Grande figure de l’école de la régulation (1), Robert Boyer souligne dans une tribune au Monde du jour (2), la contradiction flagrante entre l’économique et le politique en matière budgétaire, c’est à dire entre la pression des Français, d’une part, et des marchés d’autre part. « Selon des modalités diverses, les citoyens ont exprimé des demandes économiques et sociales qui ne peuvent être satisfaites du fait de l’épuisement du régime de croissance. C’est la raison pour laquelle le blocage politique est aussi l’expression de l’affaiblissement progressif de l’économie française ».
Pour étayer son appréciation, l’économiste décline trois contradictions majeures. Celle de la logique politicienne qui « mène la danse » dans la perspective d’une nouvelle dissolution. Celle de la fragmentation et de l’anomie de l’Assemblée nationale suite à la dissolution et à la sanction électorale du feu macronisme parallèle à la montée du RN. « Enfin, l’autonomisation de la classe politique par rapport à la société l’a éloignée de la prise en compte du contexte tant économique – comment améliorer le niveau de vie des Français alors qu’a chuté la productivité depuis 2020 sans le faire à crédit ? – que financier, car il faut répondre aux injonctions de Bruxelles et aux attentes des acheteurs étrangers de la dette publique française. En outre, il ne faut pas abuser de la protection de l’euro et de la patience des partenaires de la France. Ce sont autant d’incitations à oublier les demandes des citoyens et à accélérer la dramatique perte de légitimité des politiques, voire des institutions mêmes de la Ve République, qui ont permis un exercice solitaire et aventureux du pouvoir. »
Dans ce contexte deux écueils sont probables. « Soit le projet de budget 2025 accorde la priorité au rétablissement des comptes publics et il devra faire face à l’explosion des luttes sociales. Soit il répond à une partie des demandes exprimées par les citoyens et il laisse filer les déficits, public et extérieur. »
Par delà les péripéties actuelles d’une procédure budgétaire contrariée, notre économiste régulationniste (3) ne propose pas moins que d’œuvrer à « la restauration de la paix sociale » et à « la négociation d’un nouveau compromis assurant la viabilité et la légitimité d’un régime socio-économique à explorer et inventer ». Dans la cohérence de son analyse historique des crises, « si les institutions n’autorisent pas un mode de régulation viable, ce sont les marchés qui sonnent la fin des illusions politiques ».
X.D
(1) « Cette école se présente comme une synthèse entre le marxisme, le keynésianisme et l’institutionnalisme :
– Du marxisme, elle adopte la théorie des crises du capitalisme, tout en rejetant la théorie de la valeur travail.
– Du keynésianisme, elle s’inspire de la théorie macroéconomique, mais néglige les rapports sociaux.
– De l’institutionnalisme, elle emprunte la définition de l’institution comme un « armistice social ».
L’école de la régulation a vu le jour en France et regroupait, dans les années 1970 et 80, des économistes nés après la Deuxième Guerre mondiale tels que le chef de file Robert Boyer ou encore M. Aglietta, A. Lipietz, A. Orléan, J. Mistral, entre autres. »
https://major-prepa.com/economie/fiche-thematique-ecole-regulation/
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/17/budget-2025-la-contradiction-entre-l-economique-et-le-politique-est-flagrante_6320859_3232.html
(3) Pour les régulationnistes, « il existe cinq institutions qui permettent de formaliser une vision de l’évolution historique des sociétés contemporaines (opposition entre État gendarme et État providence, par exemple). L’accumulation du capital, extensive au XIXe siècle, devient intensive au XXe siècle.
Les crises sont souvent liées à l’absence de débouchés (décalage entre hausses de la productivité et des salaires), ce qui fait émerger la notion de « compromis fordiste ». La régulation fordiste permet à la production et à la consommation d’avoir une évolution synchronisée.
Le rapport salarial
Il englobe l’ensemble des conditions juridiques et institutionnelles qui régissent l’utilisation du travail salarié et la reproduction de la vie des travailleurs. Cinq éléments le composent : l’organisation du processus de travail, la hiérarchie des qualifications, la mobilité des travailleurs, le principe de formation des salaires et l’utilisation du revenu salarié.
Le travail est considéré comme un compromis entre la résistance des organisations de travailleurs et l’objectif de rationalisation du capitalisme.
La monnaie
Les régulationnistes rejettent l’idée d’une substance de valeur, comme le travail ou l’utilité, et considèrent que le prix est intrinsèquement monétaire.
La monnaie est un processus de socialisation, étant à la fois publique (unité de compte imposée aux individus) et privée (désir individuel de thésaurisation). Elle représente le travail abstrait qui distingue la valeur sociale de la valeur en procès.
La concurrence
L’école de la régulation s’oppose à l’autorégulation des marchés et prône une hétérorégulation dans laquelle les marchés ne sont pas les seules institutions déterminant les variables économiques. Ces dernières ne sont pas automatiquement équilibrées et la concurrence n’est qu’une forme de régulation parmi d’autres.
Les régulationnistes soulignent l’impact de la concurrence sur les prix, l’inégalité des revenus et la problématique de la mondialisation.
L’État
Il est considéré à la fois comme l’instrument de la lutte des classes et comme un arbitre au-dessus de cette lutte. L’État possède un appareil idéologique (école, médias, syndicats, églises) et un appareil répressif (armée, police, justice). Il joue un rôle organisationnel et intervient dans le jeu économique et social.
L’internationalisation de l’économie crée des défis pour l’État, qui doit s’adapter aux nouveaux besoins de l’appareil productif.
Les relations internationales
Les régulationnistes mettent l’accent sur la polarisation des échanges, avec une hiérarchisation des nations en faveur des pays développés et des producteurs de biens d’équipement. Ils décrivent un processus cumulatif en quatre étapes, impliquant des économies d’échelle, des échanges de marchandises, une augmentation de la rentabilité des branches internationalisées et la modernisation des autres secteurs.
La régulation à court terme est influencée par les entreprises multinationales, tandis que celle à long terme dépend du système monétaire international (SMI). »
https://major-prepa.com/economie/fiche-thematique-ecole-regulation/
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