Bilan de la campagne présidentielle
Articles archivés
Articles archivés
Créé par sr07 le 27 juin 2007 | Dans : Bilan de la campagne présidentielle
PARIS (AP) – « La victoire était possible » à l’élection présidentielle, lance Laurent Fabius à Ségolène Royal, regrettant le « triple déficit » de l’ex-candidate socialiste sur sa « présidentialité », sa « crédibilité » et la « collégialité » avec le PS.
« Rien n’est jamais gagné à l’avance, mais je crois, oui, que la victoire était possible », estime l’ancien Premier ministre dans un entretien au « Monde » daté de jeudi. Et d’avertir Ségolène Royal, qui se refuse pour l’heure à tout autocritique et préfère parler de « non-victoire »: « Il faut expliquer cet échec, non le nier ».
Lors de la campagne, « un triple déficit est apparu: présidentialité, crédibilité, collégialité », regrette-t-il. Il épingle au passage les débats participatifs chers à l’ex-candidate. « On ne gagne pas une élection présidentielle en demandant à chacun ce qu’il ou elle veut, mais en proposant une vision, un dessein ».
Laurent Fabius, qui avait imposé le SMIC à 1.500 euros dans le projet du PS, se pose la question de la « sincérité » de Ségolène Royal après ses déclarations jugeant cette proposition, qu’elle avait reprise, pas « crédible ». « Si on affirme lors d’une élection être favorable à son augmentation, et qu’on déclare ensuite qu’on n’y croyait pas, cela devient un problème de nature quasi éthique et suscite un doute sur l’ensemble des propositions qu’on défend », gronde-t-il.
Enfin, l’ancien adversaire de la présidente de la région Poitou-Charentes lors de la primaire au PS déplore qu’elle ait « plutôt choisi de tenir à l’écart les principaux responsables socialistes. Ce fut sa décision. Pour ma part, j’étais totalement disponible ».
Après la défaite, il se dit « préoccupé par l’atmosphère délétère qui règne parmi les dirigeants socialistes ». Des tensions dont Laurent Fabius entend se tenir à l’écart, se définissant comme un « sage actif ». AP
Créé par sr07 le 25 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle, Débats autour de la refondation de la gauche, Projet politique
Stéphane Beaud, sociologue (revue Mouvements, Où est passée la gauche ? 1997-2007, nº 50 juin-août 2007. Éditions La Découverte) :
« Il fut un temps pas si lointain où le Parti communiste français pouvait se dire « le parti de la classe ouvrière » et où la gauche, au sens large du terme, pouvait comme en mai 1981 revendiquer en sa faveur le vote de la majorité des classes populaires. A contrario, le 21 avril 2002 peut être considéré, d’un point de vue sociologique, comme la dernière étape du processus d’éloignement de la gauche des classes populaires, moins du fait de la conversion de celles-ci au vote pour le Front national que de leur refuge massif dans l’abstention.
Les partis politiques de gauche ne peuvent plus aujourd’hui manier avec l’évidence sociale qui était la leur le vocabulaire des « classes ».
Quant au Parti socialiste, il hésite structurellement dans sa stratégie électorale à mettre l’accent sur les demandes des classes populaires ou sur celles des classes moyennes – ce qui constitue un enjeu de luttes en son sein. En même temps, à la décharge des partis politiques, on peut dire que les recherches des sociologues n’ont pas toujours été d’un grand secours pour éclairer le débat contemporain : en effet, les travaux sur les classes sociales, après avoir été très nombreux dans les années 1960-1970, se sont raréfiés au cours de deux décennies suivantes, avant de connaître un certain retour… »
Créé par sr07 le 25 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle, Débats autour de la refondation de la gauche, Projet politique
Par Nathalie Ethuin, maître de conférences en sciences politiques (université Lille-II, CERAPS).
« Parti des ouvriers », ayant porté à sa tête un « fils du peuple », capable de faire passer un ouvrier « de l’usine à l’Assemblée nationale » (titre de l’autobiographie de Gustave Ansart), le Parti communiste a revendiqué une singularité dans le champ politique, en s’appuyant sur la composition sociale de ses électorats, de ses militants et de ses directions à tous les niveaux. En privilégiant des dirigeants et porte-parole issus des catégories populaires, il revendiquait une représentation miroir, fondée sur la commune expérience de la condition ouvrière. Qui plus est, la grille de lecture marxiste, évidemment appropriée très différemment selon le degré d’investissement dans le Parti, permettait de mettre en sens cette condition ouvrière. Si le PCF a pu ainsi revendiquer et cultiver pendant des décennies une telle singularité, c’est qu’il a très tôt mis en place des mécanismes de sélection et de formation de militants issus majoritairement des catégories populaires. La politique d’éducation des militants et des cadres, structurée notamment par un réseau hiérarchisé d’écoles, dont la durée variait entre quelques jours pour le niveau élémentaire destiné aux adhérents et quatre mois pour les écoles des cadres fédéraux et nationaux, en a été un rouage essentiel. Les écoles du PCF étaient un moyen de contrecarrer les logiques censitaires qui excluent majoritairement les membres des catégories populaires du champ politique. Pour les militants qui y ont fait leurs classes, comme pour ceux qui y ont enseigné, les écoles du Parti ont symbolisé la possibilité de lutter contre les inégalités sociales et culturelles. Pour les premiers, les écoles permettaient d’accéder à une connaissance théorique d’autant plus valorisée qu’elle devait servir en pratique « à mieux lutter ». Pour les seconds, elles étaient l’occasion de mettre leur savoir « au service du Parti ».
La disparition d’un tel système d’éducation à partir des années 1990 et son remplacement par une offre de formation qui s’est réduite en quelques années révèlent et renforcent dans le même mouvement une double banalisation du PCF, tout autant sociologique qu’idéologique. Face aux difficultés pour organiser une politique volontariste de formation des militants, le PCF n’échappe plus aux mécanismes de sélection qui contribuent à la sous-représentation des individus les moins dotés en ressources culturelles au fur et à mesure que l’on monte dans les hiérarchies partisanes. Le Parti communiste reste l’organisation qui compte le plus d’ouvriers et d’employés parmi ses adhérents et ses responsables, mais cette proportion diminue. À titre d’exemple, alors que les ouvriers représentaient 31,3 % des adhérents en 1997, ils sont 19,8 % des membres du Conseil national élus en 2000 et 12 % des membres élus en 2001.
Sur le terrain idéologique, la plupart des militants n’accèdent plus, au sein des structures de parti en tout cas, à un ensemble de références, nourries par des grilles d’analyse théoriques. Dès lors, et c’est vrai de toutes les organisations politiques, la maîtrise des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, favorisant la prise de responsabilités, est de moins en moins redevable à l’investissement militant et de plus en plus liée aux expériences scolaires, professionnelles ou électives. Le risque est grand que le fossé se creuse entre quelques militants aguerris et des bataillons d’adhérents ou de sympathisants désorientés par les tensions internes aux organisations, redoublées par les conflits entre elles. À l’heure des débats qui traversent toutes les organisations de gauche, les activités de formation, sous des formes variées, peuvent être un outil essentiel de démocratie interne, en favorisant une réelle appropriation des termes et enjeux de ces débats. Elles peuvent également contribuer à promouvoir une réelle diversité militante, à la fois politique, générationnelle et sociale. Parmi les défis à relever, la formation des militants revêt donc une importance essentielle, tant elle charrie des enjeux majeurs sur le plan idéologique et sociologique.
Créé par sr07 le 25 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle, Débats autour de la refondation de la gauche, Projet politique
Table ronde avec : Patrick Champagne, sociologue à l’INRA et au centre de sociologie européen, Céline Braconnier, maître de conférences de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise, Michel Kokoreff, sociologue à l’université Paris-V, membre du comité de rédaction de la revue Mouvements.
L’échec de la gauche aux élections présidentielle et législatives semble confirmer un divorce avec les classes populaires perceptible dès 2002. Partagez-vous ce constat et, si oui, que recouvre-t-il ?
Céline Braconnier. On a trop vite fait de classer la France et les milieux populaires à droite à la suite du résultat du premier tour de la présidentielle. Dans la cité des Cosmonautes à Saint-Denis, sur laquelle je travaille avec Jean-Yves Dormagen depuis plusieurs années, et dans les quartiers populaires de la périphérie urbaine de manière générale, on n’enregistre pas de divorce avec la gauche à l’occasion de ces élections législatives, mais plutôt une démobilisation très importante. Celle-ci fait suite à une participation exceptionnelle à la présidentielle après vingt ans de démobilisation électorale continue, particulièrement marquée en milieu populaire. C’est ce grand écart à un mois d’intervalle qui est marquant. Mais quand il y a vote, son contenu demeure largement orienté à gauche dans ce type de quartiers. Pour autant, ces suffrages sont davantage des votes d’identité, et cette année, à la présidentielle, des votes de rejet de la candidature de Nicolas Sarkozy, que des votes d’adhésion à des programmes portés par les candidats de gauche. Les alternances gauche-droite qui se sont succédé depuis 1981 et les déceptions qu’elles ont engendrées expliquent en partie qu’on ne croit plus vraiment, dans ces quartiers, dans les capacités des élections à améliorer l’existence. Si l’on vote toujours à gauche, c’est parce que ce vote est perçu comme le prolongement presque naturel, dans l’ordre politique, de ce que l’on est quand on habite dans une cité, qu’on est du côté des « petits » et qu’on a, dans son entourage, des étrangers dont on a peur.
Patrick Champagne. Votre question met en regard deux entités qui font problème : la gauche d’un côté, et les classes populaires de l’autre. De manière contradictoire, on a loué le « civisme » des Français qui ont participé à 85 % à la présidentielle, et déploré que 40 % d’entre eux n’aillent pas voter aux législatives. Mais la participation à la présidentielle a peut-être plus à voir avec la vision que les médias ont donnée d’une Star Academy politique, qu’avec une option citoyenne. Pour comprendre les ressorts du vote, il faut prendre en compte la dimension souvent négligée de « stratégie de reproduction ». C’est-à-dire le choix d’un homme politique qui m’assurera, ainsi qu’à mes descendants, la reproduction sociale simple ou élargie la plus favorable. Ce n’est pas un hasard si dans le programme de certains candidats figuraient des propositions sur les droits de succession. Les politiques, épaulés par les sondeurs, observent l’évolution statistique des voix à gauche, sans chercher toujours à comprendre ce qui se cache derrière ces chiffres.
Michel Kokoreff. Ce divorce ne date pas d’aujourd’hui. Depuis les années 1980, la gauche a connu des transformations idéologiques et sociologiques importantes. On le voit dans le discours du PS où les « salariés » ont remplacé les « ouvriers », avant que le thème des classes moyennes, fussent-elles « déclassées » ou « boboïsées », ne supplante la référence aux « exclus ». Mais cette tendance à la « désouvriérisation » est aussi à l’oeuvre au PCF. Dans le même temps, on a assisté à de profondes transformations des mondes populaires dans les banlieues et les cités en proie à la précarité, à la ségrégation, au racisme. La gauche de gouvernement a déserté les quartiers populaires. Et même dans les cas où il n’y a pas désertion, les formes d’organisation ou de militantisme des partis sont souvent en complet décalage avec les militants des cités. Les modes d’engagement, de socialisation, se situent hors des structures partisanes ou syndicales classiques. Si divorce il y a, c’est donc aussi entre des formes traditionnelles d’organisation politique et des formes non conventionnelles très fragmentées ou éparpillées avec lesquelles PS et PC ont du mal à nouer le contact.
Cette campagne a montré un retour dans le discours politique de thèmes en lien avec les catégories populaires, à l’instar des affirmations sur la centralité du travail. Comment s’articule à gauche cette prise en compte des classes populaires et de leurs préoccupations ?
Patrick Champagne. D’abord, il faut se mettre d’accord sur la réalité que recouvrent ces « classes populaires » dont vous parlez. Quelques chiffres pour y voir clair : les ouvriers étaient près de 40 % en 1962, ils représentent désormais 23,9 % des bases électorales. Dans le même temps, les employés sont passés de 18,4 % à 29,1 % aujourd’hui. C’est un premier problème : considère-t-on que les employés font partie de ces « classes populaires » ? On voit qu’il y a une transformation morphologique très importante, à laquelle s’ajoutent des transformations de la structure du marché du travail sous l’effet de la crise économique. Ces transformations entraînent des rapports au groupe très différents. Les solidarités de travail, les solidarités locales, ces relations sociales qui étaient une forme d’assurance que les plus démunis contractaient entre eux, sont en train de disparaître au profit de la constitution d’autres logiques et systèmes d’intérêts. Le chômage, la précarisation poussent dans ce sens. L’évolution de la scolarisation est un autre facteur important. Ces transformations sont à l’oeuvre sur une période longue, elles ne datent pas de la dernière élection. Quand les gens votent, ils essaient de le faire selon leur intérêt. Le problème est de savoir comment chacun évalue son intérêt. On est là dans un champ de lutte très complexe sur le plan idéologique et symbolique. Pour la gauche, on peut retenir deux dates importantes : son arrivée au pouvoir en 1981, qui a suscité l’espoir d’un changement radical dans la distribution de la richesse et des modes de vie avant le désenchantement qui a suivi, et l’effondrement des pays de l’Est et de ce qui était présenté comme un devenir possible. Ces deux séries causales ont produit du côté des militants et de tous ceux qui y ont cru une profonde indécision sur le vote à gauche et sur la politique en général.
Michel Kokoreff. Je parlerais volontiers de « nouvelles » classes populaires. On était dans le schéma d’une « moyennisation » de la société française dans les années 1990. Or, depuis, on a assisté au renforcement et à la multiplication des inégalités sociales, de genre ou de territoire. Pour autant, ces nouvelles classes populaires ne forment pas un bloc mais se divisent en trois sous-catégories que l’on pourrait intituler ainsi : les « exclus », les « précaires » et les « protégés ». Les exclus sont associés fortement aux quartiers paupérisés des anciennes banlieues ouvrières, c’est chez eux que la démobilisation est la plus forte. Les ouvriers qualifiés et les employés, qui forment la catégorie relativement « protégée », saisissent la première occasion pour fuir ces zones urbaines sensibles. Entre deux, il y a tous ces gens disposant de revenus relativement stables mais qui ne sont jamais à l’abri d’un coup dur et expriment un profond ressentiment. Les relents ouvriéristes d’un Sarkozy jouent sur la compétition entre ces catégories. Cette ambivalence s’est retrouvée dans la campagne de Ségolène Royal, qui tantôt s’adresse au coeur de la cible électorale du PS, c’est-à-dire les classes moyennes même déclassées, tantôt cherche à donner des gages en termes d’ordre fut-il « juste » aux autres fractions. Ces positionnements traduisent les hésitations des politiques face à des changements profonds du paysage sociologique dont ils n’ont pas encore pris la mesure.
Céline Braconnier. Quand on s’intéresse à des territoires précis, on s’aperçoit, en effet, que ce sont les habitants les plus intégrés qui constituent le noyau dur électoral de ces quartiers. Ceux qui disposent de CDI, les petits fonctionnaires, les étudiants. L’ordre électoral enregistre les prolongements des transformations sociales des quartiers et des difficultés d’existence qui s’y sont cumulées. Les plus précaires sont ceux qui votent le moins, même si un certain nombre s’est inscrit au cours des derniers mois sur les listes électorales, ce qui a constitué un fait nouveau. Si ces milieux populaires ont capté davantage l’attention de la gauche lors de ces élections, au moins sous la forme d’aller-retour médiatisés des candidats en banlieue, cela s’explique en partie par l’important mouvement d’inscription électorale de ces deux dernières années qui s’est produit dans la foulée des émeutes de l’automne 2005. Au niveau national, le corps électoral a cru de 7 % depuis 2002, mais de 14 % dans les ZUS et jusqu’à 20 % dans une cité populaire comme celle des Cosmonautes. Il y a désormais dans ces quartiers un « réservoir » d’électeurs largement prédisposés à voter à gauche et que les candidats ont cherché à mobiliser. Y sont-ils parvenus ? On peut en douter. Car tout le paradoxe de l’extraordinaire participation électorale du 22 avril réside précisément dans le fait qu’elle ne s’est pas accompagnée, dans ces quartiers, d’un nouvel élan enthousiaste pour la politique. Nombre d’électeurs ont voté sans aucun espoir que la vie s’améliore pour eux. Leur retour vers les urnes a été surtout porté par l’appréhension du pire. Une fois Nicolas Sarkozy élu, c’est le découragement qui a prévalu : le bureau des Cosmonautes a ainsi perdu un tiers de ses électeurs entre les présidentielles et les législatives.
Est-ce que les valeurs de gauche ont perdu de leur crédibilité dans les milieux populaires face au libéralisme et à l’individualisme ?
Michel Kokoreff. Cette bataille des valeurs est essentielle – rappelons-nous Gramsci cité par Sarkozy ! – mais il est difficile de savoir comment le logiciel va être reconstruit. Cela passe sans doute aussi par un questionnement sur le positionnement de la gauche : doit-elle se tourner vers les classes moyennes, ou renforcer l’ancrage dans les milieux populaires pris dans leur diversité ? Comment éviter de ne parler qu’avec des « citoyens professionnels » ? Comment faire face à la désaffection des « petites gens », peu enclins à venir témoigner, alors qu’ils auraient tant d’expériences à partager, dans les conseils de quartiers ou les débats participatifs ? Mais ils se heurtent à la peur de la gauche d’aborder des questions comme la sécurité, l’immigration ou les minorités visibles. L’enjeu est celui d’une réelle prise en compte de ces catégories populaires et de leurs préoccupations, liées au travail mais aussi à d’autres problématiques, notamment scolaires, pour les nouvelles générations.
Patrick Champagne. Le problème des valeurs rejoint celui du type de société que l’on veut fabriquer. Est-ce une société à base économique essentiellement, de concurrence, de marché, ou bien une société qui assure le nécessaire à ceux qui ont des difficultés ? Dans les partis qui prétendent gouverner, le mélange de réalisme et d’idéalisme se négocie en permanence. L’idéalisme, ce sont les valeurs, les grandes idées. Aujourd’hui, les enquêtes marketing indiquent les mots à dire et à ne pas dire. Sarkozy a très bien intégré cette donne. Le réalisme est leur traduction politique à chaque élection. Il y a donc d’un côté le problème dans l’absolu, et les concessions que les partis croient devoir faire pour gagner. Par exemple, la désignation de Ségolène Royal sfaite non sur la base des valeurs mais sur ses chances de l’emporter. Le fait qu’elle ait perdu peut permettre d’encourager une réflexion sur le besoin de revenir à des bases plus « idéalistes ».
Céline Braconnier. La « question sociale », même sous une forme atténuée qui n’est plus celle d’une identité de classe puissante, me paraît encore constituer l’un des deux piliers de l’identité de gauche en milieu populaire. Mais la question de la défense des immigrés en constitue, aujourd’hui, le second pilier dans les cités : dans ces environnements marqués par l’immigration, la gauche est considérée comme plus favorable aux étrangers.
Face à l’éclatement de l’identité ouvrière, la gauche peut-elle développer à nouveau un discours unificateur dans lequel se retrouveraient tous les milieux populaires ?
Patrick Champagne. Les partis de gauche, d’une manière générale, mais le PCF principalement par l’implantation qu’il pouvait avoir dans les usines, étaient des instruments d’unification symbolique de la classe ouvrière. Il n’y avait pas, comme cela existe maintenant, un éclatement de cette classe qui fait que le discours unitaire me semble difficile à tenir. Est-ce que cela a un sens aujourd’hui d’être un parti de classe ? Quand on regarde les intentions de vote parmi les catégories socioprofessionnelles inférieures pour Ségolène Royal, elles étaient de 47 % chez les employés et de 53 % chez les ouvriers. Pour Nicolas Sarkozy, c’était l’inverse. On voit bien qu’il y a des formes conflictuelles importantes dans les quartiers populaires, avec la voiture de tel ouvrier qui a brûlé ou ses enfants qui se font racketter. À l’intérieur même de ces quartiers, il y a une manière de réagir qui va se traduire différentiellement au niveau du vote.
Céline Braconnier. Dans un contexte, en effet, de dissolution d’une identité de classe jusque-là valorisante, d’autres identités collectives ont émergé dans ces quartiers, alors même que se délitaient les formes anciennes d’encadrement des habitants (cellules, amicales des locataires, etc.). Aujourd’hui, le fait marquant me paraît être du côté de populations issues de l’immigration, qui se sentent reléguées et méprisées du fait, souvent, de leur origine ethnique, et qui ont tendance à revendiquer en retour de manière ostentatoire ce que les autres, précisément, stigmatisent. Un discours et des pratiques politiques qui prennent en compte les difficultés propres à ces catégories populaires pourraient, je crois, emporter des effets. Si la gauche paraît moins à même qu’avant de porter la voix des catégories les plus populaires, cela tient aussi aux caractéristiques de son personnel politique. Au sein de populations peu attentives aux discours politiques et pour lesquelles les messages politiques passent en partie par la personne des candidats, ceux issus de « la diversité » sont susceptibles d’accroître le sentiment d’être représenté, aujourd’hui très faible. Aux Cosmonautes, une fraction non négligeable des électeurs de gauche vote régulièrement pour ce type de candidats. Il y a ainsi une sorte d’usage identitaire du vote qui a profité, par exemple, à Christiane Taubira en 2002, à la liste Euro-Palestine aux européennes en 2004, à Djamel Bourras et à Rose Gomis en 2007 (respectivement candidats issus de la « diversité » de l’UDF-Modem et du PS à Saint-Denis – NDLR). Inconnus localement, ces derniers sont parvenus à cumuler au premier tour des législatives presqu’un tiers des suffrages, dont la quasi-totalité se sont reportés au second tour sur la candidature de Patrick Braouezec, député PCF sortant à Saint-Denis.
Michel Kokoreff. Le scénario d’une offre politique unitaire est assez improbable. Mais il y a un renouvellement nécessaire de cette offre, au regard du potentiel militant dans les quartiers, qui ne trouve pas d’issue politique. On le voit bien dans un certain nombre de cas où les jeunes trentenaires notamment se mobilisent pour des valeurs universalistes : l’égalité, la justice sociale, la citoyenneté. Les formations de gauche n’ont pas su renouveler leur forme d’encadrement, de socialisation, elles n’ont pas su prendre en compte la question de la diversité, assimilée au communautarisme. Le silence de la gauche lors des émeutes de 2005 a été assez marquant à cet égard.
Les milieux populaires distinguent-ils les différences entre les partis de gauche et ces structures telles qu’elles existent sont-elles en capacité de renouer avec ces populations ?
Céline Braconnier. Il y a un sentiment d’appartenance à un camp, et la droite et la gauche font sens pour la plupart de ceux qui votent. Mais il n’y a pas d’identification partisane et pas non plus, sauf chez une minorité, de distinction entre les divers partis à l’intérieur de la gauche. En 2002, beaucoup d’électeurs ne faisaient, par exemple, pas de différence, en terme de positionnement politique, entre Lionel Jospin et Olivier Besancenot. Et, à Saint-Denis, l’appartenance du député Patrick Braouezec au PCF est inconnue de la quasi-totalité des électeurs qui lui ont apporté leurs suffrages. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il y a une volatilité très forte à l’intérieur de la gauche en fonction des scrutins et pourquoi les nouveaux candidats issus de la diversité parviennent si facilement à capter une part des suffrages. Dans des milieux où l’intérêt pour les joutes électorales est limité et l’attention pour les discours flottante, on entend parfois les électeurs se demander pourquoi il n’y a pas un seul candidat de gauche.
Michel Kokoreff. Bien sûr qu’ils font la différence, les habitants des quartiers ne sont pas des « idiots culturels ». Les distinctions s’établissent le plus souvent au niveau local. Le maire est souvent interpellé, qu’il soit de droite ou de gauche d’ailleurs. Cela dit, ces catégories sociales auraient bien du talent et de la compétence s’ils arrivaient à démarquer les étiquettes politiques alors que les lignes ne cessent de se déplacer. Et les clivages, même si c’est en apparence, de se brouiller. On a bien vu pendant la campagne électorale qu’aucun thème n’est laissé à l’adversaire. Sarkozy parle de la valeur travail qui est un thème de gauche, et Royal de l’ordre qui est plutôt un thème de droite. Plus récemment, Fadela Amara passe au gouvernement alors qu’elle était proche de Julien Dray. C’est aussi complexe parce qu’on est en plein brouillage idéologique et que c’est une stratégie délibérée.
Entretien réalisé par Sébastien Crépelet Ludovic Tomas
Créé par sr07 le 25 juin 2007 | Dans : Articles de fond, Bilan de la campagne présidentielle, Débats autour de la refondation de la gauche, Projet politique
Par Jean-Daniel Lévy, directeur adjoint de CSA Opinion
Au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, 40 % des employés, 41 % des ouvriers ont voté pour un candidat de gauche contre respectivement 30 % et 23 % pour un candidat de droite. En 2002, ils avaient voté plus à gauche (47 % des employés, 42 % des ouvriers) et plus à l’extrême droite : Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret récoltant entre 21 % et 28 % des suffrages. Le vote des catégories populaires en faveur de la gauche – déjà peu élevé il y a cinq ans – est donc moins net cette année. Ce constat doit être doublé d’un autre point de comparaison : la dispersion du vote. En 2002, 40 % des votes des employés déposant dans l’urne un bulletin de vote de gauche et 26 % de ceux des ouvriers portent le nom du « principal » candidat. En 2007, conséquence du « vote utile » mais pas uniquement, 73 % des ouvriers votant à gauche et 61 % des employés ont voté en faveur de Ségolène Royal. Ce double constat – baisse du vote en faveur de la gauche et moindre place pour les autres forces que le Parti socialiste parmi les catégories populaires – permet de poser les jalons de notre réflexion : les catégories populaires ont elles définitivement quitté la gauche ? On ne peut répondre à cette question sans s’interroger au préalable sur les attentes de ces mêmes catégories populaires : que souhaitent-elles ? Qu’investissent-elles dans la campagne ? Qu’attendent-elles des candidats ?
Premier enseignement du scrutin du 22 avril : les ouvriers et employés ont voté, en premier lieu, écrasant pratiquement toutes les autres dimensions, en assignant à leur prochain président de la République la défense de la valeur travail (respectivement 68 % et 72 %). La solidarité et la laïcité se retrouvent loin derrière et, surtout, en deçà de la réponse moyenne des Français. Tout juste mentionnent-ils l’égalité à un niveau identique de l’ensemble des votants. En cohérence avec ces valeurs, ils pensent avant tout à l’emploi mais également aux inégalités sociales, au pouvoir d’achat, aux retraites, au logement, à la précarité des contrats de travail… Autant de dimensions fortes, portées par la gauche… mais traduisant également une implication individuelle, voire individualiste. Ainsi 51 % et 55 % des employés et ouvriers estiment que leur situation personnelle changera si le candidat pour lequel ils viennent de voter était élu. Ils étaient respectivement 37 % et 41 % il y a de cela cinq ans. Certes la nature du vote à cette époque était différente (nous sommes passés d’un vote d’opposition relative à un vote pour partie d’attachement au candidat) mais les traductions politiques apparaissaient cette année plus claires et probablement plus crédibles.
Une fois ces données chiffrées rappelées, quelles conclusions tirer ?
1. Que les contours idéologiques traditionnels de la gauche ne suffisent plus pour faire sens, cohérence d’un projet ou d’un propos et, encore moins, permettre de susciter un vote en faveur d’un candidat de cette famille politique. Les catégories populaires attendaient que l’on réponde à leurs problèmes liés à leur vécu quotidien, et n’ont pas obtenu de réponses suffisamment claires, crédibles et « parlantes ».
2. Qu’au vu des difficultés qu’elles connaissent, les catégories populaires ne se reconnaissent plus systématiquement dans la gauche. La dilution des différences et des références entre gauche et droite font que l’attachement à un camp est moins net aujourd’hui qu’il ne l’était il y a de cela une décennie encore. Et que même la proximité politique n’entraîne pas automatiquement vote. La gauche doit faire la preuve, à leurs yeux, de sa capacité à répondre concrètement à leurs aspirations. La réponse concrète part d’un constat partagé (ce qui n’était pas le cas aux yeux des catégories populaires, comme l’ont montré les sondages réalisés en cours de campagne) pour arriver à des réponses appropriées (ce qu’il l’était encore moins).
3. Qu’enfin la cohérence du propos et la vision politique sont aujourd’hui deux éléments majeurs dans le choix du candidat – ou du camp – en faveur duquel les candidats de gauche se déterminent. Ainsi les attentes s’avèrent élevées en matière de description de la société française vue par le responsable politique, de vision de l’avenir de la France, de définition de l’articulation entre politique nationale et conséquences concrètes pour les individus, de perspectives d’avenir individuelles.
Ce ne semble donc pas être tant un problème de fond (les catégories populaires tranchent par exemple toujours plus en faveur de l’égalité que de la liberté) que de forme : la gauche doit non seulement faire la preuve qu’elle est capable de comprendre les problèmes des catégories populaires mais également – et surtout – qu’elle a la capacité d’y répondre.