Débats autour de la refondation de la gauche

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Un Etat seul peut-il imposer une rupture ?

Créé par le 03 juil 2012 | Dans : Débats autour de la refondation de la gauche

Le Monde.fr |03.07.2012

Quel contenu faut-il donner à la rupture ? Autrement dit, est-il possible à partir d’un seul Etat d’imposer des réformes d’envergure sur le plan national et européen ? Et si oui comment ?

Alain Bergounioux : Sur la première partie de la question, dans la logique de Jacques Généreux, il y a un malentendu : la rupture qu’il prône met la France à l’arrêt. Pour assurer la sécurité des catégories populaires et moyennes, il faut être toujours dans le mouvement. On ne construit pas la sécurité sur la mise à l’arrêt et l’isolement. La France est certes un pays tissé de ressources et de richesses mais c’est un pays dont l’économie est en difficulté tout en ayant des atouts importants. Il faut continuer à innover et à exporter car sans production de richesses, il n’y a pas de formation. On n’assure pas la réalité de la protection sociale. La réalité de la rupture est donc à plusieurs niveaux (national, européen, international). On n’est plus dans les années 1970 où l’horizon de penser était l’Etat-nation. Il faut désormais des alliés. Ce que l’on vient de voir au Brésil et au G20, montre l’immense difficulté de cette affaire, d’autant que l’on est dans un monde changeant où les intérêts sont divergents d’une puissance à l’autre. Les partis socialistes ont d’ailleurs une responsabilité car ils ont été au gouvernement dans une période récente et le rapport de force entre capitalisme financier et politiques démocratiques et sociales est défavorable à la gauche. Comment arrive-t-on à rééquilibrer le système financier, à le réformer ? Je n’ai pas utilisé le mot rupture car c’est un mot valise et propre au fantasme. Je préfère le terme d’alternative. A différents niveaux et pas seul. Il ne faut pas simplifier le débat et il faut l’aborder franchement sans se gargariser du terme de rupture. Je pense que la nostalgie n’est pas une politique.

Jacques Généreux : Il ne faut pas non plus se gargariser du terme d’alternative. Quand je parle de rupture, il y a contenu extrêmement précis. Je ne partage pas bien entendu les expressions de mise à l’arrêt et d’isolement quand Alain Bergounioux parle du projet de Mélenchon. Nous redoutons notamment que l’obstination des politiques de rigueur en Europe conduise les Européens à être dégoutés de l’Union européenne. Nous nous battons contre cet éclatement de l’UE et de la zone euro. Je ne peux donc pas entendre dans la bouche d’un grand intellectuel le même genre d’âneries répétées à longueur de temps par des éditorialistes ignares et crétins qui ne lisent pas nos programmes.

Sur le fond, Alain Bergounioux met l’accent sur la clé de la différence entre les deux lignes à gauche en Europe. D’une part, pour pouvoir réellement changer les choses, il faut avoir des alliés, donc quelles sont les marges de manœuvre qui restent pour un pays ? Peut-on mener une politique alternative tout seul ?
D’autre part, quel rapport avons-nous au processus de mondialisation économique et libérale ? La réguler ou préconiser des changements radicaux ? Le mieux en Europe serait que les changements nécessaires vers le progrès soient des politiques coordonnées au niveau européen. Mais c’est là que l’on peut parler de doux rêves, car on voit bien aujourd’hui que, quand un gouvernement, celui de François Hollande par exemple, va dire aux Allemands, peut-être faudrait-il envisager un certain assouplissement du statut de la BCE, on se heurte à des positions radicalement différentes. Il existe en Europe des gouvernement déterminés à ne rien changer à l’état actuel des traités.

Il y a donc deux stratégies : est-ce qu’on attend des alliés et suffisamment pour pratiquer d’autres politiques, y compris au plan national ou est-ce que l’on peut, au niveau national, mener des politiques ? Même s’il est préférable d’entreprendre des choses à plusieurs, un pays, même seul, peut faire à peu près ce qu’il veut aujourd’hui sur un certain nombre de sujets face aux marchés, à la spéculation financière. On peut par exemple prendre techniquement des mesures contre des produits financiers toxiques. Ainsi François Hollande peut-il décider en contravention avec les traités européens si ses partenaires ne veulent pas en parler les mettre en demeure et leur dire deux choses : soit vous signez un protocole avec la France qui lui donne – par exception aux traités – la possibilité de prendre des dispositions spécifiques de protection contre certains produits financiers toxiques ; soit nous le ferons de manière unilatérale. C’est là une rupture !

Quant à ceux qui disent que si l’on prend ces mesures, les capitaux vont fuir, c’est une bêtise car la démonstration a été faites depuis au moins 30 ans que tout Etat en situation de crise s’en est toujours mieux sorti que les autres. La Malaisie, au milieu des années 1990, s’en est sortie en restaurant le contrôle de ses marchés financiers et des mouvements capitaux. Ceux qui pensent l’inverse n’ont pas la connaissance de la réalité des flux financiers. Sur la taxation des transactions financières qui vient d’être retirée de la déclaration du dernier sommet du G20 (Los Cobos), François Hollande aurait pu dire : « nous allons le faire et tant pis si vous n’êtes pas d’accord ». Ce que l’on ne sait pas, c’est que depuis 20 ans, nous ne bénéficions pas de cette libéralisation de la finance. L’élévation de la rentabilité financière de ces capitaux et l’accumulation de ces capitaux vont de pair avec la stagnation ou la régression des taux d’investissements. Si bien que, si ces capitaux n’étaient pas là, nous aurions probablement plus d’investissements, d’activités et d’emploi. Nous avons tout à gagner à être dans un régime où cette liberté n’existe plus pour le capital et les entreprises s’en trouveraient bien mieux.

Idem dans le domaine de la fiscalité, on peut agir sans entrave à aucun traité européen : pourquoi accepter l’idée qu’avant de mener une autre politique il faut d’abord faire des coupes dans un certain nombre de secteurs publics ? Là où il y a des gaspillages, c’est une évidence. Mais pourquoi accepter cette idée de rigueur budgétaire qui serait nécessaire en raison de la crise dans laquelle nous sommes ? La crise actuelle est le résultat de la crise financière et de l’hémorragie de ressources fiscales des Etats. Donc, tous ceux qui disent, notamment chez les socialistes et les sociaux-démocrates en Europe, que nous sommes obligés de tenir compte d’une certaine cure d’austérité, ils se trompent économiquement et font l’impasse sur le fait que l’on peut augmenter massivement les dépenses publiques utiles d’investissements dans les pays européens sans augmenter les déficits publics et la dette publique et même en les réduisant. C’est même la solution pour réduire les déficits publics et la dette publique.

Si l’on prend l’exemple de la France, vous avez 145 milliards d’euros de dépenses fiscales par an pour la loi de finance 2012. Sur ces 145 milliards, il y en au moins les 2/3 qui n’ont pas d’utilité directe (cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, aux titulaires des plus hauts revenus, aux revenus financiers, les dividendes). Cela fait environ 100 milliards d’euros à récupérer. Si on rétablissait seulement le barème de l’impôt sur le revenu du début des années 1990, on aurait 16 milliards d’euros de ressources fiscales supplémentaires par an, sans aller jusqu’à 75% d’impositions. Vous avez la lutte contre la fraude fiscale. En Italie, Rome consacre 11 000 fonctionnaires dans ce domaine et récupère 12 milliards d’euros par an. Nicolas Sarkozy, quand il a crée une cellule de régularisation pour une seule banque, HSBC en Suisse, la France a récupéré en un an 1,2 milliard d’euros. Il y a 30 à 40 milliards d’euros d’évasion fiscale récupérable en France.

Tout cela, la France peut le faire seule, elle n’a pas besoin de l’Europe, c’est du domaine de sa souveraineté. Le gouvernement français peut récupérer chaque année plus de 150 milliards d’euros par an. Il peut encore aller plus loin en respectant les traités et en finançant autrement sa dette. Au lieu d’émettre des bons du trésor sur le marché financier en attendant que le rapport entre l’offre et la demande fixe le taux auquel la France peut emprunter, Paris peut émettre des bons à taux fixe en disant par exemple 1% uniquement. Aux conditions actuelles du marché, les banques privées ne veulent pas emprunter à 1%, puisqu’elles peuvent prêter à 1,6 ou 1,7 % à l’Allemagne. Personne ne voudra d’une dette publique française à 1%, sauf que l’on a des banques françaises publiques qui suivent une politique publique de crédit et non pas une politique de rentabilité financière, ce qui serait très intéressant pour elles de prendre de la dette publique à 1%. Si on met cela en place, on récupère 30 milliards d’euros par an.

La France a donc la capacité de mobiliser très rapidement 200 milliards d’euros par an de ressources supplémentaires. Si elle n’en met que la moitié dans l’investissement écologique, social (PME), nous aurions 3 à 4% de croissance au bout de 2 ou 3 ans. Et si elle consacre le reste à la réduction de la dette publique, on aura comme résultat plus de réduction de déficits publics et de dette publique que prévu par le projet de François Hollande, sans aucune cure d’austérité avec un investissement massif qui permettra le développement des crèches, du ferroutage, des énergies renouvelables et comme cerise sur le gâteau, l’effondrement du taux d’endettement de la France. C’est possible et réaliste pour un seul pays.

Alain Bergounioux : Il faut au préalable se mettre dans une perspective historique. On ne peut pas toujours réinventer tout. Il y a toute l’expérience européenne du XXe siècle qui est derrière nous. Il n’existe pas de politique efficace et généreuse sans un équilibre entre l’économie de marché et la démocratie politique. C’est pour cela que l’expression s’attaquer à l’économie de marché doit tout à fait être précisée. Si on veut avoir des sociétés qui malgré tout ont été les moins mauvaises du monde, c’est parce que l’on a réussi à construire un équilibre marché-démocratie et la démocratie peut influer sur les marchés. Sur le fond, si on demandait ce qui reste de solide après des décennies de mouvement, c’est la citoyenneté démocratique ou républicaine en France. Il faut donc se placer dans la perspective de cet équilibre permanent entre marché et démocratie. Il faut donc travailler à l’équilibre dans ce qui avait fonctionné entre le marché et l’Etat, entre la compétitivité et la solidarité. C’est ce qui est bien évidemment plus difficile depuis les années 1970-1980. Pourquoi ? Car la mondialisation n’est pas un fait naturel. Il ne faut pas cependant sous-estimer les réalités matérielles – restons un peu marxistes – et technologiques. C’est une illusion de penser que l’on peut échapper à la compétition où il faut nécessairement rester dans le mouvement et se dire que nous appartenons à ce monde là. Ainsi, les dimensions internationales et européennes interfèrent avec la dimension nationale.

Je suis d’accord avec le fait que l’Etat-nation peut des choses. Et c’est une illusion de penser que la mondialisation a balayé les Etats, avec cependant moins de moyens qu’auparavant. Les Etats sont face à des limitations de moyens d’un côté et une obligation de rentrer dans des stratégies coopératives de l’autre. La France n’est pas la Malaisie. La France pèse sur le monde, contrairement à la Malaisie. La France a une économie largement interpénétrée avec le reste du monde. L’Etat peut donc faire des choses, mais je suis moins optimiste que Jacques Généreux sur l’addition de milliards et je pense cependant qu’il y a nécessité pour le gouvernement de trouver des ressources et c’est prévu (réforme fiscale, augmentation de certains impôts, lutte contre la fraude fiscale et réforme de structure, comme la séparation des banques d’affaires et des banques de crédit, la constitution d’une banque nationale d’investissements).

A côté de ces capacités d’action, il y a – et c’est un point de séparation avec Jacques Généraux – le fait que tout soit le plus possible négocié en Europe. Sur la taxation des produits financiers, qui vient d’être retoquée au G20, on ne peut avancer que si en Europe on a la France et l’Allemagne. Si on veut entraîner l’Allemagne sur ce point là, ce sera la résultat d’un accord global. On avancera sur la taxation des produits financiers si on est d’accord sur le type d’intégration budgétaire et sur la mutualisation de la dette et sur une convergence en matière de réforme des structures. On n’est pas au supermarché ! Les Etats importants ne peuvent pas agir unilatéralement. Nous sommes aujourd’hui dans des négociations globales.

Il faut tendre au maximum les rapports de force, trouver des alliés, construire des compromis, mais ce sont des compromis globaux. Et je ne pense nullement que l’Etat français pourrait tout seul ou avec très peu d’alliés, dans la durée, réussir une politique qui permette de construire une alternative. Car je crois qu’à ce moment là, nous sommes dans des situations fragiles et réversibles. Il y a des catégories qui pourraient se retourner très rapidement. Ce n’est pas parce que la gauche a gagné les élections qu’il n’y a plus aucun contre-pouvoir, qu’il n’y a plus la réalité de l’opinion française, qu’il n’y a plus la réalité des entreprises françaises. Personne ne peut se passer de la capacité d’investissement. On n’a donc pas nécessairement avec Jacques Généreux une différence majeure. On n’est pas en désaccord sur la perspective générale, sur les grands objectifs sur les équilibres à établir, mais nous avons une différenciation sur l’interpénétration, sur l’interaction du national, du régional et du mondial. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai voté « oui » au référendum en 2005 et lui « non ». Sans illusion. Je voyais bien les contradictions.

Les valeurs et l’identité du socialisme démocratique n’ont pas véritablement changé. C’est un idéal de citoyenneté démocratique pour pouvoir agir sur l’économie mais aussi sur la société, sur l’environnement. Mais nous sommes face à une période nouvelle où les moyens, les outils, les alliances sociales sont plus fragiles du fait de la fragmentation de la société. Il faut toujours penser, quand nous parlons de politique économique, qu’inévitablement il y a des réalités sociales. Ce n’est plus entre les élus et les chefs d’entreprises. Il y a une société et la situation est de plus en plus complexe en terme de coalition sociale. Ainsi, on voit bien où sont nos points de discussion de divergence et comment on définit la tâche au-delà du socialisme démocratique, comment se pose le problème de la gauche européenne.

Prenons l’hypothèse un instant où Siriza ait gagné et formé un gouvernement en Grèce. Il veut rester dans l’euro. Je suis d’accord avec le leader de Siriza quand il dit qu’il faut arrêter de baisser les salaires, mais il devra dire où il trouve les ressources. Le problème n’est pas seulement européen, il est aussi grec. Que fait-il par rapport à l’Eglise, aux armateurs ? Il faut construire un Etat et ce n’est pas simple. Je ne soupçonne absolument pas la sincérité des leaders de Siriza sur leur volonté de rester dans l’Europe mais quand on n’a pas les moyens de sa politique, cela se retourne en sens contraire car il est tout à faire illusoire de penser que les Allemands mais aussi d’autres peuples d’Europe du Nord accepteraient une politique sans contrepartie. Je trouve que cela aurait été très intéressant que Siriza gagne les élections. Cela aurait été risqué pour l’Europe mais très important car on aurait vu très concrètement ce que l’on fait. Je pense que Siriza aurait été obligé de se « social-démocratiser ».

Comment rechercher des alliances ?

Créé par le 03 juil 2012 | Dans : Débats autour de la refondation de la gauche

Le Monde.fr | 03.07.2012

Que traduit votre clivage en matière de recherche d’alliance ?

Jacques Généreux : On a une différence de diagnostic sur le rapport entre démocratie et marché. Il ne peut pas y avoir un équilibre entre une finalité et un instrument. Une partie de la gauche en Europe a été victime d’une opération habile et réussie de propagande et de manipulation des esprits pour faire entrer l’idée de marché comme une vertu en soi. Le marché n’est qu’un outil qui fonctionne à la seule condition de ne pas être libre. C’est le résultat de l’analyse économique comme des faits économiques. Nous vivons l’un des effets de la perversion des marchés libres. Plus on a libéré les marchés depuis 30 ans, plus on a plongé le capitalisme dans une évolution funeste pour le capitalisme lui-même. On a besoin d’un marché dans un cadre extrêmement réglementé. Pour que des entrepreneurs puissent avoir des stratégies longues d’investissement, de réflexions stratégiques, il faut absolument qu’ils soient mis à l’abri d’un excès de compétition immédiate à court terme.

Autrement dit, quand on parle de démocratie et de marché, on voit bien la hiérarchie. Nos sociétés pour être bien ordonnées ont besoin d’être encadrées (règles, lois), qui si possibles sont conçues pour fonctionner dans l’intérêt général. C’est pour cela que la démocratie est un bien en soi : avoir des sociétés dans lesquelles in fine la souveraineté du peuple permet de définir des lois qui se font dans l’intérêt général, y compris les lois qui encadrent l’économie et qui ne donnent que les degrés de liberté utiles à l’initiative humaine et à l’initiative économique efficace en maintenant l’ensemble des normes, des conventions, des règles qui vont permettre de tirer profit du marché. C’est un point essentiel. Le marché en soi n’a aucun intérêt.

Confondre des investissements de portefeuille, de placements financiers et des investissements productifs est une erreur fatale. Si nous prenons l’initiative de taxer des placements financiers sur des instruments financiers, cela n’entraîne aucune espèce d’entrave à des investissements directs d’entreprise qui souhaiteraient s’installer en France. Si par des politiques nationales, nous prenons des mesures ciblées de taxations qui ne pénalisent en réalité que les jeux de placements financiers, on peut se débarrasser de la finance prédatrice avec des personnes qui viennent vous dire sauver des emplois mais qui en fait viennent juste pour extraire le peu de jus qui reste à prendre sur des territoires pour des subventions publiques pour pouvoir après abandonner le pays. Du coup, on rendrait notre territoire encore plus attractif pour de vrais entrepreneurs. Ils sauront que sur ce territoire, ils sont en concurrence avec de vrais entrepreneurs, pas des voyous. C’est une différence analytique.

Ce que je vois comme différence de diagnostic, à travers l’exemple grec, c’est qu’on n’a peut être pas la même perception de l’ampleur et de la gravité du combat dans lequel on est engagé en Europe entre les forces de droite et celles de gauche. L’exemple grec est évidemment un laboratoire fondamental. Quand on dit, si Siriza arrivait au pouvoir, il se passerait quoi ? Siriza, comme les Grecs, veulent rester dans l’euro. Mais ils ne veulent pas du mémorandum. Ils ne l’appliquent plus. Si la réponse des Européens est : si vous refusez d’appliquer ce mémorandum, il n’y a plus d’aide européenne. Or, les Grecs ne peuvent plus emprunter sur les marchés. Les Grecs peuvent financer leurs besoins publics uniquement, comme l’a dit Alain Bergounioux, par la réarmement fiscal de l’Etat qui est une nécessité, mais qui ne se fait pas en un jour. C’est là que la sortie de l’euro se pointe, mais comme imposée par les partenaires.

Financer les dettes publiques grecques par la banque centrale grecque, c’est possible techniquement sans sortir de l’euro. Il suffit de faire une réforme légale et constitutionnelle grecque pour faire un statut spécial pour la banque centrale grecque qui aurait l’autorisation de financer directement des bons du trésor grec, sauf qu’à ce moment là, la Banque centrale européenne peut considérer que la banque centrale grecque ne pratiquant plus les règles et la politique monétaire de la zone euro s’est-elle même mise en dehors du système. On aurait un euro-grec dont il faudrait négocier l’échange avec les autres euros. C’est une sortie de l’euro qui serait imposée par la Banque centrale alors que rien dans les traités ne permet d’organiser la sortie de l’euro d’un Etat.

La gauche en Europe va être confrontée à ce choix. Si on a un pays qui, parce qu’il a été acculé dans une situation insoutenable, on ne pourra pas faire croire que l’on peut sortir un peuple de la misère en coupant le salaire des fonctionnaires par deux. Et que cela va être accepté. Si la gauche accepte cela, c’est qu’elle capitule devant le combat engagé. Pourquoi les gouvernements en Europe n’ont pas voulu entendre que l’on pouvait faire autre chose que l’austérité ? Si l’ensemble des pays européens ne s’était pas engagés dans des politiques de rigueur et d’austérité et si au lieu d’avoir 0% de croissance, nous ayons une croissance modérée de 2% en Europe, on aurait en France 80 milliards d’euros de déficit en moins. Tout le problème lié aux déficits vient des stratégies de rigueur.

Les gouvernements s’obstinent car il y a une droite conservatrice, libérale soutenue malheureusement par une partie de la social-démocratie lobotomisée qui a perdu toute référence idéologique (le blairisme ou la IIIe voie) et qui n’est plus dans une logique d’affrontement avec cette droite. Leur projet, c’est d’instrumentaliser la crise et la menace des catastrophes financières pour faire croire au peuple qu’on vit au-dessus de nos moyens, qu’il y a trop de dépenses publiques et que l’on ne peut pas faire autrement que de pratiquer la grande purge. Ce qu’ils veulent c’est passer d’une Europe qui aujourd’hui a un état qui pèse entre 40% et 55% du PIB selon les Etats, à une situation à l’américaine où l’on n’est pas plus de 35% du PIB. Soit un Etat minimum qui se contente de faire la police et le filet de sécurité sociale minimal. Voilà leur modèle. Ils ne veulent plus que l’Etat investisse dans l’éducation et la santé. D’où la logique : le TSCG, le pacte budgétaire doit avoir un équilibre structurel des déficits, des budgets en Europe. Ils veulent que tous les domaines qui relevaient de la compétence de l’Etat (protection sociale) passe au privé. Voilà la bataille en jeu…

Si nous prenons la mesure que nous sommes confrontés à une guerre, front contre front, entre des gens qui veulent détruire ce qui est notre idée d’Europe et une gauche qui n’a pas suffisamment résisté jusqu’ici et qui maintenant doit résister, alors je vous garantis que l’on peut relativiser ces questions : s’il n’y a pas d’autres moyens que ces ruptures unilatérales même de quelques pays, a-t-on le droit de ne pas le faire ? Combien de temps allons-nous attendre ? Il est vrai qu’au lieu d’être un, deux ou trois, il faudrait au moins 15 Etats européens prêts à s’engager pour la taxations des transactions financières. Seulement, si on ne les a pas, on fait quoi ?! La Grèce n’a pas 15 ans devant elle pour décider de son avenir. Nous n’avons plus le temps de créer tous les compromis. Si on n’a qu’un allié, il faut le faire. Si on n’en a pas, il faudra avancer tout seul. C’est le seul moyen de créer le rapport de force qui obligera les autres à entrer en négociation.

Alain Bergounioux : J’ai là une divergence avec Jacques Généreux sur le rapport marché-démocratie. Il y a deux légitimités. Je ne pense pas que l’économie de marché soit simplement une pure technique administrée. La légitimité de la démocratie où les citoyens agissent ensemble pour influer sur les économies et sur les sociétés et leurs évolutions négatives. L’économie de marché porte sur une autre légitimité : c’est un facteur d’innovations, d’expérimentations. Je ne suis pas du tout complexé, je partage en partie une part de la pensée libérale. La social-démocratie a fait historiquement et bien avant la IIIe voie la synthèse sur ce point. A partir du moment où l’on ne tient pas compte de la double légitimité, on rentre dans une logique qui a ses limites dans la réalité.

Et la réalité a montré que hors quelques périodes d’industrialisation ou de libération d’un pays, comme en 1945, les choses s’enrayent et les Etats ne peuvent pas administrer durablement une économie moderne et compétitive car il y a des intérêts sociaux. Les besoins de la population risquent au bout d’un certain temps d’être négligés. Regardons ce qui se passe en Chine, les communistes chinois, « les camarades chinois » que certains apprécient beaucoup ont compris qu’il fallait à leur manière dictatoriale et dure pour la population une économie de marché sinon la Chine ne pouvait pas se développer. Cela leur crée des problèmes car le marché crée des inégalités et des crises. C’est un point important car après on en tire des conséquences dans le rapport privé-public, le type d’encadrement et la manière de faire fonctionner un marché, éviter les monopoles. Voilà, on est là sur un aspect doctrinal qui a beaucoup de conséquences. Si on pense différemment, on n’a pas le même diagnostic. On est à la racine des divergences.

Si l’on reprend l’exemple grec, il y a effectivement urgence. Mais toujours dans l’hypothèse où Siriza aurait gagné, il y a une nécessité à faire comprendre aux autres Européens que ce n’est pas une affaire de trois mois mais il y a des choix immédiats à faire ! Siriza ne peut pas annoncer l’arrêt de la politique d’austérité sociale sans se poser la question des ressources. Où sont-elles ? Pas seulement la fiscalité, car Siriza ne peut pas se reposer sur uniquement l’Etat employeur. On ne peut pas continuer à avoir un Etat impotent qui vit à crédit. Les leaders de Siriza devraient dire aux Européens : voilà sur les 5-10 ans les ressources que nous allons dégager et voilà ce que je vais faire pour les entreprises productives, pour l’investissement productif et l’économie de marché et arrêter l’économie largement gangrénée par les corporatismes et les clientélismes. C’est un choix politique.

Il y a une vraie bataille en Europe. La bataille politique que nous avons l’habitude de mener en Europe est idéologique entre la droite et la gauche, avec une forme d’idéologie touchée mais qui reste néo-libérale, appuyée sur des intérêts et c’est pour cela que, avec ses limites, comme le disait Jacques Généreux, le Parti socialiste avait refusé la IIIe voie, car la proposition qui a eu de l’influence en Europe (Scandinavie, Italie, Allemagne et une frange du PS), repose sur l’idée qu’il n’y a plus d’équilibre entre la démocratie et le marché. Il faut partir du marché, de la mondialisation libérale et ce que doit faire le socialisme c’est au fond, d’équiper les individus pour être compétitifs sur le marché. On ne peut pas dire que la IIIe voie n’a pas eu de bilan social. Mais elle a oublié un point fondamental : si on perd de vue le collectif, ce n’est plus le socialisme, c’est autre chose ! C’est un parti démocrate fort estimable. On voit bien où sont nos divergences.

La double erreur de la gauche démocratique

Créé par le 03 juil 2012 | Dans : Débats autour de la refondation de la gauche

Le Monde.fr | 03.07.2012

Par propos recueillis par Gaïdz Minassian

 

Vous avez parlé d’alliances, mais comment expliquez-vous qu’entre 1997 et 2002, alors que 11 gouvernements sur 15 de l’Union européenne étaient de gauche, rien n’a été accompli en faveur de l’Europe sociale ? Au contraire même, puisque l’Europe s’est dotée à cette époque des traités d’Amsterdam (1997) de Nice (2001) qui ont renforcé le socle de l’Europe libérale.

Alain Bergounioux : C’était une déception pour deux raisons. Au tournant des années 2000, on était en pleine influence de la IIIe voie et une partie de la gauche européenne est tombée dans un mauvais compromis avec le libéralisme. Et puis, il y a un autre problème et c’est là que l’on tombe sur une autre contradiction européenne, celle de la souveraineté. Aucun de ces chefs de gouvernement, pas même le premier ministre français de gauche, Lionel Jospin, ne voulait faire de saut institutionnel et ne voulait accepter une Europe plus intégrée. Il faut se rappeler que lorsque le ministre des affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, avait proposé de créer des coopérations renforcées dans l’intégration européenne, la droite comme la gauche française sont restées silencieuses. Il y a eu là ces deux contradictions qui expliquent la grande déception de ces années. Contradiction idéologique et contradiction de pouvoir. Et on le paye aujourd’hui encore. Il faut en tirer les conséquences ! Il faut se poser la question au-delà de l’idéologique et du politique : à cette époque là, Jean-Luc Mélenchon était fédéraliste alors qu’en 2005, il était plus jacobin. Il y a eu aussi une oscillation au Parti socialiste qui n’a pas été très claire. Si on veut avancer sur ce point, on doit résoudre cette double difficulté idéologique mais aussi politique : jusqu’où voulons-nous aller, nous gauche européenne, dans cette intégration ?

Jacques Généreux : Vous mettez le doigt sur un tournant essentiel de l’histoire de la gauche en Europe. Ce qui s’est passé à ce moment là, c’est qu’il y a eu de la part de la vraie gauche (celle qui n’a pas été totalement lobotomisée par le libéralisme) une erreur grave d’appréciation sur l’état d’avancement de ce processus dans l’Europe dans les consciences, y compris dans les élites de gauche. Parfois quand l’histoire avance, il faut du recul pour comprendre ce qui vient de se passer. Depuis les années 1980, nous avions un peu partout dans le monde la victoire des politiques conservatrices et néo-libérales – la France faisait de la résistance au début des années 1980 – et une gauche écartée du pouvoir jusqu’au début des années 1990 dans les plus grands pays industrialisés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, Allemagne). La droite mettait en place des politiques très dures perçues par les opinions comme détestables et on ne l’a pas vu ! D’ailleurs, à partir de 1996-1997, on a à nouveau une vague rose, les électorats ayant goûté du thatchérisme, du reaganisme chassent la droite du pouvoir dans de nombreux pays et font à nouveau confiance aux partis sociaux-démocrates. Il y avait donc une sanction de ce tournant libéral pris dans les années 1980.

A la fin des années 1990, au moment où Lionel Jospin revient au pouvoir en France, Tony Blair à Londres et Gehrard Schroeder en Allemagne, on peut croire que nous sommes avec des pays dirigés par des forces progressistes dans la phase de reconstruction d’un nouveau rapport de force. L’erreur de diagnostic a été de ne pas voir et de ne pas comprendre qu’en réalité, la transformation psychologique et idéologique de beaucoup d’élites du SPD allemand et du New Labour anglais était fondée sur la logique selon laquelle les problèmes se règlent pas la conversion au marché et le libre-échange. En réalité, on était sur deux planètes différentes et qu’on ne peut rien faire avec ces gens là. Le combat n’était plus simplement un combat entre gauche et droite mais aussi entre deux gauches en Europe et qu’on arriverait à aucune position commune.

On pensait que l’arrivée de la gauche allait corriger les erreurs des politiques de droite, et notamment le traité de Maastricht. En réalité, c’est une partie de la gauche elle-même qui ne veut pas de cette Europe démocratique et sociale. C’est là que se situe l’erreur stratégique. C’est à ce moment là qu’il aurait fallu engager la vraie rupture frontale avec cette gauche. Quand Lionel Jospin se rend à Amsterdam avec une liste des conditions, qui étaient celles du programme français, il n’a rien obtenu et il n’aurait pas dû signer le traité.

L’autre erreur fatale qui suit est d’avoir accepté l’élargissement. Si encore cela avait un sens de dire entre les 15 (ces vieux pays industriels européens qui avaient tous connu des niveaux élevés de vie, de sécurité sociale et beaucoup de convergences), on peut pousser à plus d’intégration fédérale et budgétaire, soit. Mais accepter la logique d’élargissement, c’était tombé dans le panneau des néo-libéraux qui savaient très bien que dans une Europe à 27 avec toute l’Europe de l’Est qui n’était pas du tout dans la même phase de développement que nous, c’était tuer définitivement le projet d’une Europe politique au profit de l’Europe grand marché comme zone de libre-échange.

Que la gauche, y compris en France, ait accepté cet élargissement au nom d’un écran de fumée et d’illusions – on aurait pu intégrer les pays de l’Europe de l’Est dans un autre ensemble, comme le proposait en vain François Mitterrand car les Allemands étaient contre – là on a signé l’arrêt de mort de tout projet d’intensification démocratique, politique et sociale de l’Europe. La gauche a accepté cet élargissement, deuxième erreur fatale. On est désormais piégé.

Si on continue dans la logique de l’Europe actuelle, elle va éclater par détestation, par montée des populismes de droite sauf s’il y a un sursaut. C’est pour cela que je place ma confiance dans quelques pays, notamment la France, car en tant que grand pays fondateur de l’Union européenne si elle casse un peu la table en prévenant les Allemands. Et si cela ne marche pas avec les Allemands, on va s’entendre avec d’autres.

Faudra-t-il attendre les élections en Allemagne en 2013 pour changer les choses avec Berlin ?

Alain Bergounioux : Non. En histoire, on ne peut rien se permettre et il faut utiliser le temps qui est là. Si en 2013, la situation politique devient plus favorable dans le rapport de force, tant mieux. Mais on ne peut pas attendre 2013 et il faut poser les actes dès maintenant et prendre les décisions maintenant. En histoire, on n’attend pas.

propos recueillis par Gaïdz Minassian

Guido Liguori : « À l’origine de la dissolution du PCI, un déficit de conscience théorique »

Créé par le 01 juil 2012 | Dans : a1-Abc d'une critique de gauche. Le billet de XD, Articles de fond, Débats autour de la refondation de la gauche

l’Humanité des débats du 29 juin 2012 http://www.humanite.fr/monde/guido-liguori-%C2%AB-l%E2%80%99origine-de-la-dissolution-du-pci-un-deficit-de-conscience-theorique%C2%BB-499808

Nous publions cet article qui présente le livre de Guido Liguri et un entretien de Gaël De Santis avec ce philosophe gramscien qui s’interroge sur les causes du déclin du rayonnement culturel et idéologique du PC italien avant  sa liquidation. Il n’y a pas qu’au pays de Gramsci que cette question fait sens. Gramsci avait théorisé l’hégémonie culturelle entendue à la fois comme capacité de polarisation des intellectuels (1) pour les constituer organiquement dans l’avènement d’un nouveau bloc au pouvoir, dans cette phase qui précède la prise du pouvoir, et comme force de direction nécessaire au nouvel Etat socialiste en complément de ses fonctions de domination au travers des instruments traditionnels de coercition que l’on trouve toujours dans nos sociétés : police, justice, législation, etc.

En fait dans les sociétés capitalistes développées au sein desquelles la société civile n’est pas « primitive et gélatineuse » comme en Orient ( Gramsci est un dirigeant communiste des années 20) mais foisonnante, le consentement des masses repose davantage sur l’idéologie partagée, productrice de lieux communs, que sur la force. C’est la différence entre la révolution passive qui ne fait pas place à la bataille des idées et le combat pour l’hégémonie culturelle et idéologique qui prépare le nouvel ordre social. On passe ainsi d’une perspective économico-corporative à une volonte éthico-politique. Cela renvoie au débats au sein du mouvement socialiste entre la vision dogmatique ( l’interprétation marxiste économico-déterministe du courant socialiste guédiste, bernsteinien puis stalinien des seconde et troisième internationales ) et le projet d’émancipation culturelle, politique, économique et sociale qui s’appuie sur l’implication forte et incontournable des travailleurs, des citoyens et des peuples…

On passe ainsi d’une guerre de mouvement, attaque frontale contre l’appareil d’Etat (c’est la prise du Palais d’Hiver par les soviets ) à une guerre de position qui fonde l’importance du combat culturel au sein de la société civile, constituée de mille forteresses et casemates, pour entamer la légitimité du bloc au pouvoir et instituer une nouvelle conscience sociale et politique. C’est pour nous, citoyens  jaurésiens, celle de la République sociale plus que jamais nécessaire!

Ces quelques mots pour expliquer en quoi cette réflexion d’un communiste italien est d’une grande pertinence à l’heure où nous devons interroger nos théories et nos pratiques pour retrouver cette philosophie de la praxis au fondement du mouvement socialiste et progressiste.

X.D

(1) Les intellectuels ne constituent pas un groupe homogène. On distingue les grands intellectuels tels que les universitaires, les hauts magistrats ou les énarques – eux-mêmes traversés par des conflits idéologiques – des petits intellectuels traditionnels, enseignants, instituteurs, curés et techniciens d’entreprise, aujourd’hui ces dirigeants d’entreprises privées ou publiques répandant une idélogie managériale en phase avec l’économie de marché néolibérale, ce nouveau récit qui a(vait), pour un temps, supplanté l’utopie progressiste…

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A Ecouter aussi le séminaire de La Règle du jeu du 4 mars 2012 : A quoi sert Gramsci?http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1279#section8

Guido Liguori, philosophe spécialiste d’Antonio Gramsci, est l’auteur de Qui a tué le Parti communiste italien ? Loin de s’attacher aux seuls débats de 1989, il s’efforce de dévoiler les racines intellectuelles et philosophiques de la décision de dissoudre le Parti communiste italien, le plus influent en Occident, pour créer le Parti démocrate de gauche.

Quelles sont les raisons principales 
de la dissolution du Parti communiste italien (PCI) ?

Guido Liguori. On trouve plusieurs ­raisons, mais il en existe une de fond. Le PCI était depuis longtemps devenu une fédération de partis, tenus ensemble par une histoire, une tradition. Mais ses composantes s’éloignaient de plus en plus l’une de l’autre. L’initiative du secrétaire du PCI, Achille ­Occhetto, de proposer un changement de nom du parti (le 12 novembre 1989 – NDLR) a redistribué les cartes. Il a pu compter sur deux courants au sein du groupe dirigeant. Le sien (le centre qui dirige le parti – NDLR) et la droite du parti, qu’on appelle les « miglioristes », dont vient l’actuel président de la République, Giorgio Napolitano, et qui était depuis longtemps ­favorable à la transformation du PCI en une force sociale-démocrate. Une autre partie du groupe dirigeant envisageait la transformation du PCI, mais pas en un parti social-démocrate et n’était donc pas d’accord avec les « miglioristes ». Mais ils se sentaient à l’étroit, jugeaient dépassés la tradition, l’idée, le nom de communiste.

Qui donc ?

Guido Liguori. Une partie de l’entourage d’Achille Occhetto qui vient de la gauche du parti. Il plonge ses racines dans « l’ingraïsme » (l’aile gauche mouvementiste du PCI qui se référait à Pietro Ingrao – NDLR) et qui était sous l’influence de l’idée d’une modernisation de la société et de la lutte défendue à l’époque par le quotidien la Repubblica. Si le changement a été permis, c’est par l’initiative d’Achille ­Occhetto, inattendue pour le groupe dirigeant. Si la base a suivi, c’est que l’état d’esprit est : « Si le secrétaire fait quelque chose, c’est qu’il sait pourquoi, c’est pour tromper l’ennemi, même si je ne le comprends pas moi-même. » Si la veille de la proposition, on avait demandé l’avis des militants, 90 % auraient refusé une telle perspective.

Dans votre essai, vous citez plusieurs personnes pour qui, dans la pratique, le PCI n’était plus communiste. Quel est votre avis ?

Guido Liguori. C’était un parti communiste. Pour être plus précis, pour beaucoup de composantes, c’était encore un parti communiste. Nombreux sont ceux qui n’auraient jamais eu l’idée de changer le nom du PCI si Achille Occhetto n’en avait fait la proposition. Parmi ceux-là, Massimo D’Alema (qui deviendra chef de gouvernement entre 1998 et 2000 – NDLR). Ce dernier était l’un des plus intelligents défenseurs de l’héritage de Palmiro Togliatti (l’ancien secrétaire du PCI entre 1938 et 1964 – NDLR). Au cours de l’été 1989, il était encore de ceux qui polémiquaient contre ceux qui proposaient, déjà alors, de changer le nom du parti. Mais en novembre, il change d’avis. Pourquoi ? Parce que c’est le secrétaire qui a fait la proposition. Dans un entretien, il résume bien la mentalité communiste. Il estime que, pour guider un ­autobus déjà en marche, il faut monter dedans et essayer d’en fixer la direction. C’est naturellement une illusion.

Il est utile de rappeler qu’à l’époque Mikhaïl Gorbatchev dirigeait encore l’Union des ­Républiques socialistes soviétiques (URSS) et se disait « élève » du communiste italien. ­Personne ne pouvait alors imaginer que, deux ans plus tard, l’URSS n’existerait plus, ni ­envisager que la nouvelle force politique créée par le PCI s’éloignerait toujours davantage de celui-ci, voire de la gauche.

Vous indiquez que des secteurs toujours 
plus importants du PCI, et jusque dans 
les sommets du parti, ont fait leur culture politique différente de celle du communisme. Avec plus de 20 % des suffrages, le PCI occupait un espace politique plus important que ceux de ses homologues européens. 
Quand on est si grand, est-ce possible de se prémunir de l’influence sociale-démocrate ?

Guido Liguori. La culture politique du PCI ­provient d’Antonio Gramsci et Togliatti. Dès les années 1920 et 1930, le concept de révolution est redéfini. Il prend en compte la différence entre sociétés arriérées comme la Russie et sociétés capitalistes avancées et complexes, où la ­révolution a failli. En prison, Gramsci envisage la révolution comme un processus et non comme une prise du palais d’Hiver. Ce concept, repris par Togliatti à la fin du stalinisme dans les années 1950 et 1960, cherche à dépasser la division au sein du mouvement ouvrier entre réformistes et révolutionnaires. Togliatti propose des « réformes de structures », c’est-à-dire qu’avec des changements partiels, s’accumulent des forces et se déterminent des situations qui vont dans le sens du socialisme. C’est, selon moi, la raison pour laquelle le Parti communiste italien occupe dans la société italienne un espace aussi important. Il dépasse, en les maintenant ensemble, les traditions ­réformistes et révolutionnaires, mais pas dans un sens ­social-démocrate.

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2012 : il faut un socle commun de gouvernement pour la gauche

Créé par le 25 août 2011 | Dans : Articles de fond, Battre campagne, Débats autour de la refondation de la gauche, Gauche anti-libérale

Elus de gauche et écologistes – Tribune publiée dans Marianne | Jeudi 25 Août 2011 à 15:01

A quelques heures de la Rochelle, plusieurs élus de gauche et écologistes appellent à un rassemblement autour d’un socle de propositions sur lequel pourrait être fondé à la fois une riposte et une future politique gouvernementale communes…



Louison

Dessin : Louison

L’été 2011 aura démontré l’irresponsabilité des dirigeants et des acteurs économiques qui avaient préféré renouer les fils d’un système financier condamné plutôt que d’affronter les réalités du monde.

La gravité de la crise est désormais perçue par tous. Alors que les dirigeants actuels prétendent colmater les brèches, « moraliser » le système et qu’ils annoncent régulièrement un retour à la normale, ressurgit, tous les 6 mois, un nouveau spectre. Les G20 qu’on prétendait prometteurs se sont succédés, Nicolas Sarkozy a fait des déclarations tonitruantes contre le capitalisme financier et le pouvoir démesuré des marchés, mais le système poursuit ses dérives de plus belle, tandis que se multiplient dans les pays développés le chômage et les mesures d’austérité.

Face à la menace que pressentent nos concitoyens, il ne faut pas que s’installent durablement la désespérance, le fatalisme, un sentiment d’impuissance collective, un doute de plus en plus marqué à l’égard de la démocratie. A mesure que le temps passe, que les reculs sociaux s’accumulent, l’absence de perspectives positives et d’alternatives politiques réelles risque de miner les capacités de mobilisation, de réactions.

Là est désormais la grande responsabilité de la gauche, qui doit proposer une voie effective de sortie de crise et l’émergence d’un nouvel espoir pour notre peuple. Il serait illusoire d’imaginer gagner en 2012, en surfant sur le rejet de la politique et de la personnalité de Nicolas Sarkozy et en sous estimant les effets de l’abstention et les tentations populistes. La gauche serait une fois de plus vaincue, si elle se laissait emprisonner dans l’hyperpersonnalisation de la Vème République, négligeant l’essentiel, le rassemblement des forces de gauche et écologistes autour d’un socle commun de propositions, capable de donner du sens aux choix qu’exige la gravité de la situation.    

Celles et ceux qui se défausseraient de cette exigence majeure ne tarderaient pas à être sanctionnés par nos concitoyens, car nous sentons que pour gagner dans la durée, il faudra plus que des promesses et des idées. Il faudra définir les conditions de leur réalisation et d’un passage à l’acte qui implique l’exemplarité des comportements du pouvoir et l’audace d’un changement de modèle économique, dans le respect du grand principe qui fonde notre modèle français : la lutte contre les inégalités.

Nous pensons qu’il existe à gauche des convergences, des accords sur des points majeurs, qui constituent un socle sur lequel peuvent être fondées à la fois une riposte commune et une future politique gouvernementale de la gauche. Ce socle doit clairement mettre en évidence les ruptures nécessaires à engager à court comme à moyen terme. Ruptures avec les politiques actuellement suivies, ruptures aussi parfois avec des attitudes passées de la gauche. Il doit tout à la fois fixer les grands objectifs, les grandes lignes qui devront être suivies dans la durée et bien sûr se décliner par des propositions concrètes et immédiates. Dans la période difficile actuelle, il faut éviter de donner le sentiment d’organiser une sorte de concours Lépine des « bonnes solutions » à promouvoir, dans une confusion où nul ne peut clairement retenir ce que la gauche est réellement décidée à entreprendre.

Nous proposons donc une réunion au sommet des dirigeants de gauche et écologistes pour préparer ce socle commun, ce qui n’interdit pas que se manifestent par ailleurs des nuances, voire des divergences. Sans être exhaustif, il nous parait possible que, sur quelques points majeurs, se réalise un accord susceptible d’éclairer les Français sur nos orientations d’avenir. Par exemple :

1) L’affirmation que la crise a surtout des causes structurelles et pas simplement conjoncturelles
 
Il ne s’agit pas d’un simple dérèglement ponctuel du système, d’un phénomène conjoncturel, mais bien d’une crise structurelle du système, dont les racines viennent de la main mise du capitalisme financier sur le monde contemporain. Sans changement profond de logique, sans rupture, il n’y aura pas de solutions durables et de réponses adaptées aux besoins des peuples.

La crise doit donc être traitée dans sa globalité, par des actions concernant des domaines essentiels tels que la régulation et le contrôle de la finance et des marchés, ou une nouvelle organisation des échanges, pour combattre le dumping social et environnemental.

Les actions à court terme ne doivent pas, en tout état de causes, handicaper le long terme, en particulier la préoccupation du développement soutenable de l’économie réelle. La priorité doit être de mener une politique de croissance de l’emploi fondée sur la relance de véritables politiques industrielles intégrant pleinement la transition écologique. Cette priorité ne doit, en aucune façon, être sacrifiée sur l’autel de la résorption de la dette, même si l’objectif de maîtrise des déficits doit être pris en compte.

2) Le refus de faire payer les erreurs et les errements du capitalisme financier par les catégories modestes

Celles-ci ont déjà versé un lourd tribut aux politiques libérales : développement de la précarité, chômage, faible évolution des salaires, remise en cause de la protection sociale. Bon nombre de foyers ont de plus en plus de mal à « boucler » leurs budgets.

L’austérité, c’est les classes populaires et même les classes moyennes  sacrifiées, c’est la fin du contrat social. Elle signifie le refus de pratiquer une relance.

C’est pourquoi tout doit être fait pour soutenir le pouvoir d’achat, réduire la précarité, créer des emplois. Il est à noter que, pour être efficaces, certaines mesures n’exigent pas un engagement important de dépenses, puisqu’elles concernent la régulation, les normes, les contrôles (coûts du logement, excès des intermédiaires dans la distribution…)

3) L’engagement de mettre en œuvre une juste répartition des richesses

Cet engagement, préalable à toute politique de gauche, devra se traduire notamment par l’annonce d’une réforme fiscale d’envergure comprenant: la remise sur pied d’un système progressif d’impôt sur le revenu, la taxation des mouvements spéculatifs de capitaux, la participation des revenus du capital au financement de la protection sociale, l’augmentation du taux d’imposition des hauts revenus.

Le temps n’est plus aux demi-mesures, ou même aux taxations ponctuelles des plus riches. C’est une révolution fiscale qu’il faut mettre en œuvre.

4) La détermination d’agir pour une réorientation stratégique de l’Europe

Le traité de Lisbonne ne pouvait répondre à cette exigence, faute notamment d’engager une véritable avancée démocratique de l’Europe. Il maintenait de fait les insuffisances de l’actuelle construction européenne et de la politique monétaire, la concurrence sans règles et sans limites, les risques de dumping social et fiscal.

Même si ce sujet n’est pas le plus simple à traiter à gauche, l’approfondissement de la crise modifie considérablement la donne et légitime a postériori bien des critiques et des craintes exprimées depuis des années par nos concitoyens et qui n’ont pas été entendues par les dirigeants actuels.

Une nouvelle avancée de la construction européenne ne peut s’établir qu’à travers de nouveaux principes et de nouvelles politiques en matière monétaire, sociale, fiscale, industrielle, d’investissements publics. Il faudra par exemple revoir le fonctionnement de la BCE, inclure dans ses missions la croissance de l’emploi, taxer les transactions financières, contribuer à la résolution des dettes souveraines par la mise en place d’eurobonds, mettre en place une véritable gouvernance économique de la zone euro avec la définition de politiques industrielles européennes, de grands investissements dans les domaines de l’énergie et des transports.

La victoire de la gauche française en 2012 devra s’accompagner d’une feuille de route définissant les éléments clefs d’un nouveau pacte européen. Il faudra en particulier expliquer clairement à nos partenaires que, faute de voir pris en compte la plupart de ces éléments, nous bloquerons le fonctionnement d’un système qui, de jour en jour, éloigne les peuples de la belle ambition européenne. Il s’agira de manifester une volonté, non pas d’engager un repli national, mais de créer un rapport de forces, en alliance avec les autres forces progressistes et écologistes européennes, destiné à permettre une réorientation majeure de l’Europe.

5) La volonté de mettre en place de nouveaux outils publics d’intervention

S’il est clair qu’une sortie de crise exige une dynamique européenne différente, il serait erroné de faire croire à nos concitoyens que la France ne possède pas des marges de manœuvre propres, lui permettant de reprendre davantage la main sur le pouvoir économique. Grâce à de nouveaux outils publics d’intervention, il sera possible de contrer certaines délocalisations, d’arrêter le démantèlement des services publics, de mettre en œuvre de nouvelles politiques industrielles et un développement économique au service de l’emploi et non de l’accumulation maximale de profits non réinvestis.

Nombre de ces éléments se retrouvent aujourd’hui dans la rhétorique des partis de gauche et des écologistes. Il est donc tout à fait possible d’affirmer et de hiérarchiser clairement les priorités, de consigner des mesures concrètes à court terme comme des changements plus profonds à inscrire dans la durée. Ce qui manque, c’est la volonté.
 
La plupart des animateurs actuels de parti ne prétendent pas vraiment à la candidature présidentielle de 2012. Seront-ils capables de montrer qu’en dépit de la présidentialisation, les partis de gauche ne sont pas rangés au musée et qu’ils conservent le rôle décisif de porter une espérance collective et de préparer les grands changements, en mettant en mouvement les forces vives de la société ? Sans cela, sans détermination, sans l’affirmation d’une réelle volonté de changement, pour la gauche, rien n’est possible.

Co-signataires : Etienne Butzbach (maire de Belfort), Gérard Charasse (député de l’Allier), Marie-Noëlle Lienemann (ancienne ministre), Alain Lipietz (ancien député européen), Emmanuel Maurel (secrétaire national du PS), Stéphane Peu (vice-président de la communauté d’agglomération Plaine Commune), Paul Quilès (ancien ministre), Lucile Schmid (membre du Conseil national d’EELV).

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