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Créé par sr07 le 01 avr 2020 | Dans : a0-blog citoyen, socialiste et républicain et actualité du Nouveau Front Populaire
Une tribune de Corrine Luxembourg Maîtresse de conférences, géographe, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture
Concentrés que nous sommes sur ce virus dont la violence induite par sa contagiosité nous stupéfait, nous occultons dans notre hémisphère, le terrible été incendiaire australien qui s’est enfin apaisé. Imaginons-nous vraiment : début mars, on pouvait enfin dire qu’il n’y avait plus de nouveau départ de feu depuis juillet ? Où sont, dans nos mémoires les hectares de forêt amazonienne partis en fumée de janvier à août 2019 ? Jusqu’ici, la réalité écologique se dégradait silencieusement et pourtant dans des proportions spectaculaires (Charbonnier, 2020), aidée en cela par des initiatives brutales de colonisation des terres (100 millions d’hectares de forêt tropicale coupés ente 1980 et 2000). Le siècle a 20 ans, et l’intensification des ouragans, des tempêtes, le rapprochement des périodes caniculaires n’ont fait que mettre plus à vif encore les vulnérabilités sociales et spatiales.
Rien de neuf, il a été écrit mille fois l’incidence des monocultures intensives, des confiscations, des expropriations des terres pour en extraire les bitumes, les gaz de schiste, et toute autre ressource fossiles (Bednik, 2016), et mille autres fois le réchauffement climatique… de Théodore Monod en 1941 à… Fred Vargas en 2019 en passant par le Printemps silencieuxde Rachel Carson publié pour la première fois en 1962. En janvier, puis en mars 2019, les milliers de personnes rassemblées pour les grèves pour le climat n’ont pas dit autre chose que ce lien entre ce système économique (capitaliste ou néolibéral) et la dégradation de nos conditions de vie sociales, environnementales et sanitaires.
Les sociétés industrielles qui sont devenues nos milieux quotidiens de l’hémisphère nord ont fait le pari de la dissociation entre ce qui serait naturel et ce qui relève d’une production humaine, cette fameuse discontinuité nature-culture. Cette fragmentation de la pensée, de la conception des activités humaines, les hiérarchisant a laissé libre cours à toute entreprise de domination, et avec, de colonisation, de l’espace comme des êtres : l’argument de la « nature » suffisant à en réclamer la domestication et la civilisation de son indubitable sauvagerie et à rompre toute connectivité de l’humanité d’avec son environnement.
Isabelle Stengers résume cet héritage : « [Le monde] que nous connaissons est intrinsèquement issu de la colonisation, de la mise en coupe réglée des terres colonisées et de la destruction ou de l’asservissement de leurs habitants. Mais cela a eu lieu également en Europe, avec ce que les Anglais appellent les enclosures. Ici comme ailleurs, la destruction s’est faite au nom du progrès, en faisant régner un droit de propriété qui est avant tout un droit d’exploiter, d’extraire, d’abuser et de défaire toutes les interdépendances. »(Stengers, 2019 ; 18)
Le rapport avec le virus ?
On sait que cette rupture, en plus d’avoir mis à mal, de façon sans doute irréparable, la biodiversité, a produit un terrain favorable aux pandémies (Grandcolas et Justine, 2020).
L’onde du coronavirus a pris de court, par sa rapidité de propagation et pour la première fois, le monde se retrouve à faire face à la même période à la contamination. La diminution des distances-temps n’accélère pas seulement le parcours du monde, elle rend quasiment synchrone la pandémie en chaque région du globe. Voilà donc que l’on se situe à ce croisement entre la moderne mondialisation capitaliste où les frontières se gomment devant les flux financiers et se hérissent face aux migrants laissés à leur mort en Méditerranée ou dans les montagnes, et l’archaïsme des épidémies dont l’apanage restait celui des pays d’Asie, voire d’Afrique, mais incompatible avec l’Occident du XXIe siècle, si sûr de lui, qu’il n’a rien perdu de son quant-à-soi colonialiste. Rien de neuf non plus ici, tant on sait que la structure de pensée et d’organisation centre/périphérie est intimement liée au capitalisme, puisque justement elle est à la source de ce système colonisateur.
Pourtant le système tangue… La violence qu’il met dans sa contrattaque est à la mesure de sa peur.
Jusqu’ici le choix de la compétitivité et de l’attractivité a exacerbé la compétition des régions, des territoires entre eux, l’a adaptée aux évolutions des technologies. La fragmentation des processus de production puis leur délocalisation en a été l’un des moteurs efficaces. L’espace hyperconnecté a été lissé, standardisé au point d’être un marché idéal (Cluzet, 2007). La proximité des plateformes intermodales de transports s’est rapidement affirmée comme un facteur de localisation primordial pour le stockage de différents types de matières et de produits, et d’entreprises de logistiques et d’assemblage. Puis le développement des technologies numériques d’information et de communication a renforcé ces lieux en offrant une rapidité d’échanges. L’industrie, pourtant seule source d’alimentation de la surconsommation des biens et donc des flux financiers appartenait au « vieux monde ». Ces places technologiquement équipées pour rendre possibles les échanges virtuels déjà favorisées économiquement l’ont été plus encore par la décision politique du début des années 2000 de conforter leur compétitivité au détriment d’autres territoires, aboutissant à renforcer l’injustice spatiale.
Les flux économiques dans le contexte d’accélération du processus de mondialisation existent plus que jamais en faisant abstraction du substrat géographique donc urbain. Les espaces urbains, puis métropolitains créés dans le cadre d’une suraccumulation du capital peuvent à leur tour disparaître dès lors que la capacité technologique d’accélération des flux d’informations le permet à l’échelle mondiale (Harvey, 2012). La déconnexion des lieux de travail des territoires, la distanciation des lieux de donneurs d’ordres et des lieux de production fabriquent des espaces métropolitains en dehors de tout contexte géographique. Les métropoles constituent une sorte d’archipel, chacune d’entre elle est déconnectée de son environnement. (Luxembourg, 2015)
L’insuffisance manifeste des matériels (médicaments, masques, appareils respiratoires…) constatée dans tous les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord dit la même chose que le manque des saisonniers étrangers dans les grandes exploitations agricoles. L’utilisation des différences de droit du travail pour produire à moindre coût et augmenter les possibilités de rémunération des actionnaires, dans sa vision court-termiste est responsable de la vulnérabilité actuelle des populations. Jusque-là le développement du capitalisme mondialisé s’est servi de la planète et de ses inégalités pour disséminer la production en maintenant une productivité toujours plus grande, nécessaire à la croissance.
En quelques jours, le coronavirus a rendu fragile toute cette organisation géopolitique comme le signale Eva Illouz.
Et c’est précisément là que se joue la violence du capitalisme.
Que le président brésilien décide de repousser le confinement, comme l’ont fait avant les dirigeants politiques des Etats-Unis, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de France… n’est pas qu’un défaut de morale qui, sur un coup de folie, aurait fait préférer la maladie, la mort, à l’intérêt commun de la bonne santé, du bien-être. Les injonctions contradictoires du gouvernement français demandant en même temps que de rester chez soi, aux travailleurs les plus précaires, aux chômeurs (techniques ou non) d’aller travailler, prêtant main forte à l’agro-industrie et ceci sans grande attention aux règles de sécurité sanitaire ne témoignent de rien d’autre que de la violence du système capitaliste qui craint de ne plus gagner autant. La possibilité d’extension du temps travaillé hebdomadaire à 48h (retour à avant la loi de 1919 et ses décrets de 1926) ou 60h (ce qui ne se faisait plus depuis 1926) dans certains secteurs (déclaration du ministère du travail du 24 mars 2020) va dans le même sens et ceci « en même temps » que les entreprises européennes distribuent les dividendes records correspondant à l’année 2019. Cette cruelle et violente ironie n’a pas encore (mais ça ne saurait tarder), l’augmentation du temps de travail et le nombre de personnes au chômage.
Ce qui se joue ici, c’est le rang des places financières dans la compétition mondiale de l’après crise sanitaire. La violence des décisions politiques est d’autant plus virulente qu’il s’agit à minima de conforter l’assise économique déjà acquise, au mieux de sortir « vainqueur » de la crise, d’annexer encore quelques espaces. Bien sûr l’épidémie révèle dans sa nudité crue le système inégalitaire qui est le nôtre, mais, peut-être pire encore, elle dit sa volonté de l’être plus encore et de l’aggraver.
Bednik Anna, 2016, Extractivisme, Le Passager clandestin, Lyon.
Charbonnier 2020
Cluzet Alain, 2007, Ville libérale, ville durable ? Répondre à l’urgence environnementale, Ed. de l’Aube, La Tour d’Aigues.
Grandcolas Philippe et Justine Jean-Lou, « Covid-19 ou la pandémie d’une biodiversité maltraitée », The conversation 25 mars 2020.
Harvey David, 2012, Les villes rebelles : du droit à la ville à la révolution urbaine, Buchet-Chastel, Paris.
Luxembourg Corinne, 2015, Pour une ville habitable : de l’espace-temps comme enjeu démocratique, Ed. Le Temps des Cerises, Montreuil.
Monod Théodore, 1941, « L’action de l’homme sur le climat », Notes africaines, Chroniques de l’IFAN n°9.
Rose Deborah Bird, 2019, Vers des humanités écologiques, Wildproject, Marseille
Stengers Isabelle, 2019, Résister au désastre, Wildproject, Marseille.
Vargas Fred, 2019, L’humanité en péril. Virons de bord, toute !, Flammarion, Paris.
Créé par sr07 le 26 mar 2020 | Dans : a-le quartier libre de XD, a0-blog citoyen, socialiste et républicain et actualité du Nouveau Front Populaire
A l’heure d’une évolution de l’épidémie, la géopolitique du virus présente sous un nouveau jour la compétition entre le président chinois Xi Jinping qui prodigue à présent les enseignements d’une crise sanitaire sous contrôle et Donald Trump, imprévisible et arrogant chef d’Etat enfin décidé à changer de cap, après ce long déni de risque épidémique de ce qu’il nomme à présent le « virus chinois ». Les dirigeants du vieux continent ont quant à eux trop tardé à tirer les leçons des pays asiatiques en pointe dans l’endiguement de la contagion qui sévit particulièrement à ce jour en Italie, en Espagne et en France.
L’exemple français reste à cet égard éloquent. Confronté à l’avalanche quotidienne de questionnements critiques émanant de tous les secteurs de la société française, et en particulier du monde de la santé et de la recherche scientifique, le pouvoir décline haut et fort son catalogue des bonnes intentions sous un mode martial et trop assuré qui dissimule mal sa fébrilité face aux difficultés concrètes des acteurs du soin, libéraux ou hospitaliers, en première ligne dans la crise sanitaire qui monte jour après jour sur les territoires de la métropole, de l’île de beauté et de l’Outre-mer.
Le manque avéré de réactivité dans la gestion gouvernementale de la crise hospitalière, crise structurelle depuis la mise en oeuvre de la T2A et de la dite « nouvelle gouvernance », n’offre-t-elle pas une illustration de ce décalage opérationnel? Les promesses toutes récentes du président Macron envers les soignants hospitaliers n’exonèrent pas, loin s’en faut, de l’absence de réponses aux besoins en capacités hospitalières, en personnels et en moyens malgré les alertes et interpellations des professionnels ces douze derniers mois marqués par le mouvement des urgentistes et des centaines de démissions de responsables hospitaliers.
A cette crise hospitalière structurelle, s’ajoutent à présent les constats de déficiences logistiques en matière de tests de dépistage, de masques de protections pour les malades et les soignants et de matériel médical.
Ces réalités accablantes, dans ce moment de vérité qui accompagne l’approche du pic épidémique, illustrent ces carences gouvernementales et managériales. Le manque de détermination gouvernementale à conduire une politique de confinement dans un temps opportun précédent l’explosion de la pandémie, de l’aveu même de l’ex-ministre de la santé, candidate LREM en fort mauvaise posture de second tour pour la mairie de Paris, traduit bien cette incapacité. Dans cette période pré-électorale qualifiée de mascarade par Agnès Buzin, ce non choix implicite pour rassurer les marchés financiers et préserver l’économie avant de se résigner in extremis à l’annonce de mesures fortes, à la veille d’un scrutin pourtant maintenu en dépit du bon sens, ne trahit-il pas une absence de vision et de cohérence pour combattre la pandémie?
Le discours présidentiel de guerre contre le virus – virus dont le porteur reste néanmoins l’homme contaminé – souffre du manque certain de cohérence et de pédagogie sinon de légitimité de l’exécutif qui eût été mieux inspiré de ne pas mettre en œuvre le 49-3 en période de menace de pandémie avant de se raviser trop tardivement en suspendant toutes les réformes en cours.
Les propos trop tranchés de refus des fermetures du pays sous le prétexte que le virus ne connaîtrait pas de frontières ont aussi fragilisé la crédibilité du discours régalien quand on savait l’importance des mesures de précaution et du confinement qui supposent bien évidemment une stricte limitation des circulations sur les espaces concernés. Que cette demande de fermeture des frontières émane d’une Le Pen ne justifie en rien ce flou présidentiel décalé sur fond de compétition politique entre le populisme identitaire du RN et l’européisme de LREM et du MODEM !
Les instances européennes sont d’ailleurs (et par dessus le marché!) paradoxalement totalement absentes dans une définition pertinente et concertée de mesures de santé publique adéquates qui restent pourtant attendues dans l’espace de Schengen. On observe aussi ce retard à l’allumage de la BCE dans la défense des économies menacées de la zone euro, aujourd’hui en passe d’être compensé par les changements radicaux d’orientations dont il faudra mesurer la portée mais qui augurent de révisions salutaires en matière de gouvernance économique.
Cette difficile gestion de crise par l’exécutif – président, chef du gouvernement et ministre de la santé - se revendique pourtant d’une expertise éclairée. Expertise certes nourrie courant mars des analyses et préconisations du conseil scientifique constitué ad hoc avec onze personnalités qualifiées, cooptées en raison de leur compétence dans les domaines médicaux et scientifiques incluant les sciences humaines, et dirigé par le docteur Jean-François Delfraissy, immunologue qui présidait, avant l’installation du conseil par le nouveau ministre de la santé, le comité national consultatif d’éthique.
L’expertise du conseil scientifique vient compléter celle des institutions nationales dont la direction générale de la santé, représentée par son directeur, le professeur Salomon, aux côtés d’autres autorités telle que la Haute autorité en santé mais avec un grand oublié dans cette période médiatique : le Haut conseil de la santé publique.
Ce retrait d’une instance particulièrement qualifiée dans le champ de la stratégie nationale de santé et de prévention de risques sanitaires s’opère dans un contournement implicite de notre démocratie sanitaire. Cette démocratie sanitaire s’accomplit notamment dans les procédures d’élaboration et d’évaluation des grands programmes de santé publique, son effacement amputant en conséquence la légitimité des choix en la matière. A rebours donc des dynamiques participatives qui semblaient inscrites dans le nouveau paysage sanitaire voulant donner toute sa place à « l’expertise des usagers » aux différents niveaux territoriaux et dans la conduite transversale des politiques de santé. Le confinement constitue une première attitude civique pour freiner la contamination et donner une respiration aux soignants pour une meilleure prise en charge des publics en détresse. Son succès repose surtout sur la pleine conscience des populations tant l’effort exigé peut être difficile. Une pédagogie portée par les acteurs expérimentés dans le champ de la santé publique doit contribuer au strict respect de cette mesure salutaire encore trop faiblement appliquée malgré les injonctions régaliennes et la répression des comportements délictuels.
Jusqu’à ces derniers jours, les manquements au principe de précaution inscrit dans notre constitution – le problème n’étant plus de discuter du fondement mais des modalités de mise en œuvre du principe dans cette crise – se conjuguent avec un certain effacement de la démocratie sanitaire dans cette période qui aurait grandement besoin de pédagogie civique, d’éthique et d’adhésion aux impératifs de santé publique dans ces circonstances exceptionnelles. Dans les débats et votes autour de de l’urgence sanitaire on a pu mesurer la responsabilité des gauches parlementaires sur le volet social contrariant la propension de la majorité parlementaire au détricotage du droit social.
La recherche d’efficacité dans la gestion de la crise liée à la pandémie ne suppose -t-elle pas à présent de corriger le tir en joignant des actes concrets à une parole mieux orientée et plus collégiale, à la hauteur des fondements de notre démocratie sanitaire et sociale? Dans cet esprit, permettre aux acteurs de la santé, médecins et soignants, ainsi qu’aux professionnels et bénévoles d’autres secteurs actifs aujourd’hui, d’accompagner leurs compatriotes, malades et citoyens, avec les moyens d’intervention et de protection adéquats reste un objectif élémentaire. Sans oublier de donner aussi toute leur place aux choix éthiques et civiques consubstantiels à la conduite d’une gestion de crise équilibrée qui doit trouver son point d’appui décisif dans la solidarité du corps social et dans le réconfort moral de la Nation unie.
Xavier DUMOULIN