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Du sarkozysme à la régression antidémocratique : l’AGAUREPS-Prométhée explore les analyses et réflexions de Sami Naïr et Jacques Généreux

Créé par le 19 avr 2012 | Dans : a1-Abc d'une critique de gauche. Le billet de XD, a4-Le blog citoyen croque la droite, AGAUREPS-Prométhée, Articles de fond

Quels sont les symptômes de cette régression ? quelle est sa logique ? dans quels champs s’opère -t-elle ?

Pourquoi cette tendance régressive (1) en œuvre depuis les années 70 (2) connaît-elle une soudaine amplification sous N.Sarkozy?

Comment situer dans ce cadre l’actualité politique et sociale et particulièrement

-         l’agression contre une population stigmatisée et désignée en terme ethnique dans une circulaire – j’évoque les Roms- ;

-         l’agression contre le monde du travail au travers la remise en cause du droit à la retraite – puisque contrairement aux dires du gouvernement il s’agit bel et bien d’une attaque frontale, d’une contre-réforme.

Cette régression de la démocratie sociale et des principes républicains resurgit avec l’aggravation de la crise du capitalisme financier mondialisé et sur fond de délitement du lien social.

Les symptômes sont nombreux.

Dans le champ du social : le chômage et la précarité ; les conditions de travail (productivité-flexibilité) ; les bas salaires ; les retraites…

Dans celui de la santé : les difficultés d’accès aux soins avec notamment l’augmentation des charges à reste pour les assurés (3) ; le développement des accidents du travail ( risques psycho-sociaux-organisationnels ) et des maladies professionnelles ; le phénomène sociétal des conduites addictives…

Dans le champ idéologique : entre le néo-libéralisme conservateur et le néoconservatisme libéral.

Le tout sur fond de délitement de la société ( invalidant à présent les références à la sociologie de Durkeim) et de dislocation des économies dans le processus de la globalisation ( au-delà des théories marxistes sur la crise du capitalisme monopoliste d’Etat).

Ce fond là offre un terreau particulièrement fécond au néo-conservatisme de N.Sarkozy.

Je voudrais évoquer à nouveau les deux exemples actuels qui, à mes yeux, restent bien signifiants de cette grande régression :

la remise en cause de la liberté de prendre sa retraite à soixante ans et de jouir d’une retraite décente ;

l’atteinte aux droits de l’homme et à sa dignité dans l’organisation administrative et policière d’une chasse ethnique.

Dans ces deux cas, ne s’agit-il pas de la négation des fondamentaux de notre construction démocratique, républicaine et sociale au nom d’une idéologie néo-conservatrice procédant par amalgame et dogmatisme pour tenter de masquer ses objectifs au service d’étroits intérêts de classe ?

Je poserai l’hypothèse d’une capacité d’alternative républicaine dans une visée d’émancipation sociale. Une capacité d’alternative au phénomène sarkozyste qui doit être préalablement analysé en profondeur. Car on peut aussi s’interroger sur le sarkozysme, cet état d’esprit qui, au delà de sa personne, contaminerait la société française !

A la manière d’un Sami Naïr, – à qui nous empruntons la réflexion qui suit pour vous la livrer toute entière et souvent avec ses mots -, dans sa dénonciation du détournement d’une politique de civilisation (politique présentée lors de vœux présidentiels en début de quinquennat ), on peut aller au-delà de la simple exhibition d’un style pour s’interroger.

De quoi Sarkozy est-il le symptôme ? Comment a-t-il conquis l’hégémonie dans son propre camp ? L’axe des forces économiques, financières et médiatiques qui l’ont porté aux nues, la projection de cette geste dans la Nation, l’adhésion de couches populaires et moyennes en réponse à une attente déçue par d’autres, tout cela constitue le phénomène Sarkozy porté dans un  premier temps par les sondages avec son omniprésidence. Est-ce Berlusconi ? Louis Napoléon Bonaparte ? Pétain ?

Pour le philosophe A.Badiou, Sarkozy est l’incarnation d’un vieux fond pétainiste, un humus réactionnaire rendu possible par le basculement à droite de couches moyennes et populaires écrasées sous la domination du capitalisme moderne.

Pour d’autres, c’est un Berlusconi (vulgarité, goût du tapage, culte de l’argent, mépris des règles du jeu, manipulation de puissants réseaux médiatiques, démagogie populiste, occidentalisme confessionnel conservateur, etc.).

Pour preuve, l’appui indéfectible du vrai Berlusconi dans l’épreuve qui voit la France dénoncée par les institutions de Bruxelles sur le minable et révélateur dossier des Roms fomenté par Hortefeux et le président Sarkozy.

Mais malgré le piteux état de la gauche et le brouillage de ses repères et références, la France n’est pas l’Italie ( avec le blocage de son système partisan – démocratie chrétienne et ex-P.C devenu parti démocrate libéral – faisant de Berlusconi un post Le Pen dont le succès est assuré par la désagrégation stucturelle de ces deux groupes centraux). Le contrôle des médias ne suffit pas à confondre Sarkozy et Berlusconi.

Reste la thèse du bonapartisme (caractérisé par le soutien électoral initial conjugué des couches populaires – certes à présent fortement érodé – et des aristocraties financières françaises mondialisées à l’instar de l’alliance des petits paysans « parcellaires » – cf Marx- et des couches aristocratiques, industrielles et financières ; caporalisation de la presse ; confessionnalisme).

Plus discutable, la comparaison avec les relations  prétendument charismatiques d’un président au-delà des médiations démocratiques. Sarkozy n’est pas à la hauteur de son modèle Napoléon le petit. Mais la posture plébiscitaire et la démagogie laisse place à cette possible inspiration : celle de mettre en place un système de re-légitimation permanent par l’opinion publique, un objectif en échec (après le remaniement gouvernemental de cet automne 2010).

Qu’elle est en fait la signification du sarkozysme ? Plus que le « bling-bling », n’est-ce point un nouveau temps de la politique, un temps désignant l’éclipse de la politique ?

Ce n’est pas un signe superficiel mais l’irruption d’une virtualité qui a tout balayé : culture, différenciation politique, repères identitaires. « Une variété typiquement française du postmodernisme américain », toujours selon Sami Naïr à qui nous empruntons encore l’essentiel de ces propos.

N. Sarkozy est un président conservateur et post moderne qui traduit l’américanisation de la vie politique, après celle du marché, de la culture, des codes vestimentaires, de la chanson…

Une certaine relation aux idées, à la politique, au savoir, à l’histoire, à l’être collectif.

Les idées en elles-mêmes n’ont aucune valeur et ne peuvent concurrencer les ressorts du faire humain, la lutte des intérêts particuliers et le culte de l’argent. Les valeurs, si elles existent, ne peuvent être réalisables dans ce monde. Seules comptent les essences confessionnelles.

Les idées n’auraient d’importance que dans leur utilité fonctionnelle et non pas dans leur vérité intrinsèque. Elles doivent être utilisées dans leur transitivité totale ( il n’y a pas de différence entre les valeurs de droite et de gauche). Ce qui importe c’est l’efficacité ! Il n’y a plus d’enjeux  dans la politique – ça passe ailleurs dans le marché – la politique n’est qu’un enjeu de pouvoir.

Le grand politique sait conquérir la machine, s’y imposer, la conserver. Les moyens priment sur la fin, le paradigme n’est plus dans l’articulation des fins et des moyens mais dans la pure assimilation du pouvoir comme fin en soi.

Cette geste sarkozienne n’épargne pas hélas ses adversaires !

Si les enjeux de valeurs et de civilisation ont disparu c’est qu’il n’y a plus d’histoire : c’est le post modernisme politique d’où l’histoire a disparu – il n’y a que la durée et des évènements.

Le style sarko c’est la victoire conjuguée de Fukuyama et de Huntington résumée par l’écran TF1 (des faits divers) !

Il n’y a pas davantage de social mais du culturel-identitaire. Il y a une platitude de l’histoire : tout bouge mais demeure étale – le chaud des conflits et le froid des consensus se valent parce que le but est le tiède et le mou. Attention à gauche à ne pas glisser dans la société du « care » !

Il n’y a plus de conscience d’un monde différent possible, sinon seulement des techniques élitaires de gestion des attentes et aspirations repérées avec omniscience par les instituts de sondage.

La politique travaille l’opinion, scrute ce qu’elle veut ici et maintenant !

Le sarkozysme la perçoit en coupes symptomales : tel segment sensible à la peine de mort doit avoir de la répression rétroactive pour les crimes sexuels ; tel autre défend le devoir de mémoire, donnons lui la concélébration rituelle ; celui-là trime sans succès et voit fondre son pouvoir d’achat, gorgeons le avec le « travailler plus pour gagner plus » !

Il y en a pour tout le monde. Le dirigeant politique est un héros de l’instant qui invente des coups médiatiques avec toujours une longueur d’avance.

Ca nous ramène aux Roms et à la contre-réforme des retraites. Le sarkozysme c’est l’agrégation des trois familles de la droite : conservatrice, libérale et néo-bonapartiste. Il voudrait rayonner avec cette dernière quand un vote interclassiste a pu réunir sur son nom en 2007 la France d’en haut de la dérégulation et celle du bas, de la boutique et de la petite entreprise, du salariat modeste en quête de sécurisation morale, abusée le temps d’un scrutin présidentiel par un candidat se posant en recours protecteur.

Il s’agit moins d’un bloc hégémonique durable que d’une coalition momentanée dans ce qui définit le sarkozysme agissant.

L’autoritarisme néo-bonapartiste de Sarkozy fonctionne certes sur fond de populisme mais aussi d’une conception de l’action politique : introduire partout la concurrence, la marchandisation, le profit et ce dans tous les domaines (santé, éducation, assurances sociales, retraites, etc.).

Dans ce post-modernisme, sur fond de néo-bonapartisme et de populisme, analysé par Sami Naïr, l’histoire est un processus heurté, conflictuel, où les meilleurs gagnent et où les vaincus ne doivent s’en prendre qu’a eux-mêmes. Car ces derniers ne sont pas victimes de la configuration des rapports sociaux mais d’un état naturel de lutte dans la société auquel ils n’auront pas su s’adapter ;

Que peut la tradition républicaine contre ce post-modernisme qui s’étend aux sociétés européennes parce qu’il résulte des contraintes inhérentes à la construction européenne, vecteur de la globalisation libérale ?

Le sarkozysme a du plomb dans l’aile pour n’avoir su transformer ses illusions dans la réalité quotidienne des gens. Sa trivialité paroxystique reste malgré tout intégrée à la manière d’être de l’homme économique réduit à l’individualisme méthodologique cher à Raymond Boudon. Elle nous met néanmoins au défi de repenser un socialisme néo-moderne défini par Jacques Généreux dans une approche anthropologique et de philosophie politique posant les bases théoriques d’une perspective de vraie politique de civilisation, chère à Edgar Morin et Sami Naïr. C’est toute la question du sens de la modernité de notre formation sociale, la France républicaine, de sa place, de son rôle et de son devenir dans un monde en mutation dominé par le marché.

Une politique de civilisation à l’intérieur du pays commence par une politique de citoyenneté, une politique de laïcité, une politique de solidarité.

A l’échelle internationale c’est un véritable engagement de la France dans une autre construction de l’Europe des peuples qui favoriserait la croissance et l’emploi, c’est une politique qui lutte pour introduire des règles dans le système mondial (réforme du FMI, de l’OMC avec l’introduction de clauses sociales et environnementales dans les transactions de marchandises et d’équipement, une promotion du commerce équitable).

C’est une politique pour un pacte historique avec les peuples du Sud ( modernisation des infrastructures, économie du savoir, création de biens communs universels : eau, mers, sols, agriculture, biens sociaux – santé, éducation, formation-).

Nous voici à présent bien loin des stigmatisations et des régressions sociales et proche du sujet central qui  occupa l’autre partie de cette rencontre du 22 septembre 2010 de l’AGAUREPS-Pométhée : l’éducation nationale bien nommée instruction publique dans le vocabulaire républicain. Un thème lui aussi axé sur l’émancipation sociale et humaine.

 

Eléments de l’intervention de X.D (Mont de Marsan) de l’AGAUREPS- Prométhée lors de la réunion du 22 septembre 2010.

 

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et la critique de la politique du sortant a4-Le blog citoyen croque Sarkozy et sa politique ou en allant sur nos liens

Bling-Bang-Blog du 6 mai

 

 Notes de fin de page

(1) Tendance régressive analysée par un Michel Foucault décryptant dès le milieu de cette même décennie 70 « la gouvernementalité néolibérale » dans ses leçons au collège de France.

(2) Malgré l’intermède politique notable des deux premières années (81-début 83) du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy (81-84).

(3) Sans négliger l’importance du bénéfice de la CMU de base et/ou complémentaire pour les très bas revenus.

 

Le suffrage universel : arche ou alibi de la démocratie ? par Francis Daspe

Créé par le 19 avr 2012 | Dans : AGAUREPS-Prométhée, Articles de fond

Actes de la réunion publique de l’AGAUREPS-Prométhée du 09 février 2011 à Mont-de-Marsan

 

Léon Gambetta proclamait à l’envi dans ces discours que « l’Ecole, après le suffrage universel, constituait l’arche sainte de la République ». Il plaçait donc au premier rang de la construction d’un système démocratique, étant entendu qu’en France démocratie et République offrent la particularité d’avoir connu une stricte communauté de destin au cours de l’Histoire, le suffrage universel. C’est pour cela que l’intitulé du débat auquel l’AGAUREPS-Prométhée s’est attelée peut paraître au premier abord véritablement surprenant, pour ne pas dire incongru. Il ne saurait en effet y avoir de démocratie sans suffrage universel.

Cependant, à y regarder de plus près, les choses peuvent ne pas être forcément aussi concordantes et évidentes : l’examen de la réalité donne des éclairages parfois différents. Le suffrage universel ne constitue pas une condition suffisante au fonctionnement d’un régime démocratique, tant il peut être dévoyé, contourné ou instrumentalisé. Il convient de ne jamais oublier que les systèmes totalitaires du XX° siècle se sont toujours appuyés sur le vote, même s’il n’est pas malaisé de démontrer qu’il s’agissait en réalité que de parodies.

C’est à la lueur de ces réflexions que l’intitulé de la question mise en débat exprime intérêt et pertinence : la pratique du suffrage universel peut selon les circonstances être réellement l’arche de la démocratie comme malheureusement en servir d’alibi. Il s’agira donc de distinguer les conditions tendant à verser le suffrage universel dans l’une ou l’autre de ces deux catégories.

 

 

I/ Le suffrage universel bafoué…

 

L’actualité plus ou moins récente nous pousse en effet à nous interroger sur le sens de la pratique du suffrage universel. Les exemples de scrutins dont les résultats ont été contestés ou/et invalidés sont en effet légion. Sans vouloir en faire un inventaire plus ou moins exhaustif, contentons-nous d’en mentionner quelques uns parmi les plus significatifs pour comprendre qu’il ne s’agit malheureusement pas d’exceptions.

 

Les événements de Côte d’Ivoire sont un cas d’école particulièrement éclairant. Nous avions en lice deux candidats revendiquant chacun la victoire pour eux-mêmes. Nous savons bien que les tricheries ont été également partagées. Pour l’occasion toute la gamme des habituelles fraudes en matière électorale a été notoirement utilisée : modifications des listes électorales, bourrages d’urnes, pressions diverses et variées sur les électeurs, votes régionaux obligatoirement unilatéraux pour n’en citer qu’un simple échantillon. La contestation du résultat de l’élection par le perdant présumé est en passe de devenir désormais une stratégie rituelle politique à l’égal d’une tentative de procéder à un troisième tour, lui permettant de surcroît de passer à l’occasion pour un parangon de vertu démocratique. A croire qu’être initialement proclamé vainqueur d’un scrutin électoral deviendrait la preuve incontestable d’un haut niveau de tricherie… Au cours des dernières années, nombreux ont été les pays concernés par ce phénomène de contestation visant à invalider, à tort ou raison là n’est pas la question, le verdict des urnes. Au Kenya, fin 2007 et début 2008, un semblable imbroglio était advenu : il s’était dénoué par un partage du pouvoir entre les deux candidats en lice, Mwai Kibaki et Raila Odinga.

 

Il convient de préciser que le continent africain n’en possède nullement l’exclusivité. Des pays riches et développés, tant d’un point de vue économique, culturel ou politique, peuvent être confrontés à de pareilles situations caractérisées par des confusions à peu près inextricables. Croire que les pays pauvres pourraient posséder le triste monopole des ces entorses aux règles les plus élémentaires de la démocratie serait donc une grossière erreur.

L’exemple le plus savoureux est bien entendu à relever chez le pays le plus puissant de la planète. Chacun se souvient encore des conditions rocambolesques dans lesquelles s’étaient terminées les élections présidentielles américaines de novembre 2000. L’issue en avait été décidée sur tapis vert par la Cour Suprême à propos de l’épineux cas de la Floride. Le républicain George Bush avait été déclaré vainqueur du démocrate Al Gore sur une marge infime dans un Etat dirigé par un gouverneur (accessoirement aussi son propre frère…) qui lui en avait, au cours de la campagne, promis la victoire « par tous les moyens ». En quelque sorte la promesse avait été tenue au pied de la lettre… Surtout quand on sait que des électeurs noirs n’avaient pu exprimer leur vote contre leur gré pour des raisons d’organisation matérielle, que de nombreux suffrages avaient été invalidées en raison de perforations jugées maladroites de bulletins de vote à l’aspect particulièrement complexe… Autrement dit, nous ne saurons jamais qui des deux a réellement mérité de remporter ces élections. Cette interrogation n’est pas anodine quand on sait à quel point l’élection de George Bush a radicalement modifié le cours de l’histoire mondiale.

 

En Europe même on peut se remémorer les élections présidentielles en Ukraine[1] ou en Géorgie qui avaient connues des soubresauts plus ou moins identiques. En Ukraine, les résultats du second tour avaient donné comme vainqueur Viktor Ianoukovitch (en fait qui s’était proclamé comme tel). Les partisans de Viktor Iouchtchenko avaient refusé ces résultats : l’action de désobéissance civile avait entraîné la « révolution orange » qui avait débouché sur l’organisation d’une second deuxième tour un mois plus tard. Dans un pays scindé en deux (l’Est pro russe et pro Ianoukovitch, l’Ouest pro occidental et pro Iouchtchenko), le résultat final avait été alors inversé.

En Géorgie, c’est une victoire aux élections législatives de novembre 2003 contestée par l’opposition qui avait enclenché la « révolution des roses ». Celle-ci se solda au final par la démission du président Edouard Chevardnadze et la victoire aux présidentielles suivantes en janvier 2004 de son opposant Mikheil Saakachvili, auréolé d’un score de 96% se passant de commentaires.

 

Dans un autre registre, comment ne pas évoquer le cas de la France ? Et plus précisément la manière avec laquelle fut ignoré et contourné le vote des Français émis à l’occasion du référendum du 29 mai 2005.  Personne n’a oublié que les citoyens français avaient massivement rejeté le traité constitutionnel européen à l’issue d’une campagne qui avait très fortement mobilisé la population (55% de non pour un taux de participation très élevé pour ce genre de scrutin). Ce vote ne convenait visiblement pas aux vaincus, à savoir la majorité des élites du pays, qu’elles soient politiques, économiques, médiatiques ou culturelles : fut adopté en catimini par la voie parlementaire, à l’initiative de Nicolas Sarkozy et avec le soutien d’une partie des élus socialistes, le traité de Lisbonne qui reprenait quasiment à l’identique le traité rejeté. Cet acte constitue véritablement un déni de démocratie[2]. Ces pratiques méprisant la souveraineté populaire deviennent monnaie courante à l’échelon européen : les peuples danois (à propos du traité de Maastricht) et irlandais (à propos du traité de Lisbonne) ont étés obligés de revoter après un premier référendum dont le sens déplaisait fortement aux autorités européennes.

De la même façon peut-on mettre en avant la promesse faite en 2007 par le candidat Sarkozy de ne pas toucher aux retraites. Promesse réitérée après son élection (« je n’ai pas été élu pour réformer les retraites »). Elles ont été oubliées avec le plus grand mépris pour l’immense mouvement social qui s’était massivement développé au cours de l’année 2010.

 

 

II/ La fabrique de l’opinion contre le peuple…

 

La pratique du suffrage universel offre donc de très grands décalages avec la réalité politique dans de nombreux pays situés sur tous les continents, aussi bien au Sud qu’au Nord de la planète. Toute réflexion se donnant pour objectif d’améliorer le fonctionnement de la démocratie doit nécessairement prendre en compte l’existence de ces décalages souvent recouverts d’un voile pudique. Il convient pour cela d’en démonter les mécanismes y conduisant.

 

Le premier élément à prendre en considération a trait à la nature même de la période que nous vivons depuis un siècle, souvent appelée l’ère des masses. Les techniques de manipulation et de propagande ont atteint un très haut niveau au cours du XX° siècle. Les systèmes totalitaires ont été les premiers à prendre conscience de l’extraordinaire force que revêtaient ces techniques. Ils ont su en tirer profit pour conquérir un pouvoir sans partage et asseoir une emprise sur les esprits à un niveau jusqu’alors insoupçonné et sans doute insoupçonnable.

La mesure du danger occasionné par de telles dérives avait pourtant été prise très rapidement. La sortie dès l’année 1949 du roman de George Orwell intitulé 1984, avec la figure métaphorique du régime policier et totalitaire, Big Brother, témoigne de la précocité des préoccupations concernant la préservation de la sphère des libertés publiques, et donc de la capacité des citoyens à exprimer leurs idées et plus encore à décider de leur sort en pleine conscience et en toute souveraineté.

Car ces dérives ne concernent pas uniquement les régimes totalitaires ou aspirant à le devenir : les démocraties n’en sont pas exemptes, la frontière entre convaincre et manipuler pouvant se révéler d’une très grande porosité. Les travaux de Noam Chomsky sur le sujet sont particulièrement éclairants et édifiants. Ils illustrent à merveille l’ampleur de ces dérives que nous avons bien souvent intériorisées sans nous donner la peine de nous interroger davantage. Noam Chomsky a établi une liste des stratégies de manipulation des esprits à travers les média. Au nombre de dix, elles recouvrent un éventail assez large allant de la stratégie de la distraction à la volonté de maintenir le public dans l’ignorance et la médiocrité. Le degré de manipulation s’explique bien  évidemment par les enjeux de pouvoir inhérents à la nature humaine, mais pas seulement. Il s’est accru de manière exponentielle au cours des dernières décennies en liaison avec l’explosion des intérêts mercantiles et du phénomène de marchandisation. La phrase de l’ancien président de TF1 se passe à cet égard de commentaires : il affirmait que son métier consistait à vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola. A partir de cela, toute la gamme des manipulations dans le champ politique devient envisageable.

 

Dans cette vaste entreprise de manipulation des esprits visant à amoindrir l’impact du suffrage universel, l’échelon européen joue un rôle de premier plan. Nous avons déjà évoqué les situations au cours desquelles les autorités européennes s’étaient émancipées avec cynisme du vote populaire.

En effet, la manière dont fut menée la construction européenne a représenté un puissant dissolvant de la souveraineté populaire. Nous savons par exemple que plus de 80% des lois et des règlements régissant la vie quotidienne des Français émanent maintenant de l’Union Européenne, et notamment de la Commission de Bruxelles qui ne possède pourtant aucune légitimité démocratique et populaire. Les fameux critères de convergence inscrits dans le traité de Maastricht et le dogme de la « concurrence libre et non faussée » pourtant rejetée par référendum en 2005 limitent significativement la marge de manoeuvre des gouvernements : ils accréditent l’idée qu’aucune politique économique alternative au catéchisme libéral n’est possible. Il en va même récemment jusqu’à la volonté d’enlever aux gouvernements nationaux la souveraineté en matière budgétaire avec l’adoption du projet euro plus. Autrement dit, la signification est claire et brutale : vous pouvez voter ce que vous voulez, mais au final il n’y aura qu’une seule politique possible à laquelle vous devrez vous contraindre tous ! Pierre Mendès-France avait dès le traité de Rome de 1957 pointé ce risque de dépossession de la souveraineté populaire[3]. Aujourd’hui le concept de gouvernance est régulièrement utilisé pour justifier la confiscation du pouvoir aux peuples de l’Union européenne[4].

 

Les institutions de la V° République française sont également en cause. Elles possèdent sans contestation possible une part de responsabilité dans le processus de minoration du suffrage universel. Les défauts de la Constitution de 1958 sont bien connus. L’AGAUREPS-Prométhée y a déjà consacré des débats : nous n’y reviendrons pas ici dans le détail[5].

Nous nous contenterons de pointer les effets extrêmement négatifs de la dérive présidentialiste, la personnalisation à outrance des scrutins, la « pipolisation » croissante des pratiques, la vogue des communicants, toutes choses allant dans le sens d’une monarchie républicaine. Il s’agit d’un des aspects de l’américanisation de la vie politique hexagonale dont la responsabilité dans le processus de dévalorisation du suffrage universel s’avère écrasante.

Une autre des manifestations de cette américanisation réside dans l’accentuation du bipartisme, réalité à distinguer de la bipolarisation. L’offre politique en est d’autant plus réduite que les convergences entre les deux principaux partis sont de plus en plus nombreuses. La nomination de Christine Lagarde à la tête du FMI en offre à cet égard une illustration parlante se passant de commentaires.

Le mode de scrutin majoritaire ne permet pas une juste représentation de l’ensemble des idées existant au sein du corps civique. Est-il normal qu’un parti obtenant 20% des voix au premier tour des présidentielles comme en 2002 récolte plus des deux tiers des députés aux législatives suivantes ? Que près de la moitié des électeurs s’étant pourtant déplacée pour voter ne soit représentée par aucun député ?

 

La loi du marché triomphante agit également contre le principe de souveraineté populaire. Elle sape incidemment les bases de la démocratie : les fonds de pension et les actionnaires en quête de dividendes juteux ne se soucient que très accessoirement de la volonté des citoyens exprimée dans le cadre du suffrage universel. Cette tendance à la confiscation de la souveraineté populaire s’accroît avec l’influence de plus en plus grande des technocrates et des experts. Technocratie et expertocratie hégémoniques concourent de concert à délégitimer les décisions prises par les citoyens. Que d’initiatives citoyennes, que de projets politiques éconduits par des sentences lapidaires de la part d’experts ou de technocrates de ce style : « pas possible, irréaliste, irréalisable ! ».

Un tel constat pose la question de la connivence et de la consanguinité des différentes oligarchies, qu’elles soient politiques, économiques, médiatiques ou culturelles comme celles qui s’étaient liguées pour ignorer le vote du 29 mai 2005. Elles font peser une véritable chape de plomb sur la parole populaire, persuadées que « la masse ne peut pas avoir raison contre la supposée intelligence… ». Supposée intelligence qui bien entendu est la leur de manière exclusive, la masse étant qualifiée sans ménagement de « moisie ». Le mot de populisme est alors lancé comme une invective, voire un anathème stigmatisant à tout jamais ceux qui en sont victimes. L’abstention croissante résulte pour partie de ce non respect répété de la souveraineté populaire, souvent au nom de la prétendue compétence des experts et de l’efficience du concept de gouvernance, avec en filigrane la pleine disqualification du peuple.

 

Le suffrage universel a pour finalité de faire émerger la parole citoyenne et les souhaits du peuple. Malheureusement, nous sommes trop souvent loin du compte. Les conditions de la fabrication de l’opinion publique sont telles qu’elles éloignent le suffrage universel de cet objectif noble, le seuil qui vaille en démocratie.

 

 

III/ Réinsuffler au suffrage universel une force propulsive  

 

Les remarques critiques ne doivent pas masquer le véritable enjeu de la question ainsi posée : le suffrage universel est le seul garant de la souveraineté populaire. Gardon présent à l’esprit que l’idée même de suffrage universel est une idée révolutionnaire. Elle signifie une double inversion dans la perception même de l’individu. L’individu, considéré jusqu’alors comme un sujet dans la main de son roi ou seigneur, devient par voie de conséquence un citoyen doté de droits inaliénables. Ce même individu est jugé apte et digne de décider par lui-même, de manière terrestre et rationnelle, en dehors de tout dogme ou vérité révélés. En France, l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, en affirmant que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », résumait parfaitement cette double inversion.

Une fois le principe clairement établi, il restait cependant à en assurer la mise en application concrète. Ce n’était pas la chose la plus aisée. Il n’était pas acquis que le suffrage soit automatiquement universel. Certains pensèrent qu’il serait plus sage que le suffrage soit censitaire, réservé aux plus riches ou aux seuls propriétaires, considérant que les seules personnes habilitées à décider de l’intérêt général devaient coïncider avec celles possédant d’importants intérêts particuliers. Raisonnement pourtant en flagrante contradiction avec la première phrase l’article 1 de la même déclaration stipulant que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »[6]. Malgré une éphémère tentative de suffrage universel sous la Convention montagnarde, la conquête du suffrage universel s’effectua en deux étapes : d’abord réservé aux hommes en 1848, ensuite élargi aux femmes en 1944.

En plus de son universalité, deux autres caractéristiques fondent l’exercice du suffrage en France : il est égal et secret. Il existe en effet plusieurs manières de contourner l’égalité du suffrage universel. Pour certains, il apparaissait logique que les détenteurs des moyens de production, propriétaires fonciers ou chefs d’entreprise, bénéficient du privilège d’un vote multiple. Un autre procédé consiste en la mise en place de différents collèges d’électeurs, le collège des plus riches étant moins nombreux mais élisant autant (voire davantage au nom d’une égalité dite géométrique…) de représentants que les autres collèges. Une dernière manière peut utiliser, pour parvenir à ses fins, les complexités et les méandres des différentes formes de suffrage indirect. 

Le secret du vote n’était aucunement garanti au XIX° siècle. Il fallut attendre la veille de la première guerre mondiale l’utilisation de l’isoloir et de l’enveloppe pour que des progrès décisifs soient réalisés en ce domaine. Sans cela, on imagine aisément les pressions que pouvaient subir de la part des puissants les citoyens les plus modestes : que pouvait faire un ouvrier à qui son patron avait demandé de venir (bien, et pas mal…) voter, tout en ayant précisé qu’il serait présent au bureau de vote toute la journée ? Il existait alors des motifs valables de douter de la sincérité du vote réalisé dans de telles conditions.

 

Au motif que le suffrage universel serait trop souvent bafoué, certains voudraient volontiers le réduire à sa plus simple expression. Il s’agit souvent des mêmes qui le bafouent outrageusement et cyniquement à lancer incidemment de tels projets. Au contraire, l’urgence consiste à redonner, et ceci sans la moindre ambiguïté et sans la moindre pensée de renconcement, toute sa valeur démocratique au suffrage universel. Il existe à cet effet plusieurs leviers dont il faut se saisir instamment.

Cela passe notamment par une réévaluation des enjeux idéologiques. L’entreprise de désidéologisation des pratiques caractérise bien le libéralisme souvent et fort justement présenté comme « l’idéologie de la fin des idéologies ». L’apolitisme est rarement neutre : il émane de la droite qui ne s’assume pas ou de la gauche qui renonce à transformer la société[7]. Pour récupérer l’impact qui doit être le sien, tout vote doit être en capacité de posséder une signification idéologique forte. A cet égard, ne confondons pas les notions d’idéologie et de dogme. L’idéologie signifie vitalité du débat et argumentation ; le dogme procède d’une inversion des perspectives : par l’imposition d’une vérité admise comme telle il clôt tout débat pour toujours.

Un autre levier consiste à accentuer la prise de conscience de la nature fondamentalement de classes des politiques menées. L’expression « lutte de classes » ne semble plus être en odeur de sainteté dans les discours bien-pensants. Elle serait le signe d’un archaïsme de temps révolus de la part de ceux qui l’utiliseraient. Bien à tort, car elle est toujours à l’ordre du jour. Warren Buffet, régulièrement classé par les personnes les plus riches de la planète, l’avait bien compris en confiant qu’elle existait toujours, mais que c’était sa classe qui était en passe de la gagner. La mention de lutte des classes effraie les possédants qui feignent d’y percevoir la promesse de torrents de sang. Rassurons-les : il s’agira seulement de reprendre les 10% de la richesse passés au cours des vingt dernières années des revenus du travail à ceux du capital.

Dans cette perspective un travail civique s’impose. Il vise à repréciser la notion et les contours de l’intérêt général pour en faire la boussole de toute politique publique. Le clivage classique, trop binaire, opposant les promoteurs de l’intérêt général aux défenseurs des intérêts particuliers n’est ni pertinent ni opératoire. Il est préférable de distinguer ceux qui croient ou font semblant de croire que la somme des intérêts individuels équivaudrait à l’intérêt général et ceux qui estiment que l’intérêt général transcende l’ensemble de ces intérêts particuliers. Mais pas suffisant pour deux raisons. La définition d’un intérêt général au-delà de tous les intérêts individuels peut être récupérée par les conservateurs de tout crin pour disqualifier tout velléité de transformation sociale et laisser les injustices de la société en l’état : ce serait une version se voulant vertueuse de la philosophie de la résignation pour au final valider les privilèges d’une minorité de nantis. En quelque sorte une forme d’opium fort éloigné de la notion d’émancipation. Par ailleurs, l’intérêt de la majorité peut également ne pas correspondre à un moment donné à un supposé intérêt général. Ce décalage peut n’être que transitoire : l’intérêt du plus grand nombre, dans un contexte de lutte des classes, peut se rapprocher de l’intérêt général et en tenir lieu. Sauf à croire à un possible dépassement d’intérêts de classes antagonistes…

Les conditions concrètes doivent être rassemblées au quotidien pour permettre cette revalorisation du suffrage universel. Le quotidien pour l’immense majorité du corps civique, et nous n’oublions pas ceux qui sont privés d’emploi temporairement et ceux qui en sont éloignés de manière plus durable, c’est avant tout les lieux de travail. La démocratie sociale  entretient une relation étroite quoique trop souvent négligée avec l’expression politique de la citoyenneté. Les entreprises ont vocation à devenir, ou redevenir, des espaces de citoyenneté. Le rôle des syndicats est bien évidemment à renforcer. Une meilleure articulation de la démocratie sociale et de la démocratie politique s’impose afin de redonner sa force propulsive au suffrage universel.

 

C’est à ces conditions seules que l’implication populaire pourra permettre au suffrage universel de retrouver son statut d’arche de la démocratie qui aurait dû rester le sien. Pour cela, la lutte contre l’abstention est primordiale : le suffrage universel sera toujours bancal dès lors qu’une part plus ou moins significative des citoyens s’en écarte, et ce quelles qu’en soient la nature des raisons. Il y aurait là matière à un large débat que l’AGAUREPS-Prométhée ne manquera pas de s’emparer.

 

 

 

§    §    §    §    §    §    §    §    §    §    §    §

 

 

 

Au terme de cette réflexion, nous ne pouvons pas prendre la précaution d’écarter tout risque de confusion : quel que le soit le sens dans lequel on envisage le questionnement, il ne peut exister de démocratie digne de ce nom sans une défense sans faille de la souveraineté populaire : le suffrage universel représente l’outil le plus approprié à l’expression de cette dernière. Ou pour paraphraser d’autres personnes y ayant réfléchi avant nous, « le pire des moyens… à l’exception de tous les autres ! ». Il s’agit en effet d’un effort tendanciel qui nécessite d’être poursuivi et approfondi en permanence, tout en étant conscient de ressentir mécaniquement un profond sentiment d’insatisfaction au regard des lacunes constatées.

            Pour autant nous ne devons pas être dupes : il existe aujourd’hui de nombreuses entorses à l’expression du suffrage universel ainsi qu’à son respect. Le nier reviendrait en quelque sorte à les avaliser de fait. Ce n’est pas notre horizon : nous plaçons la souveraineté populaire au dessus de tout.

Cela nous amène à formuler une autre interrogation qui prend toute sa place dans la réflexion. Existe-t-il d’autres moyens que le suffrage universel pour exprimer la souveraineté populaire ? A cette question, nous répondons sans le moindre doute oui. L’implication populaire peut épouser d’autres formes et recourir à d’autres pratiques que celle consistant à déposer à intervalles réguliers un bulletin de vote dans l’urne. Mais disons-le tout aussi clairement : ces formes et ces pratiques différentes, qu’il ne faut en aucun cas négliger, doivent venir en complément du suffrage universel, pas concurremment à celui-ci et encore moins à s’y substituer.

La détermination de ces formes et pratiques mériterait une plus large réflexion. Ce travail a vocation à garantir la vitalité du fonctionnement d’un régime démocratique. Nul doute que l’AGAUREPS-Prométhée s’y attellera lors de ses prochains débats. Car son horizon est clairement identifié : faire en sorte que le suffrage universel soit pleinement l’arche de la démocratie et ne puisse en servir de quelque manière que ce soit d’alibi. Pour cela, nous avons bien vu qu’il s’agissait d’approfondir la démocratie dans toutes ses dimensions, en arrimant l’expression du suffrage universel à des enjeux sociaux.

 

 

Francis DASPE

Membre de l’AGAUREPS-Prométhée

(Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée)

Juillet 2011

www.agaureps.org

 

 

 


[1] Pour l’Ukraine, voir le texte de Francis DASPE intitulé « Le révélateur ukrainien : des interrogations de fond », Janvier 2005.

[2] Voir la tribune de François COCQ et Francis DASPE intitulée « De l’art de bien voter… ou de ne plus voter ! » parue dans L’Humanité le 31 octobre 2007.

[3] Voilà ce que disait Pierre Mendès-France devant l’Assemblée nationale à l’occasion du débat du 18 janvier 1957  relatif à la ratification du traité de Rome (texte auquel il s’était opposé) :

« Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XIX° siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. […] L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».

[4] Voir le texte de Francis DASPE paru en tribune dans l’Humanité du 06 juillet 2010 et intitulé « Gouvernance européenne de classe ».

[5] Pour cela, se reporter au texte de François COCQ et Francis DASPE intitulé « Quels citoyens pour une VI° République ? », Septembre 2010 (Actes de la réunion de travail du 20 mai 2010 à Champigny-sur-Marne).

[6]  Il est vrai que la seconde phrase de cet article indique que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », ce qui laisse ouvertes bien des interprétations…

[7]  Voir le texte de Francis DASPE intitulé « En finir avec l’hypocrisie des sans étiquette », Mars 2008.

La détérioration de l’enseignement professionnel par Nicolas Sarkozy, par François COCQ, Magali ESCOT, membres de l’AGAUREPS-Prométhée

Créé par le 02 avr 2012 | Dans : AGAUREPS-Prométhée, Non classé

Cet article a été diffusé en tribune libre sur le site internet de Marianne2 jeudi 9 février 2012. Il est extrait de la lettre mensuelle d’AVRIL 2012  de l’AGAUREPS

 

L’UMP à défaut de candidat est en campagne. Des colonnes du Figaro aux ondes de France-Inter, on voit Natacha Polony ou Morgan Marietti de l’Association nationale des apprentis s’escrimer à convaincre que Nicolas Sarkozy s’intéresse aux travailleurs et à l’éducation des enfants alors même que son bilan prouve le contraire. Leur cible pour cela : Jean-Luc Mélenchon, le porte-voix de la classe ouvrière, celui qui refuse l’hégémonie de l’apprentissage au détriment de toutes les autres voies d’accès à la qualification.

Selon eux, Jean-Luc Mélenchon et le programme du Front de gauche mépriseraient la voie de l’enseignement professionnel. Diantre ! En prenant la petite lorgnette de l’apprentissage, voie parmi d’autres, ils omettent volontairement le désastre causé par la politique du gouvernement dans les voies d’excellence des jeunes ouvriers. Car ce sont 71 lycées professionnels qui ont été fermés sous le règne Sarkozy. Ce sont des dizaines de filières qui ont disparu de territoires entiers, poussant les familles dans les bras des marchands et des établissements privés. C’est la voie technologique qui a été sacrifiée sous couvert de restructuration. Ce sont des savoirs faire qui disparaissent totalement de l’enseignement public. N’en déplaise à Mme Polony,  c’est la politique de Nicolas Sarkozy qui entraîne la « déperdition des savoirs professionnels » dont nous sommes accusés.

Les rôles ne sauraient être renversés. Mme Polony trouve « choquant qu’un enfant d’ouvriers ait presque deux fois moins de chances qu’un enfant de cadres d’obtenir son baccalauréat ». Faut-il lui rappeler que c’est la réforme du bac professionnel, le passant de 4 ans à 3 ans, qui a causé l’augmentation du taux d’échec ? Non Mme Polony, 4 ans est le temps qu’il faut pour assimiler le haut niveau de savoir qui est enseigné dans nos établissements justement parce que nous revendiquons un haut niveau de qualification pour la classe ouvrière de notre pays. L’exigence de 80 % d’une classe d’âge au bac ne doit pas s’arrêter aux portes du bac général !

Le projet que nous portons d’un pilotage unique des enseignements professionnels entraîne la fluidité nécessaire qui permettra à un jeune de pousser le plus loin possible son niveau de qualification : à chaque obtention de diplôme on lui propose la qualification supérieure et on lui offre la possibilité d’y accéder. N’en déplaise aux tenants du libéralisme, pour nous, le diplôme délivré par l’Etat reste l’unique qualification permettant au travailleur de passer d’un poste à un autre. Il est le moyen, par la reconnaissance dans les conventions collectives, de fixer les grilles de salaire. Nous ne sommes pas l’Allemagne, la République française n’est pas la « République contractuelle » : la loi sociale est la même pour tous et l’ouvrier n’est pas celui d’une entreprise mais celui de la Nation.

Pour le Front de gauche, le diplôme et le haut niveau de qualification sont ce dont le pays a besoin pour maintenir son niveau de performance économique et répondre aux nouveaux défis du futur et aux objectifs de la planification écologique. Voilà une ambition autrement plus élevée que celle de copier l’Allemagne pour faire bon genre. Souvenons-nous que lors des changements technologiques de l’appareil de production, ce sont les travailleurs français qui se sont adaptés plus facilement et rapidement grâce à leur niveau de qualification et de culture et suscitaient l’admiration outre-Rhin.

Alors bien sûr nous ne sommes pas dupes. Ce n’est pas le bien-être des jeunes et les droits des salariés qui sont au cœur de ce débat. Les libéraux cherchent par contre à envoyer le plus de jeunes possible en apprentissage car ils visent à une déscolarisation d’une partie de la jeunesse, une marchandisation et un transfert vers les régions des « coûts ». Il n’a pas échappé au président de la République et à ses porte-plumes que l’apprentissage sort les jeunes du statut scolaire. Ils n’entrent dès lors plus la première année dans les chiffres du chômage, alors même que 25 % des contrats sont rompus les premiers mois. De quoi ravir les agences de notation !

Surtout, ce sont bien Sarkozy et ses sbires qui méprisent la voie de l’apprentissage ! Ce sont eux qui souhaitent lui faire porter la totalité de la voie professionnelle. Ils nient ainsi sa spécificité et son apport. Ils occultent le fait que ce n’est pas une méthode de masse généralisable à tous les jeunes et à toutes les professions. Nombre de métiers sont incompatibles avec l’apprentissage « sur le tas », à moins de demander à chaque patron d’ouvrir une école dans chaque entreprise, d’y mettre un maître et de laisser les jeunes s’exercer sur les machines… Mais pour cela, les patrons eux-mêmes nous sont gréés de nous en occuper dans l’Education nationale !

L’argument de mauvaise foi le plus incongru revient une fois encore à Mme Polony : « Jean-Luc Mélenchon insulte les classes populaires ». Or que propose le Front de gauche pour les classes populaires, c’est-à-dire les travailleurs de notre pays ? Des diplômes qualifiants reconnus dans les conventions collectives (et non des certifications) et donc la possibilité d’avoir des contrats de travail. Des salaires augmentés (avec la revendication de l’augmentation du SMIC à 1.700 euros qui entraînent toutes les grilles de salaire vers le haut). La retraite à 60 ans pour tous. Des droits pour les salariés dans les entreprises. La décriminalisation de l’action syndicale… 

Tous les efforts des bien-pensants pour faire croire que Sarkozy serait aux côtés des salariés seront vains. Les travailleurs, eux, ne se tromperont pas. Leur haut niveau de qualification et de culture commune leur donne la possibilité de lire des programmes et de choisir lors de ces élections ! Place au peuple.

 

François COCQ, Magali ESCOT

Les vertus insoupçonnées de l’obligation scolaire à 18 ans

Créé par le 25 mar 2012 | Dans : AGAUREPS-Prométhée, Articles de fond, Education

 Par Francis Daspe, président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche

L’allongement de l’obligation scolaire jusqu’à 18 ans constitue une des mesures phare du programme du Front de gauche. Simple mesure d’ajustement d’ordre technique à l’instar des allongements précédents octroyés en 1936 par Jean Zay sous le Front populaire et par l’ordonnance Berthoin de 1959 qui avaient fait passer l’âge de la fin de la scolarité obligatoire à 14 puis à 16 ans ? Ou, au contraire, étape véritablement décisive génératrice d’un saut qualitatif à même de dessiner les contours d’un projet de société plus global pour l’institution scolaire que l’on pourrait comparer à la loi Ferry du 28 mars 1882 rendant l’instruction obligatoire de 6 à 13 ans ? Tout en se défiant de sombrer dans l’emphase et de verser dans les comparaisons anachroniques, il est cependant possible d’affirmer qu’une telle disposition relève de la seconde catégorie.

La mesure recèle des vertus insoupçonnées. Elles vont en effet bien au-delà des arguments les plus consensuels rituellement avancés par un nombre croissant d’acteurs du système éducatif. Au premier rang de ceux-ci, se trouve la nécessité de relever les défis lancés par les réalités d’un monde de plus en plus complexe, aussi bien en terme de formation du citoyen que d’insertion dans le monde du travail. L’acquisition de ces connaissances exige un temps supérieur à celui octroyé à l’heure actuelle. L’idée d’étaler sur deux années supplémentaires le cursus scolaire devient un préalable pour que chacun puisse se familiariser avec des savoirs indispensables. C’est une condition sine qua non pour procéder à l’élévation du niveau général. Disons-le tout net, cette ambition se situe aux antipodes du socle commun de compétences minimaliste et utilitariste qui ne répond nullement aux besoins. La scolarité obligatoire portée à 18 ans est au contraire ce ciment qui ouvre la perspective aux techniques et aux savoirs émancipateurs.

La pertinence de cette analyse n’empêche pas pour autant que d’autres raisons soient à nos yeux encore plus déterminantes. Il convient par exemple de rassurer et d’emporter l’adhésion des praticiens de terrain, notamment ceux du collège, qui ressentent parfois comme une gageure d’amener des élèves en décrochage scolaire jusqu’à 16 ans. La mesure aura précisément pour le collège unique un impact bénéfique. Elle possède un double avantage : désenclaver le temps de scolarité passé au collège et dédramatiser l’orientation. Les choix d’orientation seront de la sorte inclus au sein des parcours scolaires, et non plus situés en fin de scolarité obligatoire. Un souffle oxygénant sera ainsi apporté au collège unique en l’inscrivant au cœur de la scolarité obligatoire et non plus comme un terminus anxiogène à un âge où il est parfois prématuré de devoir faire des choix engageant aussi lourdement sa future vie d’adulte.

Une autre vertu résiderait dans le processus de démarchandisation de la sphère éducative qui s’en trouverait de facto favorisé. L’obligation ne peut en effet rimer qu’avec gratuité, même si malheureusement l’équation souffre de trop d’entorses qui malmènent notre conscience républicaine. Nous savons tous que la scolarité post-collège, échappant à l’obligation, correspond à des dépenses difficiles à supporter pour de nombreuses familles. C’est là que commencent les spécialisations : pour les libéraux, toute spécialisation est à considérer comme un investissement personnel devant être financé par les familles, et non pas pris en charge par la collectivité. Cette logique, individualiste et marchande, que la volonté d’instaurer un chèque éducation pousse à son paroxysme, doit être contrecarrée : l’allongement de la scolarité obligatoire y contribuera.

C’est bien à un saut qualitatif que nous convie l’allongement de la scolarité obligatoire à 18 ans, pour peu que l’on sache en faire bon usage. Car ce qui est en jeu en définitive, c’est la démocratisation de notre système éducatif, tant de fois annoncée mais jamais réalisée. Il s’agit d’un levier, certes pas suffisant, mais absolument indispensable pour y parvenir. L’école de l’égalité et de l’émancipation ne se conçoit décidément pas au rabais.

Francis Daspe est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).

Francis Daspe, président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche

Tribune parue dans Le Monde du 20.03.2012

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