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Créé par sr07 le 07 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle
Nicolas Sarkozy a été choisi par 18 983 138 électeurs (53,06 % des suffrages exprimés, 42,68 % des électeurs inscrits) au second tour de l’élection présidentielle, le 6 mai, avec 2 192 698 voix d’avance sur sa rivale socialiste (soit une avance de 6,12 % des suffrages exprimés et de 4,93 % des inscrits). Cette victoire nette a entraîné une dynamique politique sensible à la fois dans l’ouverture politique du gouvernement Fillon, la popularité de la nouvelle équipe au pouvoir et des mesures qu’elle avance et, enfin, la forte majorité législative que laissent présager les sondages à l’issue de la consultation des 10 et 17 juin.
Les principaux éléments explicatifs de cette étonnante dynamique sont à chercher dans l’analyse du moment fondateur qu’a été la victoire électorale du 6 mai. Celle-ci a été d’une ampleur peu commune, elle s’est fondée sur une capacité à unifier au fond des urnes toutes les droites, à en dépasser ensuite les limites pour renouer, au-delà des décennies, avec la dimension syncrétique du gaullisme.
Une forte victoire. L’ampleur de la victoire est évidente au regard des affrontements passés entre gauche et droite au second tour de l’élection présidentielle sous la Ve République. Le niveau atteint par Nicolas Sarkozy est le deuxième meilleur niveau atteint par un candidat de droite face à un candidat de gauche : seul Charles de Gaulle, avec 55,20 % des suffrages, avait fait mieux en 1965. Cette large victoire, qui peut donner l’impression que le sarkozysme électoral renoue avec certaines des caractéristiques du gaullisme électoral, a été construite par une étonnante dynamique sensible dès le premier tour de l’élection présidentielle et qui s’est amplifiée au second.
L’unification des droites. Au premier tour, avec 31,18 % des suffrages, le candidat de l’UMP reprend pied au coeur du dispositif électoral des droites, alors que, depuis 1974, le candidat du gaullisme ou de son héritage oscillait entre 15,11 % (Jacques Chaban-Delmas en 1974) et 20,84 % (Jacques Chirac en 1995). Cette émancipation par rapport à une droite néo-gaulliste condamnée à n’attirer jamais plus que le cinquième des électeurs du premier tour a constitué la base de la dynamique sarkozyste. Ce passage d’un cinquième à presque un tiers de l’électorat s’est fait grâce à une captation d’une partie non négligeable des électeurs de l’UDF et à une conquête massive d’électeurs du Front national. Dès le premier tour, Nicolas Sarkozy est au centre d’une coalition des droites allant du centre droit à la droite extrême en passant par la droite néo-gaulliste. Il parachèvera cette coalition au second tour en s’attaquant à ce qui reste du lepénisme électoral et aux nouveaux adeptes du centrisme autonome de François Bayrou. Comment Nicolas Sarkozy est-il passé de 11 448 663 voix au premier tour à 18 983 138 au second, soit une progression de 7 534 475 voix ?
Au second tour, Nicolas Sarkozy continue son recyclage des électeurs lepénistes en attirant une forte majorité – environ 75 % – des électeurs restés fidèles lors du premier tour au président du FN : les trois départements où sa dynamique est la plus forte sont le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et le Vaucluse, trois bastions du lepénisme. Il ajoute à cela la reconquête d’électeurs villieristes (la Vendée est un des cinq départements où la hausse de Nicolas Sarkozy est la plus forte) et de vieilles terres de l’UDF (comme l’Alsace, les deux Savoies et la Haute-Loire).
Au fond, la dynamique électorale personnelle de Nicolas Sarkozy s’enracine dans la capacité après laquelle couraient tous les candidats de droite depuis un quart de siècle : celle d’être le « patron » électoral de toutes les droites prises dans leur ensemble.
L’ouverture électorale au-delà des droites. Mais cela ne suffisait pas. Aucune victoire de Nicolas Sarkozy n’était possible sur le seul socle des droites traditionnelles, qu’elles relèvent de la tradition légitimiste-organiciste du type villieriste et lepéniste ou de la tradition bonapartiste mâtinée de libéralisme du type de l’UMP sarkozyste. En effet, cet ensemble de droites traditionnelles ne rassemblait que 43,85 % des suffrages au premier tour : il manquait 6,16 % pour dépasser la barre des 50 % et 9,21 % pour atteindre le niveau de 53,06 %.
L’apport décisif est venu essentiellement de l’électorat du centre autonome de François Bayrou. La carte de la dynamique électorale de Nicolas Sarkozy par rapport aux droites de premier tour (Le Pen, de Villiers, Sarkozy) est tout à fait éclairante. Les terres de la dynamique décisive pour la victoire sont les terres du « bayrouisme électoral » triomphant (Alsace, Yvelines, grand Ouest, le Pays basque et le Béarn, le sud du Massif central et Rhône-Alpes). Le tropisme électoral de ces terres est allé de manière préférentielle vers Nicolas Sarkozy, lui faisant franchir la barrière électorale décisive pour la victoire et ratifiant
ainsi presque trente ans de compagnonnage électoral avec le RPR puis l’UMP.
Le département où Nicolas Sarkozy progresse le plus par rapport à la droite du premier tour est la terre d’élection de François Bayrou : les Pyrénées-Atlantiques (+ 15,17 % pour une progression nationale de + 9,34 %). Nicolas Sarkozy réussit donc à entamer fortement le socle électoral naissant d’un centrisme aux velléités d’autonomie mais qui n’a pas totalement oublié son histoire d’apparentement avec la droite depuis le ralliement de Jean Lecanuet à celle-ci en 1974.
A ce dépassement électoral des limites de la droite pour y agréger nombre d’électeurs centristes, Nicolas Sarkozy a ajouté, de manière plus marginale mais significative, des électeurs de gauche dissidents.
L’enquête post-électorale réalisée par l’IFOP du 9 au 23 mai pour le compte du Cevipof et du ministère de l’intérieur montre que sur l’ensemble des électeurs de Nicolas Sarkozy au second tour, plus de 8 % ont une proximité partisane avec des partis de gauche. Chez plusieurs sympathisants de petites formations de la gauche, l’écho du « gaucho-sarkozysme » est loin d’être négligeable : 33 % des sympathisants de Lutte ouvrière, 51 % de ceux du Mouvement républicain et citoyen, 16 % de ceux des Radicaux de gauche et 20 % de ceux des Verts ont choisi Nicolas Sarkozy. Ce syncrétisme électoral rappelle, à certains égards, les structures électorales du gaullisme et montre comment le sarkozysme est en rupture avec le chiraquisme.
Une rémanence électorale du gaullisme ? Du 7 mai 1995 au 6 mai 2007, le candidat de droite a gagné 0,42 % de suffrages exprimés mais 3,25 % d’électeurs inscrits. L’évolution de la performance de Nicolas Sarkozy par rapport à celle de Jacques Chirac est très contrastée territorialement. Sur toute la façade atlantique et dans les terres du « chiraquisme personnalisé » (Limousin et sa périphérie, Paris et sa région), Nicolas Sarkozy perd ou stagne par rapport à Jacques Chirac.
Ce n’est qu’à l’est d’une ligne Cherbourg – Clermont-Ferrand que la dynamique sarkozyste est forte et même parfois très forte. Ces terres sont certes celles d’un lepénisme électoral que Jacques Chirac n’avait jamais réussi à reconquérir mais, sur la longue période, elles sont aussi celles du gaullisme électoral de 1958 qui s’enracinait dans la tradition d’un nationalisme républicain dont Maurice Barrès disait que les soutiens français réservaient « pour le principe républicain ces puissances de sentiment que d’autres nations accordent au principe d’hérédité ».
On peut ajouter à cela le fait que Nicolas Sarkozy renoue avec un interclassisme que la droite ne connaissait plus depuis plus de quarante ans : il pénètre aussi bien les milieux d’ »en haut » (54 % chez les cadres supérieurs et professions intellectuelles) que les milieux d’ »en bas » (55 % chez les employés, 52 % chez les ouvriers).
Ce sont ces bases électorales larges et profondes qui constituent le fondement du sarkozysme électoral et éclairent sa capacité dynamique dans la période préparatoire des élections législatives. Cette nouvelle force électorale solidement installée au coeur des diverses traditions de la droite peut prétendre à une position hégémonique servie par le jeu des institutions de la Ve République et l’état de grâce qui suit les victoires amples et claires.
Pascal Perrineau dans le journal Le Monde
Créé par sr07 le 02 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Contre la guerre
15 000 Palestiniens ont fui le camp de Nahr Al-Bared (nord du Liban) depuis l’instauration d’un cessez-le-feu le 22 mai. Les combats entre l’armée libanaise et l’organisation Fatah al-Islam ont duré trois jours et fait près de 70 morts. La correspondante du Monde (daté 22 mai) à Beyrouth notait la violence des affrontements dans son article « Les combats ont repris au Liban entre l’armée et le Fatah Al-Islam ». « Après quelques heures d’une relative accalmie, des tirs de chars et d’artillerie opposaient de nouveau, dans la matinée, les soldats libanais aux combattants de ce groupe radical retranchés dans le camp de réfugiés de Nahr Al-Bared, où vivent 40 000 réfugiés palestiniens. »
« Face à cette situation, le Fatah Al-Islam a promis, mardi matin, de se battre jusqu’à « la dernière goutte de sang » si l’armée poursuit ses bombardements. « La balle est dans le camp de l’armée, ce sont eux qui ont commencé les combats, et ce sont eux qui devront les arrêter », a déclaré Abou Salim Taha, le porte-parole du Fatah Al-Islam. Interrogé sur le nombre de victimes dans les rangs du groupe, il a répondu : « Ce n’est pas un problème pour nous, le problème est que les civils ne peuvent supporter cela plus longtemps. » »
L’organisation Fatah Al-Islam a revendiqué les « deux attentats à la bombe qui ont eu lieu dimanche et lundi à Beyrouth. Le premier s’est produit dans le quartier chrétien d’Achrafié ; une personne a été tuée et dix autres blessées. Dans le second, qui a eu lieu lundi soir à Verdun, un quartier à majorité musulmane de la capitale libanaise, dix personnes ont été blessées ».
Pierre Barbancey, envoyé spécial de L’Humanité au Liban, écrit, dans la livraison du 21 mai, un article intitulé « Violents combats au Liban Nord ». « Hier, à l’aube, de violents combats ont éclaté autour du camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, près de Tripoli (nord du Liban) entre les Forces de sécurité libanaises (FSI) et un groupuscule palestinien, le Fatah al-Islam. En milieu d’après-midi, les autorités libanaises faisaient état d’au moins vingt personnes tuées (dont onze soldats et sept Palestiniens). Selon les témoignages que l’Humanité a pu recueillir, tout a commencé lorsque des militants du Fatah al-Islam ont attaqué les trois check-points tenus par l’armée libanaise à l’entrée du camp (aux termes d’accords libano-palestiniens, les forces de l’ordre libanaises ne sont pas autorisées à entrer à l’intérieur des camps de réfugiés), peut-être pour venir en aide à un autre groupe encerclé dans un immeuble dans un quartier de Tripoli. Les assaillants, armés de lance-roquettes, ont d’abord pris le contrôle des points de passage mais ils ont vite été délogés par les militaires – épaulés par les 5e, 8e et 10e brigades, équipées de blindés – aux entrées nord et sud, les combats se concentrant sur Mhamra, à l’est. »
(…) « Bien que le Fatah du président palestinien Abbas reste majoritaire dans les camps de réfugiés, Nahr al-Bared est le bastion du Fatah al-Islam, un groupuscule composé de Palestiniens et d’autres nationalités arabes, qui avait annoncé sa création en novembre 2006. Il serait issu du mouvement palestinien prosyrien Fatah Intifada, opposé au Fatah. Le chef de l’OLP au Liban, Sultan Aboul Aynaïn, a immédiatement apporté son « soutien à l’armée libanaise », appelant à ne pas faire porter aux Palestiniens la responsabilité des actions du Fatah al-Islam, qui reconnaît des liens idéologiques avec le réseau d’al Qaeda. « Ces gens (le Fatah al-Islam) utilisent le camp de Nahr al-Bared pour mener des opérations à des fins de politique régionale qui ne concernent pas les Palestiniens », a ajouté Sultan Aboul Aynaïn. »
Si le cessez-le-feu semble tenir pour l’instant, il est encore fragile. L’attitude de l’armée libanaise a suscité de vives réactions dans les divers camps palestiniens du Liban (rappelons qu’environ 400 000 Palestiniens sont réfugiés dans ce pays), comme le note Mouna Naïm dans son article du Monde, « Au Liban, des milliers de réfugiés fuient les bombardemants de Nahr Al-Bared ». « Le sort des populations civiles à Nahr Al-Bared a suscité une effervescence dans certains des onze autres camps de réfugiés palestiniens du pays. Des manifestations dénonçant l’armée et le gouvernement libanais ont été organisées, notamment dans le camp de Baddaoui, qu’une dizaine de kilomètres sépare de Nahr Al-Bared, ainsi que dans ceux, méridionaux, d’Aïn Al-Héloué au Liban-sud, foyer de plusieurs formations djihadistes, et de Rachidiyé. »
Les combats ont mis en lumière la situation souvent terrible des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens au Liban. Ostracisés par les autorités libanaises depuis le départ des combattants palestiniens de l’OLP en 1982-1983, soumis à des lois racistes, ils vivent dans une situation misérable qui a favorisé un repli des camps sur eux-mêmes, la pauvreté, le recours au religieux et l’installation de groupes se réclamant de l’islam le plus conservateur. On pourra lire avec profit de ce point de vue le livre de Bernard Rougier, Le Jihad au quotidien (PUF, 2004), ainsi que son article dans Le Monde diplomatique de janvier 2007, « Islamismes sunnites et Hezbollah ». Dans « la guerre civile silencieuse » qui met aux prises le gouvernement de Fouad Siniora (appuyé par une majorité des sunnites, de druzes et, sans doute, la moitié des maronites), et l’opposition (composée essentiellement du Hezbollah et du parti maronite de Michel Aoun), plusieurs commentateurs ont noté que le parti du Futur de Saad Hariri, sunnite, n’avait pas hésité à financer des groupes fondamentalistes libanais, notamment dans le nord du Liban.
Rappelons ce que je j’écrivais le 15 mars 2007, dans « Agitations diplomatiques au Proche-Orient » : « Les autorités libanaises annoncent l’arrestation et les aveux de sept membres de l’organisation islamiste Fatah Al-islam, impliqués dans les attentats du 13 février contre des autobus. Bien que l’organisation ait démenti ces accusations, elles alimentent l’idée d’un développement de groupes radicaux liés à Al-Qaida au Liban. « La nébuleuse Al-Qaeda met un pied au Liban », titre Libération (14 mars), sous la plume de son envoyée spéciale Isabelle Dellerbale. Le célèbre journaliste américain Seymour Hersh avait accusé il y a quelques semaines le gouvernement libanais et les autorités américaines de s’appuyer sur de tels groupes. Il revient sur le sujet dans un entretien accordé au site Antiwar.com et à Charles Goyette, « Why Is the US Backing Sunni Jihadists ? »
Dans son éditorial du Figaro du 22 mai, « Nouvelle épreuve au Liban », Pierre Rousselin met en cause, comme beaucoup d’autres, le régime syrien dans les derniers événements.
« Au Liban, chaque fois que les intérêts de la Syrie sont menacés, une flambée de violence met en péril un gouvernement fragilisé à l’extrême depuis la démission des ministres de l’opposition prosyrienne en novembre dernier. Il a suffi que l’on se remette à évoquer, à l’ONU, la mise en place du tribunal spécial chargé de statuer sur l’assassinat, en 2005, du premier ministre Rafic Hariri pour que cela déclenche une nouvelle poussée de fièvre. »
Pourtant, il souligne en même temps que l’on ne peut réduire les affrontements à des ingérences de Damas.
« Le Fatah al-Islam, à l’origine des troubles, est un groupe de djihadistes influencés par al-Qaida. Son entrée en scène suscite une très vive inquiétude parce qu’il est fortement armé et bien entraîné, parce qu’il disposerait de partisans disséminés dans le pays et parce qu’il peut compter, quoi qu’en disent les démentis de Damas, sur de solides appuis dans les services syriens.
Lié à al-Qaida, le groupe Fatah al-Islam témoigne de l’extension au Liban du combat des djihadistes d’Irak, d’Afghanistan et d’ailleurs. Retranché dans le camp palestinien de Nahr al-Bared, il cherche à réveiller l’antagonisme ancien entre Libanais et Palestiniens. »
De Gaza au Liban, l’extension de l’influence de petits groupes qui se réclament d’Al-Qaida devrait inquiéter et rappeler cette évidence : la non résolution des conflits, et en premier lieu du conflit palestinien, génère le chaos et l’extrémisme. Le nouveau paysage proche-oriental est plus qu’inquiétant.
Bien des gens ont intérêt à l’instabilité au Liban. Le gouvernement syrien sans doute, mais aussi la majorité libanaise actuelle (qui cherche à pousser la communauté internationale à une résolution autoritaire pour créer un tribunal international sur l’assassinat de Rafic Hariri), le gouvernement israélien, les Etats-Unis, etc. Mais, contrairement à ce qui s’écrit généralement, ce qui se passe dans ce pays n’est pas un affrontement entre, d’un côté, le peuple libanais allié à la communauté internationale et de l’autre la Syrie avec ses « agents ». Se superposent plusieurs affrontements, dont le premier divise le Liban lui-même en deux camps d’à peu près égale importance. En privilégiant l’un des deux, la France fait-elle le bon choix ?
http://blog.mondediplo.net/2007-05-23-Le-Liban-dans-la-tourmente
Créé par sr07 le 01 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Projet politique, Santé-social-logement
La politique de la ville cristallise les autres. Elle doit être le chantier principal de la République.
Par Guy BURGEL, Paul CHEMETOV
QUOTIDIEN LIBERATION : vendredi 1 juin 2007
Guy Burgel professeur à l’université Paris-X et au Conservatoire national des arts et métiers et Paul Chemetov architecte.
Le premier gouvernement de Nicolas Sarkozy commence sous le feu des projecteurs. Qui le reprocherait ? Ils sont jeunes, ils sont vitaminés, ils sont riches. Cela plaît aux Français qui aimeraient s’identifier à eux. Et prévaut surtout le sentiment diffus que la réforme nécessite un déplacement des clivages classiques pour parvenir à une adhésion large de la Nation. Beaucoup auraient souhaité que la prise de conscience s’en fît plus tôt, du côté du parti socialiste ou de François Bayrou. Le choix des uns et le vote des autres en ont décidé autrement. Les citoyens, les électeurs de la majorité comme de l’opposition jugeront sur pièces.
Il est pourtant un domaine où la rupture est déjà mal partie : la politique de la ville. Ici, c’est la Ve République dans son ensemble qui n’a pas compris qu’en un demi-siècle, la France avait accompli la plus grande révolution urbaine de son histoire : plus du doublement de la population des villes (de 20 millions à près de 45 millions de citadins), l’étalement des agglomérations, la féminisation de l’emploi, le redressement industriel national et la mondialisation de l’économie de services, l’épaississement, puis la fracture, des couches moyennes, la démocratisation de l’instruction et du diplôme, avant leur mise en doute actuelle. Tout cela s’est passé dans la ville et par la ville. Face à ces bouleversements, les politiques n’ont su depuis des décennies qu’opposer l’urbanisme de quantité et la sectorisation des approches : construire des logements et des infrastructures il le fallait, certes, dans l’urgence plus qu’élaborer les conditions d’une nouvelle civilisation urbaine, isoler et traiter des quartiers difficiles aux localisations implacablement identiques, dont les appellations changeraient au gré des modes et des objectifs ( «Grands Projets urbains», «Zones urbaines sensibles», «Zones d’éducation prioritaire» ), plutôt que de s’attaquer aux logiques d’ensemble de la crise urbaine. La ville est un tout, qu’il faut embrasser d’une seule intelligence, et qui conditionne la quasi-totalité des problèmes de l’heure. Si la nouvelle équipe n’en prend pas une conscience rapide, tous les grands chantiers du Président sont voués à l’échec.
La création d’emplois pour résoudre un chômage structurel, double de la plupart de nos voisins européens ? Elle ne dépend pas seulement du retour rêvé de la croissance et de la fiscalité des entreprises, mais de l’inaptitude structurelle de l’économie urbaine française , notamment dans les villes les plus riches, à créer autre chose que de l’activité high-tech. Ce n’est pas ainsi qu’on fera diminuer les bataillons de chômeurs, constitués en grande partie de personnes peu formées. Il y faut beaucoup d’activités banales de production, et de services à la personne et à l’entreprise. Sait-on que la plus grande différence entre une ville américaine (Los Angeles) et française (Paris) ne réside pas dans les métiers de la finance ou de la conception, mais dans le commerce de détail, l’aide à l’éducation et à la santé, tous secteurs pourvoyeurs d’emplois nombreux, souvent de faible qualification ?
L’échec du système éducatif, du primaire à l’université, ne réside pas dans la carte scolaire, la perte de l’autorité post-soixante-huitarde ou le défaut d’orientation et d’apprentissage, mais d’abord dans un déficit de formation fondamentale, qui touche plus ou moins tous les espaces et les strates de la société urbaine. Cessons donc de croire qu’il suffirait d’assouplir la géographie du recrutement des établissements, de décentraliser une université ou de conférer plus d’autonomie à d’autres, quand l’essentiel est d’abord de restaurer d’instaurer ? à tous niveaux et partout, et quel qu’en soit le coût, une exigence d’efficacité pédagogique, fréquemment évaluée. Dans la république des villes, la réussite de l’école est à ce prix.
Le logement n’est pas seulement celui des déshérités visibles, en dépit des appels pathétiques de l’abbé Pierre et des efforts louables de Martin Hirsch. A cet égard, les tentes rouges des Don Quichotte masquent le désarroi de millions de Français urbains, qui désespèrent depuis des lustres d’allier dans le choix de leur habitat aménité et efficacité. Ce n’est pas en faisant imploser des dizaines de milliers de logements ou en déplaçant la spéculation foncière vers la périphérie qu’on les aidera. Mais en imaginant c’est possible et en promouvant les formes d’une ville dense, agréable, efficiente , ouverte à tous. Ce qui ne veut pas dire nécessairement mixte dans tous ses quartiers et indifférenciée dans toutes ses fonctions.
Le respect de l’environnement ne réside ni dans l’incantation ni dans l’interdiction, mais d’abord dans le mode de vie et de mobilité de nos concitoyens urbains. Quelle ville voulons-nous pour quels transports ? Il ne suffit pas d’interdire la voiture, d’encourager les circulations douces, ou même d’investir largement dans les transports collectifs, mais de mettre en cohérence les aspirations des citadins au mouvement, les formes matérielles de la ville et les modalités de déplacement. Une véritable révolution des approches de la mobilité !
L’identité nationale ? Pourquoi pas ? A condition de ne pas l’associer immédiatement à l’immigration mais d’abord au creuset social et culturel que fut la ville française pendant les deux siècles de l’âge industriel. Au milieu de luttes ouvrières, syndicales et politiques, de prescriptions législatives, s’étaient finalement imposées dans le pays des régularités d’intégration et de promotion, qui donnaient à nos cités une certaine forme d’équilibre. S’il y avait un modèle français, il était dans ces configurations sociales et spatiales, que nous enviaient bien des observateurs des Amériques et d’Asie. C’est lui que les fractures ont brisé, notamment dans les métropoles les plus prospères. Il faut en retrouver le moteur génétique, autant par intérêt politique bien compris, que par fidélité à notre histoire.
Plus que d’un ministère, la ville a besoin et mérite d’être le chantier pédagogique et politique de la République et de la Nation.
Créé par sr07 le 26 mai 2007 | Dans : Articles de fond, Débats autour de la refondation de la gauche
Tribune libre
Par Michel Huet, docteur en droit, avocat à la cour.
« Le questionnement donne son élan à la pensée… Un questionnement radical ne peut conduire qu’à des réponses énigmatiques » (Kostas Axelos).
Cher Michel Onfray, cinq questionnements et une espérance guident les propos que vous m’avez inspirés (1) :
Premier questionnement : Est-il pertinent de poser la question de la refondationde la gauche ?
La réponse est oui, mais nombreux sont ceux qui s’y sont essayés vainement, soit au coeur de leur propre formation en ayant les bras trop courts, soit au-delà en ayant le coeur trop large.
Deuxième questionnement : Est-il opportun de poser la question aujourd’hui même ?
Est-ce trop tard ? Non. Est-ce trop tôt ? Sans doute. La défaite de toutes les gauches à l’élection présidentielle a rendu indispensable l’unité d’action, même formelle, même superficielle, de toutes les gauches pour faire alliance avec un parti socialiste même libéral aux fins d’avoir le maximum de députés de chacune des gauches au Parlement. C’est la même stratégie que pour le deuxième tour à la présidentielle, où il fallait voter pour Ségolène Royal même royale. C’est de la stratégie à court terme pour rebondir !
Troisième questionnement : Votre analyse quant à l’exclusion du Parti socialiste et de l’extrême gauche à refonder la gauche de gauche est-elle juste ?
Oui et non. Oui, quant à l’impossibilité de demander au Parti socialiste et à l’extrême gauche plus qu’ils ne peuvent donner. Non, quant à leur disqualification sans nuance. Si vous posez le problème en termes de générations, ce qui est un peu court, l’extrême gauche ce n’est plus « Laguiller-Krivine », le Parti socialiste ce n’est plus Jospin. Besancenot se grattait pour y aller, même s’il a déclenché les hostilités par son ultimatum envers le Parti communiste. Montebourg, Peillon et surtout Mélenchon s’y trouvaient bien, dans cette gauche antilibérale, mais la « realpolitik » l’a emporté, et pas seulement avec eux.
Quatrième questionnement : Le Parti communiste est-il le seul capable de rassembler la gauche antilibérale ?
Oui et non… Oui en effet par ses orientations, le travail de ses militants, son indépendance vis-à-vis des forces financières et aujourd’hui de toute ingérence idéologique extérieure. Oui si l’on voit la magnifique campagne effectuée par Marie-George Buffet. Mais non quand on constate l’échec cuisant à l’élection présidentielle et la perte de crédibilité de ce parti vis-à-vis des forces populaires, qu’il est pourtant le meilleur à défendre.
Cinquième questionnement : Est-il bien raisonnable de demander au Parti communiste d’être libertaire ?
Demander d’avoir des valeurs moins marxistes-léninistes, certains diront comme Besancenot que c’est déjà fait et d’autres (les jeunes générations), même s’ils ont vu le gros livre d’Attali sur Marx en librairie, n’ayant plus la même formation au sein de l’école du Parti, sont bien loin de cette grande barbe dont ils n’ont pas lu un traître mot mais comprennent parfaitement le langage des souffrances sociales attisées par une droite provocatrice qui tente de les récupérer par la séduction ou de les enfermer encore davantage dans leurs ghettos. Alors, cher Michel Onfray, pour reprendre une question d’un Lénine que vous n’aimez guère, car vous lui reprochez à tort d’avoir engendré Staline : « Que faire ? » Ni vous, philosophe lumineux, ni moi, juriste à peine éclairé, n’allons dicter au peuple ce qu’il peut ou ce qu’il doit faire, y compris dans le choix des représentants syndicaux, parlementaires ou des partis politiques. Nous qui ne sommes pas communistes mais qui portons une affection à ceux qui ont un combat juste, pouvons-nous faire lsur l’histoire qui se construit au fil des luttes ? Vous êtes rétif aux états-majors, moi aussi, mais sans état-major pouvons-nous faire la guerre ? Vous aimez Héraclite et les vrais présocratiques, moi aussi, vous faites un travail pédagogique hors pairs pour faire ressurgir des pensées écrasées par les forces et les idéologies dominantes. Vous n’avez pas voulu comme Platon porter les forces politiques de cette force antilibérale qui déjà gronde au coeur du monde. Alors que faire ? D’abord grâce à vous, puiser dans l’histoire les valeurs qui déjà ont émergé, se sont transformées pour éclairer l’humanité. Tout comme vous, débattre de ces valeurs, en faire émerger de nouvelles. Soutenir sans exclusive les résistants au capitalisme financier et/ou immatériel qui gagne du terrain. Élaborer des stratégies, définir des méthodes, emprunter peut-être à nos disciplines des sciences humaines et sociales, maïeutique, dialectique, démarche itérative, démarche utopique… Noncelle de Thomas More, mais cellede William Morris dans les Nouvellesde nulle part.Avant de faire la révolution, même et si surtout on la souhaite, il faut travaillersur l’horizon, sur l’espérance chère à Ernst Bloch, et sur les valeurs. Les idées libertaires que vous aimez tant donneront le souffle pour que la pensée éclate,mais d’autres seront tout aussi richespour que la gauche que tente dans la douleur de faire vivre le Parti communiste français puisse se retrouver surses vraies valeurs.
(1) Voir l’Humanité du 22 mai, page 15.
Créé par sr07 le 24 mai 2007 | Dans : Articles de fond, Non classé
Elle doit emprunter à la gauche ses héros car les siens ne sont guère fréquentables.
Par Michel WINOCK
QUOTIDIEN LIBERATION : jeudi 24 mai 2007
Michel Winock historien, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris.
Dernier ouvrage paru : la Mêlée présidentielle, Flammarion, mars 2007.
L’initiative de Nicolas Sarkozy au sujet de la lettre de Guy Môquet nous renvoie à l’utilisation de l’histoire par les hommes politiques. Qu’a voulu faire de ce texte émouvant d’un jeune résistant communiste notre nouveau président ? Sans doute plusieurs choses. En premier lieu se démarquer de la vieille droite : je suis de droite, oui, mais pas de la droite vichyste, collabo, antisémite ; je suis de la droite républicaine.
Le choix du souvenir de Guy Môquet marque aussi un souci de «rassemblement». Il aurait pu choisir un autre martyr, une autre lettre. Aragon avait dédié son poème la Rose et le Réséda à Guy Môquet, le communiste, mais aussi à Gilbert Dru, le démocrate-chrétien, autre fusillé. Choisir le communiste c’est vouloir signifier l’ouverture, le refus de l’esprit partisan. Nous restons là dans la filiation gaulliste. A cela près que le général de Gaulle ne s’est jamais dit de droite (non plus que de gauche). Voilà donc un président qui, pour la première fois, se dit et s’assume de droite. Mais avec quelle mémoire, avec quelle histoire ?
Pour le dire d’un mot : le regard historique de Nicolas Sarkozy pourrait être, à quelques détails prêts, celui d’un homme de gauche. Certes, il entend être oecuménique : «Ma France, c’est le pays qui a fait la synthèse entre l’Ancien Régime et la Révolution, qui a inventé la laïcité pour faire vivre ensemble ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas . » Mais déjà le grand médiéviste Marc Bloch avait dit, avant d’être fusillé par les Allemands, que tout Français vibrait au double souvenir du sacre de Reims et de la fête de la Fédération. C’est au poète communiste Aragon que Nicolas Sarkozy emprunte cette expression de «ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas». Ses références doivent étonner les mânes de Mitterrand : Victor Hugo, Léon Gambetta, Georges Clemenceau, le Zola de «J’accuse», Jean Jaurès, Léon Blum, Jean Moulin, Guy Môquet… Le seul hommage à un homme de droite d’avant le gaullisme, il l’a adressé à Georges Mandel, ancien collaborateur de Clemenceau, et membre de cette droite républicaine honnie de l’extrême droite, qui a fini fusillé par la Milice.
Quelle conclusion tirer d’un tel hommage ? La droite contemporaine a renoncé à son référentiel de droite. Certes, Saint Louis et Jeanne d’Arc ne sont pas oubliés, mais ils appartiennent à tout le monde : jadis les socialistes eux-mêmes revendiquaient Jeanne, cette fille du peuple condamnée par l’Inquisition avant d’être accaparée par la droite cléricale.
Pour la phase proprement républicaine aucune figure de la droite historique n’est citée, ni Albert de Mun, ni Maurice Barrès, ni Paul Déroulède, ni Charles Maurras, ni même Raymond Poincaré ou Antoine Pinay… Tout se passe comme si l’histoire de la droite commençait pour la droite avec de Gaulle.
Il y a ainsi une solution de continuité entre la droite de jadis et la droite d’aujourd’hui : c’est une droite sans mémoire ou de mémoire récente. La dissymétrie est frappante entre elle et la gauche. Celle-ci se voit comme la continuation d’une histoire dont l’origine est la Révolution, et qui se poursuit avec les insurrections de 1830, de 1848, de la Commune de 1871, avec la naissance du Parti socialiste, avec Jaurès, avec le Front populaire, avec Blum… La gauche est surchargée d’histoire, on pourrait dire parfois : encombrée par une histoire qu’elle ne veut pas «trahir». La droite, elle, ne peut se réclamer ni de Mac-Mahon, ni des antirépublicains, ni des antidreyfusards de la IIIe République, ni des ligueurs, ni des pétainistes, ni des colonialistes (souvent de gauche, du reste).
Cette espèce de virginité historique s’explique facilement : la gauche a gagné, ses valeurs originelles sont celles aujourd’hui de 80 % des Français ; la droite les a reprises à son compte dans un mouvement progressif qui a commencé lorsque des anciens dreyfusards comme Poincaré sont devenus des hommes de droite, par opposition aux collectivistes (socialistes et communistes). La chute du régime de Vichy et la démocratisation généralisée des régimes politiques en Europe finissent par rendre obsolètes les idées patriarcales, cléricales, autoritaires, antilibérales (eh oui !) des droites d’autrefois. Le socialisme, un des axes de la gauche, a échoué dans la réalisation de ses promesses utopiques, mais c’est une raison supplémentaire pour que la droite, issue du gaullisme, ne soit plus idéologiquement parlant aux antipodes de la gauche. Pour Le Pen, Jacques Chirac est un président de «gauche», et Sarkozy, par ses discours, lui donne des arguments.
Lors du centenaire de l’affaire Dreyfus, Lionel Jospin avait cru devoir rappeler à ses adversaires de droite que la droite avait été antidreyfusarde. C’était se tromper d’époque. La droite politique d’aujourd’hui ne se reconnaît nullement dans la descendance de la Ligue des patriotes et encore moins de l’Action française. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Chirac ne se disaient pas de droite, mais ils n’en ont pas moins contribué à une nouvelle culture de droite ; Sarkozy en touche les dividendes, cette fois sans renier l’étiquette historiquement abhorrée de «droite». Ainsi les deux récits historiques traditionnels, celui de la gauche et celui de la droite, tendent à se localiser aux extrêmes. L’antagonisme central entre gauche et droite ne relève plus du grand schisme de 1789.
Reste une pomme de discorde : Mai 68. C’est sur cette date que le conflit des interprétations retrouve sens. A une histoire ancienne qui a cessé d’être conflictuelle s’oppose une histoire du temps présent encore profuse d’oppositions sonores. Guy Môquet rassemble, Cohn-Bendit sépare toujours.