Une autre mondialisation
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Créé par sr07 le 15 oct 2008 | Dans : Economie, Une autre mondialisation
Avril 2008. Plusieurs pays sont le théâtre d’émeutes de la faim. En cause: l’augmentation des prix des denrées agricoles. Une crise alimentaire depuis éclipsée par la crise financière. Celle-ci a-t-elle des conséquences sur la faim dans le monde? A l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation jeudi, leJDD.fr a posé la question à Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation.
La crise financière a-t-elle éclipsé la crise alimentaire?
Je crois que le public est désormais prêt à entendre le message sur le rôle de régulation de l’Etat sur les marchés et dans la vie économique. Depuis des mois, nous recommandons la mise en place de mécanismes permettant de réguler les prix des matières premières et les prix agricoles. Il faut que les Etats constituent des stocks alimentaires afin de réguler l’offre en fonction de l’évolution des prix. Paradoxalement, la crise rend plus audible ce message de la nécessaire régulation. On se prépare à reconnaître l’échec d’un système qu’on a connu jusqu’ici, celui qui fait de l’agriculture un marché comme un autre, dans lequel les signaux des prix suffisent à ce que les producteurs s’adaptent à l’offre. C’est une pure illusion.
La crise financière a-t-elle des conséquences sur la crise alimentaire?
Une des raisons de la brutale hausse des prix des denrées alimentaires fin 2006 est la présence massive des fonds d’investissement sur les marchés agricoles. L’agriculture était devenue une valeur refuge, après le pétrole. La hausse rapide des prix s’explique par le phénomène de spéculation. Les investisseurs ont parié sur une hausse des prix, une bulle spéculative s’est créée. Aujourd’hui, avec la crise, la bulle se dégonfle. C’est une bonne nouvelle. Cela rend les marchés plus accessibles aux Etats qui peuvent s’y approvisionner.
A-t-elle aussi un impact négatif?
Il y a effectivement une mauvaise nouvelle. On comptait beaucoup sur le refinancement par les Etats du secteur agricole, notamment en Afrique subsaharienne. Les Etats s’étaient engagés à investir davantage dans l’aide publique au développement. Mais ils auront du mal à tenir ces engagements car ils manquent de liquidités. Celles-ci vont servir à refinancer le secteur financier.
Les « limites » de Rome
Où en est-on des engagements pris à Rome en juin dernier lors du sommet de la FAO?
Je regrette que les engagements annoncés n’aient pas été suivis d’effets. Au total, 12 milliards de dollars ont été promis. Seul un milliard a été libéré. D’autre part, beaucoup de ces engagements sont en fait une réorientation vers l’alimentation d’engagements déjà pris dans d’autres secteurs. Il ne faudrait pas que l’éducation ou la santé souffrent de l’attention portée à l’agriculture. C’est ce qui est malheureusement en train de se passer. Rome a été un grand moment d’émotion collective dont on aperçoit aujourd’hui les limites.
Dans un entretien accordé au JDD, vous évoquiez la possibilité d’instaurer « des taxes sur les mouvements financiers« …
En réalité, cette solution est politiquement peu réaliste et techniquement difficile à mettre sur pied. Je recommande plutôt de mettre en place des outils privilégiant la constitution de stocks alimentaires par les Etats. Ils sont une manière de couper l’herbe sous le pied aux spéculateurs en permettant au gouvernement d’écouler ses stocks en période d’augmentation des prix pour les faire baisser, et vice-versa. C’est un vrai mécanisme de régulation.
La FAO prône une augmentation de la production de 50% d’ici 2030…
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce message. La demande de denrées alimentaires croît plus vite que la production mondiale. La pression sur l’offre est très forte. Le changement climatique représente aussi une vraie menace. Certaines régions ne seront plus capables de produire autant. C’est le cas de l’Afrique, dont la production pourrait baisser de 18% d’ici à 2050. Ces évolutions sont extrêmement inquiétantes. Mais il ne faut pas seulement chercher à savoir combien on va produire mais aussi qui va produire et qui va bénéficier de cette hausse de production. Les investissements ne doivent pas se faire sur des modes de production non soutenables aux niveaux environnemental et social. Le mode de production doit être respectueux de l’environnement. On a peur de ce type de production agro-écologique, pourtant il peut répondre aux besoins de l’alimentation dans le monde. La focalisation sur les volumes ne doit pas faire perdre de vue l’enjeu des modes de production.
Responsabilité des agrocarburants?
Les agrocarburants sont souvent désignés comme responsables de la crise…
Il ne faut pas mettre tous les agrocarburants sur le même pied. La canne à sucre destinée à produire du bioéthanol au Brésil n’a rien à voir avec le bioéthanol produit à partir du maïs aux Etats-Unis. Leurs bilans énergétiques sont différents. Mais la politique de certains pays peut être dangereuse. Par exemple quand on consacre une certaine proportion de la production de céréales à la production de carburant – 30% de la production de maïs détournée aux Etats-Unis. Par ailleurs, on s’est donné des objectifs chiffrés [10% de biocarburant dans les carburants pour les transports dans chaque Etat membre de l'UE d'ici 2020, ndlr]. C’est extrêmement pervers. C’est un signal donné aux spéculateurs comme quoi les prix des matières premières vont continuer à augmenter car il y a des objectifs chiffrés de production. C’est une grave erreur. Selon un expert de la Banque mondiale, 75% de l’augmentation des prix agricoles sur la seconde moitié de 2007 et le début de 2008 est attribuable aux politiques menées sur les agrocarburants, aux Etats-Unis et en Europe notamment. Il faut une concertation internationale.
Jeudi se déroule la Journée mondiale de l’alimentation. Qui souffre de la faim dans le monde?
Ces chiffres sont parfois très difficiles à obtenir car certains Etats n’ont pas une idée claire de l’insécurité alimentaire sur leur territoire. On sait que la crise a conduit à l’augmentation du nombre de personnes qui ont faim de 75 millions. On est passé de 850 millions de personnes en 2003-2008 à 925 millions, voire plus probablement 975 millions. Ce sont d’abord des petits paysans qui vivent sur moins de deux hectares de terre. Ils représentent 50% des gens qui ont faim dans le monde. Ce sont ensuite les paysans sans terre qui loue leurs services à des grands propriétaires (20%). Viennent ensuite les éleveurs de bétails, les pêcheurs ou ceux qui vivent des produits de la forêt (10%). Ce sont enfin les 20% de travailleurs pauvres dans les villes, ceux qui ont manifesté au début de l’année 2008.
Mercredi 15 Octobre 2008
Créé par sr07 le 21 août 2008 | Dans : Une autre mondialisation
Entre pluralisme instable et clarification idéologique, après dix ans d’existence, l’association organisait du 1er au 6 août 2008 sa première université européenne. Le regard d’une participante.
Par Sophie Heine, politologue, chargée de recherche du FNRS, ULB, Attac Wallonie-Bruxelles. Correspondance particulière pour humanite.fr.
Sur le campus verdoyant de l’université allemande de Sarrebruck, s’est tenue du 1er au 6 août la première université européenne d’Attac.
Pendant 5 jours, les militants des différents Attac d’Europe ont confronté leurs analyses et campagnes respectives, à travers de multiples débats et ateliers. Dix ans après la naissance d’Attac, cette université pourrait constituer un véritable tournant historique pour ce mouvement, marquant sa volonté de se concentrer désormais davantage sur les alternatives et ce dans un cadre européen.
En effet, ces dix dernières années, Attac a été confrontée à une critique récurrente, celle du « négativisme », de l’obsession du « non » et du manque de projet constructif. Certes, comme l’a très bien souligné le porte-parole d’Attac-Allemagne Sven Giegold, cette objection n’a jamais été totalement fondée, puisque dès le départ Attac s’est emparée de propositions de réformes progressistes, telle que la revendication d’une taxe Tobin, intégrée dans le nom même de l’association.
Cependant, à l’instar de tous les mouvements protestataires, Attac a eu tendance à se concentrer davantage sur la critique que sur les alternatives.
Cette phase de déconstruction du discours dominant était nécessaire pour démontrer que le néolibéralisme et la globalisation néolibérale n’étaient nullement des fatalités mais des constructions politiques et idéologiques.
Comme l’ont souligné notamment Susan George et d’autres figures du mouvement présentes à l’université, c’est d’ailleurs en partie grâce à l’action d’Attac que le néolibéralisme, le capitalisme financiarisé et la mondialisation actuelle ont été fortement délégitimés. Si ces phénomènes ne reculent pas, les politiques mises en œuvre pour les faire avancer ne peuvent plus aujourd’hui se faire au nom d’un libéralisme économique triomphant.
Ainsi, en plus de son rôle déterminant dans certaines victoires sociales récentes – les deux « non » au traité constitutionnel européen et au traité de Lisbonne en sont des exemples fameux – Attac a aussi contribué à cette réussite discursive.
Toutefois, plusieurs intervenants lors de l’université n’ont pas manqué de mettre en évidence des aspects moins glorieux du mouvement : ses difficultés de recrutement dans de nombreux pays, le laborieux rajeunissement de ses membres, les sérieux déficits de démocratie dans certains pays(1), les campagnes victorieuses encore trop peu nombreuses…
Cette période difficile pour Attac reflète la crise que traverse depuis quelques années le mouvement altermondialiste en général. S’il est loin d’avoir disparu, de nombreux commentateurs se demandent si son rôle historique ne serait pas en partie épuisé(2). L’une de raisons de cette crise réside sans aucun doute dans le passage malaisé de la critique aux alternatives. C’est pourquoi il est aujourd’hui central que les différents Attac se concentrent sur l’élaboration de propositions alternatives cohérentes à un niveau européen. Relever ce défi est indispensable pour qu’Attac puisse être, selon les termes de Susan George, une « illumination durable » dans l’histoire humaine, plutôt qu’un simple « éclair de lumière » s’estompant progressivement. Ou pour qu’en tout cas, plus modestement, son action et son message laissent une trace réelle. Car pour pouvoir encore convaincre de l’utilité d’Attac et du mouvement altermondialiste en général, ceux-ci ne peuvent plus se contenter d’être des censeurs mais doivent aussi devenir de véritables inspirateurs et créateurs d’alternatives crédibles et cohérentes, au-delà des propositions sectorielles.
Mais passer à la construction d’alternatives globales, du « un autre monde est possible » à la définition plus précise de celui-ci, ne peut se faire sans une période de doutes. Celle-ci semble s’être ouverte à l’université d’été. Un tiraillement y était perceptible entre une forte impression de fraternité et de proximité entre les militants et un sentiment parfois tout aussi profond de grandes tensions idéologiques entre ces mêmes militants. Attac n’étant pas un parti, ces tensions, plus idéologiques que nationales, existent depuis sa naissance. Toutes les sensibilités de gauche y sont représentées : de la gauche la plus radicale à la social-démocratie la plus réformiste, en passant par des conceptions libertaires, écologiques et autres(3). Cette diversité n’a pas constitué un problème substantiel tant que l’association se consacrait avant tout à l’analyse critique. Il en va autrement maintenant qu’il s’agit de penser un peu plus précisément cet autre monde dont rêvent ses membres. C’est alors que surgissent tensions et divergences. Comme l’a relevé pendant l’université un militant clairvoyant lors d’un débat en plénière, tout l’enjeu sera de parvenir à demeurer une association plurielle tout en définissant une ligne commune relativement claire sur le plan des alternatives. Ce pluralisme interne a fait la richesse d’Attac et du mouvement altermondialiste en général et le supprimer constituerait une perte certaine. Mais si l’on admet que l’objectif, dans les années qui viennent, est de se profiler davantage comme un mouvement de propositions que comme une simple force de critique, il faut alors accepter qu’émerge quelque chose comme une « contre-idéologie » commune face à l’hégémonie néolibérale.
Plusieurs grandes lignes de clivages déjà existantes et qui ont scandé les débats passionnants de l’université sont selon moi susceptibles de s’affirmer dans les années qui viennent dans attac et l’altermondialisme européen en général(4).
Une controverse implicite concerne tout d’abord la question du but de cette autre société à construire : quelles sont les fins que doit servir l’émancipation recherchée ? L’objectif est-il celui, dans une optique socialiste, marxiste, ou sociale-démocrate classique, d’une société de travailleurs égaux, contrôlant démocratiquement la richesse qu’ils produisent socialement ? Ou, selon une ligne plus libertaire ou humaniste, l’horizon est-il celui d’une société d’individus autant libres qu’égaux, détenteurs de droits étendus (civils, politiques et sociaux), pouvant s’épanouir à travers le travail mais aussi de mille autres manières ? Trancher cette question peut avoir un impact décisif sur le choix des alternatives préconisées dans des domaines précis. Face à la « flexicurité » par exemple, faut-il défendre une société de plein-emploi et des droits sociaux liés au travail ou une société ou les droits sont attachés à la personne et non à l’emploi, par exemple grâce à de nouvelles formes de « sécurité sociale professionnelle » ou de « salaire à vie », prenant en compte les aspirations des personnes à se réaliser autrement qu’en tant que travailleurs ?
Outre cette question cruciale des objectifs, celle des réformes à mettre en œuvre pour faire advenir cette autre société est aussi fondamentale. On retrouve dans Attac le débat séculaire au sein de la gauche entre l’anti-capitalisme ou la simple opposition à un capitalisme trop sauvage. La crise économique actuelle permet de relancer ce débat : faut-il aborder cette crise comme un levier pour exiger une nouvelle régulation keynésienne du système financier international ou plutôt comme un révélateur des contradictions profondes et insolubles du système capitaliste lui-même ? La plupart des propositions concrètes d’Attac s’inscrivent plutôt dans une conception réformiste et anti-néolibérale, que l’on pourrait qualifier de « social-keynésienne ». Un enjeu actuel est de savoir s’il faut clarifier et théoriser ce positionnement ou maintenir l’ambigüité actuelle. Liée à cette question du contenu des réformes, on trouve celle de la stratégie politique à adopter pour les réaliser, qui nous ramène à l’opposition classique entre réformistes et révolutionnaires. Ce point ne semble pas faire l’objet de controverses intenses au sein d’Attac. S’il y a bien sûr des militants partisans de la voie révolutionnaire, cette position n’est pas majoritaire. Attac ne rechigne nullement à faire confiance aux réformes sociales et démocratiques pour avancer vers les alternatives qu’elle préconise. C’est un point important à relever face aux nombreux observateurs prompts à dénoncer le radicalisme et le caractère révolutionnaire de l’altermondialisme.
Une autre question essentielle pour les années à venir et qui fait débat au sein d’Attac est celle des impératifs écologiques : doivent-ils être mis sur le même plan que les questions sociales ou bien doivent-ils constituer la priorité sur laquelle les autres revendications doivent simplement se greffer ? Et faut-il, pour les affronter, prôner la régulation du capitalisme ou sa suppression ? Jusqu’à présent, la dimension écologique est demeurée marginale dans les analyses et les propositions d’Attac, qui a plutôt eu tendance à aborder ce problème à l’aide d’un paradigme de régulation du capitalisme. Une question essentielle est aujourd’hui de savoir s’il faut ou non poursuivre et avaliser cette voie.
Enfin, un dernier débat primordial aujourd’hui pour le mouvement est celui de l’échelle à laquelle ces réformes doivent être promues et selon quelle conception identitaire. Ainsi, suite aux « non » français, hollandais et irlandais, la question se pose de savoir si Attac veut continuer à approfondir l’Union européenne en la réorientant dans un sens plus démocratique, social et écologique, ou si le choix sera plutôt celui d’une Europe comme confédération d’Etats-nations, avec un retour éventuel de certaines compétence au niveau de l’Etat, celui-ci étant considéré comme le seul lieu légitime pour l’exercice de la souveraineté populaire et de la justice sociale. Jusqu’à présent, la voie fédérale semble avoir été privilégiée par la plupart des Attac d’Europe. Cette dernière se traduit par exemple par la demande dans les « 10 principes »(5) d’une élection d’une assemblée chargée de rédiger un nouveau traité, sur le schéma d’une assemblée constituante – même si le terme n’est pas employé. Mais il semble que certains veulent modifier cette orientation, notamment par souci stratégique, estimant plus aisé de refuser toute forme d’intégration supranationale sous prétexte que l’Union européenne actuelle est néolibérale et non démocratique. Cela se ferait pourtant au risque de se priver de tout moyen d’action possible dans un monde dont les bases matérielles sont clairement européanisées et, de plus en plus, mondialisées.
Par ailleurs, si la voie pro-européenne est confirmée dans la contre-idéologie altermondialiste à construire, une autre question se posera – et se pose déjà : faut-il accompagner ce positionnement pro-européen d’une forme d’europatriotisme ?
Faut-il insister sur la spécificité de l’identité européenne, sur les réalisations positives de l’Europe dans le passé et sur ses actions potentiellement positives dans le futur, ce qui permettrait de justifier une action européenne politique, économique, et peut-être même militaire, plus forte sur le plan international ?
Ou faut-il au contraire s’engager sur le chemin du cosmopolitisme, inspiré d’une méfiance envers toutes les formes de patriotismes (nationaux ou européens) et élaborant à la place une conscience mondiale partagée ? Un tel cosmopolitisme ne permettrait-il pas aux citoyens du monde entier de se sentir appartenir à la même communauté humaine et ne les inciterait-il pas à participer à des luttes communes pour élaborer un monde meilleur ?
Pour une association « altermondialiste » comme Attac, la réponse cosmopolite devrait être évidente. Pourtant, comme l’ont illustré certains débats de l’université sur le rôle pour l’Europe dans le monde, l’europatriotisme est tout aussi présent à l’intérieur de l’association. Cette question capitale ne sera pas facile à trancher. L’europatriotisme pourrait sembler la voie la plus simple pour mobiliser les citoyens européens dans le combat pour une Europe plus juste.
Certains pourraient même l’envisager comme un moyen de rallier à la cause d’Attac certaines franges sociales supérieures de la société, déjà de plus en plus séduites par les discours de défense de l’identité et des intérêts européens face au reste du monde et en particulier aux nouveaux géants tels que la Chine et l’Inde. Pourtant, l’histoire montre que ce type de stratégie sert rarement les courants les plus critiques. L’insistance sur l’identité collective, à travers le nationalisme ou le supranationalisme, permet trop facilement de voiler les contradictions de classe internes à toute société et de justifier toutes les formes d’oppression ou d’exploitation des personnes considérées comme des étrangers.
Toutes ces questions, et bien d’autres encore, sont apparues lors des multiples débats de l’université parce que celle-ci visait explicitement à approfondir les alternatives.
Attac se trouve donc, une nouvelle fois, à la croisée des chemins. Si elle veut que son message soit une « illumination durable » dans l’histoire des mouvements progressistes, elle doit relever avec succès le défi des alternatives et de l’européanisation, sans pour autant renoncer à son impulsion cosmopolite.
Sophie Heine, Attac Wallonie-Bruxelles
Politologue, chargée de recherche du FNRS, ULB
(1) Pour une analyse de la crise interne à Attac France, voir : Raphael Wintrebert, Attac, la politique autrement ? : Enquête sur l’histoire et la crise d’une organisation militante, La découverte, 2007
(2) Voir par exemple : Eddy Fougier, « Où en est le mouvement altermondialiste : réflexions sur l’essoufflement », La Vie des Idées, 3 mars2008, http://www.laviedesidees.fr/Ou-en-est-le-mouvement.html ; « Le forum social se disperse », Politis , 17 janvier 2007 ; Eric Agrikoliansky, « L’altermondialisme en temps de crise. Réflexions sur un déclin annoncé », Mouvements, 2007/2, N° 50. Pour une vision plus optimiste, voir : Geoffrey Pleyers, « l’altermondialisme : essoufflement ou reconfiguration ? », La vie des idées, 21 mars 2008, http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20080321_alter.pdf
(3) Dominique Reynié (Ed.), L’extrême gauche, moribonde ou renaissante ?, Pesses Universitaires de France, 2007, p 169
(4) Pour une analyse approfondie de l’idéologie d’Attac sur les questions européennes, voir ma récente thèse de doctorat : Sophie Heine, Les résistances à l’intégration européenne en France et en Allemagne : Une analyse des idéologies sous-tendant les critiques de gauche contre le Traité constitutionnel européen, défendue à l’Université Libre de Bruxelles le 5 mars 2008, sous la direction de Paul Magnette
(5) « Les 10 principes des Attac d’Europe pour un traité démocratique » (adopté par les Attac d’Europe), site d’Attac France, http://www.france.attac.org/spip.php ?article6935#outil_sommaire_0
Créé par sr07 le 17 août 2008 | Dans : Articles de fond, Une autre mondialisation
Résumé du document
Ce que la propagande des « grands » médias présente comme l’ « échec » des négociations ouvertes à Genève dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 21 juillet 2008, et closes le 30 juillet, est en réalité une grande victoire du droit à la souveraineté alimentaire de toutes les nations, particulièrement des plus pauvres. Tenue pendant les vacances, cette réunion, à la différence des précédentes, n’a pu susciter aucune mobilisation des altermondialistes et des organisations syndicales, notamment de paysans.
Pourtant, le « Programme de Doha » proposé par l’OMC visait à faire franchir un seuil irréversible au libre-échange, alors que ce dernier a un bilan calamiteux, en faisant plier les pays pauvres et les pays « émergents ». C’est pourquoi l’immense majorité de ces pays n’avaient pas été invités à Genève – seuls 35 pays étaient présents – l’objectif étant de leur imposer un accord. Néanmoins, la réunion de Genève a marqué la victoire de la souveraineté alimentaire et traduit l’apparition d’un nouveau rapport de forces international.
Ce dernier possède trois caractéristiques. D’une part, le monde unipolaire dominé par les Etats-Unis semble toucher à sa fin, un nouveau monde, multipolaire, autour des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), est en train de se mettre en place. D’autre part, l’idéologie libre-échangiste apparaît désormais rejetée par de larges fractions de l’opinion publique, et même à certains gouvernements. Les contradictions s’aiguisent entre les firmes capitalistes pour la domination du monde et rendent désormais peu probables des accords à l’OMC, cette institution étant probablement dans une phase de déclin. En dernier lieu, ces négociations ont démontré, une nouvelle fois, l’incapacité de l’Union européenne à avoir la moindre exigence politique positive, ses divisions la paralysant.
Monsieur Sarkozy s’est littéralement couché à Genève devant les Etats-Unis et Monsieur Mandelson, commissaire européen au Commerce. N’avait-il pas déclaré, comme candidat à la présidence de la République, dans un discours prononcé à Rennes le 11 septembre 2006 : « je veux donc préparer à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne un nouveau cadre politique pour notre agriculture, basée sur les principes fondamentaux. La politique agricole commune doit répondre à quatre objectifs : assurer l‘indépendance et la sécurité alimentaire de l’Europe ; contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux ; préserver les équilibres de nos territoires ruraux ; participer à la lutte contre les changements climatiques et à l’amélioration de l’environnement. » Aucun de ces quatre objectifs n’a trouvé sa place dans le cadre des discussions de Genève. La pseudo confrontation entre N. Sarkozy et P. Mandelson n’était qu’un « match » truqué, largement médiatisé, visant à éviter au président de la République de perdre la face.
Le moment semble donc propice à la recherche d’alternatives au libre-échange et à l’OMC. La Charte de La Havane (voir dans le texte) est non seulement un cadre conceptuel permettant de remplacer le libre-échange par la coopération internationale, mais elle est aussi un ensemble de procédures et de règles immédiatement opérationnel. La stratégie politique préconisée par le M’PEP est identique à celle proposée face à l’Union européenne : sortir de l’OMC pour adhérer aussitôt à l’OIC (Organisation internationale du commerce), dès qu’un nombre suffisant de pays aura été rassemblé.
L’analyse de cette réunion de l’OMC à Genève ne peut être complète sans signaler le rôle des « grands » médias. Ceux-ci ont probablement franchi un seuil dans la désinformation. Après avoir été les porte-parole de la Commission de Bruxelles lors des référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas et en 2008 en Irlande, puis avoir fait office de service après-vente de l’Elysée pendant la réforme constitutionnelle de 2008, les « grands » médias se sont transformés en succursales des firmes multinationales pendant les négociations de l’OMC.
Sommaire
Créé par sr07 le 17 août 2008 | Dans : Articles de fond, Une autre mondialisation
Henri-Pierre Jeudy sociologue (CNRS, Laios, Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales).
QUOTIDIEN LIBERATION : vendredi 15 août 2008
ARio de Janeiro, j’ai assisté, un dimanche après-midi sur la plage de Copacabana, à une séance de capoeira. Un jeune Noir aux cheveux blonds, qui s’apprêtait à effectuer un saut gigantesque pour bondir au-dessus de deux femmes immobiles, s’exerçait devant la foule. Les gens attendaient le moment ultime où ils verraient ce corps si souple et si musclé jaillir au-dessus des deux femmes et retomber derrière elles, sur ses pieds. Un bonimenteur n’arrêtait pas de faire des commentaires ironiques sur les capacités de celui qu’il appelait tantôt son frère, tantôt son cousin. Ce jeune homme venait de Salvador de Bahia, il avait sans doute passé une majeure partie de son enfance à apprendre à se battre dans les rues et à se débattre dans la vie. Le bonimenteur lui demanda, pour annoncer enfin le saut spectaculaire, s’il était prêt, et l’homme de haute voltige, lui répondit sur un ton solennel : «Je suis né prêt.»
Dans toutes les grandes villes du monde, des scènes quotidiennes, nous révèlent l’étrangeté culturelle dans laquelle nous vivons. Pareilles scènes nous offrent des leçons de philosophie. La ville ne favorise- t-elle pas, par la variété incroyable des sensations qu’elle incite, le métissage des signes culturels, tant par le brassage des populations que par sa prédisposition à engendrer des situations qui provoquent une énigme pour notre regard ? La ville crée une anthropophagie spontanée des cultures.
Au contraire, l’encadrement touristique nous invite à percevoir les différences culturelles comme des signes patrimoniaux équivalents d’une ville à l’autre. Toute attraction exotique, laissant suspecter le résidu d’un rapport de domination coloniale, devient politiquement incorrecte. Cette négation de l’exotisme fait ainsi croire en une éthique universelle des rapports interculturels, elle est le meilleur moyen pour les Occidentaux de blanchir leur passé colonial. L’expérience de l’altérité et de la diversité étant bannie, il ne reste alors au touriste que des collections de signes culturels dans l’espace sans frontières de la globalisation. La réglementation de la visibilité publique de cette constellation de signes culturels réduit l’exotisme contemporain à un folklore de plus en plus uniforme.
Au rythme de la mondialisation, la «patrimonialisation» des différences culturelles, à des fins touristiques, offrirait l’image idéale d’un dialogue interculturel universel. A la «guerre des identités» répondrait la pacification thérapeutique d’une folklorisation patrimoniale des cultures. Mais dans quelle mesure les signes culturels auraient-ils besoin d’être objectivés comme des repères identitaires ? La revendication des identités culturelles est à la fois la manifestation d’une volonté collective de préserver une singularité culturelle et une manière de défendre la coexistence des cultures pour éviter leur fusion trop excessive. A force de considérer que chaque communauté a un droit de reconnaissance de sa «propre» culture, l’identité culturelle devient une pancarte qui circonscrit le territoire de l’autre pour empêcher le risque de contamination des cultures. Fort heureusement, malgré ou avec ses quartiers délimités par la présence de diverses ethnies, la ville préserve toute son hétérogénéité culturelle vivante.
Avec l’apologie du multiculturalisme, le rôle des identités culturelles devient paradoxal. Celles-ci peuvent être à la fois niées, reconnues ou se perdre au gré d’une certaine hybridité. Cette référence à l’identité culturelle prend toujours l’allure d’une résistance à l’universalité qui risque de conduire au «communautarisme». L’appel à une reconnaissance identitaire vient poser des frontières dans les formes contemporaines d’interpénétration des cultures. Or, en deçà des tentatives de «marquage identitaire», il semble bien que les signes culturels, les modes d’expression langagière manifestent eux-mêmes une certaine hospitalité, comme si le destin des cultures était justement de s’interpénétrer. Le désir d’oublier «son» identité culturelle est une ouverture au monde. Toute gestion ostensible des rapports interculturels finit par transformer cette attraction réciproque des cultures en contrôle des échanges. Et la volonté politique de démontrer la nécessité du dialogue entre les cultures se solde par une organisation prophylactique contre les dangers de l’anthropophagie culturelle dans l’espace public.
Rappelons qu’une publicité pour le musée du quai Branly montrait une statue de l’île de Pâques sur la place de la Concorde, un gantelet de culture Chimú sur la place Vendôme, avec ce slogan «Les cultures sont faites pour dialoguer». De quel dialogue s’agit-il ?
Dans la ville, à l’encontre d’une gestion politique des phénomènes interculturels, les relations sporadiques semblent si insaisissables qu’elles font déjà dialogue. A la manifestation transculturelle la plus immédiate, la plus instantanée des relations dans l’espace public, se substitue la mise en œuvre des modalités de médiation sociale et culturelle pour une meilleure gestion des rapports interculturels. Tout le vocabulaire est révélateur de cette détermination à produire le prétendu dialogue des cultures. Il est en effet étonnant de voir comment les préfixes (inter, multi, trans…) utilisés devant l’adjectif «culturel» désignent une évolution des modes de gestion politique des phénomènes culturels dans le contexte de la globalisation. Certains sociologues veulent démontrer que le passage de la «diversité culturelle» à «l’interculturalisme» correspond à une évolution de la réflexion sur «le dialogue des cultures». Mais une telle croyance occulte toute la puissance de la diversité en la subordonnant aux impératifs d’une intégration sélective. On peut alors déplorer l’absence de distance critique, entre la réflexion sociologique et les discours médiatiques ou politiques qui font du multiculturalisme, le symbole des bénéfices de la mondialisation. Les concepts désignent plutôt l’impossibilité de saisir les formes vécues des rapports culturels. La mondialisation entraîne une déterritorialisation avec l’émergence d’un espace de plus en plus post-national. Elle utilise à ses propres fins, les effets de la localisation et du repli identitaire pour légitimer la folklorisation patrimoniale des cultures à l’échelle universelle. Du coup, l’anthropophagie culturelle est frappée d’anachronisme. Elle correspond à une époque oubliée où la curiosité pour l’autre pouvait être à l’origine du dialogue entre les cultures.
Créé par sr07 le 11 août 2008 | Dans : Santé-social-logement, Une autre mondialisation
Envoyé spécial à Mexico ÉRIC FAVEREAU
QUOTIDIEN LIBERATION : lundi 11 août 2008
C’est fini. Vendredi soir s’est achevée la Conférence internationale sur le sida, qui se tenait à Mexico. Ce fut un congrès fort, surprenant. Inattendu aussi. Qui, à la veille de cette conférence, pouvait imaginer qu’un des thèmes récurrents serait celui des droits de l’homme, de la lutte pour la libre circulation et pour la fin des politiques discriminatoires contre les séropositifs ? Qui pouvait imaginer, pour la 17e édition de cette immense messe à laquelle plus de 20 000 personnes participaient, qu’il y ait toujours autant de colère et de vigueur dans le monde de la lutte contre le virus ? Premier bilan.
Mexico, ce fut d’abord un tournant épidémique : la pandémie mondiale de VIH – 33 millions de personnes infectées aujourd’hui sur la planète – a changé. Et changera. Pour la première fois donc, depuis des années, on a assisté en 2007 à une baisse des contaminations dans le monde. Une baisse faible (10 % de moins), mais réelle. Est-on arrivé à un pic ? Ou bien n’est-ce qu’un plateau ? Quelle forme prendra le visage de l’épidémie demain ?
Message. Mexico, ce fut ensuite une éclatante confirmation : plus le temps passe et plus les traitements antirétroviraux (ARV), apparus en 1996, se révèlent efficaces. Toutes les études présentées à Mexico le confirment : que ce soit chez des patients suivis dans des villages africains ou parmi ceux des grandes villes européennes, les effets sont spectaculaires. Certes, on ne parle plus d’éradication du virus, mais les ARV réduisent drastiquement le virus dans le corps. Et ils arrivent à stopper sa reproduction. Le sida est devenu une maladie chronique dans les pays riches. Reste à ce qu’il le devienne aussi dans les pays en voie de développement.
Mais cette conférence fut aussi marquée par l’incertitude. Le très imposant effort financier initié il y a cinq ans pour arriver à «l’accès universel aux traitements», voulu par l’ONU, sera-t-il poursuivi, voire amplifié ? Les pays riches vont-ils se détourner de la lutte contre le sida pour privilégier d’autres causes – aussi essentielles -, comme la crise alimentaire ou le réchauffement climatique ? Sur ce point, rien n’est assuré. D’autant que la montée en puissance des traitements pointe l’urgence de changements profonds des systèmes de santé dans les pays du Sud. Autre inquiétude : les grandes firmes pharmaceutiques vont-elles rester mobilisées ? A Mexico, elles étaient peu présentes. Et certains évoquent même un éventuel retrait de GSK, la firme pharmaceutique historique dans la recherche anti-VIH.
Mexico, ce fut surtout un bouleversement. Les traitements antisida et les nouveaux outils de prévention forment désormais un couple inédit. Les deux sont désormais indissociables. A l’image des traitements qui permettent de rendre le séropositif non-contaminant, et que certains suggèrent même de prendre «en préventif». Va-t-on ainsi vers une situation où l’on prend des ARV pour ne pas être contaminé, ou encore pour ne pas contaminer ? En tout cas, à Mexico, un message est massivement passé. De même que les traitements sont une combinaison de molécules, la prévention ne peut se résumer à une mesure : elle doit être une combinaison – port du préservatif, circoncision, échange de seringues…
Homosexuels. La conférence de Mexico, ce fut enfin une urgence qui demeure. La discrimination reste au cœur de l’épidémie. Un exemple : jeudi soir, l’association française Aides a présenté la création d’Africagay, un réseau d’associations africaines de lutte contre le sida et pour les droits des homosexuels. Une nécessité car le sida chez les homosexuels, en Afrique, est une épidémie ignorée, silencieuse. Peu de chiffres et un contexte terrible : les relations homosexuelles sont «criminalisées dans plus de 35 pays africains», expliquait Aides. Quelques données éparses indiquent, par exemple, qu’au Sénégal, les «hommes ayant des relations avec les hommes» sont trente fois plus touchés par le sida que le reste de la population. «Dans mon pays, si dans le titre de mon association j’avais mis le mot « gay », je serais en prison», a raconté un jeune militant venu du Cameroun. «Comment, dans ces conditions, avoir accès aux soins ou à la prévention ?»
Fini Mexico donc, en attendant Vienne, où se tiendra, en 2010, la 18e Conférence internationale sur le sida. Dans deux ans, c’est-à-dire 5 millions de morts du sida plus tard… si rien ne change.