine, les deux oblasts de Donestsk et Louhansk, qui constituent le Donbass, se soulèvent et se proclament Etats fédérés de la nouvelle Russie – dans le premier cas, il s’agit d’une annexion par la Fédération de Russie, qualifiée d’illégale par les occidentaux, dans le second, d’une sécession de facto de l’Ukraine, non officiellement reconnue par Moscou. Pour les Etats occidentaux, la Crimée et le Donbass doivent réintégrer l’Ukraine ; des sanctions économiques sont imposées à la Russie, accusée d’avoir attisée, par « une action délibérée de déstabilisation », une guerre civile larvée dans le Donbass – avec pour conséquence l’effondrement du prix du pétrole, qui représente la moitié des exportations et ressources budgétaires russes, la perte par le rouble de la moitié de sa valeur et une baisse considérable du taux de croissance de la Russie »

Dans son « histoire du monde depuis 1945 », le professeur émérite, spécialiste des questions internationales, Charles Zorgbibe, dénonce ainsi « l’hubris des élargissements successifs de l’OTAN ». On trouve dans les pages de l’ouvrage précité du professeur de relations internationales les éléments sur la gestion occidentale de cette affaire. Les critiques bien connues d’Hubert Védrine et de Jean-Pierre Chevènement, rejoignaient très largement cette approche quand ils ont eux-mêmes pratiqués la diplomatie de la France avec la Russie, le premier en tant que ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin, le second en tant que représentant de la Russie auprès des présidents Hollande et Macron, ce président en fin d’exercice que Chevènement ne cessait de convaincre d’approfondir l’ouverture envers la Russie déjà en œuvre dans le processus de Normandie en vue de faire appliquer les accords de Minsk entre la Russie, l’Ukraine et les représentants des régions du Donbass… Jean Elleinstein, éminent spécialiste de l’URSS et de la Russie, soulignait dès 1992, dans son histoire « D’une Russie à l’autre », que « la capacité de résoudre pacifiquement les litiges entre la Russie et l’Ukraine constitue la question la plus importante de la situation dans l’ex-Union soviétique et pour le monde lui-même ». Le regretté historien décrit dans son livre cette Ukraine, «riche en charbon et en fer, ses structures économiques (qui) ressemblent à celles de la France des années cinquante, sauf que plus de cinquante ans de kolkozes et de sovkozes ont détruit en partie les terres noires qui étaient parmi les plus riches du monde. » Il observe qu’en « Russie comme en Ukraine, l’environnement a été massacré par une politique à courte vue et indifférente aux rapports de l’homme avec la nature. Les êtres humains ont été tués ou totalitarisés, les nations brimées et la nature abîmée. Tchernobyl est à cet égard une réalité et un symbole. ».

La folle géostratégie poutinienne, dans la continuité du nationalisme et du « chauvinisme grand russe » et de leur volonté hégémonique, a pris prétexte du gel des accords de Minsk pour réengager ses forces militaires dans une opération aussi meurtrière qu’insensée dans cette république la plus riche et la plus peuplée de l’ancienne zone soviétique. Cette correspondance entre les risques militaires et environnementaux illustre l’intrication des problèmes à l’heure d’une nouvelle alerte sur le danger du recours de la Russie à l’arme nucléaire, menace proférée cyniquement en guise d’intimidation par l’autocrate russe qui occupe deux zones de centrales nucléaires.

3 La voie diplomatique pour la paix

La sortie du conflit supposerait-elle l’acceptation d’un statut de neutralité du pays et la mise en œuvre des accords de Minsk? (position des tenants de la réalpolitik tel Védrine, Chevènement/Macron). Mais qu’en est-il alors du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes?

Divergences entre les politiques en France :

JL Mélenchon non alignement/ONU et CSCE, Roussel recherche de la paix à tout prix avec diplomatie ONU, conférence sur la sécurité et sanctions adaptées contre les oligarques, P Jadot et A Hidalgo insistent sur les sanctions, parlent de l’adhésion à l’UE (?) et aussi l’aide militaire (sans intervention directe). V Pecresse semble adopter la même vision. Disqualification morale de Le Pen (passage au pillon de son tract de campagne avec une photo de Marine LP et Poutine en page centrale) et Zemmour (qui s’auto-proclamait le « Poutine français »).

La politique de la France relativement consensuelle autour du président Macron.

Questions de l’efficacité des sanctions (cf Le Monde Diplomatique mars 2022), de la place de l’intérêt national (effet boomerang des sanctions sur le pouvoir d’achat des plus démunis et des bas salaires), risque de déstabilisation sociale en France,  Europe, Afrique (avec la cherté des céréales notamment)…

Les limites de l’engagement aux côtés de l’Ukraine (non engagement de l’OTAN, risque d’extension du conflit et d’escalade nucléaire) traduisent les faiblesses d’une approche géostratégique (les USA de J Biden, F Hollande et d’autres demandent l’arrêt des achats de gaz et de pétrole).

Dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unies, blocage de la Russie. Quelles perspectives avec l’assemblée générale des NU (enjeu des positions de la Chine et de l’Inde notamment)?

En Europe décisions d’accueil des migrants, fermeté vis à vis des oligarques (mais qu’en sera t-il du gel des avoirs dans les paradis fiscaux?), réflexion sur la place de l’Ukraine en Europe (en dehors de l’adhésion à UE), sur l’adaptation des sanctions.

L’émergence d’une praxis autonome (posture et position) de la société civile pour ne pas figer la solidarité dans le cadre étroit de de l’action des seuls états (ONU, Europe, diplomatie, etc.) et faire valoir une conception citoyenne propre autour des problématiques de paix sans s’enfermer dans le manichéisme, le simplisme ou les principes abstraits.

En France et en Europe nombreuses manifestations populaires de solidarité à développer.

4 Les 10 enseignements syriens pour penser la sortie de guerre en Ukraine dans ce cadre de la société civile sont à explorer avec « la cantine syrienne »

https://cantinesyrienne.fr/ressources/les-peuples-veulent/guerre-en-ukraine-10-enseignements-syriens?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter%20Mars%202022&utm_medium=email

Axes proposés par la cantine syrienne

1 : Écouter les voix des premier.e.s concerné.e.s par les événements. 

2 : Se méfier de la géopolitique de comptoir. 

3 : N’accepter aucun tri entre bon et mauvais exilé.e. 

4 : Se méfier de la position des médias mainstream

5 : Ne pas faire des pays occidentaux l’axe du bien.  

6 :  Combattre tous les impérialismes ! 

7 : Ne pas renvoyer dos à dos l’Ukraine et la Russie. 

8 : Comprendre que la société Ukrainienne, comme en Syrie, comme en France, est traversée de différents courants.  

9. Soutenir la résistance populaire en Ukraine et en Russie.

10. Construire un nouvel internationalisme par le bas.

Proposition de positions au sujet de l’invasion russe en Ukraine :  

– Soutien total à la résistance populaire ukrainienne face à l’invasion russe 

- Soutien privilégié pour les acteurs auto-organisés défendant des positions émancipatrices en Ukraine par les dons, l’aide humanitaire et la diffusion de leurs revendications

- Soutien aux forces progressistes anti-guerre et anti-régime en Russie et diffusion de leurs positions  

- Accueil des exilé.e.s ukrainien.ne.s et organisation de rencontres pour faire entendre leur voix 

- Combat de tous les discours pro-Poutine, encore plus à gauche (La guerre en Ukraine doit être l’occasion de définitivement en finir avec cette rhétorique campiste et viriliste) 

- Combat des discours défendant l’OTAN par idéologie

- Refuser le soutien aux acteurs, en Ukraine et ailleurs, qui défendent une politique ultranationaliste, xenophobe et raciste 

- Critiques et méfiances permanentes face aux actions de l’OTAN en Ukraine et ailleurs 

- Pressions sur les gouvernements (manifestations, actions, banderoles, tribunes, pétitions, etc.) afin de faire appliquer les revendications des acteurs auto-organisés sur le terrain 

C’est peu malheureusement, mais c’est tout ce que nous pouvons proposer tant qu’il n’y aura pas de force autonome ici ou ailleurs, luttant pour l’égalité et l’émancipation, capable d’apporter un soutien économique, politique voire militaire conséquent. 

Nous espérons sincèrement que, cette fois-ci, ces positions seront portées par le nombre. Si cela arrive, nous serons profondément heureux.ses mais nous garderons le souvenir que ce fut loin d’être le cas pour la Syrie, et que ça lui a coûté cher.  

La Cantine Syrienne de Montreuil et l’équipe des Peuples Veulent proposent leur lecture sur la guerre en Ukraine ; 10 enseignements syriens Mars 2022

 

Cet article est publié simultanément sur Crimethinc. et traduit en anglais, en allemand, en italien et en espagnol.


« Nous savons que cela peut sembler difficile de se positionner dans un moment comme celui-ci. Entre l’unanimité idéologique des médias dominants et les voix qui relaient sans scrupule la propagande du Kremlin, on ne sait plus qui écouter. Entre une OTAN aux mains sales et un régime Russe criminel on ne sait plus qui combattre, qui soutenir. 

Nous participant.e.s et ami.e.s de la révolution syrienne souhaitons défendre une troisième voie et  proposer un point de vue basé sur les apprentissages de plus de 10 ans de soulèvement et de guerre en Syrie. 

Clarifions tout de suite : nous défendons aujourd’hui encore la révolte en Syrie dans sa dimension de soulèvement populaire, démocratique et émancipateur, notamment incarnée par l’expérience des comités de coordination et des conseils locaux de la révolution. Si beaucoup l’ont oublié, nous affirmons que ni les crimes et la propagande de Bachar al-Assad ni ceux des djihadistes ne sauraient faire taire cette voix. 

Dans ce qui suit, nous n’entendons pas comparer ce qui se passe dans les deux pays. Si ces deux guerres ont débuté par une révolte et si l’un des agresseurs est le même, les situations restent bien différentes. Nous comptons plutôt, à partir de nos apprentissages de la révolution et puis de la guerre en Syrie, proposer quelques pistes afin d’aider ceux et celles qui défendent sincèrement des principes émancipateurs à prendre position. »


Sources et conseils de lecture pour aller plus loin

Les voix de la résistance en Ukraine et en Russie 

Sur la question de l’impérialisme et l’internationalisme

Points de vus et conseils syriens

Sur le rôle de l’OTAN et des pays occidentaux

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